Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 16-81.038
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ranstad France (Sté)
Défendeur :
Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
Mme Chaubon
Avocat général :
Mme Moracchini
Avocats :
SCP Odent, Poulet, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix
President :
M. Guérin
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société Ranstad France, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 2016, qui a prononcé sur la régularité des opérations de visite et saisie effectuées par les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que suite à une requête présentée à l'occasion de l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence d'où il résultait que les entreprises de travail temporaires Manpower, Adecco et Ranstad utiliseraient leurs filiales respectives, Alisia (groupe Manpower), Adjuste HR (groupe Adecc°) RSR (groupe Ranstad AD) et Pixid (société commune aux trois groupes), spécialisées dans la gestion externalisée du travail temporaire, pour acquérir des informations commerciales sensibles sur leurs concurrents, de nature à orienter leurs stratégies commerciales pour faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris a autorisé, par ordonnance du 1er juillet 2013, Mme la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder en application des dispositions de l' article L. 450-4 du Code de commerce à des opérations de visites et de saisies dans les locaux desdites sociétés ; que les opérations de visites et de saisies ont été effectuées simultanément le 10 et le 11 juillet 2013 ; que la société Ranstad a demandé l'annulation des opérations de visites et saisie réalisées dans ses locaux ;
En cet état : - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 609 du Code de procédure pénale et des principes régissant la cassation par voie de conséquence en matière pénale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a annulé la saisie de la seule pièce n° 20 et rejeté toutes les autres demandes de la société Randstad et a confirmé l'ensemble des opérations de visite et de saisie alors que, par l'effet de la cassation qui sera prononcée à l'encontre de l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 2016, statuant sur le recours dirigé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris ayant autorisé les opérations de visite domiciliaire et de saisie diligentée par l'Autorité de la concurrence à l'encontre de la société Randstad, la présente ordonnance, rendue sur recours contre les opérations de visites et de saisies elles-mêmes, devra être annulée par voie de conséquence" ;
Attendu que le pourvoi formé à l'encontre de l'ordonnance du premier président confirmant l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé Mme la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et saisie ayant été rejeté par arrêt de ce jour, le moyen est devenu sans objet ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du Code de commerce, préliminaire, 56 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale, ensemble les droits de la défense et le principe de non incrimination ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a annulé la saisie de la seule pièce n° 20 et a rejeté toutes les autres demandes de la société Randstad et a confirmé l'ensemble des opérations de visite et de saisie ;
"aux motifs que sur les conséquences à tirer de la saisie de documents couverts par le secret professionnel par les agents de l'Autorité de la concurrence, l'article 8, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme dispose, tout en énonçant le droit au respect de sa vie privée et familiale, que ''Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui'' ; que sur le caractère massif et indifférencié de la saisie, il y a lieu d'indiquer que la pratique en matière de visite domiciliaire consiste à effectivement introduire des mots clés, mais également à introduire d'autres mots ou noms qui permettent une discrimination ; que ceci étant précisé, une saisie, lorsqu'elle est opérée dans ces conditions, ce qui semble être le cas en l'espèce, ne présente pas un caractère massif et indifférencié sous réserve que l'extraction des fichiers informatiques opérée par les agents de l'administration, assistés d'un officier de police judiciaire, soit faite à partir de mots-clefs dont l'intitulé est en lien avec le champ d'application de l'autorisation du juge ; qu'en l'espèce, il ressort de la lecture de l'inventaire que l'Autorité est intervenue de manière sélective et ciblée ; que cette sélection ressort, d'une part, du nombre de fichiers saisis sur la totalité des fichiers existants (ratio de 4,02 % soit 37 158 fichiers saisis sur 924 886 fichiers ayant fait l'objet d'investigations selon l'autorité de la concurrence) ; que cette saisie massive et indifférenciée aurait, selon la société requérante, entraîné la saisie d'un certain nombre de