Livv
Décisions

CA Saint-Denis de la Reunion, ch. com., 13 septembre 2017, n° 16-00519

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Gibaud (SAS)

Défendeur :

Soranzo

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

President :

Mme Karrouz

Conseillers :

Mmes Vallée, Rouge

Avocats :

Mes Mardenalom, Novel, Nicolas

T. com. mixte Saint-Denis, du 15 févr. 2…

15 février 2016

FAITS ET PROCEDURE

La société Gibaud est une société spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits orthopédiques.

Aux termes d'un contrat d'agent commercial du 9 février 1993, la société Gibaud confiait à Monsieur Soranzo la prospection exclusive de la clientèle "médecins et pharmaciens" sur le secteur de l'île de la Réunion en vue du placement de ses articles.

En 2012, les relations entre les parties se sont dégradées, Monsieur Soranzo reprochant à la société Gibaud de violer la clause d'exclusivité stipulée au contrat d'agent commercial.

Par courrier du 24 septembre 2012, Monsieur Soranzo a notifié à la société Gibaud qu'il envisageait de cesser ses relations contractuelles avec elle du fait de l'exécution fautive du contrat par la société Gibaud

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 29 janvier 2013, la société Gibaud a notifié à Monsieur Soranzo la rupture sans indemnité ni préavis du contrat pour faute grave.

C'est dans ces conditions que par acte d'huissier du 16 janvier 2014, Monsieur Soranzo a fait assigner la société Gibaud devant le Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion, aux fins de voir la société Gibaud condamnée, avec exécution provisoire, à :

- lui communiquer sous astreinte les chiffres d'affaires réalisés entre le 1er novembre 2012 et le 29 janvier 2013,

- lui payer les sommes suivantes :

. 20 818, 77 € au titre de l'indemnité de préavis

. 317 194, 89 € au titre de l'indemnité de rupture

. 400 000 € à titre de dommages et intérêts

. 10 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 15 février 2016, cette juridiction a :

- dit que la résiliation du contrat d'agent commercial est intervenue sans faute grave de Monsieur Soranzo,

- condamné la société Gibaud à payer à Monsieur Soranzo la somme de 20 818, 77 € au titre du préavis, celle de 160 000 € au titre de l'indemnité compensatrice et celle de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté Monsieur Soranzo du surplus de ses demandes,

- condamné la société Gibaud aux dépens.

Par déclaration enregistrée au greffe le 24 mars 2016, la société Gibaud a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées par voie électronique le 13 février 2017, la société Gibaud demande à la cour, au visa des articles L. 134-13 et suivants du Code de commerce, de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 février 2016,

Statuant à nouveau, à titre principal, débouter Monsieur Soranzo de l'intégralité de ses prétentions,

À titre subsidiaire, réduire dans de plus justes proportions les sommes allouées à Monsieur Soranzo,

En tout état de cause, condamner Monsieur Soranzo à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées au greffe le 10 février 2017, Monsieur Soranzo demande à la cour, au visa des articles 1134 du Code civil et L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de :

- confirmer partiellement le jugement du tribunal mixte de commerce du 15 février 2016 en ce qu'il a dit que la résiliation du contrat d'agent commercial est intervenue sans faute grave de Monsieur Soranzo, condamné la société Gibaud à payer diverses sommes au titre du préavis, de l'indemnité compensatrice et des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, rejeté toutes les prétentions de la société Gibaud,

Y ajoutant, dire et juger recevable l'appel incident de Monsieur Soranzo,

- infirmer partiellement le jugement du 15 février 2016 sur le montant des indemnités accordées,

Statuant à nouveau, dire et juger que la rupture du contrat d'agent commercial est intervenue abusivement aux torts de la société Gibaud,

En conséquence, faire injonction à la société Gibaud de lui communiquer les chiffres d'affaires réalisés sur les pharmacies de l'île de la Réunion et notamment le groupe PGR sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir et ce afin de lui permettre de calculer les commissions qui lui sont dues à ce titre pour en obtenir le paiement,

- condamner la société Gibaud à lui payer le reliquat des commissions qui lui sont dues,

- condamner la société Gibaud à lui payer une indemnité de préavis de trois mois soit 20 818, 77 € à parfaire une fois connu les chiffres des mois de novembre et décembre 2012,

- condamner la société Gibaud à lui payer une indemnité de rupture équivalente compte tenu de son ancienneté, au montant des commissions brutes des quatre dernières années soit 317 194, 89 € à parfaire une fois connus les chiffres des mois de novembre et décembre 2012,

- condamner la société Gibaud à lui payer la somme de 400 000 € à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Gibaud à lui payer la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2017.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la cessation du contrat d'agent commercial

Aux termes des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'article L. 134-13 précise que la réparation prévue à l'article précité n'est pas due dans les cas suivants :

La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial,

La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée.

Sur l'initiative de la rupture contractuelle

En l'espèce, la société Gibaud soutient à titre principal que :

Par courrier recommandé du 24 septembre 2012, Monsieur Soranzo lui a clairement notifié qu'il entendait mettre fin à son contrat d'agent commercial et lui a fait diverses propositions transactionnelles, que la cessation des relations contractuelles résulte donc de l'initiative de Monsieur Soranzo et qu'elle n'a, dans son courrier du 29 janvier 2013, que pris acte de la résiliation notifiée par l'intimé en septembre 2012.

