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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 3 octobre 2017, n° 15-18560

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Habitat Design International (SAS) , Habitat France (SAS), Habitat Online (SAS)

Défendeur :

Made.Com Design LTD, (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

M. Peyron, Mme Douillet

TGI Paris, du 9 juill. 2015

9 juillet 2015

Exposé du litige

La société Habitat Design International, qui appartient au groupe français Cafom, spécialisé dans l'aménagement de la maison, est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris depuis le 18 août 2011 et a pour activités l'importation, l'exportation au commerce, le courtage et le négoce des produits, notamment de décoration et d'aménagement d'intérieur.

Elle indique qu'elle emploie des designers pour la création de modèles de meubles qu'elle commercialise via ses filiales, les sociétés Habitat France et Habitat On Line et qu'elle a vocation à détenir les droits de propriété intellectuelle, en particulier les droits patrimoniaux d'auteur, sur les modèles édités et diffusés au sein du groupe Habitat.

La société Habitat France est immatriculée depuis le 24 mars 2006 au registre du commerce et des sociétés de Paris. Elle exploite en France le réseau de magasins sous l'enseigne Habitat qui commercialise des meubles, articles ménagers et objets décoratifs auprès du public.

La société Habitat On Line, immatriculée au registre du commerce et des sociétés depuis le 27 septembre 2012, exploite le site internet www.habitat.fr, sur lequel elle commercialise en ligne les produits Habitat.

La société Made.com Design (ci-après, la société Made.com) est une société de droit anglais, immatriculée le 10 décembre 2009 à Londres, qui a pour activité la vente de meubles au public, exclusivement au travers d'un site internet www.made.com.

Courant 2013, la société Habitat Design International a estimé que la société Made.com se plaçait systématiquement dans son sillage en mettant en vente, sur son site accessible en France, des meubles présentant de fortes ressemblances avec ceux commercialisés par le groupe Habitat.

Elle a fait constater, par procès-verbaux d'huissier en date des 26 septembre 2013 et 31 octobre 2013, l'offre à la vente, sur le site www.made.com, de produits similaires, selon elle, à ceux offerts sur son site internet www.habitat.fr, à savoir la table basse de type gigogne dénommée Kilo, les bibliothèques Cléo et Elegance, le bureau Brent et le tabouret Verdi.

C'est dans ces conditions que les sociétés Habitat Design International et Habitat France ont assigné, par exploit en date du 29 novembre 2013, la société Made.com devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon et concurrence déloyale.

Au cours de la procédure, par voie de conclusions signifiées le 30 juin 2014, la société Habitat On Line est intervenue volontairement à l'instance.

Dans un jugement rendu le 9 juillet 2015, le TGI de Paris a :

déclaré la société Habitat Design International recevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur sur la table Kilo, mais mal fondée,

déclaré la société Habitat Design International recevable à agir en concurrence déloyale pour les meubles Cléo, Brent, Elegance et Verdi,

débouté les sociétés Habitat Design International, Habitat France et Habitat On Line de l'intégralité de leurs demandes présentées au titre de la contrefaçon, de la concurrence déloyale et du parasitisme,

débouté la société Made.com de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,

condamné les sociétés Habitat Design International, Habitat France et Habitat On Line à verser à la société Made.com la somme totale de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

ordonné l'exécution provisoire de la décision,

condamné les sociétés Habitat Design International, Habitat France et Habitat On Line aux entiers dépens.

Le 3 août 2015, les sociétés Habitat Design International, Habitat France et Habitat On Line (ci-après les sociétés Habitat) ont interjeté appel de ce jugement, la procédure ayant été enregistré sous le numéro de RG 15/16809. Cette déclaration d'appel ne contenait pas le nom de l'intimée sur le formulaire parvenu au greffe, et ce, à la suite d'un dysfonctionnement du RPVA.

Le 16 septembre 2015, les sociétés Habitat ont procédé à une deuxième déclaration d'appel enregistrée sous le n° RG 15/18560.

Le 20 octobre 2015, le conseiller de la mise en état de cette chambre a prononcé la nullité de la déclaration d'appel enregistrée sous le n° RG 15/16809.

Le 28 octobre 2015, les sociétés Habitat ont procédé à une troisième déclaration d'appel enregistrée sous le n° RG 15/21442.

