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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 12 septembre 2017, n° 16-05203

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Farimmo (SARL)

Défendeur :

Sumial Immo (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

MM. Leplat, Ardisson

T. com. Versailles, du 15 juin 2016

15 juin 2016

Vu l'appel interjeté le 7 juillet 2016, par la société Farimmo d'un jugement rendu le 15 juin 2016 par le Tribunal de commerce de Versailles qui a :

* dit que la société Sumial Immo n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Farimmo,

* reçu la société Sumial Immo en ses demandes reconventionnelles, la déboutant,

* condamné la société Farimmo à payer à la société Sumial Immo la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 24 janvier 2017, par lesquelles la société Farimmo, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour de:

* juger que la société Sumial Immo a commis des actes de concurrence parasitaire à son encontre,

* condamner la société Sumial Immo au paiement de:

- la somme de 10 000 euros pour atteinte à son image,

- la somme de 10 000 euros en réparation du trouble commercial subi,

* faire interdiction à la société Sumial Immo d'utiliser, exploiter, diffuser, commercialiser de quelque manière que ce soit, l'enseigne et la dénomination commerciale "Accord Immobilier " sous astreinte de 500 euros par infraction constatée,

*faire interdiction à la société Sumial Immo d'utiliser, exploiter, de quelque manière que ce soit les messages publicitaires " Accord Immobilier à Vendre ", "Vendu Accord Immobilier" sans que cette liste soit limitative sous astreinte de 500 euros par infraction constatée,

* se réserver la liquidation des astreintes ordonnées,

* l'autoriser à publier le jugement à intervenir, par extraits de son choix, dans trois revues ou journaux français de son choix et aux frais de la société Sumial Immo sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 3 000 euros H.T.,

* l'autoriser à diffuser en tout ou partie la décision à intervenir sur son site Internet : www.lessentiel-immobilier.com,

* débouter la société Sumial Immo de ses demandes, fins et conclusions,

* condamner la société Sumial Immo au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 8 février 2017, aux termes desquelles la société Sumial Immo prie la cour de:

A titre principal,

* en l'absence de moyens de droit et de fait précis et complet développés au soutien de l'acte introductif d'instance, déclarer nulle l'assignation délivrée à la requête de la société Farimmo par devant le Tribunal de commerce de Versailles en date du 23 février 2015,

* en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de l'assignation du 23 février 2015,

A titre subsidiaire,

* confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Farimmo de ses demandes,

En tout état de cause,

* déclarer abusive la procédure initiée par la société Farimmo,

* infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en dommages et intérêts au titre de la procédure abusive et la demande de publication de la décision à intervenir,

* condamner la société Farimmo au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* ordonner la publication du jugement à intervenir par extraits ou en entier dans trois publications de son choix dans une limite de 15 000 euros,

* dire que les frais de publication seront réglés directement par la société Farimmo dans un délai de 15 jours à compter de la réception de la facture ou du devis des organes de presse concernés, adressée par lettre recommandée avec accusé réception par la société Sumial Immo et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

* ordonner la diffusion sur la page d'accueil du site Internet de la société Farimmo à l'adresse suivante : http://www.lessentiel-immobilier.com ou sur toute autre adresse qu'elle lui substituerait, étant précisé que la publication devra être maintenue pendant un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce, aux frais exclusifs de la société Farimmo et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé le délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir,

* condamner la société Farimmo au versement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de la procédure;

Sur ce, la cour,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

* Frédéric J. a créé le 1er juillet 2006, la société Farimmo qui exploite à Saint Germain en Laye et Verneuil sur Seine des agences immobilières de transaction sur immeubles et fonds de commerce, sous l'enseigne " L'essentiel de l'immobilier ", qui a fait l'objet de deux dépôts de marques semi-figuratives auprès de l'institut national de la propriété industrielle les 17 décembre 2004 et 23 janvier 2013,

