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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 12, 5 octobre 2017, n° 13-07338

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Stade (SA)

Défendeur :

URSSAF - Ile de France, Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leblanc

Conseillers :

Mmes Fabre Devillers, Ihuellou-Levassort

TA Paris, du 18 mars 2013

18 mars 2013

Les faits, la procédure, les prétentions des parties :

Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;

Il suffit de rappeler qu'à la suite d'un contrôle de l'application de la législation de la sécurité sociale, l'URSSAF a relevé que la société Stade n'avait pas soumis aux cotisations de sécurité sociale les sommes versées aux joueurs professionnels du Stade Français en contrepartie de l'exploitation commerciale de leur image à travers un contrat de concession de droits prévoyant une rémunération forfaitaire d'une part et un avenant spécialement conclu pour la reproduction de l'image de certains joueurs pour l'édition du calendrier " Dieux du stade " et de ses produits dérivés prévoyant l'attribution de redevances proportionnelles au produit de la vente d'autre part ; qu'il en est résulté un supplément de cotisations de 249 024 euro au titre des années 2005 et 2006 ayant donné lieu à l'envoi d'une mise en demeure le 24 juin 2008 précédée de la notification au cotisant d'une décision administrative du 31 mars 2008 pour l'informer de la nature salariale des sommes versées en contrepartie de la vente des calendriers ; que la société a contesté le redressement opéré par l'URSSAF et le bien-fondé de la décision administrative du 31 mars 2008 devant la commission de recours amiable qui a rejeté sa réclamation par décision du 3 septembre 2009 ; qu'elle a alors saisi la juridiction des affaires de sécurité sociale.

Par jugement du 18 mars 2013, le Tribunal des affaires de sécurité sociale a confirmé la décision du 3 septembre 2009, validé le redressement opéré par l'URSSAF, condamné la société Stade au versement de la somme de 240 219 euro au titre des cotisations et celle de 59 860 euro au titre des majorations de retard pour la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2006 et confirmé la décision administrative du 31 mars 2008.

La société Stade fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions tendant à infirmer cette décision, annuler l'ensemble des redressements opérés au titre des redevances versées, au cours des années 2005 et 2006, en contrepartie de la cession et de la reproduction des droits d'image et annuler la décision administrative du 31 mars 2008. A titre subsidiaire, elle demande à la cour d'exclure la qualification de salaire à défaut de prestations réalisées à son profit par les titulaires de droits d'image. En tout état de cause, elle souhaite que soient exclues de l'assiette des cotisations les redevances versées aux sociétés gestionnaires des droits d'images et conclut au rejet de la demande en paiement de majorations de retard à hauteur de 59 860 euro.

Au soutien de son appel, elle conteste la qualification retenue par l'URSSAF au sujet des relations contractuelles existant entre elle et les joueurs de rugby ou les sociétés chargées d'exploiter leur image. Elle fait en effet observer que les sommes versées en contrepartie de l'exploitation des droits d'image ne présentent de caractère salarial que s'il existe une véritable activité exercée dans le cadre d'un lien de subordination. Elle se réfère à la circulaire interministérielle du 28 juillet 1994 qui prévoit l'assujettissement des commissions publicitaires lorsqu'elles sont versées aux sportifs par l'association ou par l'organisateur des compétitions mais l'exclut en cas de contrats de parrainage ayant pour seul objet de permettre au parrain d'exploiter la renommée du joueur sauf s'il existe des obligations vis à vis du parrain ou s'il est nécessaire de présenter un produit ou un message publicitaire. Elle estime qu'il n'y a en l'espèce ni lien de subordination, ni réalisation de prestations par les sportifs et que le paiement d'une somme forfaitaire n'est pas nécessairement le signe d'une relation salariale. Elle prétend ensuite que l'exploitation de l'image des sportifs pris en photo ne relève pas ici des dispositions du code du travail sur les mannequins dans la mesure où aucun produit, service ou message publicitaire n'est présenté au public. Elle considère ainsi que les calendriers 'Dieux du Stade' ne sont pas des documents promotionnels mais des ouvrages d'art pour lesquels les joueurs ont servi de modèles. Enfin, elle considère que l'assujettissement est de toute façon exclue lorsque les sommes rétribuant la cession du droit à l'image ne sont pas versées directement aux joueurs mais à des sociétés commerciales gérant leurs droits et se prévaut d'une présomption de non-salariat en ce cas.

