ADLC, 12 juillet 2017, n° 17-DCC-107
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à la prise de contrôle conjoint d'un ensemble immobilier par la Caisse d'Épargne Hauts-de-France et la Caisse des Dépôts et Consignations
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 12 juin 2017, relatif à la prise de contrôle conjoint d'un ensemble immobilier par la Caisse des Dépôts et Consignations et la Caisse d'Épargne Hauts-de-France, formalisée par un bail commercial en l'état futur d'achèvement en date du 27 avril 2017 et une lettre d'intention adressée par la Caisse des Dépôts et Consignations et la Caisse d'Épargne Hauts-de-France au groupe Nacarat en date du 9 mai 2017 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l'instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
La Caisse d'Épargne Hauts-de-France est un établissement bancaire faisant partie du groupe BPCE. Celle-ci détient l'intégralité du capital de la société Immobilière Nord France Europe (ci-après " INFE ") qui est elle-même propriétaire de l'essentiel du patrimoine immobilier de ladite caisse.
La Caisse des Dépôts et Consignations (ci-après, " la CDC ") est un établissement public à statut légal spécial, régi par les articles L. 518-2 et suivants du code monétaire et financier, qui remplit des missions d'intérêt général, en appui des politiques publiques conduites par l'État et les collectivités locales, et qui exerce des activités ouvertes à la concurrence. Celles-ci sont regroupées autour de quatre pôles : (i) l'environnement, (ii) l'immobilier, par l'intermédiaire des filiales Société Nationale Immobilière et Icade, (iii) l'investissement et le capital investissement et (iv) les services. Créée par la loi du 28 avril 1816, la CDC est placée " sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative ", ce mode de gouvernance étant destiné à assurer l'autonomie de cette institution qui gère des fonds privés nécessitant une protection particulière1.
Rue de la vallée est une société civile immobilière qui sera créée pour les besoins de l'opération et détenue par l'INFE ([...] % du capital et des droits de vote) et la CDC ([...] % du capital et des droits de vote). Les statuts de Rue de la vallée prévoiront que les décisions stratégiques relatives à son activité seront adoptées à la majorité des 2/3 du capital et des droits de vote que seules l'INFE et la CDC sont en mesure de détenir ensemble2.
L'opération consiste en l'acquisition d'un immeuble de bureaux d'une surface de [...] m2 à édifier dans l'agglomération d'Amiens (ci-après l'" immeuble à édifier ").
Concernant l'immeuble à édifier, le groupe Nacarat a conclu le 27 avril 2017 avec l'État un bail commercial en état futur d'achèvement sous conditions suspensives d'une durée de 9 ans. Le montant du loyer annuel est de [...] euros. L'immeuble à édifier est donc un actif devant générer à court terme et de façon certaine un chiffre d'affaires.
Parallèlement, les parties à l'opération ont signifié le 9 mai 2017 leur intention au groupe Nacarat de se porter acquéreur de l'immeuble à édifier à travers la société en cours de constitution Rue de la vallée.
En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle conjoint d'un ensemble immobilier par la Caisse d'Épargne Hauts-de-France et la CDC, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.
Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (BPCE : [...] d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2015 ; CDC : [...] d'euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (BPCE : [...] d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2015 ; CDC : [...] d'euros pour le même exercice).
Compte tenu de ces chiffres d'affaires, les seuils prévus par l'article 1, paragraphe 2, a) et b) du Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 sont atteints. Néanmoins, chacune de ces entreprises réalisant plus des deux tiers de son chiffre d'affaires européen en France (BPCE : [...] d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2015 ; CDC : [...] d'euros pour le même exercice), l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
Les parties sont actives sur le marché de la gestion pour compte propre d'actifs immobiliers à usage de bureaux.
A. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE SERVICES
Les autorités de concurrence nationale3 et européenne4 ont envisagé, tout en laissant la question ouverte, différentes segmentations dans le secteur des services immobiliers selon (i) les destinataires des services (particuliers ou entreprises), (ii) le mode de fixation des prix (immobilier résidentiel libre et les logements sociaux ou intermédiaires aidés), (iii) le type d'activité exercée dans les locaux (bureaux5 , locaux commerciaux et autres locaux d'activités6 ), et (iv) la nature des services ou biens offerts.
