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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 22 août 2017, n° 15-04470

AMIENS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Coulange

Conseillers :

Mme Liberge, M. Maimone

TI, Amiens, du 27 juil. 2015

27 juillet 2015

Décision :

À la suite de la signature d'un bon de commande le 12 octobre 2012, la société D. Cuisines a procédé à l'installation d'une cuisine au domicile de Madame Catherine P. et Monsieur Denis B., sis [...] (80), pour un montant total de 16 600 euros.

Demeurés insatisfaits des travaux réalisés, nonobstant plusieurs interventions de la société D. Cuisines à leur domicile, Madame P. et Monsieur B. n'ont pas réglé le solde du prix.

Par actes d'huissier en date du 5 septembre 2013, la société D. Cuisines a fait assigner Madame Catherine P. et Monsieur Denis B. devant le Tribunal d'instance d'Amiens afin que celui-ci, au bénéfice de l'exécution provisoire, les condamne solidairement à lui payer la somme de 3020 euros correspondant au solde de la facture avec intérêts au taux légal à compter du 25 avril 2013, celle de 1000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée et celle de 1500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

À l'audience du 6 janvier 2014 la société D. Cuisines maintenait cette demande et faisait savoir qu'à titre subsidiaire elle ne s'opposait pas à la mesure d'expertise sollicitée.

Madame Catherine P. et Monsieur Denis B. sollicitaient du tribunal qu'il ordonne une expertise.

Par jugement avant-dire droit du 3 mars 2014, le tribunal a désigné un expert, lequel a déposé son rapport le 18 novembre 2014.

Madame P. et Monsieur B. sollicitaient au vu de ce rapport, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la condamnation de la SARL D. Cuisines à procéder à certains travaux (la fixation des plinthes, l'enlèvement de la poubelle, la reprise des éclats sur les meubles, le réglage des portes, et le remplacement de l'habillage du réfrigérateur) sous astreinte de 500 euros par jour de retard ainsi qu'au paiement des sommes de 5000 euros et 2000 euros à titre de dommages-intérêts et la compensation entre le solde dû sur le prix et les sommes réclamées.

La société D. Cuisines demandait la condamnation solidaire, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de Monsieur B. et Madame P. au paiement de la somme de 2854,15 euros en principal outre celle de 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement rendu le 27 juillet 2015 le tribunal d'instance d'Amiens a :

condamné la SARL D. Cuisines à réaliser, sous astreinte de 80 euros par jour de retard commençant à courir deux mois après la signification du jugement et jusqu'à l'exécution complète, les travaux suivants :

*fixer les plinthes

*installer deux étagères la place de la poubelle

*masquer les éclats sur les meubles

*régler les portes,

décidé que le tribunal se réservait la liquidation de l'astreinte,

condamné solidairement Monsieur Denis B. et Madame Catherine P. à payer la somme de 2854,15 euros à la SARL D. Cuisines avec intérêts à compter de la date de l'assignation,

condamné la SARL D. Cuisines à payer à Monsieur Denis B. et Madame Catherine P. la somme de 700 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

débouté les parties de leurs demandes de dommages et intérêts,

--condamné la SARL D. Cuisines aux entiers dépens qui comprendront les coûts de l'expertise et des deux constats d'huissier de justice,

--ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 4 septembre 2015, la société D. Cuisines, SAS, a interjeté appel de ce dernier jugement.

Aux termes de conclusions déposées et notifiées suivant la voie électronique le 1er avril 2016, expressément visées, la société D. Cuisines sollicite de la Cour, au visa des articles 1650 et suivants, 1382 du Code civil, 696 suivants du Code de procédure civile, qu'elle :

la juge recevable et bien fondée en son appel,

en conséquence :

confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement Madame P. et Monsieur B. à verser à la SAS D. Cuisines la somme de 2854,15 euros au titre du solde de sa facture,

infirme le jugement entrepris pour le surplus,

statuant à nouveau :

dise et juge que la condamnation solidaire de Monsieur B. et Madame P. à payer à la SAS D. Cuisines la somme de 2854,15 euros portera intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 25 avril 2013,

condamne Monsieur B. et Madame P. à payer à la SAS D. Cuisines la somme de 1000 euros au titre de leur résistance abusive,

dise et juge que les désordres allégués ne sont pas imputables la SAS D. Cuisines,

en conséquence,

déboute Monsieur B. et Madame P. de toutes leurs demandes en exécution de travaux sous astreinte,

déboute Monsieur B. et Madame P. de leurs demandes de dommages et intérêts,

déboute Monsieur B. et Madame P. de leur demande au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

condamne Monsieur B. et Madame P. aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise et le timbre fiscal.

