Livv
Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 5 septembre 2017, n° 15-01791

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Champagne Duval Leroy (SAS)

Défendeur :

Agence COD (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mmes André, Léon

Avocats :

Mes Lhermitte, Chaput, Amoyel Vicquelin, Grignon Dumoulin

T. com. Brest, du 6 févr. 2015

6 février 2015

Faits et procédure

Suivant contrat en date du 20 juin 1994, la société Champagne Duval Leroy, productrice de champagne, a confié à la société Agence COD la représentation de ses produits sur les départements 22, 29, 35, 44, 49, 56 et 85 auprès des enseignes de grande distribution Carrefour, Balec Scarmor et Scarouest, centrales d'achat des magasins Leclerc, et Systeme U, cette liste pouvant être étendue d'un commun accord des parties.

Par lettre recommandée en date du 30 mai 2013, la société Agence COD a mis en demeure la société Champagne Duval Leroy de modifier sa politique commerciale, faute de quoi elle prendrait acte de la rupture du mandat et demanderait les indemnités prévues par l'article L. 134-1 du Code de commerce.

Après plusieurs échanges infructueux entre les parties, la société Agence COD a fait assigner la société Champagne Duval Leroy par acte en date du 8 avril 2014 devant le Tribunal de commerce de Brest afin d'obtenir sa condamnation au principal au paiement de la somme de 4 820 € 88 au titre d'indemnité de préavis et 32 246 € 74 au titre d'indemnité de cessation de contrat.

Suivant jugement en date du 24 octobre 2014, le tribunal a condamné la société Champagne Duval Leroy à verser à la société Agence COD les sommes de 3 953 € 49 et 31 627 € 93 au titre d'indemnités contractuelles, outre 3 600 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la décision étant revêtue de l'exécution provisoire.

La société Champagne Duval Leroy a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 3 mars 2015.

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 17 mai 2017 et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 24 mai 2017.

A l'appui de son appel, par conclusions signifiées le 2 mai 2017, la société Champagne Duval Leroy affirme que le contrat la liant à la société Agence COD n'est pas un contrat d'agent commercial, mais un contrat de prestation de services. Elle se fonde pour cela sur la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation sur l'existence d'un pouvoir de négociation, pouvoir caractérisant le contrat d'agent commercial. Selon elle, au cas d'espèce, la société Agence COD était dénuée de tout pouvoir de négociation, les conditions commerciales étant intégralement discutées entre la société Champagne Duval Leroy et les distributeurs et la société Agence COD s'étant contenté durant des années de visiter les clients déterminés dans le contrat pour passer commande, sans jouer le moindre rôle actif pour promouvoir les produits. Subsidiairement, elle conteste que la résiliation du contrat puisse lui être imputée, contestant avoir voulu modifier son positionnement commercial et affirmant que la société Agence COD s'est volontairement cantonnée à un seul client, l'enseigne Leclerc, sans notamment prospecter d'autres clients de la grande distribution. En admettant en conséquence l'existence d'un contrat d'agent commercial, il conviendrait d'imputer la rupture du contrat à la société Agence COD. La société Champagne Duval Leroy conclut en conséquence à l'infirmation de la décision, L'Agence COD étant déboutée de toutes ses demandes et condamnée à rembourser toutes les sommes versées en application de l'exécution provisoire et à lui verser la somme de 10 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Agence COD, suivant conclusions signifiées le 11 mai 2017, saisit la Cour d'une question préjudicielle destinée à la Cour de justice des Communautés européenne et ainsi rédigée " L'article 1er, paragraphe 2 de la directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986, doit-il être interprété en ce sens qu'un intermédiaire indépendant qui n'a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuels de son commettant n'est pas chargé de négocier au sens de cet article ". Sur le fond, elle affirme avoir le statut d'agent commercial et fait observer que pendant plus de 20 ans son cocontractant n'a jamais contesté ce statut. Elle maintient avoir eu un pouvoir de négociation au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce et de la jurisprudence et avoir ainsi exercé un mandat d'agent commercial. Sur les circonstances de la rupture de ce contrat d'agent commercial, la société Agence COD affirme que la décision de la société Champagne Duval Leroy d'augmenter ses tarifs et de se dégager du réseau de la grande distribution l'a mise dans l'impossibilité d'exécuter son mandat. Elle se fonde notamment sur les courriers échangés entre les divers intervenants pour affirmer que les prix proposés et la volonté affichée de ne plus être référencé en grande surface ne permettait plus la distribution des produits à l'enseigne Leclerc, ni même à toute enseigne visée au contrat. La société Agence COD demande en conséquence à la cour de reprendre le constat opéré par les premiers juges et de confirmer dès lors la décision déférée, la société Champagne Duval Leroy étant condamnée en cause d'appel à verser une somme de 10 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur la qualification du contrat liant la société Agence COD à la société Champagne Duval Leroy

L'article L. 134-1 du Code de commerce définit l'agent commercial comme le mandataire " qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux " ; il s'évince de cette définition que le contrat d'agent commercial se distingue du contrat de prestation de service d'une part par l'indépendance de l'agent, et d'autre part par la mission de négociation confiée à celui-ci.

