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Décisions

CA Aix-en-Provence, 9e ch. C, 13 octobre 2017, n° 17-01756

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Lay

Conseillers :

Mmes Filliol, Parent

CA Aix-en-Provence n° 17-01756

13 octobre 2017

Faits et procédure

Frédérique H. a remplacé à temps partiel, entre le 23 août 2004 et le 12 mai 2006, Nelly V. vétérinaire dans la ville d'Eyguières , suivant contrat à durée déterminée du 23 août 2004 pour 6 mois, puis selon nouveau contrat à durée déterminée du 14 février 2005 au 15 août 2005 et enfin sans contrat à compter de cette dernière date jusqu'au 12 mai 2006, en suite de la démission de Frédérique H. en date du 13 février 2006 ;

Le 12 juillet 2006 Nelly H. a ouvert dans la même ville sa propre clinique vétérinaire;

A la suite de poursuites disciplinaires initiées par Nelly V. pour non-respect de la clause de non concurrence insérée au contrat qui liait les parties, le conseil national de l'ordre des vétérinaires a condamné Frédérique H. à une suspension d'activité pendant 12 mois à compter de mai 2009;

C'est dans ces conditions que Frédérique H. a saisi le 9 juin 2009 le conseil de prud'hommes d'Arles aux fins d'entendre prononcer la nullité de la clause de non concurrence ;

Par jugement en date du 24 janvier 2011, le conseil de prud'hommes d'Arles a débouté Frédérique H. de ses demandes ;

Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel d'Aix en Provence le 28 mars 2012.

Saisie du pourvoi de Frédérique H., la Cour de cassation par arrêt du 14 septembre 2016 a cassé et annulé l'arrêt rendu le 28 mars 2012 et renvoyé les parties devant la même cour autrement composée, pour être fait droit ;

En suite de cet arrêt, Frédérique H. a saisi la cour d'Aix en Provence suivant courrier reçu le 19 janvier 2017 ;

A l'audience collégiale du 5 septembre 2017, Frédérique H. a soutenu ses conclusions déposées aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- déclarer Madame H. recevable et bien fondée en son appel ;

Y faisant droit,

- infirmer le jugement déféré rendu le 24 janvier 2011 par le Conseil de prud'hommes d'Arles ;

- dire et juger nulle la clause de non-concurrence figurant dans les contrats de travail conclus entre Madame H. et Madame V. ;

- dire et juger que Madame H. n'était tenue par aucune obligation de non-concurrence à l'égard de Madame V. à l'issue de leurs relations contractuelles achevées le 13 mai 2006 ;

En conséquence,

- condamner Madame V. à payer à Madame H. les sommes suivantes :

243 873,22 euros en réparation de son préjudice matériel résultant de la stipulation de la clause de non-concurrence nulle ;

150 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de la stipulation de la clause de non-concurrence nulle ;

10 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

- ordonner la capitalisation des intérêts.

Selon conclusions déposées et plaidées, Nelly V. sollicite de la cour qu'elle :

Vu les décisions disciplinaires rendues et l'article 1154 du Code civil

- juge irrecevables les demandes de Frédérique H.

Subsidiairement sur le fond, vu l'article R. 242-65 du Code rural, la convention collective et les contrats de travail

- déboute Frédérique H. de ses demandes

- confirme le jugement

- condamne Frédérique H. au paiement de la somme de 10 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Motifs

A/ sur la nullité de la clause de concurrence

Attendu que la clause de non concurrence insérée aux contrats était ainsi libellée : " compte-tenu du secteur d'activité spécifique de l'employeur, le salarié s'engage à ne pas fixer son domicile professionnel à moins de 25 km du cabinet ; l'interdiction sera d'une durée de deux ans à compter de la rupture du contrat ";

Attendu que pour conclure à la nullité de la clause, Frédérique H., rappelle que les dispositions de l'article R. 242-5 du Code rural qui traitent de la non-concurrence entre vétérinaires et ne prévoient pas de contrepartie financière, sont supplétives de la volonté des parties et ne sont pas applicables dès lors que les parties ont elles-mêmes stipulé une clause de non-concurrence de sorte qu'en présence de l'existence d'une telle clause, celle-ci ne peut être valide qu'à la condition qu'elle comporte une contrepartie financière; qu'elle ajoute que la référence à la convention collective du 31 janvier 2006 est inopérante dès lors que celle-ci est entrée en vigueur postérieurement aux accords entre les parties;

