Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 28 septembre 2017, n° 15-17734

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Marsanne Vini Conseil (SARL)

Défendeur :

Pascal Bouchard (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

President :

Mme Schaller

Conseillers :

Mmes du Besset, Castermans

Avocats :

Mes Dauchel, Vignet

T. com. Auxerre, du 20 juill. 2015

20 juillet 2015

Faits et procédure :

La société Pascal Bouchard a pour activité le négoce de vins (en particulier de Chablis) et spiritueux, le courtage, la vinification et le conditionnement des vins.

La société Marsanne Vini Conseil, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nancy le 17 juin 2004 (avec un commencement d'activité au 1er juin 2004), exerce une activité d'agence de représentation en boissons, produits alimentaires et accessoires, ainsi que de commercialisation de boissons, produits alimentaires et accessoires.

Faisant état de ce qu'elle avait bénéficié d'un mandat d'agent commercial de la société Pascal Bouchard pendant plusieurs années, notamment pour représenter ses produits auprès de la société Rega (devenue Ned), la société Marsanne Vini Conseil a assigné la société Pascal Bouchard, par acte du 24 juillet 2013, aux fins de voir constater la rupture à son initiative du contrat d'agence commerciale les liant, de se voir indemniser du préjudice résultant de la rupture et payer les commissions lui restant dues.

Par jugement du 20 juillet 2015, le Tribunal de commerce d'Auxerre a:

- déclaré la société Marsanne Vini Conseil prescrite en son action principale ;

- débouté la société Marsanne Vini Conseil de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société Marsanne Vini Conseil à payer à la société Pascal Bouchard les sommes de :

3 000 euros, à titre de dommages et intérêts,

1 500 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Vu l'appel interjeté le 25 août 2015 par la société Marsanne Vini Conseil à l'encontre de cette décision ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 6 janvier 2016 par la société Marsanne Vini Conseil, par lesquelles il est demandé à la cour de:

Vu les articles L. 134-1 et suivants, ainsi que L. 134-11 et suivants du Code de commerce,

Vu le contrat d'agence existant entre la société Marsanne Vini Conseil et la société Pascal Bouchard,

- déclarer recevable et bien fondé le présent appel,

Y faisant droit,

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Auxerre le 20 juillet 2015 ;

En conséquence,

- constater la rupture unilatérale du contrat d'agence intervenue à l'initiative de la société Pascal Bouchard ;

- enjoindre à la société Pascal Bouchard de remettre tous bordereaux et justificatifs de commissionnements utiles pour chiffrer la somme due à la société Marsanne Vini Conseil ;

- condamner la société Pascal Bouchard à verser à la société Marsanne Vini Conseil l'indemnité compensatrice fondée sur le chiffre d'affaire effectué par celle-ci et valant deux années de commissions ;

A défaut de communication des justificatifs requis,

- condamner la société Pascal Bouchard à verser à la société Marsanne Vini Conseil la somme de 5 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice ;

- condamner société Pascal Bouchard à verser à la société Marsanne Vini Conseil la somme de 4 500 euros au titre du préjudice moral et financier.

- condamner la société Pascal Bouchard à verser à la société Marsanne Vini Conseil la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Vu les dernières conclusions signifiées le 12 février 2016 par la société Pascal Bouchard, par lesquelles il est demandé à la cour de:

A titre principal, in limine litis :

Faisant application de l'article 122 du Code de procédure civile,

- dire et juger l'appelante prescrite en son action avec toutes conséquences de droit et la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a:

condamné la société Marsanne Vini Conseil à payer la société Pascal Bouchard la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, téméraire et injustifiée ;

condamné la même à payer à la société Pascal Bouchard la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Y ajoutant :

- condamner l'appelante à payer à la société Pascal Bouchard la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel;

- condamner la même aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Avocats Vignet & Associés, Vignet-Noel-Sanonier-Faria, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Subsidiairement,

Vu les articles L. 134-1 et L. 134-2, L. 134-9 et L. 134-12 du Code de commerce;

Vu la jurisprudence concernant les agents commerciaux;

- dire et juger mal fondée en l'ensemble de ses demandes, la société Marsanne Vini Conseil;

- l'en débouter intégralement.

