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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 8 septembre 2017, n° 15-06329

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

D. Systèmes (Sté) , D. Systèmes Provence (SAS)

Défendeur :

Compagnie IBM France (SAS) , MP 13 (SA), Open Cascade (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

T. com. Paris, du 30 janv. 2015

30 janvier 2015

Faits et procédure

Par protocole en date du 10 février 1999, complété par un avenant du 8 avril 1999, conclu entre les sociétés D. Systèmes, D. Systèmes Provence et MDTVision (désormais IBM), cette dernière a cédé à la société D. Systèmes Provence des logiciels de modélisation et de représentation des surfaces, tels que les logiciels Power Fill, Power Blend et Power Morph. Ces logiciels n'étant cependant utilisables que par le biais du logiciel complémentaire Cascade, la société MDTVision, a concédé à la société D. Systèmes Provence une licence d'exploitation accompagnée des codes sources du logiciel Cascade.

Le 20 décembre 1999, la société MDTVision a publié les codes sources du logiciel Cascade sur ses sites internet www.opencascade.org et www.opencascade.com, permettant ainsi aux utilisateurs de reproduire ledit logiciel.

Les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ont demandé en référé l'interdiction de cette publication au motif que le logiciel Cascade contiendrait lui-même les codes sources des logiciels Power qui lui ont été cédés.

Renvoyées à se pourvoir au fond, les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ont, par acte du 10 décembre 2001, assigné devant le tribunal de commerce de Paris la société MDTVision. Le tribunal de commerce a prononcé, par jugement rendu le 1er avril 2003, la nullité de l'assignation et l'irrecevabilité des demandes. Le 11 août 2003, les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ont assigné la société MDTVision ainsi que la société EADS Proj2, à laquelle la société MDTVision avait apporté une partie de son actif, notamment les actions de la société Open Cascade.

Par contrat du 6 mars 2003, la société EADS Proj2 a cédé à la société Principia Recherche et Développement la totalité des actions de la société Open Cascade.

A l'issue d'une procédure de médiation infructueuse, les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ont repris l'instance et ont, par acte du 9 mai 2006, appelé en intervention forcée la société Open Cascade, à laquelle la société MDTVision a transféré l'exploitation du logiciel Cascade.

Par jugement du 9 décembre 2008, le Tribunal de commerce de Paris a ordonné une mesure d'expertise afin de déterminer notamment si les codes sources du logiciel Cascade contiennent les codes sources des logiciels Power. Par jugement rendu le 31 mars 2011, le Tribunal de commerce de Paris a donné acte à la société IBM, venant aux droits de la société MDTVision, de ce qu'elle reprend à son compte l'ensemble des demandes et prétentions invoquées par la société MDTVision.

Les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ont saisi le tribunal de commerce et réclamé la condamnation in solidum des sociétés IBM, MP13 (anciennement EADS Proj2) et Open Cascade à verser à :

- D. Systèmes Provence la somme de 1,4 million d'euros à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon ;

- D. Systèmes et D. Systèmes Provence les sommes de 4,6 millions d'euros du fait de la mise en ligne du " complément " Cascade et de 8,2 millions d'euros au titre de la mise en ligne des " pré-requis " Cascade des logiciels transférés, pour violation des engagements contractuels définis aux articles 5.1 et 6.6 du protocole du 10 février 1999.

Par jugement rendu le 30 janvier 2015, le Tribunal de commerce de Paris :

- s'est déclaré compétent ;

- a condamné in solidum la société IBM, la société Open Cascade et la société MP13 à payer aux sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence la somme de 1,4 million d'euros, majorée des intérêts au taux légal à partir du 20 décembre 1999, à titre de dommages et intérêts ;

- a débouté les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence de toutes leurs autres demandes de dommages et intérêts ;

- a rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de la société Open Cascade ;

- a condamné la société MP13 à garantir la société Open Cascade des condamnations prononcées à son encontre ;

- a débouté la société IBM de ses demandes de garantie par la société MP13 des condamnations prononcées à son encontre ;

- a débouté les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence de leur demande de publication du jugement ;

- a condamné in solidum les sociétés IBM, Open Cascade et MP13 à payer la somme de 600 000 euros aux sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- a dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire ;

- a débouté les parties de leurs demandes plus amples, autres ou contraires aux présentes dispositions ;

- a condamné in solidum les sociétés IBM, Open Cascade et MP13 aux dépens qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire et les honoraires de son sapiteur.

Les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ont régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Prétentions des parties

Les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence, par dernières conclusions signifiées le 4 novembre 2016, demandent à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la matérialité de la contrefaçon du logiciel PowerBlend commise au préjudice de la société D. Systèmes Provence ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'en publiant, divulguant et distribuant par l'intermédiaire des sites internet www.opencascade.com et www.opencascade.org, sans l'autorisation de la société D. Systèmes Provence, les codes sources des logiciels PowerBlend qui lui ont été transférés et qui lui appartiennent, les sociétés Open Cascade et IBM France, et par fourniture de moyens, la société MP13, ont commis des actes de contrefaçon au sens des articles L. 112-2, L. 112-4 et L. 331-1 et suivant, notamment L. 331-2, L. 335-2 et L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle, au préjudice de la société D. Systèmes Provence ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum les intimées à verser à la société D. Systèmes Provence la somme de 1,4 million d'euros, avant actualisation au titre de la contrefaçon du logiciel PowerBlend ;

