CA Grenoble, ch. com., 21 septembre 2017, n° 15-00798
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Industrias Luma (Sté)
Défendeur :
Liacom (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseillers :
Mme Pages, Esparbès
President :
Mme Rolin
La société Luma a pour activité la fabrication d'antivols et autres accessoires pour les deux roues.
Elle confie à la société Ageni la distribution exclusive de ses produits pour la France.
La société Ageni confie l'exclusivité de la représentation Luma à la société Liacom selon contrat de distribution.
Suite au départ à la retraite du gérant de la société Ageni, cette dernière et la société Luma conviennent de mettre un terme au contrat de distribution avec effet au 31 décembre 1995 et la société Ageni cède sa clientèle à la société Luma.
Selon contrat du 1er janvier 1996, la société Luma confie à la société Liacom la vente et la promotion des produits Luma, essentiellement des cadenas et des antivols pour deux roues auprès de la clientèle de la société Luma acquise de la société Ageni.
Ce contrat prévoit en son article 4 une interdiction pour la société Liacom d'exercer toute activité se rapportant à la fabrication et à la commercialisation de tous produits susceptibles de concurrencer ceux dont la représentation lui est confiée et l'article 9 du contrat prévoit une clause de non concurrence.
En 2006, monsieur G., gérant de la société Liacom rachète le fonds de commerce de la société A. qui a pour activité la fabrication et la vente de cadenas et accessoires pour cycles et vélomoteurs, soit une activité concurrente de la société Luma et constitue la société A. Sarl.
Par lettre en date du 11 avril 2013 , la société Luma rompt les relations commerciales avec la société Liacom pour faute grave, faisant valoir que la société A. Sarl a copié à son insu des lignes de produits d'antivols homologués par elle, agissements constitutifs d'actes de concurrence déloyale et de violation de l'obligation de non concurrence.
Contestant le motif de la rupture, la société Liacom fait citer la société Luma par assignation en date du 10 juillet 2013 et demande la réparation de son préjudice suite à la résiliation du contrat.
La société A. fait citer les sociétés Luma et France Antivol devant le Tribunal de commerce de Lyon en vue de la cessation et l'indemnisation des actes de concurrence déloyale et de parasitisme prétendus à son encontre.
Par jugement du Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 5 novembre 2014, il est dit injustifiée la lettre de rupture d'agent commercial pour faute grave notifiée par la société Industrias Luma à la société Liacom le 11 avril 2013, constate le caractère brutal et soudain de la rupture du contrat liant la société Liacom à la société Luma, déclare recevables et bien fondées les demandes de la société Liacom à l'encontre de la société Luma,
Par conséquent condamne la société Industrias Luma à payer à la société Liacom les sommes de
- 5 527 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis
- 44 281 euros au titre de l'indemnisation du préjudice
- 5 541,98 euros au titre de l'arriéré de commissions sur 2012 suite à l'application d'un taux de commissionnement inférieur au taux contractuel de 5 %,
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Industrias Luma relève appel de la présente décision par déclaration au greffe en date du 25 février 2015.
Au vu de ses dernières conclusions en date du 22 septembre 2015, la société Industrias Luma demande l'infirmation du jugement susvisé.
Elle sollicite le sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive à intervenir entre la société Industrias Luma et la société A. statuant sur la titularité des droits sur le modèle de cadenas homologué par la société Industrias Luma.
Elle demande que soit jugé que le statut d'agent commercial est inapplicable à la société Liacom qui ne justifie pas avoir exercé une activité de négociation dans les conditions prévues à l'article L. 134-1 du Code de commerce et à la jurisprudence qui s'y attache,
par conséquent, elle conclut au rejet des demandes d'indemnisation de la société Liacom sur le fondement de l'article L. 134-1 du Code de commerce ou sur le fondement du mandat d'intérêt commun, faute de disposer d'un mandat et que la société Liacom a violé l'obligation de non concurrence prévue à l'article 9 ainsi que commis des actes de concurrence déloyale de nature à justifier de la résiliation du contrat pour faute grave,
Par conséquent, elle conclut au débouté des demandes d'indemnisation pour rupture de la société Liacom et au titre de l'arriéré de commissions.