Faisant droit à la demande reconventionnelle de la Société Pascal Bouchard:

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a:

- condamné la société Marsanne Vini Conseil à payer à la société Pascal Bouchard la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, téméraire et injustifiée;

- condamné la même à payer à la société Pascal Bouchard la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Y ajoutant:

- condamner l'appelante à payer à la société Pascal Bouchard la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel;

- condamner la société Marsanne Vini Conseil aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP d'avocats Vignet & Associés, Vignet-Noel-Sanonier-Faria, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur la prescription de son action, la société Marsanne Vini Conseil considère que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que les relations contractuelles ont cessé entre les parties le 25 mai 2011, alors que c'est par un courrier du 17 septembre 2012 adressé par son conseil à la société Pascal Bouchard qu'elle a pris acte du terme des relations au 11 septembre 2012, de telle sorte qu'en délivrant son assignation le 24 juillet 2013 elle n'était pas prescrite au regard du délai prévu par l'article L. 134-12 du Code de commerce qui expirait le 11 septembre 2013. Elle précise qu'en outre, l'intimée ne peut sans contradiction tout à la fois lui opposer les dispositions de l'article précité et lui contester son statut d'agent commercial.

Sur le fond, la société Marsanne Vini Conseil indique que l'existence d'un contrat d'agent commercial peut être prouvée par un faisceau de preuves et précise qu'elle est intervenue en qualité d'agent commercial de la société Pascal Bouchard auprès de la société Ned, anciennement dénommée Rega, que l'allégation de la société Pascal Bouchard selon laquelle cette dernière travaillait directement avec la société Rega est de mauvaise foi. Elle soutient que le contrat a été rompu le 11 septembre 2012, sans préavis et à l'initiative de la société Pascal Bouchard, sans respect des obligations qui lui incombaient. A ce titre, elle sollicite une indemnisation au titre de son préjudice lié à la rupture du contrat d'agent commercial, ainsi que 4 500 euros au titre du préjudice moral et financier.

En réplique, la société Pascal Bouchard soutient que la société Marsanne Vini Conseil, n'ayant pas fait valoir ses droits dans le délai d'un an prévu par l'article L. 134-12 du Code de commerce, est prescrite. Subsidiairement, sur le fond, elle soutient qu'elle ne doit aucune commission au titre des années 2007 et 2008 et qu'en toutes hypothèses, la prescription est acquise pour cette période. La société Pascal Bouchard conteste la qualité d'agent commercial de la société Marsanne Vini Conseil, précise qu'elle travaille directement avec la société Rega depuis 1998 et ce antérieurement à la création de la société Marsanne Vini Conseil intervenue en 2004 et en conséquence sollicite que la société Marsanne Vini Conseil soit déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 mai 2017.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs :

L'article L. 134-1 du Code de commerce dispose que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ; qu'il peut être une personne physique ou une personne morale ; que ne relèvent pas des dispositions du présent chapitre les agents dont la mission de représentation s'exerce dans le cadre d'activités économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de dispositions législatives particulières.

L'article L. 134-4 du Code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties (alinéa 1) ; que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (alinéa 2) ; que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat (alinéa 3).

L'article L. 134-12 du même code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.

En l'espèce, il appartient à la société Marsanne Vini Conseil qui sollicite le paiement de l'indemnité de rupture prévue à l'article précité, d'établir, en l'absence de contrat écrit, qu'elle bénéficiait d'un mandat d'agence commerciale de la société Pascal Bouchard, ce qui est totalement contesté par cette dernière.

La cour observe toutefois que la société Pascal Bouchard ne conteste pas l'existence de relations commerciales passées entre elle-même et la société Marsanne Vini Conseil, puisqu'elle indique que l'assignation délivrée par cette dernière le 24 juillet 2013 l'aurait été plus de trois ans et demi après la cessation des dites relations (en page 2 de ses conclusions).

En outre, l'intervention à un titre ou à un autre de la société Marsanne Vini Conseil dans la vente des vins Pascal Bouchard se trouve confirmée par la pièce n° 4 de l'appelante qui consiste en un récapitulatif des commissions de 5 % " régul 2007 " et " régul 2008 " dues à celle-ci concernant différents clients, dont le dénommé " Rega ", document portant en sa partie basse au centre le nom de Pascal Bouchard, ainsi que l'adresse de son siège social, et donc réputé établi par celle-ci.