- interdire en conséquence, en application des articles L. 122-2 et L. 122-6 du Code de la propriété intellectuelle, à tout tiers, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, de :

reproduire de manière permanente ou provisoire en tout ou partie ledit logiciel PowerBlend par tout moyen et sous toute forme, dont le chargement, l'affichage, l'exécution, la transmission ou le stockage ;

représenter ledit logiciel PowerBlend par sa communication au public par un procédé quelconque ;

traduire, adapter, arranger ou modifier ledit logiciel PowerBlend ;

diffuser et faire usage, à quelque titre que ce soit, ledit logiciel PowerBlend ;

procéder à l'envoi d'un message électronique à l'ensemble des ordinateurs ayant procédé au téléchargement du nouveau logiciel Open Cascade mis en open source pour les avertir du caractère illégal de toute utilisation du logiciel PowerBlend et leur demandant formellement de retirer ce logiciel de toutes leurs solutions ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'en diffusant le code source du logiciel Cascade sur internet, la société IBM a violé ses engagements contractuels tels que définis à l'article 5.1 du protocole du 10 février 1999 et porté atteinte au savoir-faire de Cascade tel qu'antérieurement concédé en licence à la société D. Systèmes Provence en code source ;

- réformer le jugement entrepris pour le surplus ;

- juger qu'en exploitant en open source le nouveau logiciel Open Cascade, les sociétés Open Cascade et MP13 ont, en pleine connaissance du présent litige, fautivement exploité ce logiciel au mépris de la limitation d'exploitation souscrite par la société MDTVISION au sens de l'article 1382 ancien du Code civil ;

- condamner in solidum les intimées à verser aux sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence les sommes de 8,2 millions d'euros avant actualisation, au titre de la violation de la clause de non-concurrence du protocole exécuté de mauvaise foi, du fait de la publication sur internet du code source des pré-requis Cascade des logiciels transférés, et de 4,6 millions d'euros, avant actualisation, au titre de la violation de la clause de non-concurrence du protocole exécuté de mauvaise foi, du fait de la publication sur internet du code source du complément Cascade correspondant au remboursement du prix d'un montant de 30 millions de francs ;

- ordonner l'actualisation des trois postes de préjudices subis par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence et majorer en conséquence le montant des sommes dues au titre des dommages et intérêts pour contrefaçon et pour violation des obligations contractuelles, par la mise en œuvre de la méthode proposée par l'expert judiciaire, soit la somme de 14,2 millions d'euros en valeur 1999, multipliée par un coefficient de 1,7297, soit au 30 septembre 2016, la somme de 24 561 756 euros ;

- si la Cour venait à considérer que la somme allouée à titre de dommages et intérêts devait être simplement majorée des intérêts au taux légal, ordonner la capitalisation des intérêts au sens de l'article 1154 ancien du Code civil ;

- ordonner la publication par extrait du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues informatiques spécialisées, dans la limite de 20 000 euros par publication, soit la somme de 60 000 euros au paiement de laquelle les intimées seront condamnées in solidum, à titre de réparation complémentaire ;

- condamner in solidum les intimées à payer aux sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence la somme de 1,5 million d'euros, sauf à parfaire ou à diminuer, à titre de remboursement des coûts réels du procès au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeter l'ensemble des demandes et demandes reconventionnelles, arguments et prétentions formulés en réponse à l'appel principal ou à titre d'appel incident par les sociétés IBM, MP13 et Open Cascade ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum les intimées aux entiers dépens de l'instance ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum les intimées à rembourser aux sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence la totalité des sommes dont elles ont fait l'avance au titre des honoraires de l'expert judiciaire et de son sapiteur.

Les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence recherchent tout d'abord la responsabilité des sociétés IBM France, Open Cascade et MP13 sur un fondement délictuel pour contrefaçon du logiciel PowerBlend. Elles font valoir qu'elles détiennent les droits sur le logiciel PowerBlend dont la propriété a bien été transmise à la société D. Systèmes Provence. Elles expliquent que l'argument soutenu par la société IBM, selon lequel les codes des logiciels Power n'auraient pas été transmis puisqu'ils sont inclus dans le logiciel Cascade qui n'était lui-même pas compris dans le champ de la cession, dénature le protocole. Elles soutiennent que le logiciel PowerBlend est constitué de lignes de code protégées par le droit d'auteur et que la société MDTVISION a reconnu le caractère original dudit logiciel.

Elles rappellent également qu'elles ont rapporté de manière certaine la preuve de la contrefaçon du logiciel PowerBlend en :

- procédant au dépôt chez un notaire, le 9 juin 1999, du logiciel Cascade en vue d'établir de façon certaine, l'état des logiciels ou tout élément de ceux-ci lors de leur transfert à la société D. Systèmes Provence et de permettre la comparaison ;

- fournissant les procès-verbaux de l'APP en date des 22 et 23 décembre 1999 qui constatent que les codes sources reproduits par la société MDTVISION étaient très fortement similaires à ceux détenus par la société D. Systèmes Provence ;

- plaçant sous scellés ces procès-verbaux ;

- fournissant le procès-verbal de constat d'huissier du 30 mars 2010 qui confirme la très grande similitude existante entre le logiciel déposé par la société D. Systèmes Provence chez le notaire et le nouveau logiciel OpenCascade mis en ligne par la société MDTVISION.

Concernant la réparation du préjudice de contrefaçon, elles estiment que la somme réclamée de 1,4 million d'euros est justifiée dès lors qu'elle correspond au coût de développement du logiciel PowerBlend tel que déterminé par l'expert et débattu contradictoirement entre les parties.

Sur les demandes d'interdiction, elles prétendent qu'elles sont recevables car elles ne sont que l'accessoire de la demande principale d'indemnisation pour contrefaçon. Elles ajoutent qu'au vu du caractère mondial des faits de publication sur internet, l'absence de précision d'un territoire ne rend pas inapplicable ces demandes d'interdiction.