document couvert (sic) par la confidentialité avocat/client ; qu'il convient de relever que sur les documents identifiés par la société requérante, à savoir 54 documents, 31 ont déjà été restitués par l'Autorité et que, sur les 23 restants, 8 documents ne seraient pas protégés par le secret professionnel mais l'Autorité ne s'oppose (sic) à leur restitution ; qu'il reste donc 15 documents numérotés 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 19 et 20 qui sont des versions différentes d'un même tableau excel et proviennent de la direction juridique de la société et non pas d'un de ses cabinets d'avocats ; que l'examen in concreto des pièces contestées démontrent (sic) bien que les pièces 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 19 sont effectivement des versions différentes d'un même tableau excel et proviennent de la direction juridique de la société ; que s'agissant de la pièce n° 20, il s'agit d'un échange avec un avocat concernant une consultation sur la médecine du travail ; qu'en conséquence, compte tenu de ce qui précède, seule la pièce n° 20 sera restituée ; que ce moyen sera écarté, à l'exception de la restitution de la pièce n° 20 ; que sur l'impossibilité pour le juge de vérifier, en se référant au procès-verbal et à l'inventaire des opérations, la régularité de ces dernières, il est constant que les sociétés requérantes (sic) ont reçu une copie des fichiers copiés ainsi que l'inventaire qu'elles ont pu lire ; que l'occupant des lieux a ainsi reçu toutes les informations lui permettant d'identifier et de prendre connaissance des fichiers copiés par les enquêteurs, qui sont en toute hypothèse demeurés en possession de l'entreprise sur ses propres supports informatiques ; qu'enfin, aucune disposition juridique n'impose de forme particulière à l'inventaire des pièces et documents saisis ; que cette pratique est celle qui permet de concilier l'efficacité de la recherche et le bon fonctionnement de la société dans la mesure où si chaque fichier devait être vérifié l'activité économique de ladite société pourrait être bloquée pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, ce qui n'est pas l'objectif d'une visite domiciliaire, à savoir ralentir, voire stopper l'activité économique et commerciale d'une société ; que, s'agissant plus précisément des copies informatiques effectuées sur l'ordinateur de Mme Paola Kern, la lecture du procès-verbal de visite et de saisie, en date du 10 juillet 2013, indique que ces données ont été saisies depuis l'ordinateur portable de marque HP elite book 6930 P de Mme Paola Kern responsable grands comptes ; qu'il a été constaté la présence de documents entrants (sic) dans le champ de l'autorisation en raison du chiffrement du disque dur ''nous avons réalisé une copie image logique de la partition E de ce disque dur pour en permettre une analyse approfondie'' ; que cette image a été stockée sur l'un des disques dur mis à disposition par M. Rebotier [...], nous avons élaboré un inventaire informatique de ces fichiers et avons gravé sur un DVD-R vierge non réinscriptible ces fichiers et avons finalisé la gravure afin d'interdire tout ajout, retrait ou modification de son contenu ; qu'avant d'être placé sous scellé n° 19 ce DVD-R a été copié en deux exemplaires, l'un destiné aux rapporteurs de l'Autorité de la concurrence et l'autre laissé à la société Randstad ; que l'inventaire informatique des fichiers saisis a été gravé sur CD-R et placé en annexe n° 2 au présent procès-verbal ; que la comparaison entre l'inventaire de la copie des documents informatiques saisis et les documents informatiques restés en possession des sociétés (l'original étant constitué par le support informatique) permettait de vérifier, ce qui avait été appréhendé par l'administration et, le cas échéant, de soumettre à notre juridiction, les documents qui lui paraissent être hors du champ de l'ordonnance ; s'agissant des intitulés peu explicites, ils ne sont que la conséquence de l'utilisation du logiciel Lotus installé par l'entreprise, les fichiers de messageries présents sur les ordinateurs (sic) des salariés qui ne reprennent que le nom des personnes concernées sont de type IBM Lotus Note dont les messages ne font pas l'objet d'un enregistrement individuel mais sont contenus dans un ensemble insécable qu'il n'est pas possible de modifier, sauf à altérer les caractéristiques du fichier ; que concernant l'inventaire prétendu non réalisé de Mme Cathy Slais il y a lieu d'adopter le même raisonnement que précédemment pour Mme Paola Kern et de constater en pages 6 et 7 du procès-verbal que les mêmes formalités ont été effectuées, une copie de l'inventaire informatique des fichiers saisis a été gravée sur CD-R et placée en annexe du présent procès-verbal ; que ces moyens seront rejetés ; "1°) alors que, quelle qu'en soit la forme, les correspondances échangées entre l'avocat et son client sont couvertes par le secret