À titre subsidiaire, elle fait valoir que la société Liacom ne justifie pas d'un préjudice du fait de la rupture du contrat et que les sommes demandées sont dépourvues de justification,
Elle fait valoir que la société Liacom ne peut se prévaloir d'aucun préjudice compte tenu du non-respect de la clause de non concurrence post contractuelle prévue à l'article 10 du contrat.
Elle conclut au rejet de l'appel incident de la société Liacom.
Elle demande le rejet de l'ensemble de ses demandes.
En tout état de cause, elle demande la condamnation de la société Liacom au paiement de la somme de 30 000 euros en réparation de la violation de son obligation de non concurrence post contractuelle outre celle de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de sa demande de sursis à statuer, elle fait valoir que le tribunal de commerce de Lyon doit se prononcer sur la titularité des droits sur le modèle litigieux de nature à justifier le bien-fondé de la rupture des relations commerciales.
Elle conteste la qualification de contrat d'agent commercial du contrat conclu le 1er janvier 1996 entre la société Luma et la société Liacom.
Elle explique que la mission confiée à la société Liacom ne peut s'analyser en une mission d'agent commercial, en l'absence de pouvoir de négociation pour le compte de son mandant.
À titre subsidiaire, elle fait valoir la violation par la société Liacom de son obligation de non concurrence qui constitue une faute grave et la prive de son droit à indemnités, soit le fait que la société A. fasse fabriquer en Chine un antivol qui est la copie exacte de l'antivol U10 fabriqué par la société Luma, soit des produits non homologués.
Elle ajoute que la société Liacom ne peut se prévaloir d'un quelconque préjudice n'ayant pas respecté son obligation de non concurrence post contractuelle et qu'au surplus, elle n'en justifie pas.
Elle conclut au rejet de la demande d'indemnisation relative au retrait de la commercialisation des casques LEM et au titre du manquement à ses obligations.
Elle demande par contre la réparation de son préjudice consécutif à la violation de son obligation de non concurrence post contractuelle.
Au vu de ses dernières conclusions du 27 novembre 2015, la Sarl Liacom conclut au rejet de la demande de sursis à statuer.
Elle fait valoir l'irrecevabilité des prétentions de la partie adverse en ce qu'elles tendent à juger fautifs les actes commis par une société tierce à la présente procédure.
Elle fait valoir que le contrat en cause est un contrat d'agent commercial et à défaut un mandat d'intérêt commun, que la rupture sans préavis du contrat par la société Industrias Luma n'est pas justifiée par une faute grave de la Sarl Liacom.
À titre subsidiaire, elle explique que les faits invoqués à l'appui de la rupture par la société Industrias Luma ont été acceptés et ou tout au moins tolérés pendant plus d'un an et qu'ils ne peuvent suffire à justifier une rupture sans indemnité du contrat.
Elle demande par conséquent la condamnation de la société Industrias Luma à lui payer les sommes suivantes :
- 123 750 euros à titre d'indemnité de rupture
- 30 000 euros en réparation du préjudice moral
- 10 312,50 euros à titre d'indemnité de préavis
- 12 000 euros à titre d'indemnité de rupture du mandat LEM
- 5 541,98 euros à titre d'arriéré de commissions
soit un total de 181 604,48 euros,
Elle conclut au débouté de l'ensemble des demandes de la société Industrias Luma à son encontre.
Elle demande la condamnation de la société Industrias Luma au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir l'irrecevabilité de la demande de sursis à statuer compte tenu de l'ordonnance du conseiller de la mise en état rejetant la demande de sursis à statuer.
Elle fait valoir que le contrat conclu entre les parties le 1er janvier 1996 est un contrat d'agent commercial et lui donne la qualité d'agent commercial et non pas de distributeur.
Elle précise que ce contrat est intitulé contrat d'agent commercial, qu'il contient toutes les clauses d'un contrat d'agent commercial.
Elle fait au contraire valoir qu'elle disposait des pouvoirs de négociation et d'indépendance justifiant cette qualité.