Dans ses conclusions soutenues par son représentant, l'URSSAF d'Ile de France demande la confirmation du jugement attaqué et la condamnation de la société Stade au paiement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle soutient en effet qu'en contrepartie des sommes perçues pour l'exploitation de leur image, les sportifs étaient directement associés à la promotion du Stade Français, dont la société Stade commercialise l'ensemble des produits dérivés des marques et logos, et étaient tenus à diverses obligations en matière de communication et de relations publiques. Elle fait également observer qu'en acceptant de poser pour les calendriers édités par la société, les joueurs de rugby ont exercé une activité de mannequin pour laquelle il existe une présomption de salariat et relève qu'en l'absence de rémunération spécifique du temps de pose, pour laquelle la présence physique est obligatoire, c'est l'ensemble des sommes versées en contrepartie de l'exploitation commerciale des calendriers qui doit être assujetti à cotisations. Elle précise que, contrairement à ce que soutient la société, les calendriers sont édités à des fins promotionnelles avec notamment la reproduction du logo du club sportif. S'agissant enfin des sommes versées à des sociétés appartenant aux joueurs, elle fait observer que c'est à leur demande que les sommes leur sont versées soit directement, soit à la société qui gère leurs droits d'image. Elle rappelle que le droit à l'image est attaché à la personne et qu'il est donc indifférent que le contrat soit signé avec le joueur ou avec la société qu'il s'est substituée pour la gestion de ses droits.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;

Motifs :

Considérant qu'en matière de parrainage ou plus généralement d'exploitation commerciale de l'image et de la renommée des sportifs, il est fait une distinction selon que le contrat a uniquement pour objet de permettre au cocontractant d'utiliser l'image, auquel cas la relation est purement commerciale, ou qu'il met des obligations spécifiques à la charge du joueur telles que la participation à des démonstrations ou manifestations ou prévoit que le sportif est chargé de présenter un produit, un service ou un message publicitaire ou de poser comme modèle ;

Considérant que dans cette seconde hypothèse, les sommes versées au joueur par son partenaire sont assujetties aux cotisations de sécurité sociale du régime dont il relève ;

Considérant qu'en l'espèce, la société Stade conteste cet assujettissement au motif que les contrats de concession de droits d'image ne créeraient, selon elle, aucun lien de subordination avec les joueurs et qu'il ne leur serait demandé aucune prestation en échange ;

Considérant toutefois que les inspecteurs du recouvrement ont relevé que les contrats de concession de droits d'image comportaient de nombreuses obligations imposées aux joueurs ;

Considérant qu'ainsi, selon les articles 1.1.3 et 3 de la convention-cadre, le joueur est tenu " d'animer le site internet qui lui est dédié et de l'alimenter par des informations personnelles (hobbies, passions, goûts...), de promouvoir les relations publiques en participant à des rencontres avec des internautes et de programmer ces interventions au moins une semaine à l'avance " et de " se mettre à la disposition de la société pour élaborer un book de photos et pour la réalisation de matériels nécessaires à des opérations de promotion et de publicité (prises de vue, réalisation d'une maquette, tournage de spots pour la TV, la radio et le cinéma) " ;

Considérant que l'URSSAF souligne qu'en pratique durant la période contrôlée, les joueurs ont été amenés à répondre aux interviews et à participer à des émissions de radio ou de télévision ; que cette activité spécifique des joueurs, en dehors de l'entraînement et des matchs, a donné lieu à des prises de photo ou de vidéo utilisées ensuite sur le site internet pour promouvoir le calendrier " Dieux du Stade " ou plus généralement l'activité du club de rugby ;

Considérant que contrairement aux allégations de la société Stade, son activité ne se limite donc pas à l'exploitation des images des joueurs en train de jouer sur le terrain ou à celles prises après le match ; qu'en réalité, les sportifs doivent se tenir à sa disposition pour toutes sortes d'opérations ou d'événements susceptibles d'être diffusés ensuite sur les médias ou les réseaux sociaux ;

Considérant qu'il importe peu que la participation des joueurs à ces événements médiatiques ou de relations publiques soit également prévue par leurs contrats de travail avec le club de rugby ; qu'il existe des obligations concurrentes de mise à disposition des joueurs sans que l'une exclut l'autre ;

Considérant que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que les joueurs avaient réalisé de véritables prestations pour le compte de la société Stade qui organisait et dirigeait leur emploi du temps, en dehors du cadre sportif ;

Considérant qu'en outre, les redevances d'exploitation de l'image sont en principe déterminées en fonction du produit aléatoire des recettes procurées par cette exploitation alors qu'en l'espèce, durant la saison 2005/2006, les contrats de concession accordaient aux joueurs des sommes forfaitaires ; que les sportifs étaient donc traités de la même manière que les salariés dont la rémunération échappe normalement aux aléas économiques ;

