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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 13 juillet 2017, n° 15-15429

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alines Transports (SARL)

Défendeur :

Compagnie C Super (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Garrigues, Ribaut, Hardouin

Bordeaux, du 25 juin 2015

25 juin 2015

Faits et procédure

En mars 2009, la SARL Compagnie C Super, qui anime et fournit sur la région du Sud Ouest un groupe de supérettes à l'enseigne Coccinelle ou Coccimarket, a confié à la société Alines Transports SARL (Alines) les transferts entre les entrepôts de la société Segurel, son principal fournisseur, et les supérettes du groupe.

Le paiement des factures ayant été fixé à trente jours, les parties ont néanmoins mis en place une procédure de règlement par acompte hebdomadaire.

Par courrier recommandé du 10 juin 2011, la société Alines transport, se plaignant d'être contrainte, mois après mois, de réclamer le solde de ses factures, a indiqué à la société C. super qu'elle cesserait ses prestations transports à effet du 30 juin 2011.

La société Compagnie C Super a contesté tout retard de paiement et a critiqué l'insuffisance du préavis de rupture qui lui avait été accordé.

Alines Transport a assigné en paiement provisionnel la société Segurel devant le juge des référés du tribunal de grande instance de La Rochelle qui a fait droit à sa demande.

La société C Super a assigné Alines Transports devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de condamnation à paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par jugement en date du 11 janvier 2013, le Tribunal de commerce de Bordeaux a :

- condamné la sociéité Alines Transports à payer à la société C Super la somme de 3 480 euros d'indemnité de rupture brutale de la relation commerciale ;

- débouté la société C Super de sa demande indemnitaire au titre du préjudice commercial ;

- débouté la société Alines de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la société Alines à payer à la sociéité C Super la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné la société Alines aux dépens.

La société Alines Transports a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties

La société Alines Transports, par conclusions signifiées par le RPVA le 12 avril 2017, demande à la cour, au visa des articles L.132-8 et L.442-6 I 5° du Code de commerce, 1146, 1147, 1244 et 1382 anciens du Code civil, 696 et 700 du Code de procédure civile, de :

- réformer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté la société C Super de sa demande au titre d'un préjudice d'image ;

- dire la rupture des relations commerciales parfaitement justifiée ;

- débouter purement et simplement la société C Super de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre reconventionnel,

- condamner la société C Super à payer à la société Alines Transport une indemnité de 2 000 euros pour action abusive ;

En tout état de cause,

- condamner la société C Super à payer à la société Alines Transport une indemnité de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction au profit de Lexavoué Paris Versailles.

Elle soutient que le Tribunal de commerce de Bordeaux a fait une mauvaise appréciation des faits de la cause, le jugement comportant trois défauts majeurs dans sa motivation :

- le tribunal a employé un motif hypothétique en fondant sa décision sur une caractérisation hypothétique du préjudice alors qu'il lui appartenait de déterminer son caractère certain et actuel conformément au droit applicable en matière de responsabilité civile ;

- le tribunal s'est également contredit dans ses motifs en reconnaissant l'existence de retards de paiements répétés de la part de la société C Super tout en considérant que la société Alines Transport ne démontre pas de faute de la part de son cocontractant pour justifier la rupture des relations commerciales ;

- le tribunal a violé la loi en reprochant à la société Alines Transports de ne pas avoir mis en demeure la société C Super, alors-même que la caractérisation de la faute contractuelle ne nécessite pas une mise en demeure préalable et que seule la demande de dommages et intérêts nécessite une telle mise en demeure.

A titre principal, sur la légitimité de la rupture des relations commerciales, elle fait valoir qu'elle n'a pas rompu les relations commerciales aussi brutalement que la Compagnie C Super le déclare, alors qu'elle a laissé un préavis d'une vingtaine de jours à compter de la lettre de rupture afin que C Super puisse trouver un autre transporteur. Elle a donc laissé à son partenaire un préavis, alors-même que la Compagnie C Super s'était rendue coupable d'une faute à son encontre au sens de l'article 1147 du Code civil, qu'il est en effet de jurisprudence constante que les retards importants et répétés dans le paiement d'une dette d'argent constituent un manquement grave et légitime susceptible de justifier qu'il soit mis fin au contrat ; on ne peut considérer, comme l'a fait le tribunal, que le fait d'avoir dans un premier temps payé avec retard et, dans un second temps, d'avoir payé par anticipation pourrait se compenser, les paiements réalisés dans ces conditions étant en réalité fautifs.