Elle conteste le motif grave de la rupture de ce contrat. Elle précise que la société appelante a autorisé la reprise de la société A., que l'activité concurrente reprochée ne peut être imputée à une société tierce, que la situation dénoncée a été tolérée par la partie adverse ne lui permettant plus de s'en saisir.
Elle ajoute qu'elle est par conséquent fondée à demander une indemnité de rupture suite à la cessation de son activité d'agent commercial à l'initiative de la partie adverse et représentant trois ans de commissions compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales, soit la somme de 123 750 euros, la somme de 30 000 euros à titre de préjudice moral, la somme de 10 312,50 euros au titre de l'indemnité de préavis, la somme de 12 000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice pour la commercialisation des casques, la somme de 5 541,98 euros au titre de l'arriéré de commissions.
Elle conclut au rejet de la demande au titre de la clause de non concurrence post contractuelle.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande de sursis à statuer :
L'article 775 du Code de procédure civile énonce que les ordonnances du conseiller de la mise en état n'ont pas autorité de la chose jugée au principal à l'exception de celles qui statuent sur les exceptions de procédure et sur les incidents mettant fin à l'instance, que tel n'est pas le cas de l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état rejetant une demande de sursis à statuer.
La présente demande de sursis à statuer présentée devant la cour alors que le conseiller de la mise en état a déjà statué est dès lors recevable.
La décision à intervenir dans une procédure de concurrence déloyale opposant la société Industrias Luma à la société A. qui n'est pas partie à la présente procédure est sans incidence directe sur la solution du présent litige.
Le caractère justifié ou pas de la rupture du contrat d'agent commercial de la société Liacom ne peut dépendre du point de savoir quelle société est titulaire des droits sur le modèle litigieux alors que le seul lien entre ces deux procédures est l'identité du gérant des sociétés A. et Liacom.
La demande de sursis à statuer de la société Industrias Luma sera par conséquent rejetée.
Sur la qualification du contrat en date du 1er janvier 1996 entre la société Luma et la société Liacom :
L'article L. 134-1 du Code de commerce qualifie l'agent commercial comme un mandataire qui à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de service, est chargé, de façon permanente de négocier et éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.
L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.
Si le contrat conclu entre les parties en date du 1er janvier 1996 est intitulé "contrat d'agent commercial" et reprend pour partie les dispositions applicables à l'agent commercial, il appartient pour autant à la société Liacom revendiquant la qualité d'agent commercial contestée d'en justifier et au vu de son activité effectivement exercée.
L'agent commercial est un mandataire dont l'activité consiste à négocier et conclure des contrats pour le compte et au nom de son mandant.
La seule activité de promotion de produits d'une société sans pouvoir de les négocier avec sa clientèle ne peut bénéficier du statut d'agent commercial, dès lors s'il est constaté que l'intermédiaire ne dispose pas de façon permanente d'un pouvoir de négocier des contrats au nom et pour le compte de son mandant, il ne peut avoir la qualité d'agent commercial.
La société Liacom ne démontre par aucun élément qu'elle avait le pouvoir de négocier avec sa clientèle alors que la partie adverse démontre au contraire que la société Liacom ne disposait d'aucune marge de manœuvre sur les prix soit une des modalités de la négociation. Le contrat ne prévoit d'ailleurs que la mission pour le mandataire de vendre et de promouvoir les produits mais ne mentionne pas le pouvoir de négociation.
Dans ces conditions, la société Liacom n'ayant pas justifié de son pouvoir de négociation pour le compte de son mandant en exécution du contrat litigieux, il ne peut être qualifié de contrat d'agent commercial et le statut des agents commerciaux ne peut lui être applicable.
Sur la demande d'indemnisation de la société Liacom pour résiliation du contrat sans préavis :
Le contrat prévoit en son article 11 une indemnité de rupture en cas de résiliation par le mandant de nature à compenser le préjudice subi par la résiliation, en cas de faute grave du mandataire, ce dernier perd son droit à indemnisation.
Cette clause dont la validité n'est pas contestée par les parties reste dès lors applicable, et ce quelque soit la qualification du contrat.
