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Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com., 20 septembre 2017, n° 16-00918

RIOM

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Idéa Cuisines (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Riffaud

Conseillers :

MM. Juillard, Kheitmi

TI Clermont-Ferrand, du 3 févr. 2016

3 février 2016

Faits et procédure - demandes et moyens des parties :

Mme Marie C. épouse C., alors qu'elle se trouvait le 9 septembre 2013 sur la foire-exposition de Cournon d'Auvergne, a signé, avec un représentant de la SASU Idéa Cuisines, un bon de commande portant sur la fourniture et la pose, dans son habitation située à Aurillac, de meubles de cuisine et d'un plan de travail, pour un prix de 5 700 euros.

Mme C. a fait connaître à la société Idéa Cuisines, par une lettre du 11 septembre 2013 puis par une seconde lettre du 30 septembre 2013, qu'elle souhaitait annuler sa commande, mais cette société lui a répondu que la commande était ferme et définitive, et que Mme C. n'était pas en droit de la rétracter.

Les échanges de lettres entre les deux parties se sont poursuivis entre les deux parties jusqu'au début de l'année 2015, par l'intermédiaire de leurs avocats, chacune restant sur sa position : Mme C. demandait que le contrat soit considéré comme nul ou privé d'effet, la société adverse lui répondait qu'il était définitivement et valablement conclu.

Le 15 mai 2015, la société Idéa Cuisines a fait assigner Mme C. devant le Tribunal d'instance de Clermont-Ferrand, en demandant au principal qu'elle soit condamnée d'une part à prendre possession des meubles commandés, à peine d'astreinte, et d'autre part à payer le prix convenu.

Mme C., régulièrement représentée devant le tribunal, a contesté les demandes adverses, et a conclu à l'annulation de la commande, aux motifs que la société Idéa Cuisines avait fait usage de pratiques commerciales agressives pour l'inciter à contracter, et qu'elle avait manqué à son devoir d'information, tel que prévu à l' article L. 111-1 du Code de la consommation, en lui faisant souscrire un bon de commande illisible et inintelligible.

Le Tribunal d'instance de Clermont-Ferrand, suivant jugement du 3 février 2016, a rejeté le moyen d'annulation fondé sur les pratiques commerciales agressives, faute de preuve, mais a admis en revanche celui tiré du défaut d'information, a annulé pour ce motif le bon de commande, a rejeté toutes les demandes de la société Idéa Cuisines, et l'a condamnée à payer à Mme C. une somme de 1 000 euros de dommages et intérêts, et 700 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Idéa Cuisines, par une déclaration reçue au greffe de la cour le 8 avril 2016, a interjeté appel total de ce jugement.

La société appelante conclut à l'infirmation du jugement, et réitère ses demandes de voir condamner Mme C. à prendre possession des meubles de cuisine qu'elle a commandés, et à lui payer le prix de 5 700 euros.

La société Idéa Cuisines critique le jugement, en ce qu'il s'est fondé sur un avis technique donné par un expert désigné par l'assureur de Mme C., alors que cet avis a été réalisé de manière non contradictoire, sans qu'elle ait été appelée aux opérations. Elle reproche à l'avis de ce technicien d'avoir dénaturé le contrat en le qualifiant de contrat d'entreprise, alors qu'il s'agit, selon cette société, d'un contrat de vente, portant sur des meubles standard fabriqués à l'avance, et catalogués.

La société appelante affirme qu'elle a rempli son obligation d'information, que le bon de commande est clair et détaillé, avec en annexe un plan des lieux dressé sur les indications de Mme C., à qui elle a communiqué toutes les informations qu'elle détenait, en fonction des éléments fournis par l'intéressée. Elle conteste d'ailleurs toute pratique commerciale agressive, et précise que Mme C. s'est présentée accompagnée à son stand, qu'elle a pris le temps de se faire expliquer pendant deux ou trois heures les caractéristiques de l'aménagement proposé, qu'elle a ensuite fait une pause de deux heures à la mi-journée, et qu'après ce temps de réflexion elle est revenue au stand, pour signer le bon de commande. La société Idéa Cuisines précise que Mme C. a déposé une plainte pénale, qui a donné lieu à une audition du vendeur, et qui a été classée sans suite.