* la société Sumial Immo créée le 30 juillet 2012 par Anthony G. exploite une agence de transaction immobilière et de fonds de commerce située à Sartrouville, sous l'enseigne " Accord immobilier ",

* par courrier du 17 décembre 2013, le conseil de la société Farimmo a mis en demeure la société Sumial Immo de cesser toute utilisation frauduleuse des attributs de la marque déposée par ma cliente, lui indiquant que la société Farimmo était propriétaire de la marque " L'essentiel de l'immobilier ",

* estimant que l'enseigne et les panneaux publicitaires de la société Sumial Immo reprenaient sa charte graphique, la société Farimmo l'a assignée le 23 février 2015, devant le Tribunal de commerce de Versailles en concurrence déloyale et agissements parasitaires,

* la société Sumial Immo a soulevé la nullité de l'assignation, a conclu au débouté des demandes et à la condamnation de la société Farimmo en dommages et intérêts pour procédure abusive,

* c'est dans ces circonstances, qu'est intervenu le jugement déféré;

Sur la nullité de l'assignation :

Considérant que la société Sumial Immo, qui rappelle qu'au visa de l'article 56 du Code de procédure civile, l'assignation contient à peine de nullité l'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit, soulève la nullité de l'assignation délivrée par la société Farimmo, faisant valoir qu'elle crée une confusion entre l'action en concurrence déloyale et l'action en concurrence parasitaire tout en entretenant une ambiguïté sur l'exploitation de la marque semi-figurative de son gérant (dénomination et graphisme);

Considérant que la société Farimmo réplique que l'objet des demandes, ainsi que les moyens de droit et de faits figurent dans l'assignation conformément aux dispositions de l'article 56 du Code de procédure civile, que surabondamment, s'agissant d'une nullité pour forme, la société Sumial Immo ne démontre pas avoir subi un quelconque grief;

Considérant qu'aux termes de son assignation, la société Farimmo reproche à la société Sumial Immo des actes de concurrence déloyale et des agissements parasitaires; qu'elle ne fonde aucunement ses demandes sur le droit des marques, de sorte qu'il n'existe aucune ambiguïté sur l'exposé des moyens en fait ou en droit, la société Sumial Immo ne justifiant d'aucun grief sur le défaut de la mention de l'article 1382 du Code civil non reprise dans le dispositif;

Que si l'action en concurrence déloyale et l'action pour parasitisme se distinguent, il n'en subsiste pas moins qu'en l'espèce, la société Sumial Immo ne justifie nullement avoir été dans l'incapacité d'organiser sa défense en raison de la confusion qu'aurait entretenue la société Farimmo entre les notions de concurrence déloyale et/ou d'agissements parasitaires;

Considérant par voie de conséquence, que le jugement déféré sera confirmé sur le rejet de la demande en nullité de l'assignation;

Sur les agissements reprochés à la société Sumial Immo:

Considérant que la société Farimmo, qui expose que la concurrence parasitaire se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre pour en tirer profit, fait valoir que la société Sumial Immo a parasité son enseigne et son nom commercial qui constituent les signes permettant d'identifier et de localiser son établissement;

Qu'elle soutient que le graphisme de son enseigne " L'essentiel de l'Immobilier " est composé d'un fond rouge sur lequel apparaît un bandeau noir portant la mention " Immobilier " en lettres blanches, adossé au logo d'une maison en blanc, que la société Sumial Immo exerce son activité sous l'enseigne " Accord Immobilier " composée par la même charte graphique avec une seule modification, le terme " Immobilier " étant remplacé par le terme " Accord ";

Qu'elle en conclut que la société Sumial Immo, dont le gérant est un de ses anciens collaborateurs, a voulu tirer profit de ses efforts commerciaux, de ses recherches et investissements en parasitant la charte graphique de son enseigne, par l'utilisation d'un code couleur identique associé à des termes identiques;