Ce même contrat prévoit en son article 4 que la société Liacom s'interdit, sauf accord préalable et écrit du mandant toute activité se rapportant à la fabrication ou à la commercialisation de tous produits susceptibles de concurrencer ceux dont la représentation lui est confiée et en son article 9 une clause de non concurrence soit que pendant la durée du contrat, l'agent s'interdit de s'intéresser directement ou indirectement, à une entreprise concurrente de la dite société, et ce sous quelque forme que ce soit.
En l'espèce, il est constant que monsieur G., gérant de la société Liacom rachète la société A., dont l'activité consiste à distribuer des cadenas et des accessoires pour les cycles et les vélomoteurs soit une activité concurrente de la société Luma.
Dans ses conclusions devant la cour, la société Luma explique qu'elle avait indiqué à monsieur G. qu'elle acceptait de poursuivre leur collaboration sous la condition expresse que la société A. ne vende que les produits fabriqués par elle.
Elle reconnaît par conséquent avoir été informée de l'achat de la société A. par ce dernier également gérant de la société Liacom et de ne pas s'y être opposée.
Elle ne peut dès lors reprocher au gérant de la société Liacom le rachat d'une société ayant une activité concurrente alors qu'elle en a été informée et admet ne pas s'y être opposée et ce quel que soit les produits vendus par cette société, la société Luma n'ayant pas justifié de l'existence d'une quelconque obligation d'exclusivité de la société A. à son égard.
La faute grave reprochée à la société Liacom n'est pas démontrée par la société Luma, cette dernière ne prétend par ailleurs à aucun autre motif faisant perdre à la société Liacom son droit à indemnisation, l'indemnité compensatrice du préjudice subi prévue à l'article 11 du contrat en cause est par conséquent due par la société Luma.
L'attestation de l'expert-comptable versée aux débats mentionnant le montant annuel des commissions facturées par la société Liacom et non contestée permet d'évaluer aux sommes de 5527 et 44 281 euros, soit la somme totale de 49 808 euros, le montant de l'indemnité de rupture puisque ne pouvant pas dépasser une année de commissions conformément à l'article 11 du contrat susvisé.
Le jugement contesté disant injustifiée la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave notifiée par la lettre du 11 avril 2013 et condamnant la société Industrias Luma au paiement de ces sommes sera confirmé de ces chefs.
Sur la demande en paiement des commissions :
La société Liacom demande le paiement de la somme de 5 541,98 euros au titre de l'arriéré de commissions.
Pour justifier de cette demande, elle ne soutient pas un défaut de paiement des commissions mais un paiement inférieur au taux contractuel de 5 % pour l'année 2012.
Elle ne produit aucune pièce de nature à justifier le principe ou le quantum de cette demande alors que la partie adverse justifie au contraire du paiement à ce titre de la somme de 24 077,93 euros.
Cette demande en paiement sera rejetée et le jugement faisant droit à ce chef de demande infirmé à ce titre.
Sur la demande d'indemnisation de la société Luma au titre de l'obligation de non concurrence post-contractuelle :
L'article 10 du contrat prévoit qu'en cas de rupture pour quelque cause que ce soit et quelle que soit la partie qui en a pris l'initiative, l'agent s'interdit de s'intéresser directement ou indirectement à toute entreprise susceptible de concurrencer la société. Cette interdiction est fixée pour une durée d'un an à compter de la cessation effective du présent contrat et couvrira le secteur géographique de l'agent.
Pour les mêmes motifs, la société Luma ne peut prétendre à une violation de la clause de non concurrence prévue à l'article 10 du contrat conclu entre elle et la société Liacom par l'activité de la Sarl A.
La demande d'indemnisation de la société Luma sera rejetée.
Le jugement contesté rejetant ce chef de demande sera confirmé de ce chef.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de quiconque.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par décision contradictoire prononcée publiquement et par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après avoir délibéré conformément à la loi, Rejette la demande de sursis à statuer de la société Industrias Luma. Confirme le jugement contesté sauf en ce qu'il condamne la société Industrias Luma à payer à la société Liacom la somme de 5541,98 euros à titre d'arriéré de commissions. Statuant à nouveau, Rejette la demande en paiement de la société Liacom au titre de l'arriéré de commissions de 2012. Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Industrias Luma aux entiers dépens.