Par ordonnance rendue le 27 septembre 2016, le conseiller de la mise en état a notamment :

rejeté l'incident formé par la société Made.com en irrecevabilité de l'appel formé le 28 octobre 2015 (n° RG 15/18560) par les sociétés Habitat Design International, Habitat France et Habitat Online et dit cet appel recevable,

rejeté la demande de nullité de la déclaration d'appel du 28 octobre 2015 (n° RG 15/21442) présentée par la société Made.com,

ordonné la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 15/18560 et RG 15/21442 et dit que l'instance se poursuivra sous le n° RG 15/18560,

condamné la société Made.com aux dépens de l'incident et au paiement aux sociétés Habitat de la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions, transmises par RPVA le 14 avril 2017, les sociétés Habitat, poursuivant l'infirmation du jugement si ce n'est en ce qu'il a jugé que le modèle Kilo constituait une œuvre protégeable au titre du Livre I du code de la propriété intellectuelle et dit la société Habitat Design International recevable à agir en contrefaçon de ce modèle, demandent à la cour :

de juger que la société Made.com s'est rendue coupable de contrefaçon de droits d'auteurs en commercialisant le modèle dénommé Mondrian qui constitue la contrefaçon du modèle Kilo,

d'enjoindre la société Made.com de cesser toute commercialisation du modèle Mondrian dans un délai de huit jours à compter de la signification à partie de l'arrêt à intervenir, et sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée,

de condamner la société Made.com à payer :

à la société Habitat Design International la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts pour l'avilissement du modèle Kilo,

à chacune des sociétés Habitat France et Habitat Online la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice commercial au titre de la vente d'une copie du modèle Kilo,

à titre très subsidiaire, de juger que la copie du modèle Kilo, commercialisé par les sociétés Habitat France et Habitat Online, par le modèle Mondrian, commercialisé par la société Made.com constitue un acte de concurrence déloyale et parasitaire au détriment des trois sociétés Habitat,

de juger que la société Made.com s'est au surplus rendue coupables d'actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire au détriment des trois sociétés Habitat, tenant à :

la copie des modèles Cléo, Brent, Elégance, Verdi commercialisés par les sociétés Habitat France et Habitat Online, respectivement par les modèles Axis, Campbell, Anton, Piloti, commercialisés par la société Made.com,

la reprise du thème général de la présentation de la collection Printemps/Eté 2013 de Habitat,

la mise dans le sillage des trois sociétés Habitat afin de tirer profit de leurs efforts, de leurs investissements et de leur notoriété,

d'enjoindre la société Made.com de cesser l'ensemble de ces actes de concurrence déloyale et parasitaire envers les trois sociétés Habitat, dans un délai de huit jours à compter de la signification à partie de l'arrêt à intervenir, et sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée,

de condamner la société Made.com à verser aux sociétés Habitat Design International, Habitat France et Habitat Online la somme globale de 80 000 euro à titre de dommages et intérêts pour le préjudice lié aux faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire,

en tout état de cause,

d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir, à titre d'indemnisation complémentaire, sur la page d'accueil du site Internet de la société Made.com accessible depuis la France, en caractères très apparents, sous 8 jours à compter de la signification du jugement et pendant une durée de 3 mois,

de condamner la société Made.com à verser aux trois sociétés Habitat la somme globale de 12 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais des constats dressés sur Internet par huissier de justice,

de débouter la société Made.com de ses demandes formées sur le fondement d'une procédure abusive.

Dans ses dernières conclusions, transmises par RPVA le 4 février 2017, la société Made.com demande à la cour :

En ce qui concerne la contrefaçon de droits d'auteur sur la table Kilo :

d'infirmer le jugement en ce qu'il a reconnu le modèle de meuble Kilo protégeable par le droit d'auteur, de juger que ce modèle Kilo n'est pas une œuvre susceptible de bénéficier de la protection du droit d'auteur et, en conséquence, de débouter les sociétés Habitat de l'ensemble de leurs demandes formées au titre de la contrefaçon du modèle Kilo,

de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé :

que le modèle de table Mondrian ne constitue pas la contrefaçon du modèle Kilo et, en conséquence, débouté les sociétés Habitat Design International, Habitat France et Habitat Online de l'ensemble de leurs demandes présentées au titre de la contrefaçon du modèle Kilo,

que les demandes formées à titre subsidiaire par les sociétés Habitat au titre de la concurrence déloyale ne sont pas fondées, le risque de confusion entre les modèles Kilo et Mondrian n'étant pas démontré, et les en a en conséquence déboutées ;

