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Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com. réunies, 20 septembre 2017, n° 16-00874

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

BDS Dental Dépôt (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

MM. Juillard, Kheitmi

President :

M. Riffaud

TGI Cusset, du 22 févr. 2016

22 février 2016

Faits et procédure - demandes et moyens des parties :

La SARL BDS Dental Dépôt, qui exerce une activité de vente de matériel et de fournitures pour cabinets dentaires, a conclu sous seing privé le 11 septembre 2009, avec M. Yann G., un contrat d'agent commercial à durée indéterminée, ayant pour objet la " vente de consommables et périphériques pour cabinets dentaires ", dans une zone géographique constituée des départements de l'Allier, de la Creuse et du Puy-de-Dôme, outre les régions de Digoin (Saône-et-Loire) et de Decize (Nièvre), " avec une option prioritaire sur les départements du Cantal et de la Haute-Loire ". M. G. bénéficiait d'une exclusivité sur la zone ainsi délimitée. Sa rémunération était fixée à la commission.

Au cours de l'année 2015, la SARL BDS Dental Dépôt (la société Dental Dépôt) a fait l'objet d'une modification de son capital, avec l'arrivée parmi les actionnaires d'une société Henry S. La société Dental Dépôt, à la suite de cette modification de son capital, a proposé à M. G., en avril 2015, de conclure un avenant, mais l'agent commercial a refusé de signer cet avenant.

M. G., estimant que la société Dental Dépôt avait commis des fautes dans l'exécution du contrat d'agent commercial, l'a fait assigner, le 23 novembre 2015, devant le Tribunal de grande instance de Cusset, aux fins d'obtenir, au visa des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, la résiliation de ce contrat au torts de la société mandante, et la condamnation de celle-ci à lui verser une somme de 58 593,95 euros à titre de dommages et intérêts.

M. G. faisait valoir, au soutien de ses demandes, que la société Dental Dépôt, à la suite de son intégration au groupe Henry S., avait modifié unilatéralement l'objet du contrat, ainsi que la rémunération qui lui était due. Concernant l'objet du contrat M. G. exposait que la modification avait porté d'une part sur les produits à vendre : depuis mars 2015, les commandes qu'il obtenait sur les produits des marques Omnident et Proclinic n'étaient plus honorées, et d'autre part sur la possibilité désormais ouverte aux commerciaux de la société Henry S. de lui faire concurrence sur le secteur d'activité qui lui était attribué. Sur la rémunération : M.G. déclarait que celle-ci s'était trouvée modifiée, par le fait même de la modification de l'objet du contrat, dès lors qu'il n'avait plus la possibilité de proposer des remises commerciales, au contraire de ses concurrents les commerciaux de la société Henry S.

La société Dental Dépôt a conclu, devant le tribunal, au rejet de toutes les demandes de M. G., et a demandé elle-même, à titre reconventionnel, qu'il soit pris acte de la volonté de l'intéressé de voir son contrat résilié, et que cette résiliation soit prononcée à ses torts.

Elle exposait qu'elle n'avait commis aucune faute ou aucun acte de concurrence déloyale dans l'exécution du contrat, exécution qu'elle avait poursuivie normalement, selon les termes de l'acte contractuel, qui étaient restés inchangés. Elle déclarait que la suppression de deux marques ne pouvait constituer un manquement aux obligations conventionnelles, dès lors que le contrat ne précisait aucune marque de produits à commercialiser ; et qu'elle ne pouvait, d'ailleurs, empêcher l'activité des commerciaux de la société Henry S., société concurrente et indépendante.

Le tribunal de grande instance, suivant jugement contradictoire du 22 février 2016, a rejeté toutes les demandes des deux parties, au motif notamment que M. G. ne rapportait pas la preuve de fautes commises par la société mandante, pouvant fonder la résiliation du contrat aux torts de cette société, et que d'ailleurs aucune rupture des relations contractuelles n'était intervenue, qui permît de prononcer ou de constater la résiliation aux torts du mandataire.