Qu'elle ajoute utiliser plusieurs messages et supports publicitaires pour indiquer au public les biens immobiliers à vendre ou vendus par ses agences immobilières, que la société Sumial Immo a imité ses messages publicitaires, pancartes et affiches, créant un risque de confusion dans l'esprit du public et a usurpé la valeur économique qu'elle avait développée dans le cadre de sa politique de communication, se plaçant ainsi dans son sillage afin de profiter indûment de sa recherche publicitaire dans le but de développer à ses dépens un réseau d'agences immobilières; qu'elle soutient être ainsi fondée à se prévaloir de la faute commise par la société Sumial Immo par imitation de ses messages et supports publicitaires;

Considérant que la société Sumial Immo réplique que l'établissement principal de la société Farimmo est situé à Verneuil sur Seine dont l'activité a commencé en 2006, que le second établissement de Saint Germain en Laye a débuté son activité le 1er octobre 2013, que l'agence immobilière de Triel sur Seine n'est pas un établissement de la société Farimmo, que celle-ci ne rapporte pas la preuve de la date depuis laquelle elle utiliserait son enseigne " L'essentiel de l'Immobilier " avec le graphisme revendiqué;

Qu'elle allègue que le graphisme de la marque semi-figurative déposée par le gérant de la société Farimmo en décembre 2004 est radicalement différent du graphisme litigieux lequel est quasi-identique à celui figurant à l'autre marque déposée par ce gérant le 23 janvier 2013, soit postérieurement à l'enseigne reprochée qui a été commandée le 29 novembre 2012; qu'elle en conclut à l'absence de droit antérieur de la société Farimmo sur le graphisme des enseignes;

Qu'elle ajoute qu'en tout état de cause, ni leur code couleur, ni leur graphisme, ni leurs termes ne sont identiques, que la société Farimmo ne peut revendiquer un code couleur qui varie d'une agence à l'autre, monopoliser les couleurs orange/rouge, noire et blanche, ni le symbole d'une maison ou d'une toiture banal dans le secteur de l'immobilier comme l'est aussi le terme " immobilier ", que les termes " L'essentiel " et " Accord " sont radicalement différents;

Considérant à titre liminaire qu'il convient de rappeler que la concurrence déloyale et les agissements parasitaires, sanctionnables sur le fondement de l'article 1382 du Code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, sont caractérisés de manière distincte;

Qu'en effet, la concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit peut être librement reproduit, sous certaines conditions tenant, notamment à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, préjudiciable à l'exercice paisible et loyal du commerce;

Que le parasitisme se caractérise, indépendamment du risque de confusion, par la circonstance selon laquelle une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements, manifestant une volonté de se placer dans le sillage d'un concurrent;

Considérant en l'espèce, qu'entretenant une ambiguïté sur les notions de concurrence déloyale et de parasitisme, la société Farimmo reproche en substance à la société Sumial Immo d'une part, l'utilisation parasitaire de la charte graphique de son enseigne et d'autre part, une concurrence déloyale parasitaire par l'imitation de ses messages et supports publicitaires créant un risque de confusion dans l'esprit du public et usurpant une valeur économique;

Qu'il convient donc de rechercher au regard de la distinction précitée, s'il peut être reproché à la société Sumial Immo des actes de parasitisme relatifs à la charte graphique de l'enseigne revendiquée, des actes de concurrence déloyale ou des agissements parasitaires relatifs aux messages et supports publicitaires ;

Considérant en ce qui concerne l'enseigne, que la société Sumial Immo observe justement que la société Farimmo n'établit pas la date depuis laquelle elle utiliserait l'enseigne avec le graphisme revendiqué, constitué d'un fond orange-rouge sur lequel apparaît un bandeau noir portant la mention " De L'Immobilier " en lettres blanches, adossé au logo d'une maison en blanc, étant relevé que ce graphisme est quasi-identique à la marque semi-figurative déposée par son gérant le 23 janvier 2013, date à laquelle la société Sumial Immo avait d'ores et déjà passé commande de son enseigne dont la réalisation lui a été facturée par la société Nojac le 29 novembre 2012;