Les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence recherchent également la responsabilité des intimées sur un fondement contractuel pour violation de la clause de non concurrence contenue dans le contrat de licence des pré-requis et du complément Cascade. Elles affirment que la licence obtenue en code source sur les pré-requis et sur le complément Cascade, élément déterminant de l'accord des parties, était assortie d'une clause de non-concurrence interdisant à la société MDTVISION d'exercer une activité susceptible de porter atteinte aux droits concédés à la société D. Systèmes Provence. Elles exposent qu'en raison de la publication litigieuse des codes sources, la société MDTVISION leur a fait perdre le contrôle de l'exploitation du logiciel Cascade, tout en créant un nouveau logiciel concurrent dénommé " OpenCascade ", que cette publication du code source du logiciel Cascade a entraîné la divulgation du savoir-faire inclus dans le code source et ainsi réduit à néant la valeur de l'investissement de la société D. Systèmes Provence qui s'élevait à 200 millions de francs, soit 30 millions d'euros. Elles estiment que, si le programme OpenCascade avait été mis en ligne avant la conclusion du protocole, elles auraient refusé de payer un tel prix dès lors que l'avantage concurrentiel résultant du caractère secret du logiciel Cascade aurait disparu.

Elles ajoutent que l'absence de transfert des droits sur le logiciel Cascade à la société D. Systèmes Provence et le caractère non-exclusif de la licence, n'impliquent pas que ledit logiciel soit un logiciel libre. Elles expliquent qu'il était au contraire un logiciel " propriétaire " puisqu'il était, au moment de la signature du protocole, contrôlé par la société MDTVISION.

Elles justifient l'actualisation réclamée en faisant valoir que, dans l'univers industriel qui est commun aux parties, il convient de prendre en compte le coût réel de l'argent, et non les intérêts au taux légal, qui sont totalement déconnectés et inadaptés au contexte d'une affaire ayant débuté il y a plus de 15 ans.

Sur la mesure de publication sollicitée, elles précisent qu'elle est nécessaire en raison du caractère rare et exemplaire des faits de contrefaçon à l'origine de cette affaire.

La société Compagnie IBM France, par ses dernières conclusions signifiées le 27 octobre 2016, demande à la Cour de :

- infirmer le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a débouté les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence de leurs demandes indemnitaires fondées sur la violation de l'engagement de non-concurrence ;

Statuant à nouveau :

- donner acte à la société IBM de ce qu'elle vient aux droits de la société MDTVISION, à ce jour dissoute et radiée, consécutivement à la transmission universelle de son patrimoine en date du 20 décembre 2010 ;

- donner acte, en conséquence, à la société IBM de ce qu'elle reprend à son compte l'ensemble des demandes et prétentions invoquées jusqu'à ce jour par la société MDTVISION ;

- débouter les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de la société IBM ;

- condamner les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence à payer à la société IBM la somme de 605 608,03 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant ceux de l'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Paris ;

En tout état de cause :

- condamner la société MP13 à garantir la société IBM de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre dans le cadre de la présente instance, et ce en application tant de l'engagement souscrit au profit de la société MDTVISION aux termes du traité d'apport partiel d'actif du 19 décembre 2002 que de la garantie consentie à la société IBM aux termes du Share Purchase Agreement du 15 novembre 2002 ayant pris effet au 31 décembre 2002 ;

- constater la défaillance de la société MP13 dans ses obligations de conduite et prise en charge du litige conformément tant de l'engagement souscrit au profit de la société MDTVISION aux termes du traité d'apport partiel d'actif du 19 décembre 2002 que de la garantie consentie à la société IBM aux termes du Share Purchase Agreement du 15 novembre 2002 ayant pris effet au 31 décembre 2002 ;

- condamner en conséquence la société MP13 à payer à la société IBM la somme de 605.608,03 euros à titre indemnitaire en compensation des frais d'avocats et d'experts techniques qu'elle a été contrainte d'exposer et qui ne seraient pas pris en charge par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence au titre de leurs condamnations sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société MP13, si elle succombe, aux entiers dépens comprenant ceux de l'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Paris.

IBM invoque l'absence de contrefaçon : elle insiste tout d'abord sur le fait que l'expert n'a pu comparer le code des logiciels Power revendiqués par la société D. Systèmes Provence et le code du logiciel Cascade publié sur internet. Elle explique que les scellés contenant la copie du code du logiciel Cascade publié sur internet se sont révélés inutilisables lors des opérations d'expertise et que l'expert n'a ainsi pu déterminer si le code source du logiciel Cascade publié sur internet contenait les codes source des logiciels Power. Elle en déduit que la société D. Systèmes Provence n'a jamais pu apporter la preuve de la contrefaçon qu'elle allègue et que la copie du logiciel Cascade que cette dernière a déposé chez le notaire ne saurait combler ce manque de preuve puisqu'il ne s'agit pas du code effectivement publié sur internet.

Elle soutient ensuite que le code revendiqué au titre du logiciel PowerBlend par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence n'a pu être cédé puisqu'il est strictement nécessairement au fonctionnement du logiciel Cascade. Elle explique qu'en application de l'article 2.2 b du protocole, les logiciels qui ne sont pas exclusivement utilisés pour les logiciels transférés font l'objet d'une licence d'utilisation, et non d'une cession de droits de propriété intellectuelle. La société IBM soutient donc qu'elle n'a commis aucune faute en mettant en ligne en " open source " le logiciel Cascade puisqu'elle n'a violé aucun droit de propriété transféré à la société D. Systèmes Provence.

Elle affirme également que les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence n'ont jamais démontré l'originalité des lignes de code revendiquées au titre du logiciel PowerBlend, qui ne constituent en réalité qu'un élément très accessoire de l'actif cédé en vertu du protocole du 10 février 1999. Elle explique à ce propos, que ces codes prétendument cédés au titre des logiciels Power ne sont pas référencés dans l'annexe technique dudit protocole.