La SARL Compagnie C Super, par conclusions signifiées par le RPVA le 28 mars 2017, demande à la cour de :

- dire que la société Alines Transports a rompu abusivement ses relations commerciales établies avec C Super ;

- dire qu'un préavis de rupture de trois mois était nécessaire ;

En conséquence,

- confirmer la décision entreprise et, y ajoutant,

- condamner la société Alines Transports à indemniser la société Compagnie C Super du préjudice qu'elle lui a ainsi causé, et ce à hauteur de 5.480 euros ;

- condamner la société Alines Transports à payer à la société Compagnie C Super la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner pareillement aux entiers dépens.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies, elle fait valoir que les parties ont entretenu un courant d'affaires régulier et ininterrompu entre mars 2009 et juin 2011, soit pendant plus de deux ans, que la société Alines Transports a rompu brutalement ladite relation, qu'elle n'a respecté aucun préavis raisonnable de rupture alors qu'elle était l'unique transporteur de Compagnie C Super depuis plus de deux ans, et qu'eu égard à la durée des relations commerciales, un préavis d'au moins trois mois aurait dû être respecté avant la rupture.

Elle indique qu'elle n'a commis aucune faute, qu'en effet, lors de la résiliation sans préavis, elle était à jour des paiements de factures d'Alines Transports, ainsi que cela résulte du grand livre, de sorte qu'aucun manquement grave ne peut lui être reproché.

Elle conclut par ailleurs à l'infirmation de la décision déférée sur la réparation du préjudice occasionné par la rupture brutale ; ce préjudice est constitué par le surcoût des transports effectués par un transporteur qui a dû intervenir en urgence et sans que Compagnie C Super ne bénéficie d'une marge de négociation tarifaire ; ce surcoût est évalué à 3 480 euros HT. De plus, la société Alines, non contente d'avoir rompu abusivement les relations commerciales avec C Super, l'a mise en défaut vis-à-vis de son principal fournisseur, la société Segurel et a ainsi terni les relations entre Compagnie C Super et Segurel et porté atteinte à son image vis-à-vis d'un de ses partenaires privilégiés, ce chef de préjudice justifiant l'allocation de la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.

SUR CE,

Considérant que l'article L.442-6 I 5° du Code de commerce dispose qu''engage la responsabilité de son auteur et l' oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel (...) De rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels." ; que ces dispositions ont vocation à s'appliquer lorsqu'existe une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel, laissant raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d' affaires entre les partenaires commerciaux ;

Considérant qu'en l'espèce, les relations commerciales entre les deux parties ont débuté en mars 2009 lorsque la société C. Super a confié à Alines les transferts entre les entrepôts de la société Segurel, son principal fournisseur, et les supérettes du groupe ; que la relation commerciale s'est donc poursuivie pendant un peu plus de deux ans ; qu'il n'est pas contesté qu'elle était habituelle, stable et suivie, revêtant ainsi le caractère d'une relation établie ;

Considérant que la société Alines invoque le manquement de la société C. Super à ses obligations contractuelles en matière de paiement des factures de transport ; que, si le paiement des factures mensuelles était initialement fixé à 30 jours, les parties ont mis en place une procédure de règlement par acomptes hebdomadaires ; que, par courrier recommandé avec AR du 10 juin 2011, Alines, se plaignant de retards de paiements, a indiqué qu'elle allait cesser ses prestations transports à effet du 30 juin 2011, dans les termes suivants : 'Par la présente, nous vous informons que nous sommes contraints d'arrêter à compter du 30 juin 2011 les tournées que nous effectuons chaque semaine pour votre compte au départ de Segurel (...). En effet, nous ne pouvons plus supporter les délais de règlements que vous nous infligez; nos factures mentionnent une échéance au 30 ou 31 de chaque mois; Tous les mois, nous sommes obligés de téléphoner à votre comptabilité pour réclamer notre règlement. Vous comprendrez que la structure de notre société ne peut plus supporter les décalages de règlements.' ; que l'existence d'impayés de la part de C. Super n'est pas établie, la société Alines ayant exigé des paiements par acomptes par virements permanents hebdomadaires de 2.000 euros depuis le 19 février 2010, représentant environ 80 % des factures ; que, si des décalages de paiement ne sont pas contestés, ce seul élément ne saurait présenter un degré de gravité suffisant propre à justifier une résiliation sans préavis ;

Mais considérant que le préavis de 20 jours mis en œuvre était insuffisant au vu de la durée des relations commerciales ; qu'un préavis de rupture de deux mois aurait dû être respecté, ainsi que l'ont retenu les premiers juges ; qu'en conséquence, la société Alines a causé un préjudice qu'elle doit réparer ;

Considérant que seul est indemnisable le préjudice découlant de la brutalité de la rupture, et non la rupture elle-même ; qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu le montant de 3 480 euros correspondant au surcoût du transport, C. Super ayant dû avoir recours à un transporteur en urgence sans pouvoir négocier les tarifs, ce montant constituant le préjudice pour rupture brutale des relations commerciales établies ; que le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a débouté Alines de sa demande de dommages et intérêts pour son préjudice d'image dont elle ne rapporte pas la preuve ;

Considérant que, la société Alines succombant, elle ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour procédure abusive; que la décision déférée sera également confirmée sur ce point ;

Considérant que l'équité impose de condamner la société Alines à payer à la société C. Super une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Alines Transport à payer à la société C. Super la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; La Condamne aux dépens d'appel de la procédure d'appel.