M. G., par une déclaration reçue au greffe de la cour le 4 avril 2016, a interjeté appel total de ce jugement. Les deux parties ont régulièrement fait déposer des conclusions devant la cour, chacune d'elles reprenant les mêmes demandes qu'en première instance (la société Dental Dépôt ayant formé appel incident), et les mêmes moyens au soutien de ces demandes :

M. G. maintient que les conditions de son activité se sont trouvées modifiées, depuis l'intégration de la société mandante au groupe Henry S. (la société Henry S. détenant désormais la totalité des actions de la SARL BDS Dental) : M. G. ne peut plus, en pratique, proposer à la vente les produits des marques Omnident et Proclinic, qui désignent en fait des centrales d'achat, concurrentes du groupe Henry S. ; et surtout : les commerciaux de ce groupe lui font une concurrence déloyale sur son propre secteur, en proposant des références plus nombreuses, et en accordant d'importantes remises. Il fait valoir que les commandes Omnident et Proclinic qu'il a passées n'ont pas été honorées, et que ce comportement de la société mandataire contrevient à son obligation de loyauté, prévue à l'article L. 134-4 du Code de commerce.

La société Dental Dépôt conteste avoir procédé à une modification unilatérale des termes du contrat, rappelle que celui-ci ne stipule aucune marque, pour les produits à commercialiser, et prévoit au contraire que ces produits ont vocation à évoluer. Elle souligne que M. G. dispose aujourd'hui d'un nombre de références de produits beaucoup plus important qu'auparavant, et aussi d'un système logistique plus efficace ; que d'autre part la société Dental Dépôt et la société Henry S. restent des entités séparées, et que la première de ces sociétés, seule liée par contrat avec M. G., n'a pas à répondre du comportement de la seconde, de sorte l'activité des commerciaux de la société Henry S. ne peut être considérée comme une concurrence déloyale imputable à la société Dental Dépôt.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 juin 2017.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées en cause d'appel, le 29 mars et le 3 mai 2017.

Motifs de la décision :

Selon l'article L. 134-4 du Code de commerce, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel; et le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

Il convient d'examiner, à la lumière de ces règles, les griefs réciproques des parties, et en premier lieu ceux articulés par M. G., relatifs aux marques commercialisées, à des commandes qui n'auraient pas été honorées, et à la concurrence déloyale de salariés de la société Henry S.

Le contrat d'agent commercial conclu le 11 septembre 2009 entre la société Dental Dépôt et M. G. a continué d'être en vigueur à ce jour, puisque le projet d'avenant, que la société mandante avait proposé au mandataire en avril 2015, a été refusé par M. G.

Ce contrat du 11 septembre 2009 stipule que " Les produits que [M. G.] est chargé de vendre pour le compte du mandant sont les suivants : consommables et périphériques pour cabinets et laboratoires dentaires. Le mandat pourra également s'étendre à tous les nouveaux produits commercialisés par le mandant ". Le mandataire bénéficiait de l'exclusivité de la représentation du mandant auprès de la clientèle, pour les produits faisant l'objet du mandat.

Ces stipulations contractuelles ne précisent pas les marques des produits que le mandataire est chargé de vendre, puisqu'elles se limitent sur ce point à une définition formulée dans les termes généraux de " consommables et périphériques pour cabinets et laboratoires dentaires ", sans autre indication. Il s'ensuit que la société Dental Dépôt n'était pas tenue, ainsi qu'elle le fait valoir, de poursuivre son mandat sur tous les articles qu'elle proposait initialement ; il ne lui était pas interdit de retirer certaines marques de la vente, pourvu qu'elle continuât de remplir loyalement ses obligations, et de permettre à M. G. de poursuivre l'exercice de son mandat.

À cet égard la société mandataire expose que, si elle a certes retiré de la vente (et des articles faisant l'objet du mandat donné à M. G.) les produits des marques Omnident et Proclinic, que ne commercialise pas son fournisseur le groupe Henry S., les autres produits qu'elle propose à la vente depuis cette modification (intervenue au cours de l'année 2015) restent en réalité, pour la plupart, les mêmes qu'auparavant, et que ce groupe offre à la vente 59 369 références, de sorte que " M. G. dispose aujourd'hui de bien plus de références " qu'auparavant.

