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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 21 septembre 2017, n° 15-09732

LYON

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Sakura France Service (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Devalette

Conseillers :

Mme Homs, M. Bardoux

T. com. Lyon, du 18 nov. 2015

18 novembre 2015

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SAS L. Traiteur (L.) fournissant depuis 2012 des produits surgelés à la S.A.R.L. Sakura France Service (Sakura), lui a proposé de la commissionner sur les ventes qu'elle réaliserait en direct sur les clients de cette enseigne de restauration rapide.

Elles ont conclu le 22 février 2013 un contrat à durée déterminée de 5 années, à compter du 1er mars 2013, assurant à la société Sakura le paiement d'une commission selon un barème progressif en fonction du chiffre d'affaires réalisé.

Ce contrat a été exécuté jusqu'au 9 décembre 2014, date à laquelle la société L. a contesté le barème contractuel, et refusé de payer deux factures.

Par courrier du 17 février 2015, la société L. annonce à son partenaire qu'elle va céder son activité de traiteur de produits de la mer, et qu'elle envisage de mettre fin au contrat d'agent commercial rétroactivement au 31 décembre 2014, moyennant un dédommagement limité.

Le 3 mars 2015, puis le 20 mars 2015, la société Sakura a contesté cette décision et a mis la société L. en demeure de lui régler ses factures.

La société Sakura l'a assignée en paiement, à bref délai, par acte du 18 mai 2015.

Par jugement en date du 18 novembre 2015, auquel il est expressément fait référence pour plus de précisions sur les faits, les prétentions et moyens des parties, le Tribunal de commerce de Lyon a statué ainsi :

" Juge valide le contrat d'agent commercial conclu le 22 février 2012 entre la société Sakura France Service et la société L. Traiteur, et dit qu'il constitue la loi des parties,

Condamne la société L. Traiteur à payer à la société Sakura France Service 11 594 € HT au titre des factures n° 1480 et n° 1532 augmentée du taux d'intérêts contractuel de 1,5 % à compter de la date des dites factures, outre l'indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 € prévue par le décret du 2 octobre 2012,

Condamne la société L. Traiteur à payer à la société Sakura France Service la somme de 48 656 € HT à titre d'indemnité compensatrice de résiliation du contrat d'agent commercial,

Condamne la société L. Traiteur à payer à la société Sakura France Service la somme de 145 968 € à titre de réparation du préjudice né de la résiliation anticipée d'un contrat à durée indéterminée,

Condamne la société L. Traiteur à payer à la société Sakura France Service la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat,

Rejette la demande de la société L. Traiteur de se voir payer la somme de 6 878,10 € au titre des frais de transport et d'emballage,

Déboute la société L. Traiteur de l'ensemble de ses autres demandes fins et prétentions,

Condamne la société L. Traiteur à payer à la société Sakura France Service la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la société L. Traiteur aux dépens,

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution."

Par déclaration reçue le 22 décembre 2015, la société L. a interjeté appel de ce jugement.

Cette société a été placée en liquidation judiciaire le 6 janvier 2016.

Dans le dernier état de leurs conclusions (récapitulatives) déposées le 21 novembre 2016, la société L. et la Selarl MJ Synergie, intervenue volontairement en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société L., demandent à la cour de :

- constater l'intervention volontaire de la Selarl MJ Synergie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société L. Traiteur,

- la déclarer recevable et bien fondée,

- réformer la décision entrepris en toutes ses dispositions,

- à titre reconventionnel, condamner la société Sakura France Service à verser à la Selarl MJ Synergie la somme de 6 878,10 €,

- condamner la société Sakura France Service à verser à la Selarl MJ Synergie la somme de 100 000 € au titre des commissions indument perçues,

- condamner la société Sakura France Service à verser à la Selarl MJ Synergie la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Sakura France Service à verser à la Selarl MJ Synergie la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La Selarl MJ Synergie, excipant de l'article 1156 du Code civil, soutient que le contrat de collaboration tripartite précise que la société L. devait apporter des clients à la société EB et à la société Sakura alors que dans le cadre du contrat d'agent commercial, la société Sakura entendait assurer la représentation des produits commercialisés par la société L.