Mme C. conclut au contraire à la confirmation du jugement, sauf à porter à 3 000 euros le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués. Elle demande en outre que la société adverse soit condamnée à lui restituer sa carte d'identité, qu'elle dit lui avoir remise lors la signature du bon de commande.

Elle réaffirme qu'elle n'a contracté que par l'effet de pratiques commerciales agressives, le représentant de la société Idéa Cuisines s'étant montré très insistant, au point qu'elle a fini par signer le bon de commande par lassitude, alors qu'elle était venue à la foire-exposition avec le projet d'acquérir non des meubles de cuisine, mais un poêle à bois. Mme C. invoque aussi la nullité du bon de commande pour défaut d'information : elle maintient que cet acte contractuel est inintelligible, avec des incohérences et des imprécisions, telles que la mention de prix différents (avec ou sans pose d'évier et de robinet), l'absence d'indications des dimensions, des métrés et du matériau à mettre en 'œuvre, et la mention que certains éléments restaient " à définir " (façade des ameublements et modification éventuelle de l'entrée). Elle souligne que, de l'avis du technicien qu'elle a sollicité, la cuisine prévue ne peut être installée, car cette installation impliquerait l'enlèvement des radiateurs qui chauffent la cuisine, et la destruction d'un mur porteur. Elle conteste avoir reçu, lorsqu'elle a signé le bon, une copie du plan que produit la société adverse, et déclare que celle-ci a eu tout loisir de modifier ou de surcharger ce plan.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 mai 2017.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées en cause d'appel, les 24 et 28 mars 2017.

Motifs de la décision :

Sur la demande d'annulation :

Selon l' article L. 122-11 du Code de la consommation, pris dans sa rédaction en vigueur à la date du contrat en cause, une pratique commerciale est considérée comme agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l'usage d'une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l'entourent, elle altère ou est de nature à altérer significativement la liberté de choix du consommateur, elle vicie ou est de nature à vicier son consentement, ou elle entrave l'exercice de ses droits contractuels.

Mme C., qui affirme qu'elle n'a signé le bon de commande du 9 septembre 2013 que sur l'insistance du vendeur de la société Idéa Cuisines, ne rapporte aucune preuve de cette insistance ; l'attestation d'un tiers présent lors de cette signature, M. Philippe G. qui accompagnait Mme C. (pièce n° 15 produite par Mme C.), ne fait nullement état d'une insistance particulière du vendeur : M. G. expose que Mme C., après s'être entretenue longuement avec le vendeur de la société Idéa Cuisines, s'est éloignée à la recherche d'un autre article (un poêle), puis est revenue 'par politesse' au stand de la société Idéa Cuisines pour reprendre le plan de sa maison qu'elle avait remis au vendeur, et qu'à cette occasion le vendeur (M. J.) " s'est empressé de lui faire plusieurs propositions de prix ", Mme C. ayant fini pas en accepter une : ce témoignage écrit ne fait pas état de quelconques pratiques commerciales agressives de la société Idéa Cuisines, au sens de la loi. C'est donc à bon droit que le tribunal a rejeté ce premier motif d'annulation, dont le bien-fondé n'est aucunement établi.

Par ailleurs selon l'article L. 111-1 du Code de la consommation, avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel doit lui communiquer, de manière lisible et compréhensible, les informations portant entre autres sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné.

Le bon de commande du 9 septembre 2013, que Mme C. a signé après y avoir y apposé les mentions " Lu et approuvé " et " bon pour commande ", se présente comme un formulaire rempli à la main, qui contient les principales informations suivantes : la pièce objet de la commande (la cuisine), le modèle et la couleur des meubles à y installer (les Sciées " blanc n° 72 "), l'indication des prestations prévues : fourniture et pose des meubles et du plan de travail, découpe de l'évier et des plaques de cuisson, et l'indication des éléments non fournis (éléments de plomberie, d'électricité, four, plaques, réfrigérateur etc.).

Ce même bon de commande comprend ensuite la désignation de chacun des meubles à livrer (" Côté LV sur évier de 60 une porte + fond alu + poubelle ronde ", etc.), les dimensions et le prix de chacun de ces meubles ; il précise enfin qu'il n'est pas possible de se rétracter.