La société IBM invoque par ailleurs l'absence de violation de l'engagement de non-concurrence. Elle soutient que la commercialisation du logiciel Cascade était expressément exclue du périmètre de l'engagement de non-concurrence par l'article 5.1 du protocole, qu'elle n'a accordé qu'une licence non exclusive d'exploitation du logiciel Cascade à la société D. Systèmes Provence et qu'elle se réservait donc les droits de distribution et de commercialisation du code dudit logiciel.

Elle prétend également que le logiciel Cascade n'est pas un progiciel standard, mais un atelier de développement, si bien que sa mise en ligne n'équivaut pas à la création d'un nouveau produit fini mais plutôt à un nouveau système de distribution. Elle explique que les dispositions de l'article 5.1 du protocole n'interdisaient pas à la société MDTVISION de faire évoluer le mode de distribution ou d'exploitation de ses produits.

Elle affirme en outre que les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ont inventé de toute pièce les notions de " pré-requis " et de " complément " Cascade en scindant arbitrairement le code source du logiciel Cascade et qu'elles ne justifient ainsi pas de la réalité de leurs préjudices.

Sur l'appel en garantie formé à l'encontre de la société MP13, IBM rappelle qu'en application du traité d'apport partiel d'actif en date du 19 décembre 2002, la société EADS Proj2, aujourd'hui MP13, s'est engagée à reprendre à son entière charge la conduite du litige avec les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence et à assumer en conséquence l'intégralité des conséquences financières éventuelles pouvant résulter dudit litige.

Elle précise qu'elle ne veut pas actionner la garantie consentie par la société European Aeronautic Defence And Space Company EADS France qui a été automatiquement transmise à la société MP13, mais bien l'engagement de cette dernière de prendre en charge les frais du litige.

La société Open Cascade, par ses dernières conclusions signifiées le 23 novembre 2016, demande à la Cour de :

A titre principal, sur la mise hors de cause de la société Open Cascade :

- juger que les conséquences juridiques et financières relatives au " litige D. " ont été transférées à la société EADS Proj2, aux droits de laquelle vient la société MP13 ;

- juger que la société MP13 doit supporter seule les conséquences de ce litige ;

- mettre la société Open Cascade purement hors de cause ;

A titre subsidiaire,

- constater la carence des sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence dans l'administration de la preuve qui leur incombe de l'originalité des lignes de code revendiquées ;

- en conséquence, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la publication litigieuse était contrefaisante ;

- débouter les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence de leurs demandes au titre de la contrefaçon ;

A titre très subsidiaire,

Sur les actes de contrefaçon :

- juger que l'article 2.2 b du protocole du 10 février 1999 exclut du périmètre de cession, toute fonction non-exclusivement utilisée par les logiciels transférés, laquelle fait l'objet d'une licence non exclusive ;

- juger que l'annexe 1 du protocole du 10 février 1999 exclut du périmètre de cession toute fonction incluse dans le produit Cascade, laquelle fait l'objet d'une licence non exclusive ;

- juger que l'annexe 1 du protocole du 10 février 1999 exclut du périmètre de cession, toute fonction de Topology, laquelle fait l'objet d'une licence non exclusive ;

- en conséquence, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé contrefaisante la publication des lignes de code litigieuse ;

- débouter les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence de leurs demandes au titre de la contrefaçon ;

Sur l'engagement de non-concurrence :

- constater que l'engagement de non-concurrence en cause n'a pas été souscrit par la société Open Cascade ;

- mettre la société Open Cascade hors de cause par application du principe de l'intransmissibilité de l'obligation de non-concurrence ;

- confirmer le jugement entrepris sur ce point ;

- juger les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence, en tout état de cause, mal fondées en leurs demandes, l'engagement de non-concurrence souscrit par la société MDTVISION ne portant pas sur le logiciel Cascade et eu égard au caractère non-exclusif de la licence qui leur a été consentie ;

- juger les demandes des requérantes injustifiées dans leur quantum ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a alloué à la société D. Systèmes Provence la somme de 1,4 million d'euros ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société D. Systèmes Provence au titre de la concurrence déloyale ;

- en application de l'article 564 du Code de procédure civile, juger irrecevable la demande de l'arrêt de l'exploitation des logiciels Powers inclus dans le logiciel Cascade ;

- juger qu'en tout état de cause, seule la ligne de code MakeFilletChFI3D peut être concernée par la demande, le logiciel PowerBlend ne faisant pas dans son intégralité de l'objet du litige car d'ores et déjà transférés aux sociétés D. Systèmes Provence ;

- en tout état de cause, juger cette demande abusive ;

- débouter les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence de leur demande de condamnation sous astreinte, la demande étant inexécutable ;

A titre infiniment subsidiaire :

Sur la garantie de la société MP13 :

- juger que la garantie de passif invoquée par la concluante a été stipulée à son bénéfice ;

- juger la société Open Cascade recevable en ses demandes à ce titre ;

- confirmer le jugement entrepris sur ce point ;

- juger que la société MP13 s'est engagée à garantir la société Open Cascade de toute action contentieuse introduite par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence et qui aurait des conséquences juridiques ou financières sur l'activité des sociétés du groupe Open Cascade ;

- juger que la société MP13 a manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi dans l'exécution du contrat de cession en dissimulant l'introduction d'une procédure à son encontre par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ;

- en conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société MP13 à garantir la société Open Cascade de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

- y ajoutant, condamner la société MP13 à garantir la société Open Cascade de toutes les conséquences qui résulteraient d'une interdiction ou d'une limitation de droits d'usage et de commercialisation des technologies dont la propriété est contestée par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ;

Reconventionnellement :