Par conclusions déposées et notifiées suivant la voie électronique le 2 février 2016, expressément visées, Madame Catherine P. et Monsieur Denis B. demandent à la Cour, au visa des dispositions des articles 1134 et 1142 et suivants du Code civil, de :

dire et juger la SARL D. Cuisines mal fondée en son appel, l'en débouter,

dire et juger Monsieur Denis B. et Madame Catherine P. tant recevables que bien fondés en leur appel incident,

en conséquence,

confirmer en l'ensemble de ses dispositions le jugement du tribunal d'instance d'Amiens en date du 27 juillet 2015, sauf en ce qu'il a écarté la demande d'indemnisation des consorts B.-P.,

statuant à nouveau et y ajoutant,

donner acte à Monsieur Denis B. et à Madame Catherine P. de ce qu'ils ont versé la somme de 2854,15 euros à la SARL D. Cuisines,

condamner la SARL D. Cuisines à régler à Monsieur Denis B. et Madame Catherine P. les sommes de :

*5000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices annexes, notamment de jouissance, par eux subis du fait des désordres,

*2000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice par eux subi du fait du présent appel abusif et vexatoire,

condamner la SARL D. Cuisines au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

la condamner aux dépens d'appel.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 1er février 2017, et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoiries du 10 mars 2017.

MOTIFS :

Sur l'exécution de travaux sous astreinte :

Après rappel des dispositions de l'article 1134 du Code civil , le tribunal a condamné la société D. Cuisines à réaliser, sous astreinte, les travaux suivants :

*fixer les plinthes

*installer deux étagères à la place de la poubelle

*masquer les éclats sur les meubles

*régler les portes,

au motif que, malgré les interventions de la société D. Cuisines (3 janvier 2013, 26 janvier 2013 et le 4 avril 2013) des problèmes, certes moins prégnants que lors de la réalisation des constats d'huissier, subsistaient lors de la réalisation des opérations d'expertise.

La société D. Cuisines qui a exécuté lesdits travaux au titre de l'exécution provisoire dont était assorti le jugement soutient qu'elle a été injustement condamnée de ce chef, que l'expert n'a pas indiqué que la reprise des plinthes lui incombait, que le remplacement de la poubelle (qui n'a pas été installée d'autorité) par la pose des deux étagères prévues initialement ne peut être considéré comme la reprise d'un désordre ou d'une faute, qu'il n'est pas démontré que les éclats des meubles lui étaient imputables, enfin que la nécessité d'un nouveau réglage des portes résulte de l'usure normale de la chose et non pas d'un désordre imputable à son intervention, qu'il n'a donc pas failli à son obligation de délivrance conforme, les menus désordres constatés ne lui étant pas imputables.

Comme le font cependant justement valoir les consorts P.-B. :

-la société D. Cuisines était tenue de livrer des plinthes solidaires des meubles posés et adaptées au sol, or elle a failli à cette obligation de résultat, ainsi que le démontrent le rapport d'expertise mais aussi le certificat de réception des travaux en date du 26 janvier 2013 et le procès-verbal de constat dressé le 26 février 2013 par Me O., huissier de justice à Corbie, étant observé d'ailleurs que la société D. proposait dans ses conclusions de première instance comme devant l'expert d'intervenir de nouveau pour fixer ces plinthes,

-dans des circonstances qui ne sont pas établies la société D. a installé dans un meuble de la cuisine une poubelle au lieu des deux étagères réglables prévues et facturées, et comme le font exactement valoir M. B. et Mme P. cette poubelle n'a jamais fonctionné, Me O. ayant constaté le 26 février 2013 que son ouverture/fermeture était impossible, l'expert judiciaire notant d'ailleurs que la société D. disait pouvoir réaliser sans souci le retour à la commande initiale sollicité par ses clients,