Mme C. a en outre signé, en y portant la date du 9 septembre 2013 et la mention " Bon pour commande ", un plan de sa cuisine figurant les différents meubles à y installer, plan que produit la société Idéa Cuisines (Mme C. affirme qu'aucune copie de ce plan ne lui a été remise), et qui précise à nouveau les dimensions des meubles (au moyen de l'échelle : le plan est dressé sur papier quadrillé, et il y est indiqué que l'échelle est d'1/20ème : un carreau égale 10 cm).

Au contraire de ce qu'affirme Mme C., le bon de commande n'est pas illisible ou inintelligible : s'il est vrai que certaines des mentions manuscrites sont difficiles à lire, le sens et la portée de chacune des mentions reste compréhensible, et apparaît d'une précision suffisante, avec le plan qu'elle a signé, pour que Mme C. ait eu connaissance du contenu des prestations auxquelles s'obligeait la société Idéa Cuisines.

Les dimensions de chacun des éléments sont, en effet, dûment indiquées sur le bon de commande lui-même, au contraire de ce qu'affirme Mme C. ; le prix global est aussi porté sans équivoque : 5 700 euros taxe comprise, selon deux mentions concordantes, et le fait qu'un autre prix (5 450 euros) ait été aussi indiqué, dans l'hypothèse où la pose de l'évier aurait été exclue du contrat, n'a pas créé d'équivoque puisque les autres mentions laissent clairement apparaître que l'accord de volonté des parties s'est fixé sur l'option " meubles + évier et robinet ", comme indiqué en dernière page, et que le prix de 5 700 euros a été mentionné par trois fois, en première page.

L'absence de mention du prix hors taxe de chacun des éléments n'a pas porté atteinte à la bonne information de Mme C., non plus que le fait que la case " non' ait été cochée dans la rubrique Livraison, s'agissant sur ce point d'une erreur matérielle manifeste, puisque les prestations convenues incluaient la pose des éléments, pose dont la période était d'ailleurs fixée dans la même rubrique (Mi-juillet à mi -septembre 2014) ".

Les matériaux étaient indiqués : métal pour les caissons de tiroir, " mélanine à définir " pour la façade des meubles, et cette seule réserve (" à définir "), pouvant résulter de l'accord des parties pour adapter le matériau ou sa couleur en fonction du choix non encore arrêté de Mme C., n'a créé pour celle-ci aucune imprécision contraire au devoir d'information imposé par la loi.

Et la société Idéa Cuisines n'était pas tenue de prévoir de modification de prix, dans l'hypothèse où les meubles prévus seraient inadaptés à la cuisine de Mme C. : il est vrai, comme le souligne Mme C., que le bon de commande et le plan ont été établis sans prise de mesures sur place, mais ils l'ont été à partir non seulement des informations orales données par Mme C., mais aussi du plan de sa maison, qu'elle avait remis au vendeur : cf. le témoignage de M. G.. La société Idéa Cuisines précise au surplus, sans être contredite, qu'elle se déplace habituellement sur les lieux après chaque commande, pour vérifier les mesures, déplacement qu'elle n'a pas pu réaliser au domicile de Mme C., vu l'attitude de celle-ci, ayant déclaré son intention d'annuler le contrat. En toute hypothèse, et s'il est vraisemblable que les mesures prises sur place auraient conduit à des ajustements de détail, le bon de commande ne prévoyait aucune modification du prix, pour ce motif ou pour un autre, de sorte que Mme C. ne saurait reprocher à la société adverse d'avoir manqué, pour ce motif, à son obligation d'information précontractuelle.

Mme C. se prévaut par ailleurs d'un avis technique officieux, établi par Mme Nathalie R. du cabinet Cunningham Lindsey France, avis en date du 22 juillet 2015, et qui fait état de " plusieurs points qui ont été négligés par la société Idea ". Mme C. affirme que cet avis écrit démontre l'impossibilité d'installer le mobilier commandé, dès lors que selon l'expert les prestations prévues supposeraient d'abattre un mur porteur, et de supprimer l'unique radiateur existant dans la cuisine.