- condamner les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence à payer à la société Open Cascade la somme de 31 693 000 euros en réparation du préjudice subi du contentieux entretenu pendant plus de 13 ans par les requérantes dans le seul dessin d'entraver le développement de la société Open Cascade ;

- en tout état de cause, condamner solidairement la ou les parties succombante(s) au paiement de la somme de 250 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle demande sa mise hors de cause et explique que, par le Share Purchase Agreement en date du 15 novembre 2002, la société MP13 à cédé à la société IBM l'intégralité des actions composant le capital de la société MDTVISION à l'exception, notamment, de la société Open Cascade et du litige D., que, jusqu'à cette date, le litige D. était resté dans l'actif de la société MDTVISION et qu'il n'avait ainsi pas pu être transféré à la société Open Cascade dans le cadre de l'apport partiel d'actif intervenu deux ans auparavant entre la société MDTVISION et la société Open Cascade.

Sur la garantie due par la société MP13, Open Cascade fait valoir que les garanties de passif, si elles sont normalement accordées au bénéfice du cessionnaire, peuvent également l'être au bénéfice d'un tiers, et notamment de la société elle-même, que la garantie en cause était donc stipulée sans équivoque à son profit et qu'elle a donc la qualité pour agir contre la société MP13.

Elle soutient également que la société MP13 ne peut légitimement prétendre que la garantie était subordonnée à l'assignation au fond de la société Open Cascade, que la garantie a justement été consentie pour le cas où la société MP13 serait elle-même attraite par la société D. Systèmes et où cette action aurait des conséquences juridiques ou financières sur les droits et actifs des sociétés du groupe OCC dont la société Open Cascade fait partie. Elle rappelle que les technologies litigieuses représentent le cœur de son activité et que l'action engagée par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence a nécessairement un impact sur son actif.

Elle insiste sur le caractère déloyal de la société MP13 qui a délibérément dissimulé à la société Open Cascade la nouvelle procédure initiée à son égard par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence. Elle en déduit que la société MP13 ne peut dans ses conditions lui opposer un quelconque plafond de garantie, d'autant plus qu'elle explique que ce plafond ne pouvait s'appliquer à un risque préexistant à la cession.

Reconventionnellement, Open Cascade expose qu'en faisant perdurer la procédure contentieuse pendant 13 années, les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ont anéanti tout développement de son activité pendant cette période. Elle invoque d'abord un préjudice commercial résultant tant du manque de confiance des investisseurs qui refusent de s'engager en raison de la procédure de contrefaçon, que de pertes qui ont conduit à un plan social en 2002. Elle prétend également qu'elle a subi un préjudice d'image accentué par le caractère très spécialisé de son domaine d'activité.

La société MP13, par ses dernières conclusions signifiées le 5 décembre 2016, demande à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence de toutes leurs autres demandes de dommages et intérêts et de leur demande de publication du jugement et débouté la société IBM de ses demandes de garanties des condamnations prononcées à son égard ;

- l'infirmer en ce qu'il a :

condamné les sociétés IBM, Open Cascade et MP13 pour contrefaçon du logiciel PowerBlend ;

condamné in solidum les sociétés IBM, Open Cascade et MP13 à payer aux sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence, à titre de dommages et intérêts, la somme de 1,4 million d'euros, majorée des intérêts au taux légal à partir du 20 décembre 1999 ;

condamné la société MP13 à garantir la société Open Cascade des condamnations prononcées à son encontre dans le cadre de la présente instance ;

condamné in solidum les sociétés IBM, Open Cascade et MP13 à payer la somme de 600 000 euros aux sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Statuant à nouveau :

Vu les articles 564 et suivants du Code de procédure civile,

- juger que la demande d'interdiction, formée par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence en cause d'appel, est nouvelle et est, à ce titre, irrecevable ;

- juger que la demande d'interdiction formée par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence en cause d'appel est inapplicable en ce que les mesures sollicitées sont inexécutables ;

Vu les articles L. 332-4 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,

- juger mal fondé l'action en contrefaçon du logiciel PowerBlend formée par les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence, celles-ci n'ayant acquis que l'algorithme PowerBlend, lequel ne peut peut fonder une action en contrefaçon ;

- juger que les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence sont irrecevables en leur action en contrefaçon de logiciel à l'égard des sociétés Open Cascade, IMB et MP13, aucune pièce versée aux débats n'établissant ni l'existence, ni la réalité de la contrefaçon, ni la participation de chacune des sociétés intimées, ni la durée des prétendus faits de contrefaçon reprochés, pas plus qu'une soi-disante atteinte à un savoir-faire ;

- juger, en tout état de cause, que les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence ne rapportent pas la preuve des fautes qu'elles reprochent aux sociétés intimées, qu'il s'agisse des prétendus faits de contrefaçon ou des prétendus manquement contractuels et encore moins de soi-disant faits de concurrence déloyale, ni des préjudices qu'elles prétendent avoir subis ;

- débouter les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- juger qu'en application des stipulations du contrat de cession d'actions du 6 mars 2003, la réclamation fondée sur l'article 7.7 de ce contrat, formée par la société Open Cascade auprès de la société EADS Proj2, est en tout état de cause soumise au plafond spécifique d'un million d'euros prévu au paragraphe 13.3 dudit contrat ;

- dans le cas où la Cour estimerait devoir condamner la société Open Cascade à payer des dommages et intérêts aux sociétés appelantes, juger que la garantie due par la société MP13, venant aux droits de la société EADS Proj2, est limitée à la somme d'un million d'euros, au titre de la garantie consentie par elle en application des stipulations de l'acte de cession d'actions du 6 mars 2003 ;

- débouter la société Open Cascade de toutes ses autres demandes ;