L'existence d'une mission de négociation confiée au mandataire doit s'apprécier au regard des dispositions contractuelles liant les parties, mais aussi et surtout des conditions effectives d'exercice du mandat.

En l'espèce, le contrat liant la société COD Diffusion (Agence COD) et la société Duval Leroy, matérialisé par un courrier en date du 20 juin 1994, stipule l'existence d'un mandat et prévoit une rémunération sous forme de commission calculée à la bouteille ; ce contrat, par le terme de mandat et le mode de rémunération, s'analyse comme un mandat d'agent commercial ; il ne prévoit aucune modalité autre concernant le mode d'exercice du mandat, laissant ainsi à l'agent une grande indépendance dans l'exercice de sa mission.

Concernant les conditions effectives de l'exercice du mandat, il convient de constater que de 1994 à 2011, il n'existe aucun document permettant de constater que la société Duval Leroy aurait donné des instructions à son mandataire concernant la politique commerciale à mener, ou les négociations avec les prospects relatives aux prix ou à toute autre modalité contractuelle ; il doit s'en déduire que de 1994 à 2011, la société Duval Leroy, conformément au contrat, a été libre de négocier les contrats avec les clients visés à la convention ; il résulte d'un courrier en date du 20 février 2012 entre le Galec (établissement Leclerc) et la société Duval Leroy qu'à compter d'octobre 2011, trois réunions se sont déroulées entre cette centrale d'achat et la direction commerciale de la société Duval Leroy relative à la commercialisation des produits de cette dernière pour l'année 2012 ; il résulte de ce même courrier qu'aucun accord n'a pu être trouvé, le Galec n'acceptant pas l'augmentation des tarifs exigée par la société Duval Leroy ; ce courrier, confirmé par une lettre de la société Duval Leroy au Galec datée du 24 février 2012 s'analyse comme l'intervention du service commercial de la société Duval Leroy dans les relations avec le Galec, principal client de la société Agence COD Diffusion, cette société imposant une augmentation des prix de ses produits sous peine de rupture des relations contractuelles, et non comme la preuve de l'absence de pouvoir de négociation de son agent commercial exerçant depuis plus de seize ans ; il résulte au demeurant d'un courriel adressé par la société Agence COD à la société Duval Leroy le 7 mars 2012 que l'agent commercial a tenté d'obtenir la renonciation par son mandant de sa volonté d'augmenter ses tarifs après l'annulation d'un rendez-vous avec le Galec ; un second courriel daté du 8 mars 2012 établit que la société Agence COD a tenté une nouvelle négociation avec les acheteurs le jour même, les dits acheteurs étant prêts à entamer de nouveaux pourparlers dans l'hypothèse d'une hausse des tarifs inférieure à 5 %.

Il apparaît de ces constatations que de 1994 à 2011, la société Duval Leroy n'est pas intervenue dans les négociations commerciales entre son agent et ses clients et qu'en 2012, elle a tenté d'imposer à ces dernières une augmentation de ses tarifs de 5 % ; la société Agence COD a suggéré après rencontre avec les dits clients une augmentation moindre, et a en conséquence conformément à son contrat et aux dispositions de l'article L. 134-1 du Code de commerce négocié la conclusion d'un nouveau contrat pour l'année 2012 ; l'échec de ces négociations du fait de la volonté du producteur d'imposer son augmentation ne peut s'interpréter comme l'absence d'exercice de son mandat par l'agent commercial ; c'est donc à bon droit que les premiers juges ont constaté que la société Agence COD avait de 1994 à 2012 exercé un mandat d'agent commercial et pouvait dès lors bénéficier du statut prévu par les articles L. 134-1 et suivant du Code de commerce.

La décision des premiers juges sera en conséquence confirmée en ce qui concerne la qualification du contrat, cette question de fait ne nécessitant pas par ailleurs de poser une question préjudicielle relative au sens à donner au terme négocier au sens de la directive du 18 décembre 1986.

Sur les indemnités dues à la société Agence COD

Ainsi qu'il a été analysé plus haut, la rupture des relations commerciales entre la société Duval Leroy et les clients prospectés par la société Agence COD a pour origine la volonté pour le producteur d'imposer une augmentation de ses tarifs entre 2011 et 2012 ; c'est cette rupture des relations commerciales qui est elle-même à l'origine de la rupture du contrat d'agent commercial ; la société Agence COD est donc fondée à demander l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce ; il en est de même pour l'indemnité de préavis contractuellement fixée ; le mode de calcul opéré par les premiers juges étant conforme aux usages et adapté aux circonstances de la cause, le jugement sera en conséquence intégralement confirmé en ce qui concerne les montants alloués.

Sur les demandes accessoires

La société Champagne Duval Leroy succombant en son appel, elle devra verser une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, dit n'y avoir lieu à question préjudicielle. Confirme le jugement du tribunal de commerce de Brest en date du 6 février 2015 dans l'intégralité de ses dispositions. Ajoutant à la décision déférée, condamne la société Champagne Duval Leroy à verser à la société Agence COD la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Met l'intégralité des dépens à la charge de la société Champagne Duval Leroy, dont distraction au profit des avocats à la cause.