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Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 21 août 2017, n° 15-03128

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SARL SC23

Défendeur :

SARL HD2PE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Forcade

Conseillers :

MM Moulis, Muller

TGI, Montauban, du 22 juin 2015

22 juin 2015

Faits et procédure

Suivant acte authentique du 19/10/2010, la SARL SC23 a vendu à la SARL HD2PE un fonds de commerce de débit de boissons 4ème catégorie bar, restaurant, vente de pizzas à emporter, boissons à emporter, connu sous le nom de Pili 223, sis à [...] au prix de 178 000 euro.

L'acquéreur s'est plaint de la non conformité des lieux et a procédé à une opposition sur le prix de vente du fonds de commerce.

La SARL SC23 a saisi le président du Tribunal de grande instance de Montauban statuant en référé pour être autorisée à percevoir le prix de vente du fonds de commerce malgré l'opposition formulée.

Par décision du 1/06/2011 le juge des référés a dit que l'opposition de la SARL HD2PE était fondée sur le principe, cantonné la somme saisie à 60 000 euro, ordonné la mainlevée partielle pour le solde restant se trouvant entre les mains du notaire, ordonné une expertise relative aux travaux de mise en conformité à effectuer et commis M. P. pour y procéder.

L'expert a déposé son rapport le 23/03/2014.

Par acte d'huissier de justice du 9 janvier 2015, la SARL SC23 a fait assigner la SARL HD2PE devant le président du Tribunal de grande instance de Montauban statuant en référé aux fins de mainlevée de la saisie et d'indemnisation de ses préjudices.

Par décision du 2 avril 2015, le juge des référés s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de la SARL SC23 en raison d'une contestation sérieuse et a renvoyé l'affaire au fond devant le Tribunal de grande instance.

Par jugement du 02 juin 2015, le Tribunal de grande instance de Montauban a :

- Débouté la SARL SC23 de toutes ses demandes

Vu les articles 1116, 1117 et 1149 du Code Civil,

- Dit que la SARL SC23 est tenue à une réduction de 23 215 euro du prix de cession du fonds de commerce et l'a condamnée au paiement de cette somme à la SARL HD2PE

- Condamné la SARL SC23 à payer en outre à la SARL HD2PE la somme de 47 850,82 euros en réparation du préjudice causé par ses manœuvres dolosives

- Attribué en conséquence à la SARL HD2PE la somme consignée entre les mains de Maître G., notaire, à hauteur de 60 000 euro outre les intérêts éventuellement produits

- Dit qu'après déconsignation, la SARL SC23 sera tenue au paiement entre les mains de la SARL HD2PE de la différence soit 11 065,82 euro sous réserve des intérêts servis par la consignation

- Condamné la SARL SC23 à payer à la SARL HD2PE la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

- Condamné la SARL SC23 aux dépens, en ce compris les frais de référé et d'expertise, et accordé le droit de recouvrement direct à la SCP D., qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Le 29 juin 2015, la SARL SC23 a interjeté appel de ce jugement.

L'ordonnance de clôture a été fixée au 8/11/2016, date des plaidoiries.

Prétentions et moyens des parties

Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 5/10/2016 la SARL SC23 demande à la cour de :

Vu les articles 1116, 1641 et suivants, 2243, 1382 du Code civil et 565 du Code de Procédure civile

- Réformer le jugement du 02 juin 2015

- Dire que la SARL SC23 n'a pas commis de réticence dolosive

- Dire que la SARL HD2PE ne rapporte pas la preuve des vices cachés

- Dire que son action sur le fondement des articles 1641 et suivants et prescrite.

- En conséquence, rétracter les ordonnances des 1er juin 2011 et du 2 avril 2015.

- Ordonner la mainlevée de la somme consignée entre les mains de Me G. au profit de la société concluante.

- Condamner la SARL HD2PE à verser à la SARL SC23 la somme de 28.117.72 euro en réparation du préjudice matériel subi.