à titre infiniment subsidiaire,

de juger que les sociétés Habitat ne rapportent pas la preuve du préjudice qu'elles prétendent avoir subi et, en conséquence, de les débouter de l'intégralité de leurs demandes fondées sur le modèle Kilo,

En ce qui concerne les actes de concurrence déloyale ou parasitaire :

d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société Habitat Design International recevable à agir en concurrence déloyale et parasitaire aux cotés des sociétés Habitat France et Habitat Online et, en conséquence, statuant à nouveau, de la déclarer irrecevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale,

de confirmer le jugement en ce qu'il a :

jugé que les propos de M. David V. ne sont pas constitutifs d'actes de concurrence déloyale ou parasitaire ;

jugé que la société Made.com n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale ou parasitaire en commercialisant ses modèles de meubles dénommés Kilo, Axis, Campbell, Anton et Piloti,

jugé que la société Made.com n'a pas commis d'acte de concurrence parasitaire en raison de la présentation de l'annonce de l'ouverture de son site internet en Italie postée sur sa page Facebook,

en conséquence débouté les sociétés Habitat de l'ensemble de leurs demandes formées au titre de la de la concurrence déloyale et parasitaire,

à titre subsidiaire, de juger que les sociétés Habitat ne rapportent pas la preuve du préjudice allégué au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et de les débouter, en conséquence, de l'ensemble de leurs demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

En ce qui concerne ses propres demandes :

d'infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande fondée sur le caractère abusif de la présente procédure et, statuant à nouveau, de condamner les sociétés Habitat à lui payer la somme de 5 000 euro à ce titre,

en tout état de cause, de condamner les sociétés Habitat à lui payer la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2017.

MOTIFS DE L'ARRET

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;

Sur la contrefaçon de la table Kilo

Sur l'originalité de la table basse Kilo de la société Habitat Design International

Considérant que l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle protège par le droit d'auteur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales ; que selon l'article L. 112-2, 10° du même code, sont considérées comme œuvres de l'esprit les œuvres d'art appliqués ;

Qu'il incombe à celui qui entend se prévaloir des droits de l'auteur de caractériser l'originalité de l'œuvre revendiquée, c'est à dire de justifier de ce que cette œuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;

Considérant qu'en l'espèce, la société Habitat Design International, dont il n'est pas contesté qu'elle est titulaire d'une licence exclusive d'exploitation des droits patrimoniaux d'auteur sur le modèle de table basse Kilo conclue le 29 juin 2012 avec les designers Elling E. et Trine H. H., créateurs du modèle, soutient que ce modèle est original, qu'il soit présenté en table d'appoint, seul, ou plus encore dans sa version de trois tables encastrables (gigognes), en ce qu'il traduit des choix esthétiques arbitraires marquant un véritable effort de création et qu'il est marqué par l'empreinte de la personnalité de ses auteurs ; que la société appelante argue que le modèle Kilo se distingue des autres modèles de tables créées antérieurement, produits par la société Made.com ;

Que la société Made.com conteste l'originalité du modèle Kilo, lui opposant les tables gigognes créées en 1926 par Josef A. dans le courant artistique Bauhaus et l'absence d'effort créatif des auteurs ; qu'elle ajoute que les caractéristiques de l'œuvre se trouvaient dans le domaine public, la table Kilo constituant seulement une adaptation d'une table dont on ne voit que le plateau ou bien dont le plateau surplombe des pieds formés par deux cadres carrés ;

Considérant que les sociétés Habitat caractérisent l'originalité de la table Kilo de la manière suivante :

une table carrée, comportant deux pieds de forme carrée formant chacun un " cadre" ;

les pieds s'intègrent à un plateau de métal de couleur laquée ;

le rebord du plateau supérieur recouvre légèrement le haut des deux pieds, par enfourchement ;

vu de dessus, seul le plateau de métal de couleur laquée est visible, à l'exception des pieds ou des bords, générant une grande simplicité visuelle ;

vu de côté, seul le pied constituant le cadre est visible, à l'exception d'une très fine couche métallique ;

vu de face, enfin, la partie supérieure montre une bande de métal horizontale qui enfourche les pieds, de sorte que le haut du cadre n'est pas visible ;

Qu'elles décrivent l'originalité du modèle décliné en un ensemble de trois tables gigognes comme suit :

un ensemble de 3 tables rectangulaires ou carrées, de forme générale identique mais de tailles différentes ;

chacune des 3 tables a des pieds de couleur identique mais des plateaux de couleurs différentes, permettant un jeu de couleurs et de contrastes ;

les 3 tables peuvent s'encastrer et se ranger les unes sous les autres, permettant un gain de place ;