Or, dans son courrier du 24 septembre 2012, Monsieur Soranzo, arguant de l'inexécution fautive par le mandant de son obligation contractuelle d'exclusivité, informait la société Gibaud qu'il " envisageait " de cesser les relations contractuelles et lui demandait de le " rétablir dans son droit initial d'exclusivité ". Il précisait en outre qu'à l'expiration des 3 mois de préavis faisant suite à sa " démission éventuelle ", il serait libre d'offrir ses services à la concurrence.

Il résulte donc des termes de ce courrier que Monsieur Soranzo envisageait simplement de rompre le contrat si la violation alléguée de la clause d'exclusivité ne cessait pas. Aucune rupture contractuelle ne découle donc des termes ce courrier.

C'est au contraire, la société Gibaud qui, par courrier recommandé du 29 janvier 2013, a notifié à Monsieur Soranzo la cessation immédiate du contrat d'agent commercial, précisant que cette résiliation étant fondée sur une faute grave, et qu'elle n'ouvrait pas lieu à versement de la moindre indemnité ni préavis.

Il s'en déduit que la rupture du contrat d'agent commercial est intervenue à l'initiative de la société Gibaud

Sur l'existence d'une faute grave privative du droit à indemnité

Il est constant que la faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

Dans son courrier de résiliation du 29 janvier 2013, la société Gibaud reproche à Monsieur Soranzo deux séries de griefs : d'une part, l'irrespect de ses obligations contractuelles, d'autre part, la mésentente infondée et artificiellement créée par Monsieur Soranzo

Sur le premier grief, la société Gibaud fait valoir que Monsieur Soranzo n'a pas respecté son obligation de lui fournir un rapport d'activité bi-mensuel.

Cependant, s'il est vrai que l'article 3 du contrat d'agent commercial mentionne que " Monsieur Soranzo fournira à Gibaud SA un rapport d'activités bimensuel mentionnant les visites réalisées tant auprès des médecins que des pharmaciens ", il est constant que pendant vingt ans, la société Gibaud n'a pas réclamé à Monsieur Soranzo de tels rapports et que ce n'est qu'à compter de 2012, soit quand les relations entre les parties se sont dégradées, que l'appelante a demandé les rapports bimensuels.

Il s'ensuit que ce manquement contractuel ne caractérise pas une faute grave de l'agent.

Sur le second grief, la société Gibaud expose que Monsieur Soranzo a artificiellement créé une mésentente entre les parties en affirmant à tort qu'elle violait la clause d'exclusivité prévue au contrat du fait, d'une part, du référencement de la société Gibaud par le groupement de pharmacies PGR et, d'autre part, de la mise à disposition d'une visiteuse médicale par la société Prespharm.

Concernant le premier point, Monsieur Soranzo reproche à la société Gibaud son partenariat avec le Groupement PGR et son absence de commissionnement en découlant.

Or, d'une part, Monsieur Soranzo était parfaitement informé du partenariat de la société Gibaud avec le groupement PGR et se prévaut même d'avoir contribué directement à la mise en place de ce partenariat. D'autre part, la société Gibaud a toujours reconnu le droit à commission de Monsieur Soranzo sur le chiffre d'affaires qui serait réalisé avec le groupement PGR.

Concernant le second point, il ressort des pièces versées aux débats qu'en 2012, la société Gibaud a, par l'intermédiaire de la société Prespharm, recruté une visiteuse médicale, Madame Serrado, chargée de présenter et promouvoir les produits Gibaud auprès des médecins et pharmacies que Monsieur Soranzo ne couvrait pas.

Monsieur Soranzo affirme de son côté que Madame Serrado était une concurrente et qu'il ne bénéficiait d'aucun droit à commission sur le chiffre d'affaires généré par cette dernière.

Or, l'examen des pièces produites montre que Monsieur Soranzo, non seulement avait accepté le recrutement d'une visiteuse médicale, mais aussi " souhaitait avoir une personne pour faire de la visite auprès des médecins qui sont autour des pharmacies travaillant avec Gibaud pour renforcer la force de vente et ensuite faire de la visite autour des pharmacies qui ne travaillent pas avec Gibaud " (courriel de Monsieur Soranzo du 26 juin 2012).

Il ressort même du courriel du 18 mai 2012 adressé par Madame Serrado à la société Gibaud selon lequel " Suite aux bons conseils de Monsieur Soranzo, voici mon CV pour un poste de visiteuse médicale et pharmaceutique à la Réunion ", que Monsieur Soranzo avait lui-même conseillé à une visiteuse médicale de postuler auprès de la société Gibaud pour le poste à pourvoir.

Monsieur Soranzo est donc mal fondé à se plaindre d'une situation dont il avait connaissance, qu'il avait accepté et même souhaité.