- La condamner à payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de référé, de première instance et d'appel.

Elle admet ne pas avoir procédé aux travaux de mise aux normes de sécurité prescrits par l'administration en 2007 mais indique que l'acheteur avait été informé de cet état de fait avant la vente.

Elle considère dès lors que la SARL HD2PE ne rapporte pas la preuve d'une réticence dolosive.

S'agissant de l'action en garantie pour vices cachés la SARL SC23 fait valoir que la demande est prescrite puisque l'action a été intentée plus de deux ans après la connaissance des supposés désordres.

Enfin, invoquant un préjudice engendré par la consignation de la somme de 60 000 euro elle demande une indemnité de 28 117,72 euro.

La SARL HD2PE demande au terme de ses conclusions responsives et récapitulatives déposées le 24 octobre 2016 de :

Vu les articles 1116 et suivants (applicables à l'espèce) et 1641 et suivants du Code civil,

Vu le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur P. déposé le 23 mars 2014,

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Montauban le 2 juin 2015,

- Débouter en conséquence la SARL SC23 de sa demande de mainlevée de l'opposition sur le prix de vente de fonds de commerce intervenue entre la SARL SC23 et la SARL HD2PE,

- Dire et juger que la SARL SC23 s'est rendue coupable de manœuvres dolosives justifiant l'action en réduction du prix de vente du fonds de commerce menée par la SARL HD2PE,

- Fixer en conséquence la diminution du prix de vente du fonds de commerce à la somme de 23 215 euro,

- Dire et juger en outre qu'en conséquence de ses manœuvres dolosives, la SARL SC23 sera condamnée à verser à la SARL HD2PE la somme de 47 850,82 euro en réparation du préjudice causé par les manœuvres dolosives,

- Attribuer en conséquence à la SARL HD2PE la somme consignée entre les mains de Maitre G., Notaire, à hauteur de 60 000 euro, outre les intérêts éventuellement produits,

- Dire qu'après déconsignation, la SARL SC23 sera tenue au paiement entre les mains de la SARL HD2PE de la différence soit 11 065,82 euro sous réserve des intérêts servis par la consignation,

Subsidiairement,

- Dire et juger que la vente du fonds de commerce intervenue entre la SARL HD2PE et la SARL SC23 est affectée de vices cachés justifiant l'action estimatoire intentée par la SARL HD2PE aux fins de remboursement d'une partie du prix de vente, à hauteur de 80 636,03 euro,

En tout état de cause,

- Débouter la SARL SC23 de sa demande d'indemnité à hauteur de 28 117,72 euro infondée et injustifiée,

- Condamner enfin la SARL SC23 à verser à la SARL HD2PE la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la même aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire et dire qu'ils seront recouvrés par les soins de Maîtres D.-P.-M.-N. en application de l'article 699 du même Code.

Elle invoque la réticence dolosive du vendeur, celui-ci ayant dissimulé les prescriptions administratives de sécurité à réaliser.

Subsidiairement, concernant l'action en garantie des vices cachés, elle fait valoir que le bref délai a été interrompu par une assignation en référé.

Concernant les dommages et intérêts elle fait valoir que la SARL SC23 n'apporte pas d'explication sur le montant de la somme demandée.

Motifs de la décision

Suite à sa visite effectuée le 23/02/2011 la commission de sécurité de l'arrondissement de Castelsarrasin a constaté plusieurs non conformités et émis un avis défavorable.

Elle vise, dans son avis :

- le non-respect des engagements du maître d'ouvrage, en date du 23/02/2007

- l'absence d'une 2ème issue de secours

- l'absence d'un 2ème escalier permettant l'évacuation du niveau

- l'absence d'isolation de la réserve

- l'absence d'isolation du local cuisine.

La commission conclut à la nécessité d'équiper l'établissement d'une alarme de type 4 et à celle de respecter les mesures constructives et techniques contre les risques d'incendie et de panique mentionnées dans la notice de sécurité en date du 23/02/2007 et signée par le maître de l'ouvrage.