- juger qu'en application du Share Purchase Agreement du 15 novembre 2002, la durée de validité des garanties consenties par la société MP13 est expirée depuis le 21 décembre 2003 ;

- juger que la société MP13, n'a, en aucune manière, manqué à leur devoir de loyauté envers la société IBM ;

- condamner solidairement les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence à payer à la société MP13 la somme d'un million d'euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

Motifs

Considérant que, par protocole du 10 février 1999, les sociétés EADS Matra Datavision (MDTV) (devenue MDTVISION) et D. ont décidé de la cession par MDTV au profit de D. de l'une de ses branches d'activité concernant le développement et l'exploitation de différents produits logiciels de MDTV ; que le protocole prévoyait la création par MDTV d'une filiale, Edony, destinée à recueillir les actifs à transférer dont elle cèderait ensuite l'intégralité des actions à D. Systèmes ; que les actifs à céder comprenaient notamment, aux termes de l'article 2.2 du protocole de 1999 :

- (a) en ce qui concerne les logiciels transférés eux-mêmes :

la pleine et entière propriété de tous les droits et titres, notamment droits d'auteurs et marques, portant sur les logiciels transférés, à savoir :

(i) les logiciels Euclid Styler, Euclid Machinist, la ligne de logiciels Strim (incluant le logiciel StrimFlow) (...) ;

(ii) les développements de logiciels réalisés pour Toyota depuis 1992 ;

(iii) les algorithmes applicatifs et le code associé ainsi que les spécifications, et la documentation associée des fonctionnalités Power Fill, Power Blend, Power Morph, actuellement inclus dans Cascade et nécessaires au bon fonctionnement de Euclid Styler, à l'exception de l'algorithme Plate dont MDTV conserve la pleine et entière propriété' ;

(...)

- " (b) en ce qui concerne les logiciels propriété du groupe MDTV et non exclusivement utilisés pour les logiciels transférés :

les licences non exclusives suivantes des logiciels décrits en annexe 1

(i) une licence du logiciel Cascade incluant son environnement de développement et ses versions ultérieures pour les logiciels transférés et leurs œuvres dérivés.

(ii) une licence pour les environnements de développement (outils de conception, de spécification, de développement, de test, notamment) appartenant au groupe MDTV, qui sont utilisés pour les logiciels transférés. " ;

Que, par apport partiel d'actif du 29 décembre 2000, MDTV a transféré à la société Open Cascade notamment l'exploitation des logiciels Cascade et Opencascade, avec une garantie de trois ans, sans transfert des risques du " litige D. " ; que, le 15 novembre 2002, MP13 et IBM ont conclu un Share Purshase Agreement ayant pour objet la cession par MP13 à IBM de l'intégralité des actions composant le capital social de MDTV, à l'exception de la société Open Cascade, de la société de droit italien EADS Matra Datavision SpA et du " litige D. " (pièce Open Cascade TW 11) ; que, le 19 décembre 2002, la société Open Cascade et le litige D. ont été apportés par MDTV à sa filiale EADS Proj 2 ; que, le 31 décembre 2002, MP13 a cédé à IBM 100 % des actions de MDTV et 100 % d'Open Cascade à Principia Recherche Développement (PRD) ;

Sur la contrefaçon du logiciel PowerBlend

Sur les faits de contrefaçon

Considérant qu'il n'est pas contesté que MDTV a publié, le 20 décembre 1999, sur son site internet www.opencascade.org. le code source :

- des logiciels " Power " inclus dans Cascade, à l'exception du logiciel PowerMorph ;

- des " pré-requis Cascade " ;

- du " complément Cascade " ;

Considérant que les sociétés D. soutiennent que :

- le code de Cascade publié sur internet en open source par MDTV, puis par Open Cascade, intégre certaines parties du code associé à la fonctionnalité Power Blend qui lui a été transférée ;

- les codes source du logiciel PowerBlend ont été publiés en open source le 20 décembre 1999 en fraude de leurs droits ;

Considérant que l'article L. 335-2, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle dispose que " toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit. " ; qu'aux termes de l'article L. 112-2 du même code, " sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : (') 13° les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire " ;

Considérant que seuls les algorithmes applicatifs - à l'exception de l'algorithme Plate - et le code associé ainsi que les spécifications et la documentation associée des fonctionnalités Power ont été transférés à D., non l'intégralité des logiciels Power ;

Considérant que l'algorithme, simple succession d'opérations ne traduisant qu'un " énoncé logique de fonctionnalités " est insusceptible de protection ; que l'élément dénommé " code associé ", dont il n'est, en tout état de cause, pas soutenu qu'il correspondrait au code source des Power, doit s'entendre comme le code associé des algorithmes ; que les spécifications fonctionnelles, en tant que description des fonctions d'un logiciel en vue de sa réalisation, de même que les fonctionnalités d'un logiciel, définies comme la mise en œuvre de la capacité de celui-ci à effectuer une tâche précise ou à obtenir un résultat déterminé, ne bénéficient pas davantage, en tant que telles, de la protection du droit d'auteur ; que, les éléments transférés étant insuceptibles de protection, les sociétés D. ne sauraient fonder leur action sur la contrefaçon ; qu'en conséquence, la Cour les déboutera de leurs demandes et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Sur la violation de la clause de non concurrence

Considérant que les sociétés D. font valoir qu'en publiant sur internet, le 20 décembre 1999, le code source de Cascade, MDTV a créé un nouveau logiciel libre directement concurrent, a sciemment perdu le contrôle de l'exploitation de Cascade et a délibérément violé la clause de non-concurrence dont elle était redevable à l'égard de D. Systèmes ;