Pour cette dernière segmentation, les services suivants ont été identifiés :
(i) la promotion immobilière qui comprend les activités de construction et de vente de biens immobiliers ;
(ii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre ;
(iii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte de tiers (des investisseurs institutionnels, principalement des banques et des compagnies d'assurances) qui recouvre le conseil et la gestion de portefeuille immobilier (arbitrage et valorisation d'actifs), le montage des opérations d'investissement immobilier et la gestion d'actifs immobiliers et de véhicules d'investissements spécialisés (notamment les sociétés civiles immobilières) ;
(iv) l'administration de biens immobiliers qui recouvre les activités de gestion des immeubles pour le compte de propriétaires et qui peut être segmentée entre la gestion locative et la gestion de copropriété ;
(v) l'expertise immobilière ;
(vi) le conseil immobilier ;
(vii) l'intermédiation dans les transactions immobilières, pour laquelle l'intermédiation dans les opérations d'achat/vente est distinguée de l'intermédiation dans les opérations de location.
Au cas d'espèce, les parties sont actives sur le marché de la gestion pour compte propre d'actifs immobiliers à usage de bureaux.
B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
La pratique décisionnelle considère que le marché de la gestion pour compte propre d'actifs immobiliers à usage de bureaux est régional ou infrarégional7, à l'exception de la région Ile-de-France où le niveau le plus approprié pour l'analyse concurrentielle est le niveau régional8 .
Au cas d'espèce, l'analyse sera donc menée au niveau de la région Hauts-de-France, du département de la Somme et de l'agglomération d'Amiens.
III. Analyse concurrentielle
L'opération emporte des chevauchements d'activités sur le marché de la gestion pour compte propre d'actifs immobiliers à usage de bureaux aux niveaux régional, départemental et local. En région Hauts-de-France, la part de marché cumulée des parties à l'issue de l'opération demeurera inférieure à [0-5] %.
Tant à l'échelle départementale qu'au niveau de la seule agglomération d'Amiens où se situe la cible, les parts de marché cumulées des parties demeureront inférieures à [5-10] %. Les parties demeureront, par ailleurs, soumises à la concurrence de nombreux opérateurs tels que le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel, la BNP Paribas pour le niveau local. Par conséquent, la présente opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché de la gestion pour compte propre d'actifs immobiliers à usage de bureaux.
DÉCIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 17-124 est autorisée.
La présidente,
Isabelle de Silva
NOTES
1 Voir l'article L. 518-2 du code monétaire et financier.
2 Article 19.3.1 du projet de statuts.
3 Voir notamment les décisions de l'Autorité n° 09-DCC-l6 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d'Épargne et Banque Populaire, n°14-DCC-46 du 1er avril 2014 relative à la prise de contrôle conjointe d'un actif immobilier industriel en Moselle par la Norges Bank et Prologis, n° 15-DCC-l28 du 21 septembre 2015 relative à la prise de contrôle conjoint d'un actif immobilier situé à Rennes par le groupe BPCE et la Caisse des Dépôts et Consignations et n ° 16-DCC-02 du 11 janvier 2016 relative à la prise de contrôle conjoint d'un actif immobilier situé à Marseille par le groupe BPCE et la Caisse des Dépôts et Consignation.
4 Voir les décisions de la Commission européenne COMP/M.2110 Deutsche Bank / SEI / JV du 25 septembre 2000, IV/M.2825 Fortis AG SA / Bernheim-Comofi SA du 9 juillet 2002 et COMP/M.3370 BNP Paribas / ARl du 9 mars 2004.
5 Voir les décisions de l'Autorité n° 12-DCC-156 du 12 novembre 2012 relative à la prise de contrôle conjointe d'une société civile immobilière pour l'acquisition d'un immeuble à usage de bureaux par CNP Assurance et Sogecap et n° 12-DCC-157 du 15 novembre 2012 relative à la prise de contrôle conjoint d'une société civile immobilière pour la détention d'un immeuble de bureaux situé à Lyon par les sociétés Prédica et la Caisse des Dépôts et Consignations. 6 Voir notamment la décision de l'Autorité n° 13-DCC-146 du 22 octobre 2013 relative à la prise de contrôle conjoint d'une société civile immobilière pour la détention d'un actif immobilier à usage d'EHPAD par la Foncière Malherbe Claudel (Groupe Crédit Agricole) et la Caisse des Dépôts et Consignations.
7 Décisions de l'Autorité n° 12-DCC-156 et n° 12-DCC-157 précitées.
8 Décision C2006-151 du ministre de l'économie SNI / EFIDIS du 10 janvier 2007.