CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 septembre 2017, n° 15-03206
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Gefco (SA)
Défendeur :
Equipart Frères (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Maupas Oudinot, Barety, Lugosi, Pouille
Faits et procédure
Le 1er janvier 2007, la société Equipart Frères qui exerce les activités de déclarant en douane française (extra-communautaire), prestataire intrastat-logistique et transports nationaux et internationaux, s'est portée acquéreur d'un fonds de commissionnaire en douanes exploité à Valenciennes (59121) auprès de la société TMF Operating. Au sein des éléments incorporels du fonds de commerce figurait un portefeuille de clientèle incluant notamment la société Gefco qui a pour principale activité la commission de transport. La société Gefco a alors confié à la société Equipart Frères en tant que donneur d'ordre, la quasi-exclusivité des opérations douanières, d'importation et d'exportation de son agence de Valenciennes.
A compter de février 2013, la société Equipart Frères a constaté la cessation des instructions transmises par la société Gefco qui a invoqué sa décision de ne plus sous-traiter ce type de prestations dans le cadre d'une restructuration.
Par exploit du 31 octobre 2013, la société Equipart Frères a assigné la société Gefco devant le Tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins d'obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 14 650 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, majorée de la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement en date du 25 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Lille métropole a :
- dit et jugé que la société Gefco est responsable du préjudice subi par la société Equipart Frères du fait de la brutalité de la rupture des relations d'affaires,
- condamné la société Gefco à payer à la société Equipart Frères la somme de 14 640 euros au titre de la rupture des relations commerciales et la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Gefco aux entiers dépens,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur de ces chefs nonobstant appel et sans caution
- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions.
La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Gefco du jugement du Tribunal de commerce de Lille métropole en date du 25 novembre 2014.
LA COUR,
Vu les dernières conclusions notifiées le 12 juin 2017 par la société Gefco appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :
vu l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce
vu l'article 9 du Code de procédure civile
vu l'article 1315 du Code civil
vu le jugement du Tribunal de commerce de Lille en date du 25 novembre 2014
- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé à six mois la durée du préavis,
- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le seul préjudice indemnisable est la perte de marge brute,
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé à 85 % le taux de marge brute et évalué à 14 650 euros le montant des dommages et intérêts à allouer à la société Equipart Frères
Statuant de nouveau, et faisant droit à l'appel de la société Gefco :
- constater que la société Equipart Frères ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du montant du préjudice dont elle sollicite l'indemnisation,
- en conséquence, débouter la société Equipart Frères de l'intégralité de ses demandes à toutes fins qu'elles comportent,
- condamner la société Equipart Frères à verser à la société Gefco la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître X, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 6 juin 2017 par la société Equipart Frères intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :
vu les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce vu les dispositions de l'article 1382 du Code civil
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé la rupture des relations commerciales imposée par la société Gefco à son cocontractant brutale et, ce faisant, la déclarer responsable de l'entier préjudice subi,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu un taux de marge brute de 85 % pour la détermination du préjudice subi,
- réformer le jugement entrepris sur la durée du préavis qu'il appartenait à la société Gefco de respecter,
- statuant à nouveau, fixer à 12 mois la durée du délai de prévenance qui aurait dû être respectée par la société Gefco
- condamner la société Gefco à payer à la société Equipart Frères la somme de 29 449,10 euros au titre de la rupture des relations commerciales,
- condamner la société Gefco au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles sous le visa des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens tant de première instance que d'appel ;
SUR CE,
Les premiers juges ont considéré et les parties s'accordent à reconnaître qu'elles ont entretenu une relation commerciale durant sept ans que la société Gefco a rompue unilatéralement sans préavis. Toutefois, les parties s'opposent sur la durée du préavis suffisant qui aurait dû être accordé et sur le calcul du préjudice subi du fait de la rupture brutale.
Sur la durée du préavis suffisant
La société Equipart Frères rappelle que la société Gefco ne l'a, à aucun moment, informée de son désir de mettre fin à la relation, que ce soit par écrit ou oralement. Elle fait valoir la création pendant sept ans d'un état de dépendance économique, ce qui a accru le caractère brutal de la rupture. Elle précise que bien qu'il n'y ait aucun engagement d'exclusivité, les chiffres d'affaires réalisés sur les années 2010 à 2012 pour les activités douanières extra-communautaires sous-traitées au profit de la société Gefco ne peuvent pas être qualifiés de marginaux économiquement alors qu'ils représentent 19,55 % du chiffre d'affaires global et affirme que toute entreprise commerciale ne peut qu'être notablement sensibilisée économiquement par la perte de près de 20 % de son chiffres d'affaires. Elle précise que le cabinet KPMG confirme que le chiffre d'affaires réalisé en activités douanières représente 335 500 euros sur une activité douanière extra-communautaire globale d'environ 550 000 euros et estime que hors déduction des frais de structure, la marge brute sur le chiffre d'affaires " douanes " a été en 2012 de 61,2 %. Elle ajoute qu'il lui faudrait retrouver à minima un chiffre d'affaires douanier de 77 614 euros pour couvrir la perte d'activité d'un seul salarié. Elle considère donc que le délai de prévenance doit être porté à 12 mois.
