ADLC, 25 juillet 2017, n° 17-DCC-99
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à la prise de contrôle conjoint de la société Issy Camille Desmoulins par les sociétés Bouygues Immobilier et Primonial Real Estate Investment Management
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 29 mai 2017, relatif à la prise de contrôle conjoint de la société Issy Camille Desmoulins par les sociétés Bouygues Immobilier et Primonial Real Estate Investment Management, formalisée par une lettre d'intention en date du 13 avril 2017 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Bouygues Immobilier, filiale du groupe Bouygues, est active dans le secteur de la promotion immobilière. Elle développe des projets de logement, d'immeubles de bureaux et de parcs commerciaux en France et en Europe. Le groupe Bouygues est actif dans les secteurs de la construction (par l'intermédiaire de ses filiales Bouygues Construction, Bouygues Immobilier et Colas) et des télécoms et médias (par l'intermédiaire de Bouygues Telecom et de sa participation dans TF1).
2. Primonial Real Estate Investment Management (ci-après " Primonial REIM ") est une société de gestion de portefeuille, filiale du groupe Primonial dont les activités s'organisent autour du conseil en solutions patrimoniales, de la conception et gestion d'actifs immobiliers, de la distribution de produits d'assurance et des solutions financières. Primonial REIM exerce en France des activités de gestion de portefeuille pour le compte de tiers, de gestion de fonds d'investissement alternatif, de sociétés civiles de placement immobilier et d'organismes de placement collectif immobilier. Le groupe Primonial est contrôlé conjointement par le groupe Crédit Mutuel et par Bridgepoint1.
3. Issy Camille Desmoulins (ci-après " la cible "), constituée en février 2017, est détenue exclusivement par la société Bouygues Immobilier. Elle détient et exploite pour son propre compte un actif immobilier à usage de bureaux et de commerces d'une surface de 29 612 m² situé à Issy-les-Moulineaux (92).
4. L'opération notifiée, formalisée par une lettre d'intention en date du 13 avril 2017, consiste en l'acquisition par Primonial REIM de 50 % des parts dans le capital de la cible et le rachat par Primonial REIM de 50 % de l'avance en compte courant consentie par Bouygues Immobilier à la cible. Au terme de l'opération, les principales décisions stratégiques (nomination du gérant, budget, plan d'affaires, investissements, commercialisation des actifs immobiliers) seront prises à l'unanimité des associés2. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle conjoint d'Issy Camille Desmoulins par Bouygues Immobilier et Primonial REIM, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxes mondial total de plus de 150 millions d'euros (Bouygues : 31,8 milliards d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2016 ; Primonial : [...] d'euros pour le même exercice). Elles réalisent en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Bouygues : 20 milliards d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2016 ; Primonial : [...] d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, les seuils de notification de l'article 1 paragraphe 2 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 sont atteints. Néanmoins, chacune des entreprises concernées réalisant plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans l'Union européenne en France, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. LES MARCHÉS DE PRODUITS ET SERVICES
6. Les autorités de concurrence nationale3 et européenne4 ont envisagé, tout en laissant la question ouverte, différentes segmentations dans le secteur des services immobiliers, selon (i) les destinataires des services, les biens étant destinés soit aux particuliers, les immeubles concernés étant alors à usage résidentiel, soit aux entreprises, les immeubles concernés étant alors à usage commercial ou professionnel, (ii) le mode de fixation des prix, entre l'immobilier résidentiel libre et les logements sociaux ou intermédiaires, ces derniers s'inscrivant dans un cadre réglementaire particulier dans lequel l'État joue un rôle important, tant en termes d'aides financières que d'attribution de logements, (iii) le type d'activité exercée dans les locaux (bureaux, locaux commerciaux et autres locaux d'activités comme par exemple les entrepôts ou les hôtels), et (iv) la nature des services ou biens offerts.
7. Pour cette dernière segmentation, les services suivants ont été identifiés :
(i) la promotion immobilière, qui comprend les activités de construction et de vente de biens immobiliers ;
(ii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre ;
(iii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte de tiers (des investisseurs institutionnels, principalement des banques et des compagnies d'assurances), qui recouvre le conseil et la gestion de portefeuille immobilier (arbitrage et valorisation d'actifs), le montage des opérations d'investissement immobilier et la gestion d'actifs immobiliers et de véhicules d'investissements spécialisés (notamment les sociétés civiles immobilières) ;
(iv) l'administration de biens immobiliers, qui recouvre les activités de gestion des immeubles pour le compte de propriétaires et qui peut être segmentée entre la gestion locative et la gestion de copropriété ;
(v) l'expertise immobilière ;
(vi) le conseil immobilier ;
(vii) l'intermédiation dans les transactions immobilières, pour laquelle l'intermédiation dans les opérations d'achat/vente est distinguée de l'intermédiation dans les opérations de location.