M. G. ne conteste pas ces affirmations précises de la société mandante, affirmations dont il ressort que le retrait des produits des marques Omnident et Proclinic a été compensé, et au-delà, par l'apport d'autres produits ; M. G. ne rapporte aucune preuve de ce que la substitution, pour les produits de laboratoire (de prothésiste dentaire), d'un catalogue Henry S. au catalogue BDS Dental qu'il détenait auparavant, ait eu des conséquences dommageables sur son activité ; sur ce point d'ailleurs, la société Dental Dépôt réplique qu'en réalité, M. G. n'a " jamais utilisé les catalogues de références " de cette société, fait qu'il ne conteste pas.

Il n'apparaît donc pas que la société Dental Dépôt, en retirant les dites marques des produits offerts à la vente, ait contrevenu aux termes du contrat conclu entre les parties, ni qu'elle en ait modifié les termes, ou qu'elle ait manqué à son devoir de loyauté envers son mandataire.

Sur la concurrence qualifiée de déloyale : la société Dental Dépôt, comme elle l'expose à juste raison, n'a aucune autorité sur la société Henry S., dont elle reste juridiquement distincte et même concurrente, malgré la prise de participation de la seconde dans la première (à 100 % selon M. G., fait non contesté) ; la qualité d'actionnaire unique, qui n'équivaut pas à une fusion (laquelle aurait impliqué la création d'une seule entité), n'a pas pour effet de transférer à la société Henry S. les obligations de la société Dental Dépôt envers M. G., notamment celles d'exclusivité et de loyauté. M. G. ne peut donc reprocher, à la société Dental Dépôt, la présence sur son secteur géographique de commerciaux salariés de la société Henry S., d'autant que, selon la société Dental Dépôt, ces commerciaux concurrents exerçaient déjà leur activité dans ce secteur avant même le rachat des parts de la société mandante, intervenu en 2015.

La société Dental Dépôt n'a d'ailleurs pas manqué à son obligation de mandat exclusif, M. G. ne contestant pas que, comme elle l'affirme, il est resté jusqu'à ce jour son seul agent commercial sur le secteur géographique qui lui est imparti.

M. G. se plaint d'autre part de ce que la société Henry S. autoriserait ses commerciaux à pratiquer des remises importantes, de l'ordre de 30 à 40 % des prix, sur les produits référencés Henry S. ; M. G. présente en ce sens une facture émise par la société Henry S. le 16 avril 2015, mentionnant des remises de 25 %, opérées sur certains des articles vendus (par l'intermédiaire de son salarié M. Gérard D.) au docteur D. DE LA F., à Vichy, et une autre facture établie quant à elle par la société Dental Dépôt, le 10 mars 2015 pour une vente de produits faite au même praticien, par l'intermédiaire de M. G., et qui ne mentionnait quant à elle aucune remise.

La société Dental Dépôt se devait certes, le cas échéant, de prendre des mesures concrètes pour permettre à son mandataire de pratiquer des prix concurrentiels, par rapport à ceux pratiqués par la société Henry S., afin de le mettre en mesure d'exercer son mandat (Cass. com. 24 novembre 1999 n° 96-18357) ; cette société ne conteste pas expressément l'affirmation de M. G., selon laquelle il n'a pas la possibilité de consentir des remises, comme le font ses concurrents salaries de la société Henry S. ; la société Dental Dépôt produit cependant aux débats un catalogue 2015 et son catalogue 2017 (pieces n° 6 et 7), qui mentionnent, pour un grand nombre d'articles (soit du matériel, soit des articles " consommables "), des remises comprises entre 20 et 35 % du prix, voire davantage. Ces catalogues tendent à contredire l'affirmation de M. G., sur l'impossibilité pour lui de consentir des remises comparable à celles de ses concurrents ; ce manquement n'apparaît donc pas établi.