Que IBM France soutient que l'engagement exclut Cascade du périmètre de l'obligation de non-concurrence souscrite par MDTV, que MDTV n'était en aucun cas limitée à une exploitation en code 'binaire' (ou code objet) du logiciel Cascade, que la mise en open source de Cascade ne lui a pas conféré la qualité de nouveau produit, mais constitue simplement en un nouveau mode de distribution, que D. ne démontre enfin l'existence d'aucun préjudice ;

Qu'Open Cascade conclut à l'irrecevabilité des demandes de D. à son encontre en raison de l'intransmissibilité passive de l'obligation de non-concurrence ;

Considérant que, par le protocole du 10 février 1999, D. Systèmes a notamment obtenu de MDTV, contre le paiement de la somme de 200 millions de francs, une licence en code source sur les " pré-requis Cascade " et sur le " complément Cascade " ; que l'octroi de cette licence a été assorti d'une obligation de non-concurrence à la charge de MDTV, prévue par l'article 5.1. du protocole qui stipule qu' " en raison de la cession projetée de la Société Cible qui aura notamment pour activité la commercialisation et l'évolution du développement des logiciels transférés et de leurs fonctionnalités, et en raison de sa position de distributeur des logiciels transférés et des logiciels de DS, MDTV souscrit les engagements suivants envers DS :

(')

(c) ne pas développer, licencier, commercialiser, distribuer, maintenir, de logiciels standard fonctionnellement identiques ou similaires aux Logiciels Transférés, et ce, directement ou indirectement, seul ou en association, pour son compte ou pour le compte de tiers, en France ou à l'étranger ;

(')

(e) comme indiqué ci-après, les engagements ci-dessus ne s'appliqueront (...) ni aux produits Quantum suivants : (') le logiciel Cascade (') ;

En effet, les parties entendent préciser que :

MDTV édite, parallèlement aux Logiciel Transférés, différentes gammes de logiciels dont certains produits actuels :

- sont concurrents des logiciels transférés, ou

- incluent des produits contenant des fonctionnalités applicatives similaires à celles de Euclid Designer, ou

- incluent des fonctionnalités d'usinage 2.5 axes.

A l'exception donc du cas du retrait de Euclid Designer, les engagements de non-concurrence visés en (c) et (d) n'ont pas pour objet et ne pourront avoir pour conséquence d'obliger MDTV à retirer de ses produits actuels les fonctionnalités qui constitueraient une atteinte à ces engagements de non-concurrence.

Les parties précisent donc que ces engagements ne s'appliquent pas aux produits potentiellement concurrents actuellement inclus dans ces gammes, à savoir les logiciels visés au premier alinéa du présent paragraphe (e) étant précisé, que l'exploitation de ces logiciels par MDTV n'aura pas pour conséquence de porter atteinte aux engagements de non-concurrence relatifs aux logiciels transférés.

Les engagements au présent paragraphe prendront effet à la date de transfert et resteront en vigueur pour une période de 5 années. " ;

Considérant que, si le logiciel Cascade était exclu du périmètre de l'obligation de non-concurrence souscrite par MDTV, la publication sur internet en code source du logiciel Cascade a fait d'Open Cascade un produit nouveau par rapport à Cascade dès lors qu'ainsi que l'ont justement observé les premiers juges, sa commercialisation sous cette forme en tant que logiciel libre lui confère un statut de produit original destiné à une clientèle différente de celle d'un éditeur de logiciels ; que c'est, en conséquence, à raison que les premiers juges ont retenu que cette publication était constitutive d'un acte de concurrence déloyale ;

Considérant, sur le préjudice, qu'il s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale un trouble commercial impliquant l'existence d'un préjudice ; que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ;

Considérant que l'expert évalue la quote-part dans le prix d'achat de la licence (200 millions de francs) correspondant à l'engagement de non-concurrence obtenu à un montant compris entre 20 et 30 millions de francs (note de synthèse Znaty page 75 - pièce D. HL 84), soit un montant moyen de 25 millions de francs (3,81 millions d'euros) ; que la Cour retiendra ce montant pour fixer le préjudice subi par les sociétés D. ;

Considérant qu'Open Cascade est fondée à voir dire irrecevable la demande de D. à son encontre, aux motifs que la dette de non-concurrence n'a pas vocation à faire l'objet d'une transmission passive à d'autres personnes que le débiteur initial, que la clause de non-concurrence n'est pas en l'espèce insérée dans l'acte de cession du 29 décembre 2000 et qu'Open Cascade n'a, dès lors, pu expressément accepter cette clause ;

Qu'en conséquence, la Cour dira les sociétés D. Systèmes et D. Systèmes Provence irrecevables en leur demande dirigée à l'encontre d'Open Cascade, condamnera in solidum les sociétés IBM France et MP13 à payer à D. Systèmes et D. Systèmes Provence la somme de 3,81 millions d'euros ; que, sur ce montant, la Cour ordonnera l'application non du coefficient multiplicateur proposé, mais, conformément à l'article 1153 ancien du Code civil, des intérêts au taux légal à compter du 11 août 2003, date de l'introduction de l'instance à l'égard de MDTV et d'EADS ;

Considérant qu'il convient de faire droit à la demande de D. Systèmes et D. Systèmes Provence de capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Sur les demandes de garantie formées à l'encontre de la société MP13

Considérant que, les sociétés D. étant déclarées irrecevables en leurs demandes dirigées à l'encontre d'Open Cascade, la demande de garantie présentée par cette dernière est sans objet ;

Considérant qu'IBM demande de condamner la société EADS PROJ Il (aujourd'hui MP 13) à la garantir des condamnations qui viendraient à être prononcées à leur encontre ainsi que de toutes conséquences qui pourraient en résulter, sur le fondement de deux garanties :