8. Au cas d'espèce, les parties sont simultanément actives sur le seul marché de la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre5.
9. La question de la délimitation exacte des marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelles que soient les délimitations retenues.
B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
10. La pratique décisionnelle6 considère que les marchés relatifs au secteur immobilier sont de dimension locale, tout en laissant la question ouverte. L'analyse a toutefois déjà pu être menée au niveau national pour les services immobiliers à destination des entreprises, lorsque les opérations étaient réalisées par des groupes d'envergure nationale suivant une stratégie d'implantation selon une logique de maillage du territoire.
11. Pour la région Île-de-France, le ministre de l'économie a relevé que " la région parisienne possède des propriétés particulières de continuité des zones urbaines. En effet, il existe une vaste zone très urbanisée et homogène recouvrant la majeure partie de l'Île-de-France, desservie par un réseau global de transport ; les habitants sont toujours en mesure d'arbitrer entre différentes parties de la région. Cette substituabilité entraîne une convergence au niveau des prix. Dès lors le niveau régional est le plus approprié pour l'analyse concurrentielle. "7.
12. Pour les autres régions, les autorités de concurrence ont mené leurs analyses concurrentielles au niveau régional ou infrarégional. Ainsi, dans ses décisions récentes, l'Autorité a examiné les effets d'opérations au niveau des agglomérations8.
13. En l'espèce, les activités des parties dans le secteur des services immobiliers se chevauchent en Île-de-France.
14. La question de la délimitation géographique exacte des marchés sera toutefois laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelles que soient les délimitations retenues.
III. Analyse concurrentielle
15. Sur le marché de la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre, la part de marché de la nouvelle entité est inférieure à [5-10] %, quelle que soit la segmentation retenue. La nouvelle entité restera en concurrence avec de nombreux opérateurs d'envergure locale ou nationale, tels que Foncière de Paris, Foncière des Régions, Icade, Unibail ou Société Foncière Lyonnaise.
16. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre.
DÉCIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 17-103 est autorisée.
La présidente, Isabelle de Silva Autorité de la concurrence
NOTES
1 Voir la décision de la Commission européenne M.8331en date du 3 mars 2017 - Crédit Mutuel Arkea / Bridgepoint / Primonial Holding.
2 Voir l'article 4 du projet de pacte d'associés.
3 Voir notamment les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d'Épargne et Banque Populaire, n° 15-DCC-156 du 7 décembre 2015 relative à la prise de contrôle conjoint d'un actif immobilier à usage de bureaux par Sogecap et Prédica, n° 14-DCC-46 du 1er avril 2014 relative à la prise de contrôle conjointe d'un actif immobilier industriel en Moselle par la Norges Bank et Prologis ainsi que la décision C2008-79 / Lettre du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi du 22 août 2008, aux conseils des sociétés CDC et Eurosic, relative à une concentration dans le secteur de l'immobilier, BOCCRF n° 8 bis du 23 octobre 2008.
4 Voir les décisions de la Commission européenne COMP/M.2110 Deutsche Bank / SEI / JV du 25 septembre 2000, IV/M.2825 Fortis AG SA /Bernheim-Comofi SA du 9 juillet 2002 COMP/M.3370 BNP Paribas/ARI du 9 mars 2004.
5 Le groupe Primonial est présent sur ce segment par l'intermédiaire de l'une de ses sociétés contrôlantes, le groupe Crédit Mutuel.
6 Voir notamment les décisions n° 09-DCC-16 précitée et C2005-108 / Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 25 novembre 2005 aux conseils de la société Foncière des Régions relative à une concentration dans le secteur immobilier, BOCCRF n° 6 bis du 21 juin 2006, ainsi que la décision de la Commission M.2825 précitée.
7 Voir la décision C2006-151/ Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 10 janvi 2007 au conseil du groupe Société Nationale Immobilière, relative à une concentration dans le secteur du développement et de la gestion de parc immobilier à vocation essentiellement résidentielle, BOCCRF n° 3 bis du 23 mars 2007.
8 Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-36 du 18 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Carrefour d'un portefeuille de 57 galeries commerciales auprès la société Klépierre, n° 14-DCC-164 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe carrefour d'un portefeuille de six galeries commerciales auprès la société Unibail-Rodamco, la décision n° 14-DCC-166 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par Klépierre SA de Corio NV et la décision n° 14-DCC-193 du 24 décembre 2014 relative à la prise de contrôle conjoint d'un ensemble immobilier à Nice par la CDC et par la société Immo Retail.