Considérant qu'au vu de tous ces éléments, l'URSSAF a exactement décidé que les sommes versées par la société Stade aux joueurs de rugby collaborant à ces activités promotionnelles revêtaient un caractère salarial et devaient donc être soumises à cotisations ;

Considérant que s'agissant des rémunérations versées aux joueurs au titre du calendrier " Les Dieux du Stade ", l'URSSAF a relevé que leur participation aux prises de vue supposait un temps de préparation et de pose identique à l'activité des mannequins pour lesquels l'article L. 7123-2 du Code du travail prévoit une présomption de contrat de travail ;

Considérant que pour contester cette interprétation, la société Stade soutient que les joueurs ne présentent aucun objet ou service et que les calendriers seraient en réalité des ouvrages d'art ;

Considérant cependant que l'édition des calendriers " Les Dieux du Stade " est en réalité une réalisation destinée à promouvoir l'image du rugby et en particulier celle de Stade Français dont le nom et le logo sont reproduits sur les photos ;

Considérant qu'en participant à la confection de ces calendriers, les joueurs de rugby n'ont donc pas servi de modèles artistiques mais ont simplement contribué à une opération de communication et de vente de produits dérivés ;

Considérant que l'URSSAF souligne aussi le fait qu'au départ aucune rémunération n'était allouée aux joueurs pour la prestation initiale où leur présence physique est indispensable et que leur rétribution était exclusivement fixée en pourcentage des ventes ;

Considérant qu'en pareil cas, il n'est pas possible de faire la distinction entre le salaire initial et les rémunérations secondaires pouvant éventuellement être exclues de l'assiette des cotisations de sécurité sociale ;

Considérant que c'est donc à bon droit que l'URSSAF a assujetti l'ensemble des rémunérations allouées aux joueurs au titre des calendriers à compter de la notification de sa décision administrative du 31 mars 2008 informant le cotisant de la nature salariale de ces sommes ;

Considérant que les premiers juges ont rejeté à juste titre la contestation par la société Stade du bien-fondé de cette décision ;

Considérant qu'à titre subsidiaire, la société Stade demande à la cour d'exclure du redressement les sommes qui n'ont pas été versées directement aux joueurs mais aux sociétés chargées de l'exploitation de leurs droits à l'image ;

Considérant toutefois qu'il n'y a pas lieu de suivre cette distinction dans la mesure où les sociétés en question représentent les joueurs avec les mêmes droits et devoirs s'attachant à leur personnalité et agissent par délégation ;

Considérant qu'en réalité, c'est la participation effective des joueurs aux manifestations, prises de vues et autres interventions organisées pour promouvoir le rugby qui intéresse la société Stade et le fait que les contrats soient passés avec une société représentant le sportif ne change rien à la nature juridique des sommes versées en échange de cette activité salariée ;

Considérant que l'URSSAF fait d'ailleurs observer que les contrats conclus entre la société Stade et les sociétés chargées d'exploiter les droits à l'image des joueurs contiennent des clauses selon lesquelles " le concédant se porte fort de la disponibilité du joueur pour la réalisation de matériels nécessaires aux opérations de promotion et de publicité " ou " s'engage pour que la personnalité porte sur lui des produits dérivés commercialisés par Stade " ;

Considérant que les sommes versées aux sociétés commerciales chargées par les joueurs d'exploiter leurs droits à l'image doivent donc être assujetties de la même façon que celles qui sont directement remises aux sportifs en contrepartie de leur collaboration aux activités développées par la société Stade, sans que les considérations tirées de la présomption de non-salariat ou du fait que les chiffres d'affaires des sociétés seraient eux-mêmes soumis à des taxes puissent y faire obstacle ;

Considérant que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté la société de sa contestation de la décision administrative du 31 mars 2008 et des redressements opérés au titre des droits d'image et l'ont condamnée à verser le montant des cotisations et majorations de retard dont la remise ne peut être demandée qu'après paiement des cotisations ;

Que le jugement sera donc confirmé ;

Considérant qu'au regard de la situation respective des parties, il convient de condamner la société Stade à payer à l'URSSAF d'Ile de France la somme de 3000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; que succombant en son recours, elle sera déboutée de sa propre demande à ce titre ;

Par ces motifs :

- Déclare la société Stade recevable mais mal fondée en son appel ;

- Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

- Condamne la société Stade à verser à l'URSSAF d'Ile de France la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et la déboute de sa propre demande à ce titre ;

- Fixe le droit d'appel prévu par l'article R. 144-10, alinéa 2, du Code de la sécurité sociale à la charge de l'appelante au 10ème du montant mensuel du plafond prévu à l'article L. 241-3 et la condamne au paiement de ce droit s'élevant à la somme de 326,90 euro ;