L'expert a chiffré les travaux pour la mise en conformité à la somme de 23 215 euro.

L'article 1116 du Code civil, dans sa version applicable au litige, dispose que " Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé "

Il est difficile de se référer aux attestations produites pour relever qu'il y aurait eu volonté délibérée de la part du gérant de la SARL SC23 de dissimuler le défaut de conformité du fonds de commerce en demandant à son employé lors des visites des acquéreurs d'empêcher l'accès à certains éléments du fonds et en camouflant l'état de certains équipements.

En effet, M. T., ancien employé de la SARL SC23 a reconnu que les faits évoqués dans son attestation étaient inexacts.

De plus son attestation, tout comme celle de Mme C. sont contredites par celles d'autres employés.

Mais le dol peut résulter d'une simple réticence, laquelle consiste à dissimuler à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter.

Le silence est alors considéré comme un manquement à l'obligation de contracter de bonne foi et la réticence dolosive résulte de la double constatation que le vendeur connaissait la vérité et de l'importance du fait dissimulé pour l'autre partie.

Lors de l'acquisition du fonds par la SARL SC23 en 2007, le service départemental d'incendie et de secours du Tarn et Garonne avait émis un avis favorable au projet d'aménagement d'un débit de boissons dans un local commercial existant mais avait demandé que l'établissement soit équipé d'une alarme de type 4 et que le maître de l'ouvrage (Cédric S., gérant de la SARL SC23) respecte les mesures constructives et techniques contre les risques d'incendie et de panique mentionnées dans la notice de sécurité en date du 23/02/2007 et signée par lui.

De même la commission d'arrondissement d'accessibilité de Castelsarrasin avait émis un avis favorable assorti du rappel des dispositions réglementaires à respecter.

L'autorisation du maire de Moissac de réaliser les travaux relatifs à l'établissement en date du 10/07/2007 avait été donnée sous condition du respect par la SARL SC23 des prescriptions émises par la commission d'arrondissement d'accessibilité de Castelsarrasin et par le service départemental d'incendie et de secours du Tarn et Garonne.

L'avis défavorable de la commission de sécurité du 23/02/2011 permet de constater que la SARL SC23 n'a pas respecté ses engagements.

Dans la mesure où le fonds de commerce litigieux avait fonctionné durant plusieurs années avant sa mise en vente, aucun élément ne pouvait laisser supposer à l'acquéreur que le gérant de la SARL SC23 n'avait pas mis son établissement aux normes.

La SARL SC23 conteste avoir voulu dissimuler cette situation.

Mais, tout d'abord elle ne saurait s'abriter derrière la clause figurant à l'acte de vente et qui dispose que le " preneur prendra en charge et fera son affaire personnelle de la mise en conformité lors de la prise de jouissance et par la suite .........de tous les travaux de sécurité, tous les travaux d'hygiène et salubrité notamment les travaux imposés par l'administration au regard des règles prévues pour la protection du public telles que les normes de sécurité contre l'incendie , la protection concernant les conditions d'accès, l'hygiène, la conformité électrique...... "

En effet, et ainsi que l'a justement jugé le tribunal cette clause ne peut s'appliquer aux travaux de mise en conformité antérieurement exigés et qui étaient censés avoir été déjà exécutés.

Par ailleurs il prétend avoir remis aux acquéreurs, avant la vente, le document concernant la sécurité de son établissement. Toutefois, et même si la remise de ce document, ce qui est discuté, a effectivement eu lieu, rien ne permet d'établir que les futurs acquéreurs auraient été informés en prenant connaissance de ce dossier de ce que les mesures préconisées en 2007 n'avaient pas été respectées.