Que dans ces circonstances, la société Farimmo ne justifie pas d'une utilisation antérieure de l'enseigne revendiquée;

Qu'elle n'apporte pas davantage le moindre élément démontrant que le graphisme de cette enseigne l'identifierait auprès du public concerné;

Que par ailleurs, la société Farimmo ne communique aucune information sur les investissements, qu'ils soient commerciaux, financiers, humains, intellectuels ou de recherches, qu'elle aurait consacrés à la charte graphique de son enseigne, de sorte qu'elle manque à démontrer qu'elle constituerait une valeur économique;

Considérant qu'il en résulte que la société Farimmo ne saurait reprocher à la société Sumial Immo de s'être placée dans son sillage, d'avoir tiré profit, sans contrepartie, du fruit de ses investissements et de son travail ou de sa renommée, en réalisant ainsi des économies considérées comme injustifiées;

Considérant en ce qui concerne la publicité pratiquée par la société Sumial Immo, à savoir les messages et supports destinés à indiquer les biens immobiliers à vendre ou vendus, que la société Farimmo manque à rapporter la preuve qui lui incombe d'un risque de confusion dans l'esprit du public, dès lors que ces deux sociétés utilisent des panneaux publicitaires couramment employés dans le secteur de la vente immobilière, composés de trois lignes, en première ligne, les mots " vendu " ou " à vendre ", en deuxième ligne, un espace libre pour insérer le nom et le logo de l'agence, en troisième ligne, un numéro de téléphone;

Qu'en outre, le terme " immobilier " étant courant dans ce secteur, ainsi que le symbole d'une maison ou d'un toit, comme le démontre la société Sumial Immo par la production d'extraits de sites internet, il convient de relever que les messages et supports publicitaires en présence se distinguent pas les termes " l'essentiel " et " accord " qui seront immédiatement perçus par la clientèle;

Qu'enfin, à supposer que la société Farimmo puisse revendiquer un code couleur orange et noir qu'elle utilise sur ses documents publicitaires, force est de constater que les couleurs utilisés par la société Sumial Immo sont le rouge et le noir, de sorte qu'elles se distinguent;

Qu'il en résulte une impression d'ensemble différente qui exclut tout risque de confusion, le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé n'étant pas conduit à confondre, voire à associer les supports ou messages publicitaires et à leur attribuer une origine commune; qu'ainsi, n'est établie aucune atteinte au jeu de la libre concurrence et à l'exercice paisible du commerce susceptible de caractériser une faute au sens des dispositions de l'article 1382 du Code civil, constitutive d'un comportement déloyal ;

Que pour les motifs qui précèdent, faute pour la société Farimmo de justifier de ses investissements, qu'ils soient commerciaux, financiers, humains, intellectuels ou de recherches, elle ne saurait pas davantage prétendre que la société Sumial Immo se serait placée dans son sillage afin de profiter de sa recherche en matière de publicité, de sorte qu'aucun agissement parasitaire n'est davantage établi sur ce point;

Considérant par voie de conséquence, que sera confirmée la décision déférée qui a débouté la société Farimmo de l'intégralité de ses demandes;

Sur les demandes reconventionnelles:

Considérant que la société Sumial Immo sollicite l'octroi de la somme de 10 000 euros pour procédure abusive et la publication judiciaire du jugement à intervenir;

Mais considérant qu'elle ne caractérise pas, à la charge de la société Farimmo, la mauvaise foi, l'intention de nuire ou la légèreté blâmable susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive et à une mesure de publication du présent arrêt;

Sur les autres demandes:

Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application;

Qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire partiellement droit aux prétentions de la société Sumial Immo, au titre de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre la société Farimmo qui succombe et doit supporter la charge des dépens d'appel;

Par ces motifs, Contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société Farimmo à payer à la société Sumial Immo la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Farimmo aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.