Elle reproche à la société Sakura de n'avoir en réalité jamais apporté le moindre contrat à la société L., alors que cette dernière n'est pas à l'origine de la rupture du contrat du fait de sa volonté de céder son activité mais a proposé amiablement de souscrire un nouveau contrat, à défaut pour la société Sakura d'exercer son mandat.

Elle conteste les demandes indemnitaires de la société Sakura qui ne peut se prévaloir du préjudice qu'elle a elle-même causé, en provoquant la rupture.

Elle réclame le remboursement des commissions versées à la société Sakura qui n'a accompli aucune démarche de représentation commerciale pour les années 2013 et 2014, ainsi qu'une indemnisation au titre du dénigrement réalisé par la société Sakura depuis l'abandon de collaboration, et au titre de l'utilisation, sans autorisation, de photographies du catalogue de la société L. sur les plaquettes transmises aux établissements Leclerc.

Dans le dernier état de ses écritures (récapitulatives) déposées le 16 novembre 2016, la société Sakura demande à la cour de :

- débouter la Selarl MJ Synergie de toutes ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a limité l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial à la somme de 48 656 € HT,

- statuant à nouveau sur ce point, juger que le préjudice de Sakura résultant de la résiliation par L. Traiteur du contrat d'agent commercial s'établit à 97 312 € HT,

- fixer la créance de Sakura au passif de la société L. Traiteur à la somme de 279 875 € hors taxe se décomposant comme suit :

' 97 312 € HT à titre d'indemnité en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation du contrat d'agent commercial,

' 145 968 € HT à titre d'indemnité en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation anticipée du contrat d'agent commercial à durée déterminée,

' 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour résiliation abusive du contrat d'agent commercial,

' 11 594 € HT au titre des factures n° 1480 et n° 1532, augmentée du taux d'intérêt contractuel de 1,5 %, outre l'indemnité forfaitaire de recouvrement d'un montant de 40 € prévue par le décret n° 2012-1115 du 2 octobre 2012,

' 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

' les dépens de première instance,

- condamner la Selarl MJ Synergie à verser à la société Sakura la somme de 25 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure de première instance et d'appel.

La société Sakura fait valoir que le contrat d'agent commercial n'est pas contradictoire avec le contrat de collaboration tripartite de sorte qu'aucune confusion ne peut être réalisée, le contrat de collaboration étant extérieur à la cause.

Elle estime que le contrat d'agent commercial a régulièrement été exécuté par les parties, la société L. ayant réalisé un chiffre d'affaires grâce à l'intervention ou l'entremise de la société Sakura, justifiant le règlement des commissions.

Elle affirme que ce contrat a été résilié de fait au 31 décembre 2014 par la société L., suivant lettre du 17 février 2015, motivant sa réclamation au titre de l'indemnité légale de résiliation, d'une indemnité pour résiliation anticipée du contrat à durée déterminée.

Elle se prévaut d'une rupture abusive du contrat par la société L. bien avant le terme contractuel prévu, qui l'a menacée de placer la société en liquidation judiciaire si elle ne se pliait pas à ses exigences.

Elle réclame le paiement des factures impayées au titre des mois de novembre et décembre 2014.

Pour satisfaire aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties à la décision entreprise et aux conclusions récapitulatives régulièrement déposées et ci-dessus visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu qu'aux termes de l'article 954 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions figurant au dispositif des dernières écritures récapitulatives des parties et " les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées. ";

Attendu que l'intervention volontaire de la Selarl MJ Synergie, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société L., pour avoir été une des conditions impératives de la reprise d'instance, n'est en rien contestée dans sa recevabilité ;

Que les développements opérés par le liquidateur judiciaire de la société appelante sur les saisines d'autres juridictions que celle ayant rendu le jugement entrepris et de cette cour sont inopérants à déterminer le bien fondé des prétentions respectives ;