professionnel, ce qui interdit à l'administration de les saisir et d'en prendre ensuite connaissance ; qu'en confirmant la régularité des opérations de visite et de saisies alors que l'exposante invoquait une violation du principe de confidentialité des correspondances, et en se contentant d'acter l'accord de l'Autorité de la concurrence relatif à la restitution de certains documents et le fait qu'elle en ait déjà restitué 31, ainsi que d'annuler une seule pièce restante, mesures totalement illusoires, notamment en ce que la restitution, pur repentir de l'auteur d'une illégalité, est étrangère à toute idée de sanction, alors qu'il lui revenait d'annuler la totalité des saisies globales de messageries, seul redressement approprié du fait de l'atteinte irrémédiable, avérée dès la saisie et, a fortiori, après la connaissance acquise des échanges par l'Autorité, aux droits de la défense et au principe de non-incrimination, le délégué du premier président a violé les textes visés au moyen ; "2°) alors que le juge, qui n'est pas un expert en informatique mais qui, selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, ne peut ordonner une expertise aux fins de constater qu'il existe des méthodes alternatives à la saisie globale des messageries, utilisées notamment par la Commission européenne, ne saurait cependant se contenter de valider le sempiternel argument avancé par l'Autorité de la concurrence relatif à la prétendue insécabilité des messageries ; qu'en l'espèce, selon le délégué du premier président, l'insécabilité serait due au choix du logiciel Lotus Note, insécabilité qui, pourtant, lorsque l'annulation est prononcée et la restitution ordonnée, disparaît subitement, les messageries devenant par miracle sécables ; qu'en ne constatant pas que la saisie de documents protégés par le principe de confidentialité des échanges entre un avocat et l'entreprise aurait pu être évitée, soit en adoptant les mesures exécutées par la Commission européenne relevées par la Cour européenne des droits de l'homme, soit en appliquant, à l'instar de la procédure en matière fiscale et de la pratique récente développée par l'Autorité de la concurrence elle-même, les dispositions de l'article 56 du Code de procédure pénale, qui commandent aux officiers de police judiciaire de prendre toutes mesures préalables et utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense en plaçant les copies sous scellés pour que seul le juge puisse en analyser le contenu, le délégué du premier président a violé les articles visés au moyen ; "3°) alors que le droit au procès équitable commande d'accorder au justiciable un recours effectif ; que le recours devant le premier président n'étant pas suspensif, il convient, afin d'accorder rapidement un redressement approprié, que le premier président de la cour d'appel statue dans les plus brefs délais ; qu'en l'espèce, Randstad a exercé son recours contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le 19 juillet 2013 et le délégué du premier président a statué le 13 janvier 2016, soit deux ans et demi après la saisie de documents protégés par le principe de confidentialité des échanges entre un avocat et l'entreprise ; que ce délai totalement déraisonnable a privé de toute effectivité le recours exercé, l'Autorité ayant eu tout loisir d'analyser les documents saisis illégalement ; qu'en statuant comme il l'a fait, sans annuler la totalité des saisies globales de messageries, seul redressement adapté à la violation irrémédiable des droits de la défense et du principe de non incrimination, le délégué a violé une fois encore les articles visés au moyen" ;
Attendu que, pour dire régulières les opérations de visite et les saisies, à l'exception d'un document protégé par la confidentialité des correspondances entre avocat et client, l'ordonnance prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, le premier président a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ; que d'une part, la présence, au sein d'un fichier de messagerie indivisible, d'un courriel insaisissable en raison du secret de la correspondance entre un avocat et son client ne saurait entraîner l'annulation de la saisie d'un tel fichier dans son ensemble ;
Que d'autre part, le placement sous scellés est une faculté laissée à l'appréciation des enquêteurs et le premier président n'a pas à apprécier la possibilité qu'ils ont eue de procéder autrement qu'ils ne l'ont fait ;
Qu'en outre, le juge a souverainement estimé que l'Autorité de la concurrence est intervenue de manière sélective et ciblée, que sur 54 documents elle en a restitué 39 et que sur les 15 documents restants, leur examen l'a conduit à écarter la pièce n° 20, qui concernait un échange avec un avocat ;
Qu'enfin, la méconnaissance du délai raisonnable, à la supposer établie, est sans incidence sur la validité de la procédure ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
Rejette le pourvoi.