Considérant que si, comme le tribunal l'a constaté, la table Kilo empreinte au genre commun des tables gigognes et au style épuré des tables créées par Josef A. dans le courant artistique Bauhaus des années 1920, à partir d'un cadre de bois et de plateaux revêtus d'une palette de couleurs primaires, leur comparaison révèle des différences ; qu'en effet, vu de dessus, l'avancée du plateau de la table Kilo est différente dans la mesure où seul est visible le plateau de couleur laqué ; qu'ainsi, la table Kilo se distingue en particulier de la table Tea Table de Josef A. dont l'assemblage du plateau avec le piètement de bois via une fente usinée laisse visible, sur le dessus, une partie de ce même piètement ; que sur la table Kilo, les cadres ne sont pas visibles sur les parties frontales, mais uniquement sur le bord des parties latérales, vu de côté, tandis que la table de Josef A. laisse apparent la structure du cadre en bois sur le dessus et présente sur les côtés latéraux un bandeau noir tranchant avec les couleurs primaires des plateaux ; que la table Kilo repose sur le montage de deux cadres carrés distincts comportant une fente usinée dans laquelle vient se loger le plateau de métal par enfourchement sur le piètement en bois, ce montage se distinguant de la structure des tables de Josef A. dont les dessus sont posés sur une structure d'une seule pièce ;

Que la table Kilo ne reprend pas davantage les caractéristiques des tables gigognes de Marcel B. dont le piètement tubulaire en métal présente des arrondis et est visible sur le dessus, ni celles de la table Cassina dont le plateau et le piètement présentent des bords arrondis, ni celles de la table California Contemporary en micarta et métal dont le plateau épais, selon ce qui apparaît sur la photographie fournie par les intimées, est posé sur le piètement qu'il ne recouvre pas légèrement par enfourchement et dont il dépasse, frontalement et latéralement ; que les tables gigognes scandinaves en pièce 8-4, comme les tables des pièces 8-3 et 8-7, ne font pas apparaître de plateau recouvrant légèrement le haut du piètement par enfourchement ; que le piètement de la table Kettal est différent, formant un carré au sol ; que le modèle Janik de LA R. issu du catalogue 2013 n'est pas pertinent, étant postérieur au modèle Kilo ;

Qu'ainsi, les tables opposées par la société Made.com ne présentent pas la combinaison des caractéristiques de la table Kilo qui présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;

Qu'il y a lieu, dans ces conditions, de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la table Kilo présentait une originalité la rendant protégeable par le droit d'auteur, étant précisé que, contrairement à ce que retient le tribunal, l'originalité est une condition de fond et non de recevabilité de l'action en contrefaçon ;

Sur les actes de contrefaçon

Considérant que selon l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou même partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ;

Considérant que la société Habitat Design International soutient que la société Made.com s'est rendue coupable de faits de contrefaçon du modèle Kilo en mettant sur le marché un modèle de table dénommé Mondrian qui en reprend les éléments caractéristiques, créant une impression visuelle d'ensemble tout à fait analogue ; qu'elle fait valoir notamment que la table Mondrian, prise individuellement, est la copie servile de la version individuelle du modèle Kilo et que le modèle Mondrian dans son ensemble constitue une contrefaçon manifeste, et même une copie servile ou quasi-servile, de la déclinaison gigogne du modèle Kilo ;

Que la société Made.com répond que les identités visuelles entre les tables Kilo et Mondrian sont bien distinctes et les différences entre ces tables telles qu'elles ne laissent pas subsister une impression d'ensemble quasi-identique ;

Considérant que, de fait, le modèle Mondrian commercialisé par la société Made.com est constitué d'un lot indissociable de trois tables basses en métal, à savoir une table rectangulaire sous laquelle viennent se loger deux tables plus petites de format identique ; qu'il est donc vain pour la société Habitat d'invoquer la table Mondrian prise individuellement ; que l'ensemble de trois tables gigognes Mondrian produit une impression très différente de celle produite par la table Kilo lorsque cette dernière se présente dans sa version individuelle ; qu'il en est de même quand l'ensemble Mondrian est comparé à la version gigogne de la table Kilo qui consiste en trois tables de même forme carrée mais de taille différente, ce qui permet de les ranger en les imbriquant les unes en dessous des autres à la manière de poupées russes ;