Sur les prétentions formées par la société Sakura

Attendu que si aux termes de l'article 1156 ancien du Code civil, il appartient au juge de rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes, cette interprétation ne peut conduire à la dénaturation des termes clairs édictant la loi des parties ;

Attendu que le contrat de collaboration signé entre la société EB Formation et les sociétés Sakura et L., non daté, mentionne que cette dernière société " est intéressée pour participer au concept sushis en tant que fournisseur de riz et consommables frais et surgelés nécessaires à la fabrication de sushis traditionnels " alors que son objet est défini comme devant " régir les conditions de la collaboration commerciale décidée entre EB, Sakura et L. Traiteur SARL. " ;

Que le fait que cette dernière société soit désignée dans ce contrat comme " dans la mesure du possible, désigné fournisseur du riz et consommables frais et surgelés nécessaires à la fabrication de sushis traditionnels. " n'est en rien contraire au contrat d'agent commercial par ailleurs signé entre deux de ces partenaires, comme les modes respectifs de facturation stipulés dans ces deux contrats ;

Attendu que le contrat d'agent commercial vise en effet la collaboration déjà en cours entre les sociétés EP Formation et Sakura pour l'implantation de " kiosques clef en main " de vente de sushis dans la grande distribution ;

Attendu que, le contrat d'agent commercial ne prévoyant aucune obligation de développement commercial en dehors de ces kiosques mis en place par la société EB Formation, les premiers juges ont retenu à bon droit, par des motifs que la cour adopte pour le surplus, que les sociétés Sakura et L. s'étaient entendues pour que la première perçoive une commission sur les matières premières fournies par la seconde ;

Que le liquidateur judiciaire appelant ne tente d'ailleurs pas de revendiquer qu'il soit remis en cause d'une manière ou d'une autre, en dehors de la résiliation anticipée dont sa liquidée s'est prévalue et ne formule aucune prétention touchant à sa validité, ne faisant que conclure en cause d'appel implicitement au débouté de celles adverses ;

Attendu que les deux factures réclamées par la société Sakura ne sont pas contestées dans leur quantum, l'argumentation touchant particulièrement à sa propre analyse actuelle de l'opportunité alors choisie par sa liquidée de rémunérer pour chaque fourniture de matières premières celle qui lui a permis de s'intégrer dans l'approvisionnement de ces " kiosques à sushis " ;

Que les déductions revendiquées au titre des frais d'emballage et de transport, insusceptibles de constituer selon la société L. l'assiette des commissions, constituent le fondement d'une demande reconventionnelle étudiée plus bas ;

Attendu que ces factures ayant été visées dans la déclaration de créances de la société Sakura (sa pièce 30), il convient de fixer au passif chirographaire de la liquidation judiciaire de la société L. une créance de 11 594 € HT à leur titre, outre les intérêts et indemnités prévus dans le jugement entrepris ;

Attendu que les termes de l'article L. 134-12 du Code de Commerce ont conduit les premiers juges à faire droit à l'indemnisation de la société Sakura au titre de la rupture du contrat d'agent commercial, dont le principe même avait été reconnu dans le courrier de résiliation qui proposait un montant de 40 000 € ;

Que cette indemnité n'est en rien édictée comme forfaitaire et doit correspondre au préjudice subi par l'agent, le jugement entrepris ayant retenu à bon droit, compte tenu des contours mêmes de l'intervention effective de la société Sakura que la somme de 48 656 € HT en constituait une indemnisation intégrale ;

Attendu que si la sanction même de la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée ne pouvait venir minorer cette indemnisation, la propre décision de la société Sakura, dans le cadre d'un courrier du 27 mars 2014, de mettre fin à compter du 28 mai suivant au contrat de collaboration tripartite, ne pouvait la conduire à invoquer un préjudice supérieur au titre d'un contrat d'agent commercial directement adossé à cette collaboration ;

Que ce montant, régulièrement déclaré, doit ainsi être inscrit au passif chirographaire de la liquidation judiciaire de la société L. ;