Compte tenu de l'importance de ce que les mesures de sécurité revêtent dans ce type d'établissement, le fait de ne pas avoir informé les acquéreurs de ce que les mises aux normes exigées par l'administration n'avaient pas été réalisées est constitutif d'un dol et il est manifeste que si cette situation avait été connue de l'acquéreur la transaction n'aurait pas eu lieu ou n'aurait pas été réalisée au même prix.

L'acquéreur victime d'un dol de la part de son vendeur peut former une action en nullité du contrat, mais peut également préférer engager une action en réduction du prix ou en dommages et intérêts, elle aussi fondée sur l'article 1116 du Code civil.

La SARL HD2PE demande l'indemnisation des travaux nécessaires à la mise en conformité des lieux en reprenant l'évaluation arrêtée par l'expert dans son rapport, soit 23 215 euro.

Il convient de faire droit à sa demande puisque ces frais n'auraient pas dû être supportés par elle.

Il demande également l'allocation d'une somme de 47 850,82 euro représentant la perte d'exploitation et les frais financiers sur une période de dix mois.

L'expert a estimé au terme de son expertise que la perte d'exploitation en 2011 pouvait être évaluée à 51 924,49 euro. Il y a rajouté le montant des frais financiers de l'emprunt souscrit par la SARL SC23 auprès des établissements Heineken, soit 5 496,54 euro ce qui représente une somme globale de 57 420,98 euro.

Tenant compte de ce que l'acquéreur qui avait de sa propre volonté engagé des travaux d'aménagement n'aurait pu commencer à exploiter qu'après la visite de la commission de sécurité qui a eu lieu le 23/02/2011, le tribunal a ramené la somme chiffrée par l'expert au titre de l'année 2011 aux dix mois effectivement concernés, soit 47 850,82 euro, somme dont la SARL HD2PE demande confirmation devant la cour.

Cependant, la perte d'exploitation constatée en 2011 par rapport aux années 2008 et 2009 d'une part et 2012 d'autre part, ne saurait, même sur dix mois, être totalement imputable aux travaux de mise en conformité qui ont dû être exécutés.

En effet il s'agit de l'année qui a suivi la reprise de l'établissement par une autre société.

D'autres travaux, de grande ampleur, ont été réalisés par les acquéreurs.

Ces derniers ne fournissent aucun renseignement sur la durée des travaux de mise en conformité des lieux (ils étaient en cours de réalisation lors de la visite de l'expert sur les lieux fin juillet 2011) et sur le retard effectif que leur réalisation a engendré.

Il ne peut dans ces conditions être considéré que ces seuls travaux sont à l'origine de la perte d'exploitation des dix derniers mois de l'année 2011.

Au vu de ces éléments le préjudice qui en découle ne saurait donner lieu à l'allocation d'une somme supérieure à 30 000 euro.

Dans ces conditions, au total il sera alloué à la SARL HD2PE la somme de 53 215 euro, somme qui portera intérêts au taux légal à compter du jugement dont appel.

Il en ressort que la somme consignée entre les mains de Maître G., notaire, sera versée à la SARL HD2PE à hauteur de ce montant, le surplus devant être versé à la SARL SC23.

Compte tenu de son comportement fautif la SARL SC23 est mal fondée à solliciter des dommages et intérêts.

La SARL SC23 qui succombe en son appel supportera les dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision entreprise sauf sur le montant des dommages et intérêts, Infirme la décision de ce chef, Statuant à nouveau, Fixe le montant des dommages et intérêts à la somme de 53 215 euro, Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement dont appel, Dit que la somme consignée entre les mains de Maître G., notaire, sera versée à la SARL HD2PE à hauteur de ce montant, Y ajoutant, Dit que le restant dû sur la somme de 60 000 euro consignée sera versée à la SARL SC23, Condamne la SARL SC23 à payer à la SARL HD2PE la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés devant la cour, Condamne la SARL SC23 aux dépens d'appel qui seront recouvrés par les soins de Maitre D.-P.-M.-N. en application de l'article 699 du Code de procédure civile.