- la garantie due, selon elle, au titre de l'apport partiel d'actif du 19 décembre 2002, ayant pris effet le 31 décembre 2002, en vertu duquel EADS Proj 2, aux droits et obligations de laquelle vient MP 13, a obtenu de MDTVision, aux droits et obligations de laquelle vient IBM, qu'elle assume " l'intégralité des conséquences éventuelles pouvant résulter des litiges " ;

- celle due au titre de l'article 9.6, paragraphe 1er, du " Share Purchase Agreement " signé le 15 novembre 2002 entre la société MP 13 et la société Cie IBM France, ayant pour objet la cession à cette dernière, de l'intégralité du capital de MDTVision ;

Sur la garantie invoquée au titre de l'apport partiel d'actif du 19 décembre 2002

Considérant que le traité d'apport partiel d'actif du 19 décembre 2002 a prévu, en son paragraphe I A, l'apport par EADS Matra Datavision (MDTV) à EADS Proj 2 - aujourd'hui MP 13 - notamment du litige avec les sociétés D., ce terme étant défini au paragraphe D (c) de l'exposé dudit traité d'apport comme " le litige entre EADS Matra Datavision et D. Systèmes relatif à des droits de propriété intellectuelle de certains logiciels (Styler, Machinist, Strim et les composants Powerfill, Power Morph et Power Blend) tel que décrit en annexe 1 aux présentes (" le litige ") et le bénéfice d'une garantie à première demande consentie par la société European Aeronautic Defence And Space Company EADS France, portant sur les conséquences financières éventuelles du litige (la " Garantie ") " ;

Que le paragraphe III 2° du traité dispose : " Sans préjudice de l'application des dispositions de la Garantie, la Société Bénéficiaire (EADS Proj II SAS) assumera en conséquence l'intégralité des conséquences financières éventuelles pouvant résulter du Litige " ;

Considérant que IBM invoque, au soutien de sa demande de garantie de MP 13, les dispositions du paragraphe III, 2° (page 9) du traité d'apport : " sans préjudice de l'application des dispositions de la Garantie (') EADS Proj II (MP 13 à présent) assumera en conséquence l'intégralité des conséquences financières éventuelles pouvant résulter du Litige " ; que MP 13 fait valoir que le litige garanti ne serait que celui visé dans l'annexe 1 du traité d'apport à laquelle renvoie le paragraphe D (c) de l'exposé dudit traité, le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 1er avril 2003, qui a prononcé la nullité de l'assignation délivrée le 10 décembre 2001, ayant mis fin à l'instance visée dans cette annexe ;

Considérant que l'annexe 1 " Description du litige " précise : " Situation actuelle : une assignation a finalement été délivrée par D. Systèmes le 10 décembre 2001. L'assignation délivrée reprend les griefs déjà évoqués en référé en 1999. D. Systèmes sollicite, avant-dire droit, la désignation d'un expert judiciaire afin de déterminer le périmètre informatique exact des Powers et confirmer le fait qu'Open Cascade comprend certains de ces éléments. La date de la première audience pour désignation du juge rapporteur est fixée au 26 novembre 2002. Les conclusions de EADS Matra Datavision sont en cours d'élaboration. (...) " ;

Considérant que cette annexe se borne à décrire l'état du litige au 19 décembre 2002 (" Situation actuelle ") ; qu'il ne résulte pas du traité d'apport que le litige visé par le paragraphe I A se limite à la seule instance en cours à cette date, alors-même que le traité se réfère à une définition large dudit litige, dépassant le seul état ponctuel du contentieux, ainsi que cela ressort :

- du paragraphe I A : " le litige entre EADS Matra Datavision et D. Systèmes relatif à des droits de propriété intellectuelle de certains logiciels (Styler, Machinist, Strim et les composants Powerfill, Power Morph et Power Blend) " ;

- du paragraphe III 2° : " Plus généralement, la Société Apporteuse s'engage à transmettre à la Société Bénéficiaire, sur requête de cette dernière, toute information et document nécessaires à la conduite du litige. " ;

- de l'engagement de EADS Proj 2 de se substituer " du fait de la réalisation de l'apport partiel d'actif objet des présentes, à la Société Apporteuse (MDTVISION) dans toute procédure ou instance pendante ou à venir au titre du Litige " (pièce IBM - TWF 11, page 9, 2°) ;

Qu'en conséquence, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la garantie réclamée au titre du " Share Purchase Agreement " du 15 novembre 2002, la Cour dira que la garantie de MP 13 est en l'espèce due et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Considérant qu'IBM sera déboutée de sa demande de condamnation de MP 13 " à l'indemniser de l'ensemble de ses frais d'avocats et d'experts techniques qu'elle a été contrainte d'engager dans le cadre de la présente instance en raison de la carence de MP13 dans ses obligations de conduite et prise en charge du litige ", IBM, qui se borne à soutenir, sans autre précision, que MP 13 n'aurait pas " pris une part active dans la mise en œuvre des arguments techniques permettant de combattre l'argumentation des sociétés D. " (conclusions IBM du 27 octobre 2016 - page 42), reconnaissant que MP 13 a participé aux opérations d'expertise et ne rapportant la preuve d'aucune faute de cette dernière ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société Open Cascade

Considérant qu'Open Cascade succombant partiellement, elle n'est pas fondée à invoquer le caractère abusif de la procédure initiée par D. Systèmes et D. Systèmes Provence pour entraver, selon elle, le développement d'une solution Open Cascade ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef ;

Sur la demande de publication de l'arrêt

Considérant que l'ancienneté des faits - de près de 18 ans - ne justifie pas la mesure de publication sollicitée ; que la décision déférée sera confirmée sur ce point ;

Considérant que l'équité commande de condamner in solidum IBM France et MP13 à payer à D. Systèmes et D. Systèmes Provence la somme de 1 000 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;