Attendu que Nelly V. fait pour sa part valoir :

- que la demande de Frédérique H. est irrecevable en ce que l'autorité de la chose jugée telle qu'elle est définie par l'article 1351 s'attache à la fois à la décision disciplinaire définitive qui a consacré le non-respect par Frédérique H. de la clause de non concurrence, et la décision non moins définitive de la cour d'appel d'Aix en Provence en date du 5 novembre 2012 laquelle lui a accordé une indemnisation en réparation du préjudice subi du fait des agissements de Frédérique H. ;

- que l'article R. 242-65 du Code rural n'a aucunement une valeur supplétive, et doit s'analyser au regard des principes de protection d'amélioration de la santé publique et de la qualité de l'environnement et qu'il a été ainsi arrêté pour des motifs d'intérêt public ; qu'il s'impose ainsi aux juridictions et aux justiciables, le Conseil d' Etat ayant d'ailleurs par arrêt du 10 février 2016 rejeté l'exception d'illégalité de ce texte ;

- que dès lors le respect de la clause de non concurrence constitue une infraction particulièrement grave au code de déontologie et aux contrats de travail, l'article R. 242-65 du Code rural ayant donc vocation à s'appliquer

- que les parties s'étaient référées à la convention collective du 5 juillet 1995 et que par suite les dispositions modifiées, et notamment l'article 65 prévoyant qu'une clause de non concurrence devait être indemnisée, s'appliquaient dès la date de la signature de la convention modifiée, le 31 janvier 2006, alors même que les parties étaient encore contractuellement liées et que dès lors que Frédérique H. s'étant affranchie du respect de la clause, elle ne peut prétendre à une quelconque indemnisation ;

SUR CE,

Attendu que l'article L. 242-65 du Code rural, dans sa rédaction antérieure à son abrogation intervenue par décret du 13 mars 2015 disposait :

- clause de non concurrence/ sauf convention contraire entre les intéressés, tout vétérinaire ayant exercé en qualité de salarié ou de collaborateur dans un cabinet vétérinaire, une clinique vétérinaire ou un centre hospitalier vétérinaire ne peut fixer son domicile professionnel d'exercice ni exercer en tant que vétérinaire à domicile à moins de 25 m du lieu où il exercé sa profession pendant au moins 30 jours, consécutifs ou non, au cours des deux années qui précèdent ; les distances se comptent par le chemin carrossable le plus court ; la période d'interdiction d'une durée de deux ans, court du lendemain où cet exercice a pris fin ; la distance minimale est réduite à 3 km si le lieu d'exercice quitté se trouve dans une agglomération de plus de 100 000 habitants ; ces dispositions restent applicables au bénéfice des cessionnaires ou des ayants droits ;

Attendu que l'autorité de la chose jugée telle qu'elle est définie à l'article 1355 du Code civil, attachée à la décision du Conseil d'Etat en date du 10 février 2016 ayant déclaré que l'exception d'illégalité de cet article soulevée par Frédérique H. n'a pas vocation à faire obstacle à l'examen de sa demande devant cette cour dès lors qu'il résulte du texte, qu'il n'avait vocation à s'appliquer que dans le silence d'un contrat signé entre deux vétérinaires et que son caractère supplétif était expressément affirmé;

Attendu que l'arrêt définitif de la 2ème chambre de cour d'appel d' Aix en Provence du 5 novembre 2012 qui a accordé à Nelly V. une indemnisation de 30 000 euro en réparation du préjudice subi du fait du non-respect de la clause de non concurrence et de la commission d'actes de concurrence déloyale par Frédérique H., ne saurait avoir pour effet de rendre irrecevable la demande de cette dernière en nullité de la clause de non concurrence dès lors qu'il résulte de l'arrêt qu'il n'était pas saisi de cette question ; qu'en effet Frédérique H. et la clinique H. avaient demandé à la cour " de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel saisie de l'appel du jugement du conseil des prud'hommes du 24 janvier 2011 puisqu'il n'appartient pas à cette cour de statuer sur la validité de la clause de non concurrence " ; que la 2ème chambre avait écarté cette demande, dans la mesure où 'par arrêt du 18 mars 2012, la chambre sociale de la Cour d'appel d'Aix en Provence avait confirmé le jugement du 22 janvier 2011 qui a dit que la clause de non concurrence était valide et n'avait pas été respectée par Frédérique H. ;