-des éclats ont été constatés par l'expert judiciaire sur les portes et façades des placards, dont la société D. disait alors qu'elle pouvait les masquer au moyen d'un crayon de retouche ; dans son procès-verbal du 26 février 2013 Me O. avait déjà noté l'existence d'un éclat sur la porte du placard situé à droite du lave-vaisselle et les autres éclats constatés par M. D. peuvent, comme celui relevé peu après l'installation de la cuisine, être valablement attribués aux travaux effectués par le cuisiniste davantage qu'à l'usage des placards dont aucun élément ne permet d'affirmer qu'il n'aurait pas été soigneux ; la société D. était là encore tenue d'une prestation sans défaut,

-en ce qui concerne le réglage général des portes, l'expert énonce qu'il s'agit " essentiellement de réglages, de planimétrie et de fonctionnement des ouvrants " et indique qu'il est " tout à fait normal qu'après quelques mois d'utilisation un réglage soit opéré ", toutefois il est rappelé que son constat a eu lieu dix-huit mois après l'installation de la cuisine et que dès le 26 février 2013 Me O. notait : " un problème de réglage des portes sur l'ensemble des éléments ", " au niveau du placard à balai,..les portes ne s'ouvrent pas par un simple appui, il existe un décrochement entre les portes en partie haute ", "...également un décrochement entre les portes en partie gauche et droite du lave-vaisselle ", " le meuble haut avec abattant en accordéon s'ouvre violemment, je constate que les verres vibrent à son ouverture.. ", et écrivait le 30 avril 2013 à la société D. intervenue la veille au domicile de M. B. et Mme P. " sur l'ensemble, le problème du réglage des portes n'est pas solutionné (problème au niveau du frein de la porte accordéon et de l'écart entre le portes) " ; la société D. indiquait d'ailleurs à l'expert qu'elle n'était pas opposée à faire le réglage nécessaire, précisant à propos des " portes situées dans les meubles arrondis en angle octave " que le réglage pourrait être fait et ajoutant que " le produit installé, y compris les quincailleries était garanti 10 ans et que de ce fait si remplacement il y avait il pourrait être opéré " ; la persistance des problèmes de réglage met en évidence que l'origine de ceux-ci se trouve essentiellement dans une installation initiale défectueuse et non dans l'usage de la chose.

La Cour ne peut dans ces conditions qu'approuver le premier juge d'avoir condamné la société D. sous astreinte - au regard de l'ancienneté des difficultés et de la passivité de celle-ci à exécuter les travaux de reprise sus-énumérés dont elle était tenue aux termes du contrat la liant aux consorts B.-P., étant rappelé qu'une obligation de résultat pèse sur l'installateur.

Sur le paiement du solde de la facture :

La condamnation de M. B. et Mme P. au paiement de la somme de 2854,15 euros au titre du solde de facture dû à la société D. Cuisines, non critiquée, sera confirmée.

La société D. Cuisines sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit que cette condamnation portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation soit le 5 septembre 2013, faisant valoir que les intérêts devront courir depuis la mise en demeure soit le 25 avril 2013, qu'en effet les consorts P.-B. se sont refusés à tout paiement du solde ancien de la facture malgré des " menus désordres " qui au surplus ne lui étaient pas imputables.

Comme jugé ci-dessus les désordres affectant les travaux confiés à la société D. justifiaient leur reprise par cette dernière, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande de ce chef, le jugement étant confirmé.

Il est constant que Mme P. et M. B. ont réglé le 12 janvier 2016 la somme de 2854,15 euros à la société D. Cuisines, en exécution du jugement entrepris ; il leur en sera donné acte.

Sur les dommages et intérêts :

-sur la résistance abusive :

La société D. Cuisines réitère sa demande initiale, exposant que M. B. et Mme P. se sont opposés abusivement au paiement du solde de la facture, les " menus désordres " repris par elle n'étant pas de son fait.

Le tribunal a cependant à juste titre débouté la société D. Cuisines de sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive, retenant en effet que dès l'installation des malfaçons ont été constatées, que même si elles ne rendaient pas la cuisine impropre à son usage, les consorts P.-B. étaient en droit d'exiger un travail correctement exécuté. Le jugement sera dès confirmé de ce chef.

-sur les préjudices annexes :

Le tribunal a rejeté cette demande, considérant que le litige perdurait depuis le début de l'année 2012, que les désordres relevés n'empêchaient toutefois pas l'utilisation de la cuisine, que certes de nouvelles interventions avaient été nécessaires au domicile des consorts P.-D., mais que ceux-ci n'avaient pas réglé le solde de la facture.