Qu'ainsi, sans qu'il y ait lieu d'examiner les couleurs ou les matières des tables en présence, l'impression d'ensemble est très différente ; que la contrefaçon alléguée n'est donc pas caractérisée ;

Que le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Habitat de leurs demandes en contrefaçon ;

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire

Sur la concurrence déloyale invoquée à titre subsidiaire en ce qui concerne la table Kilo

Considérant que les sociétés Habitat reprochent à la société Made.com des faits de concurrence déloyale et parasitaire dans la commercialisation de la table Mondrian en raison du risque de confusion entraîné par les ressemblances entre les modèles ;

Considérant que la concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce ;

Considérant que la table Mondrian se distinguant nettement, pour les raisons qui viennent d'être exposées, de la table Kilo, le risque de confusion allégué ne se trouve pas établi ;

Que le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Habitat de leur demande de ce chef ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire invoquée à titre de faits distincts

Considérant que les sociétés Habitat se plaignent d'actes de concurrence déloyale ayant pris la forme de copies de plusieurs modèles de meubles ; qu'elles reprochent par ailleurs à la société Made.com un comportement parasitaire, dont l'aveu résulterait de propos tenus par M. V., directeur général France de Made.com, et qui aurait pris la forme notamment d'une reprise de la présentation originale du thème général de la présentation de sa collection Printemps Eté 2013 ;

Considérant que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d`un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d`investissements ;

Que ces deux notions sont appréciées doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce ;

Sur la recevabilité à agir de la société Habitat Design International

Considérant que les parties reprennent sur ce point, en substance dans les mêmes termes, les arguments présentés en première instance, tels que résumés en page 9 du jugement, auquel la cour se réfère expressément ;

Considérant que c'est par des motifs exacts et pertinents, adoptés par la cour, que le tribunal a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Made.com ;

Que le jugement doit donc être confirmé de ce chef ;

Sur la copie des modèles Cléo, Brent, Elégance, Verdi de Habitat par les modèles Axis, Campbell, Anton, Piloti de Made.com

Considérant que c'est par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte que le tribunal a débouté les sociétés Habitat de leurs demandes de ces chefs ;

Qu'il sera seulement ajouté, en ce qui concerne la reprise prétendue du modèle de bibliothèque Cléo par le modèle Axis, que c'est vainement que les sociétés appelantes reprochent à la société Made.com d'avoir commercialisé une copie de leur propre déclinaison du principe d'alternance d'alvéoles pleines et creuses lancé par Charlotte P. en 1952 et largement repris ensuite antérieurement à la commercialisation de la bibliothèque Cléo ; qu'en effet, comme le relève la société Made.com, le modèle Axis diffère sensiblement du modèle Cléo, étant composé de 4 cubes superposés en décalé, dont aucun n'est entièrement plein, alors que le modèle Habitat, comprenant 7 espaces superposés, comporte des alvéoles tantôt pleines (avec un fond), tantôt creuses (sans fond) ;

Qu'il en est de même en ce qui concerne la reprise alléguée du modèle de bibliothèque Elegance par le modèle Anton ; que la bibliothèque Anton reprend le procédé de l'insertion de parois verticales en verre par des rivets visibles - dont le tribunal a relevé à raison qu'il existait au moins depuis 1966 et qu'il a été reproduit en 2001, 2009 et 2010 - sans chercher à reproduire servilement la déclinaison adoptée par Habitat, se rapprochant davantage des modèles Canon d'atlas ou Crystalline de M. que de celui des appelantes ;

Sur le parasitisme

Considérant que c'est par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte que le tribunal a débouté les sociétés Habitat de leur demande de ce chef ;

Sur la demande de la société Made.com pour procédure abusive

Considérant que l'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol ;

Que le rejet des prétentions des sociétés Habitat ne permet pas de caractériser une faute ayant fait dégénérer en abus leur droit d'agir en justice ; que, par ailleurs, la société Made.com ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que le jugement sera confirmé sur ce point également ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Considérant que les sociétés Habitat qui succombent seront condamnées aux dépens d'appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées ;

Que la somme qui doit être mise à la charge des sociétés Habitat au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société Made.com peut être équitablement fixée à 15 000 euro, cette somme complétant celle allouée en première instance ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf à préciser que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'originalité est une condition de fond et non de recevabilité de l'action en contrefaçon, Y ajoutant, Condamne les sociétés Habitat aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement à la société Made.com de la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.