La société Gefco réplique qu'un préavis de douze mois serait une durée largement surévaluée. Elle affirme que sa part dans le chiffre d'affaires de la société Equipart Frères est largement inférieure à 20 % (moins de 1 % de son chiffre d'affaires total et moins de 7 % de son chiffre d'affaires " activités douanières ") de sorte que la rupture n'est pas de nature à créer une désorganisation. Elle excipe du caractère marginal de la perte économique subie par la société Equipart. Elle demande donc à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a évalué à 6 mois le préavis suffisant.
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables engagées par elle et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire.
En l'espèce, compte tenu des pièces produites et eu égard à l'ancienneté des relations commerciales d'une durée de 7 ans, au volume d'affaires, à la part de la société Gefco dans le chiffre d'affaires total généré par la seule activité douanière extra-communautaire de la société Equipart Frères seul objet des relations commerciales et qui selon les pièces comptables versées aux débats (pièces intimée n° 5 et 26 à 38) s'établit à 6,62 % en 2010, 5,89 % en 2011 et 6,50 % en 2012), à la nature de l'activité considérée et à la réalité du marché concerné mais en l'absence d'accord d'exclusivité entre les parties et à défaut de la justification d'une dépendance, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la société Equipart Frères aurait dû bénéficier d'un préavis de six mois afin de pallier les incidences de la perte des prestations qu'elle prodiguait à la société Gefco
Sur la réparation du préjudice
La société Gefco conteste le calcul du taux de marge brute fixé par le Tribunal de commerce de Lille à 85 %. Elle rappelle que le tribunal a permis à la société Equipart Frères de produire des éléments au travers d'une note en délibéré, après avoir estimé qu'elle ne rapportait pas les éléments de preuve nécessaires au calcul de son préjudice. Elle considère que les éléments produits permettent uniquement de déterminer la part réelle de la société Gefco dans le chiffre d'affaires total et dans le chiffre d'affaires " activités douanières " de la société Equipart Frères.
En outre, elle affirme que la société Equipart Frères a elle-même calculé son taux de marge brute pour son activité douanière à seulement 61,2 %. L'attestation KPMG produite par la société intimée est, selon la société Gefco relative à la marge opérationnelle qui se calcule en fonction du résultat d'exploitation et non à la marge brute qui se calcule en fonction de l'excédent brut d'exploitation. Elle la considère donc comme étant sans rapport avec la perte de marge brute qui doit être retenue pour calculer le préjudice subi du fait de l'absence de préavis.
Dans ces conditions, elle demande à la cour d'infirmer le jugement sur ce point et de juger que la société Equipart Frères ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du montant du préjudice qu'elle invoque.
La société Equipart affirme qu'elle a été privée sans préavis d'un chiffre d'affaires annuel moyen de 34 464 euros. Elle ajoute qu'elle employait un personnel dédié et qualifié pour les seules opérations douanières extra-communautaires. Elle souligne que le Tribunal de commerce de Lille a fait une appréciation exacte de son préjudice en fixant à 85 % le taux de marge brute qu'il convient d'appliquer au chiffre d'affaires qu'elle réalisait. Elle entend voir confirmer le mode de calcul adopté par le tribunal de commerce de Lille mais sur une période de 12 mois. Elle sollicite donc l'indemnisation de son préjudice directement lié à l'absence de préavis à hauteur de 29 449,10 euros.
Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.
En l'espèce, il y a lieu de retenir le chiffre d'affaires moyen généré par l'activité de commissionnaire en douanes extra-communautaire avec la société Gefco. Il ressort des pièces comptables sus visées qu'il s'établit à 34 464 euros (35 291 euros en 2010, 32 777 en 2011, 35 324 euros en 2012), soit à la somme mensuelle de 2 872 euros. Ainsi, le chiffre d'affaires perdu pendant les 6 mois du préavis qui aurait dû être octroyé s'élève à 17 232 euros (2 872 x 6).
Compte tenu des éléments versés aux débats dont l'attestation du cabinet KPMG (pièce intimée n° 38), il y a lieu d'évaluer le taux de marge à 60 %. Dès lors, le manque à gagner de la société Equipart Frères s'établit à la somme de 10 339,20 euros (17 232 x 60 %) au paiement de laquelle la société Gefco sera condamnée. Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef et la société Equipart Frères déboutée du surplus de ses demandes.
Sur les autres demandes
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Gefco qui succombe aux dépens et à verser à la société Equipart Frères la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Gefco supportera également les dépens d'appel et devra verser la somme supplémentaire de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Gefco à verser à la société Equipart Frères la somme de 14 650 euros à titre de dommages et intérêts ; l'infirme sur ce point ; statuant à nouveau, condamne la société Gefco à verser à la société Equipart Frères la somme de 10 339,20 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales ; déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; et y ajoutant, condamne la société Gefco aux dépens de l'appel ; condamne la société Gefco à verser à la société Equipart Frères la somme de 4 000 euros au titrede l'article 700 du Code de procédure civile.