La société D. Cuisines sollicite la confirmation de ce chef, soulignant qu'il s'agit selon l'expert de " menus désordres " qui ne lui sont pas imputables, qu'aucun préjudice n'a été subi par les consorts B.-P..

La Cour constate cependant qu'avec pertinence M. B. et Mme P., qui poursuivent l'infirmation du jugement de ce chef et réitèrent leur demande en paiement d'une somme de 5000 euros, font valoir qu'ils ont durant près de trois ans évolué au sein d'une cuisine " brinquebalante " et d'apparence " bas de gamme ", sans commune mesure avec le tarif et la prestation attendue, que la nécessité des interventions de la société D. (quatre) postérieures à la pose et d'assister à la réunion d'expertise les ont en outre contraints à se rendre, l'un ou l'autre, disponible au détriment de son activité professionnelle. M. B. et Mme P. sont par conséquent bien fondés à solliciter l'indemnisation du préjudice de jouissance qu'ils ont subi, au regard du confort et de l'esthétique qu'ils étaient légitimes à attendre de leur installation, et des contraintes que leur ont occasionnées les différentes interventions de la société D. et la mesure d'expertise, et cette indemnisation excède largement le bénéfice retiré par eux du non-paiement du solde de la facture jusqu'à la date à laquelle courent les intérêts de retard. Ainsi la Cour infirmera le jugement de ce chef et condamnera la société D. à payer à M. B. et Mme P. une somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par ces derniers du fait des désagréments qu'ont généré les défaillances de la société D..

-sur le recours abusif et vexatoire :

Mme P. et M. B. sollicitent le paiement d'une somme de 2000 euros, faisant valoir qu'ils ont subi outre une mesure d'expertise judiciaire à leurs frais avancés une procédure au fond devant le tribunal d'instance et enfin devant la cour d'appel du fait que leur cuisiniste a obstinément refusé de remédier à des désordres lui étant imputables et ayant nécessité au final de sa part 1 h 40 de travail, que le recours en tout état de cause son maintien est sans intérêt alors que la société D. cuisines s'est exécutée (le 16 octobre 2015) pour les travaux et a eu gain de cause pour le solde de sa facture, si ce n'est de leur nuire sur le plan économique en les exposant à de nouveaux frais d'avocat.

La société D. Cuisines oppose qu'elle n'a fait qu'exercer son droit de poursuivre la réformation du jugement qui l'a condamnée à remédier à des désordres qui ne lui étaient pas imputables, et rappelle qu'elle n'a obtenu le paiement du solde de sa facture qu'en exécution du jugement entrepris.

Il n'est pas démontré que le droit de la société D. Cuisines d'exercer un recours contre le jugement l'ayant condamnée sous astreinte à la réalisation de travaux au bénéfice des consorts B.-P. ait dégénéré en abus, étant rappelé que l'exécution provisoire dont était assorti le jugement entrepris a conduit la société D. à réaliser lesdits travaux mais que cette exécution ne valait pas acquiescement au jugement. La demande en dommages-intérêts de ce chef sera donc rejetée.

Sur les frais et dépens :

Le tribunal a exactement statué sur les frais et dépens.

La société D. Cuisines succombe en son appel principal tandis que les consorts P.-B. sont accueillis en leur appel incident. Les dépens d'appel seront donc à la charge de la société D..

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. B. et Mme P. la totalité des frais non compris dans les dépens qu'ils ont dû exposer à hauteur d'appel ; une somme de 2000 euros leur sera donc allouée en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant après débats publics, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement rendu le 27 juillet 2015 par le tribunal d'instance d'Amiens sauf en ce qu'il a débouté M. B. et Mme P. de leur demande en dommages et intérêts. Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant, donne acte à M. Denis B. et Mme Catherine P. de ce qu'ils ont versé la somme de 2854,15 euros à la société D. Cuisines. Condamne la société D. Cuisines à payer à M. Denis B. et Mme Catherine P. la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts pour la cause sus-énoncée. Déboute M. Denis B. et Mme Catherine P. de leur demande en dommages et intérêts pour appel abusif. Condamne la société D. Cuisines à payer à M. Denis B. et Mme Catherine P. la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société D. Cuisines aux dépens d'appel.