Attendu que s'agissant de la fin prématurée du contrat à durée déterminée, pour laquelle la société L. n'a pas tenté d'affirmer ni de justifier de ce qu'elle était uniquement consécutive au comportement contractuel de la société Sakura, la mandante demeurait tenue d'honorer son engagement jusqu'à son expiration, le préjudice de l'agent ne pouvant résulter que des commissions non perçues durant la période subsistante ;

Que le montant revendiqué par la société intimée, retenu en première instance, n'est pas critiqué dans son quantum par le liquidateur judiciaire de la société L., et doit dès lors être inscrit au passif chirographaire de cette liquidation ;

Attendu que s'agissant de l'abus de droit avancé comme commis par la société L. dans sa décision de mettre fin prématurément au contrat, les circonstances relatées dans son courrier, tendant à ce que le repreneur de son activité " produits de la mer " prenne sa suite dans le cadre de la fourniture des matières premières à la société Sakura, ont conduit les premiers juges à le retenir à bon droit comme à en indemniser l'agent commercial à hauteur de 10 000 €, ce montant devant également être fixé au passif chirographaire de la liquidation judiciaire de la société L. ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société L.

Attendu que, s'agissant du remboursement des commissions perçues par la société Sakura, il a déjà été motivé plus haut que le liquidateur judiciaire de la société appelante n'a en rien saisi la cour de prétentions tendant à une nullité ou une résolution du contrat d'agent commercial et n'a argué que de l'absence de plus-value de l'intervention de son partenaire commercial sans pour autant caractériser les obligations contractuelles qu'elle n'aurait pas respectées ;

Qu'en cet état de l'absence de remise en cause d'une loi des parties qui a reçu application, cette prétention dépourvue de fondement juridique ne pouvait qu'être rejetée ;

Attendu que la décision entreprise, qui n'a pas été critiquée sur ce point, a retenu par ailleurs que la demande présentée au titre de frais d'emballage et de transport, non soutenue en appel par des pièces pertinentes visées dans les écritures de l'appelante, n'avait pas à être prise en compte dans le calcul des commissions ;

Que la pièce 4 qu'elle vise est insusceptible de caractériser l'existence d'une telle créance ;

Attendu que, s'agissant de l'utilisation par la société Sakura du catalogue de la société L., la seule pièce 11 visée par son liquidateur judiciaire, constituée de quatre pages où le logo Sakura apparaît sur la première, aucune de ses mentions ne permet d'identifier que 'des visuels de la société L.' aient été utilisés, point qui est contesté ;

Que la décision entreprise doit être confirmée en ce qu'elle a également rejeté ces prétentions ;

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Attendu que la société appelante succombant totalement en son appel doit en supporter les dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Attendu que l'équité commande de décharger la société intimée des frais irrépétibles engagés dans la présente instance et de condamner la Selarl MJ Synergie, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société L., à lui verser une indemnité de 2 500 €;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la SAS L. Traiteur au paiement de différentes sommes, et statuant à nouveau sur ces prétentions de la S.A.R.L. Sakura France Service du fait de la liquidation judiciaire prononcée à son encontre : Fixe au passif chirographaire de la SAS L. Traiteur les créances suivantes de la S.A.R.L. Sakura France Service : - 11 594 € HT au titre des factures n° 1480 et n° 1532, augmentée du taux d'intérêts contractuel de 1,5 % à compter de la date des factures jusqu'au jugement d'ouverture, outre l'indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 € prévue par le décret du 2 octobre 2012, - 48 656 € HT à titre d'indemnité compensatrice de résiliation du contrat d'agent commercial, - 145 968 € à titre de réparation du préjudice né de la résiliation anticipé d'un contrat à durée indéterminée, - 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat, Condamne la Selarl MJ Synergie, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS L. Traiteur, à verser à la S.A.R.L. Sakura France Service une indemnité de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des frais irrépétibles d'appel, Condamne la Selarl MJ Synergie, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS L. Traiteur, aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.