Il n'est pas non plus établi, par ailleurs, que la société Dental Dépôt se soit délibérément refusée à honorer certaines commandes passées par l'intermédiaire de M. G. : celui-ci ne produit sur ce point qu'un bon de commande établi le 3 mars 2015 au nom de la SCM P. & B., de Digoin, et une facture émise au nom de ce client par la société Dental Dépôt le 9 mars 2015, portant certes sur une livraison d'autres articles que ceux énumérés sur le bon de commande, mais alors que la facture vise une commande faite le 9 mars 2015, et non le 3 de ce mois, ce qui laisse paraître que la facture ne correspond pas au bon de commande présenté, mais à une autre commande.

Il est établi en revanche qu'un achat conclu par l'intermédiaire de M. G. a été attribué à tort, sur la facture, à un autre intermédiaire, M. Gérard D. : cette anomalie est attestée par le docteur R.-B. chirurgien-dentiste à Bellerive-sur-Allier (attestation informelle mais sur papier à en-tête du 8 juin 2016), et par la facture émise par la société Henry S. le 27 mai 2016, indiquant que la vente aurait été conclue par le représentant de cette société M. D. L'anomalie ainsi constatée peut cependant provenir d'une simple erreur ponctuelle, et ne démontre pas, à elle seule, une volonté délibérée de la société Dental Dépôt de se soustraire à ses obligations, en termes de commissions, envers M. G. ; elle révèle certes, en revanche, une confusion d'activité entre les deux sociétés, confusion dont M. G. présente d'autres indices, notamment un courriel du 1er avril 2015, que lui a envoyé directement le contrôleur financier de la société Henry S., pour lui communiquer son chiffre d'affaires de mars 2015 - alors qu'il n'existe aucun lien de droit entre M. G. et cette société.

Cependant, cette confusion dans certains aspects de l'activité commerciale des deux sociétés, par suite de l'intégration de la société Dental Dépôt dans le groupe Henry S., n'a pas en elle-même porté de préjudice certain à M. G., et n'a pas eu pour effet de rendre la société Dental Dépôt responsable des faits et décisions de la société Henry S. ; M. G. n'est pas fondé à soutenir, comme il le fait en page 12 de ses conclusions, qu'il n'aurait " plus aucun contact avec " la société mandante depuis le 16 février 2015 : les messages qu'il a échangés, en avril 2017, avec le dirigeant de cette société et qu'il produit lui-même aux débats, prouvent le contraire ; et ce dirigeant social, M. Dany T., a donné une réponse précise et argumentée au reproche que lui faisait M. G., de ne pas le tenir informé de certaines actions (l'envoi de prospectus à des clients, l'absence d'invitation à des réunions), grief auquel M. T. a répliqué qu'il ne s'estimait responsable d'aucune rétention d'information, et que les difficultés provenaient 'peut-être d'un manque de curiosité' de la part de M. G. Cette réponse souligne, outre l'absence de preuve d'un défaut d'information imputable à la société Dental Dépôt, la réalité du maintien de l'autonomie de celle-ci, et d'un dialogue continu entre le mandataire et les instances dirigeantes de la société mandante.

En définitive, aucun des manquements que M. G. reproche à la société adverse n'est donc établi. Au surplus, M. G. ne justifie d'aucun préjudice, puisque le volume de ses rémunérations s'est maintenu, pendant les années 2015 et 2016, à un niveau comparable à celui des années précédentes.

C'est donc à bon droit que le tribunal a rejeté toutes ses demandes, le jugement sera confirmé de ce chef.

La société Dental Dépôt n'est d'ailleurs pas fondée à demander qu'il soit pris acte de la cessation du contrat de mandat à l'initiative du mandataire, ou que la résiliation soit prononcée " à l'initiative de M. G. ", puisque celui-ci n'a demandé que la résiliation aux torts de la mandante, et que de fait, le mandat continue de s'exécuter. La société Dental Dépôt ne justifie d'ailleurs d'aucun préjudice lui ouvrant droit à dommages et intérêts. Le jugement sera encore confirmé sur ce point, ainsi qu'en ses dispositions portant sur les frais d'instance.

Il est conforme à l'équité d'allouer à la société intimée une somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, pour les frais d'instance qu'elle a exposés en cause d'appel.

Par ces motifs : Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, condamne M. Yann G. à payer à la SARL BDS Dental Dépôt une somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne M. G. aux dépens de l'appel.