En outre, il résulte des échanges entre les parties que la société Gibaud a toujours assuré à Monsieur Soranzo que l'intervention de Madame Serrado ne lui serait pas préjudiciable et qu'il serait commissionné sur les ventes réalisées grâce à la visiteuse médicale; que courant 2013, Monsieur Soranzo a d'ailleurs perçu des commissions sur la base de commandes obtenues par Madame Serrado fin 2012.

Il résulte de ce qui précède que Monsieur Soranzo ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la faute de la société Gibaud

Il est constant qu'à la suite des griefs exprimés par Monsieur Soranzo à l'encontre de la société Gibaud, une mésentente s'est installée à compter de 2012 et les relations entre les parties se sont dégradées.

La société Gibaud estime que Monsieur Soranzo a créé un faux contentieux rendant impossible la poursuite des relations contractuelles, ce qui constitue une faute grave privant l'agent du droit à l'indemnité compensatrice.

Cependant, l'indépendance de l'agent commercial l'autorise à présenter au mandant des observations sur l'exercice de sa mission et des critiques, même formulées en termes vifs.

La faute grave n'étant pas démontrée en l'espèce, il n'y a pas lieu de priver Monsieur Soranzo du paiement de l'indemnité compensatrice.

La société Gibaud sera donc déboutée de ce chef.

Sur les préjudices

Sur le paiement des commissions

Monsieur Soranzo sollicite la communication sous astreinte des chiffres d'affaires réalisés avec le groupement PGR et Madame Serrado pour les mois de novembre et décembre 2012.

Cependant, il résulte de la pièce produite par l'intimé lui-même, intitulée " Relevé de compte de commissions 4e trimestre 2012 " que M. Soranzo a été commissionné sur des ventes intervenues en novembre 2012.

La pièce 30 de l'intimé démontre que ce dernier a également perçu des commissions sur des ventes intervenues en décembre 2012.

Enfin, par courrier en réponse à la lettre adressée par la société Gibaud le 22 juillet 2013 sur le solde de ses commissions, M. Soranzo répond " Je vous remercie pour le dernier règlement de mes commissions pour le solde de tout compte ".

M. Soranzo ne démontrant pas l'existence de commissions impayées, il sera débouté de sa demande de communication de pièces.

Sur l'indemnité compensatrice

M. Soranzo sollicite la somme de 317 194, 89 € sur la base du montant des commissions brutes des quatre dernières années.

Le principe de l'indemnité est acquis en vertu de l'article L. 134-13 du Code de commerce du seul fait de la cessation du contrat au profit de l'agent qui ne peut être privé de sa part dans la valeur commune, qui est la finalité du mandat d'intérêt commun.

La cessation du contrat prive l'agent de son pouvoir de représentation de la part de marché des produits du mandant qu'il avait conquise ou maintenue et du potentiel de commissions généré par son activité, de sorte que la cessation du contrat constitue en soi un préjudice qui doit être indemnisé.

L'indemnité s'analyse comme le rachat par le mandant qui a pris l'initiative de la rupture de la valeur du mandat qui constitue l'élément incorporel essentiel de l'activité de l'agent;

Aucune faute grave n'a été retenue au cas d'espèce.

Si les juges du fond ont un pouvoir souverain de fixation du montant de l'indemnité, il est d'un usage constant de la chiffrer l'indemnité à la valeur de deux années de commissions brutes et de la calculer soit en additionnant les recettes des deux dernières années d'exercice du contrat, soit en faisant la moyenne des recettes des trois dernières années et en multipliant le résultat par deux.

M. Soranzo ne fournit aucun élément chiffré permettant de calculer ladite indemnité.

Néanmoins, il ressort des pièces versées par la société Gibaud (attestation de l'expert-comptable de la société Gibaud indiquant le montant des commissions versées à M. Soranzo des années 2010 à 2013, les factures de commissions des années 2010 à 2013 et la justification bancaire des paiements faits à M. Soranzo) que la moyenne annuelle des commissions versées par la société Gibaud à M. Soranzo sur les trois dernières années, soit 2010-2011-2012, était de 63 493, 32 euros.

Le montant de l'indemnité de rupture sera donc évalué à la somme de 126 986,64 euros.

Sur l'indemnité de préavis

Compte tenu de ce qui précède, M. Soranzo a droit à la somme de 15 873,33 euros au titre de l'indemnité de préavis de trois mois.

Sur les dommages et intérêts

M. Soranzo n'ayant pas prouvé la faute de la société Gibaud, il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

La société Gibaud, succombant, sera condamnée aux dépens.

L'équité commande de condamner la société Gibaud au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par décision contradictoire, en matière civile, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du Code de procédure civile, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Gibaud à payer à Monsieur Soranzo la somme de 20 818,77 € au titre du préavis, celle de 160 000 € au titre de l'indemnité compensatrice ; Statuant à nouveau, Condamne la société Gibaud à payer à M. Patrick Soranzo les sommes de : - 126 986,64 euros au titre de l'indemnité compensatrice, - 15 873,33 euros au titre de l'indemnité de préavis ; Confirme le jugement entrepris pour le surplus ; Y ajoutant, Condamne la société Gibaud à payer à M. Patrick Soranzo la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Gibaud aux dépens.