Or, il résulte sans conteste des nombreuses pièces (commandes, factures portant sur la période 1998-2000) produites par la société Pascal Bouchard que la société Rega était une de ses clientes de longue date et en particulier pour une période antérieure à la création - en juin 2004 - de la société Marsanne Vini Conseil, et qu'elle traitait alors directement avec elle pour lui vendre ses vins.

De plus, il ressort du dossier que la société Marsanne Vini Conseil a été créée par Monsieur Xavier Reuter, ancien directeur général de Rega, qui s'est par la suite désengagé des deux sociétés. De même, selon le courrier du 30 décembre 2009 de la société Marsanne Vini Conseil sous la plume de son gérant, Monsieur Emeric Cericola, ce dernier est également un ancien salarié de Rega.

Aux termes de ce même courrier, Monsieur Emeric Cericola, après avoir évoqué ses anciens liens salariés avec Rega, qui auraient facilité son intermédiation pour le compte de la société Pascal Bouchard, indique concernant Rega : " J'ai toujours suivi le client, accompagné M. Romain Bouchard [gérant de la société Pascal Bouchard] et Mme Pascale Carnat en rendez-vous à Woippy. " (siège social de Rega).

La société Marsanne Vini Conseil produit par ailleurs des factures de commissions au nom de Pascal Bouchard, ainsi que différents courriers portant mise en demeure de lui payer ses commissions.

Par suite, au vu de l'ensemble de ces éléments et en particulier du fait que la société Pascal Bouchard traitait directement avec Rega avant 2004 et qu'après cette date, la société Marsanne Vini Conseil intervenait aux côtés du gérant de la société Pascal Bouchard et d'une autre de ses salariés, il apparaît que la société Marsanne Vini Conseil échoue à démontrer qu'elle bénéficiait d'un mandat d'agent commercial de la part de la société Pascal Bouchard et bénéficiait ainsi du statut, bien spécifique, afférent, ayant tout aussi bien pu intervenir dans sa fonction d'intermédiation, certes réelle, en tant que courtier ou apporteur d'affaires. En particulier, il n'est pas établi que la société Marsanne Vini Conseil disposait de l'indépendance propre à l'agent commercial, indépendance qui implique une capacité de l'agent à négocier librement les contrats au nom et pour le compte de son mandant.

En conséquence, le jugement sera confirmé par motifs propres en ce qu'il a débouté la société Marsanne Vini Conseil de sa demande indemnitaire au titre de la rupture de contrat d'agent commercial et de sa demande de paiement de commissions au titre des années 2007 et 2008, cette dernière n'étant d'ailleurs pas maintenue en cause d'appel, ainsi que de toutes ses autres prétentions ; il sera en revanche infirmé en ce qu'il avait déclaré son action irrecevable comme prescrite sur le fondement de l'article L. 134-12 du Code de commerce, puisque l'application de ce texte suppose le bénéfice du statut d'agent commercial, en l'espèce non établi.

Les premiers juges seront en outre infirmés en ce qu'ils ont accueilli la demande indemnitaire de la société Pascal Bouchard pour procédure abusive, ni les circonstances du litige, ni les éléments de l'instance ne permettant de caractériser à l'encontre de la société Marsanne Vini Conseil une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit d'agir en justice.

La société Marsanne Vini Conseil qui succombe supportera les dépens d'appel.

L'équité commande d'allouer à la société Pascal Bouchard la somme supplémentaire de 2 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement entrepris seulement en ce qu'il a déclaré la société Marsanne Vini Conseil prescrite en son action et l'a condamnée à payer la somme de 3 000 euros de dommages intérêts à la société Pascal Bouchard ; le confirme pour le surplus de ses dispositions ; Y ajoutant, condamne la société Marsanne Vini Conseil à payer à la société Pascal Bouchard la somme de 2 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette toutes autres demandes ; condamne la société Marsanne Vini Conseil aux dépens, dont distraction au profit de la SCP d'avocats Vignet & Associés, Vignet-Noel-Sanonier-Faria, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.