L'avis de Mme R., certes recevable, n'a cependant pas la même valeur probante que le rapport d'un expert désigné au terme d'une procédure contradictoire : il ne s'agit en l'espèce que de l'avis d'un sachant, ou supposé tel, sollicité par l'une des parties (ou par son assureur), et qui n'a pas entendu l'autre partie, laquelle n'a pas été convoquée lors de sa visite des lieux faite le 4 août 2015.

L'avis de Mme R. comporte une affirmation fausse : celle selon laquelle le bon de commande et le plan (tous deux remis par Mme C.) sont illisibles (page 6), alors que seuls certains termes de ces documents sont difficilement lisibles.

Ce même avis énonce que le projet de rénovation futur de la cuisine de Mme C. consiste à ouvrir sa cuisine vers la partie séjour, mais que le mur porteur devrait rester en place,

Cependant cette particularité de la cuisine de Mme C., à la supposer établie, ne pouvait être connue de la société Idéa Cuisines, si Mme C. elle-même ne l'avait pas portée à sa connaissance ; d'ailleurs ni le bon de commande ni le plan d'exécution dressé par cette société ne comportent de suppression de cloison ou de mur, ou ne mettent une telle prestation à la charge de la société Idéa Cuisines ; ces documents contractuels ne prévoient pas l'ouverture de la cuisine vers la salle de séjour. Aucun défaut d'information ne peut donc être reproché de ce chef à cette société Idéa Cuisines, et la prétendue impossibilité dans laquelle cette société se serait trouvée, pour cette raison, de réaliser la prestation convenue, n'aurait pu constituer qu'un défaut d'exécution pouvant fonder non pas l'annulation, mais la résolution du contrat, en application de l'article 1184 du Code civil ; et aucun défaut d'exécution ne peut être constaté en l'espèce, puisque le contrat n'a reçu aucune exécution, du fait de Mme C..

L'autre anomalie relevée par Mme R. et invoquée par Mme C., portant sur la prétendue suppression de l'unique radiateur de la cuisine, au motif que le plan d'exécution prévoyait de laisser un espace vide de 5 à 7 mm, à l'emplacement du radiateur qui aurait une " épaisseur " de 9,5 cm., n'apparaît pas non plus établie : le plan d'exécution, à l'échelle 1/20éme, prévoit un espace vide d'environ 10 cm, pouvant être ajusté sur la marge pour laisser la place à un radiateur de 9,5 cm d'épaisseur.

La demande d'annulation formée par Mme C. n'apparaît donc fondée en aucun de ses motifs.

Il convient d'infirmer le jugement, et de faire droit à la demande de la société Idea Cuisines, en paiement du prix convenu de 5 700 euros. Il ne sera pas fait droit, en revanche, à la demande de cette société tendant à voir condamner Mme C. à enlever le mobilier commandé : la fourniture de la prestation à laquelle s'est engagée la société Idea Cuisines constitue pour Mme C. un droit, qu'elle ne peut être contrainte d'exercer ; au surplus cette prestation ne se limite pas à la fourniture des éléments commandés, puisqu'elle comporte aussi leur installation, à la charge de ladite société.

Sur les autres demandes :

La demande de restitution de sa carte d'identité présentée par Mme C. a été justement rejetée par le tribunal, faute de preuve que la société adverse est restée en possession de ce document. Le jugement sera confirmé de ce chef.

La demande de dommages et intérêts formée par Mme C., au motif du préjudice que lui aurait causé la société Idea Cuisines, sera en revanche rejetée, puisqu'aucune faute n'est retenue à l'encontre de cette société.

La demande de la société appelante au titre des frais d'instance apparaît fondée, en équité, à hauteur de 1 000 euros.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de restitution de sa carte d'identité présentée par Mme C., Statuant à nouveau sur tous les autres chefs, Rejette la demande d'annulation présentée par Mme C., Condamne Mme Marie C. épouse C. à payer à la SASU Idéa Cuisines une somme de 5 700 euros en paiement du prix convenu, avec intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 2013 date de la mise en demeure, Rejette le surplus des demandes, Condamne Mme C. aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la SASU Idéa Cuisines et une somme de 1000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.