Attendu qu'il en résulte que dans son arrêt du 5 novembre 2012, la chambre civile a tenu pour acquises les conclusions de l'arrêt antérieur du 18 mars 2012 de la chambre sociale, aux termes duquel la clause de non concurrence était valide ;

Attendu que par l'effet de la cassation de cet arrêt du 18 mars 2012, Frédérique H. est donc recevable à demander à la cour l'infirmation du jugement initial du conseil des prud'hommes du 24 janvier 2011 ;

Attendu qu'il ressort du texte même de l'article R. 242-65 du Code rural que celui-ci n'a qu'une valeur supplétive, dans le silence du contrat ;

Attendu que dès lors que les parties avaient décidé de l'insertion dans leur contrat d'une clause de non concurrence, celle-ci pour être valide une clause de non-concurrence devait remplir 4 conditions cumulatives :

- être justifiée par les intérêts légitimes de l'entreprise

- laisser au salarié la possibilité d'exercer normalement son activité

- être limitée dans le temps et dans l'espace

- comporter l'obligation pour l'employeur de verser une contrepartie financière ;

Attendu qu'en effet cette exigence d'une contrepartie est liée au principe fondamental et supérieur de libre exercice d'une activité professionnelle ;

Attendu qu'il est constant que la clause insérée aux contrats et qui est maintenue en cas de poursuite des relations contractuelles après échéance du terme ne comportait pas de contrepartie financière à la charge de Nicole V. ;

Attendu qu'il en résulte que la clause était nulle et qu'il y a lieu dès lors d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en date du 24 janvier 2011 ;

B/ sur les conséquences

Attendu que pour prétendre à l'indemnisation de son préjudice matériel évalué par Frédérique H. à la somme de 243 87,22 euro, l'appelante fait valoir :

- qu'elle a été condamnée à une suspension d'activité pendant un an du 1ermai 2009 au 30 avril 2010

- qu'elle n'a eu aucun chiffre d'affaire pendant cette période ce qui a conduit à la liquidation judiciaire de la société e 11 janvier 2013, le mandataire judiciaire ayant conclu le 12 février 2013 à la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif en présence d'un passif évalué à 133 763 euro;

- qu'elle n'a eu aucun revenu pendant les années 2011 à 2013

- qu'elle a perdu les sommes apportées par elle à la société au titre du capital social et de son compte-courant d'associé

- qu'elle a été actionnée en tant que caution personnelle des prêts consentis à la société

- qu'elle a été condamnée à payer à Nelly V. la somme de 30 000 euro outre les frais irrépétibles et les dépens ;

Attendu que Frédérique H. prétend à l'indemnité d'un préjudice moral évalué à 150 000 euros constitué selon elle par le fait :

- d'avoir été interdite d'exercer sa profession pendant un an

- d'avoir dû licencier ses deux employées

- d'avoir été privée d'exercer sa passion de servir les animaux

- d'avoir subi une atteinte d'une extrême importance à sa réputation

- d'avoir eu sa santé altérée gravement qui ont nécessité un suivi médical depuis 2009, la perte de son enfant en cours de grossesse n'étant sans doute pas étrangère à la dépression qu'elle a subie

- d'avoir dû vendre sa maison pour rembourser ses dettes avant de reprendre une activité professionnelle en 2014 ;

Mais attendu que Frédérique H. ne peut prétendre à l'indemnisation d'un préjudice né de la nullité d'une clause de non concurrence qu'elle n'a pas respectée, alors qu'il n'est pas contesté qu'elle a procédé à l'inauguration de sa clinique dès le 3 juin 2006 ; qu'en effet Frédérique H. ne peut invoquer les décisions ordinales et civiles qui ont entendu sanctionner tant une violation de la clause que des actes de concurrence déloyale et qui ont force de chose jugée;

Attendu qu'il convient dès lors de la débouter de l'ensemble de ses demandes ;

C/ sur les autres demandes

Attendu qu'il convient de confirmer la décision prud'homale ayant débouté les parties de leurs demandes en frais irrépétibles ;

Attendu que les dépens de première instance sont mis à charge de Nelly V. de même qu'en cause d'appel ;

Attendu que s'agissant des frais irrépétibles en cause d'appel, chacune des parties supportera ceux qu'elles ont exposés ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, Infirme le jugement du conseil de prud'hommes sauf en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant à nouveau par ajout et substitution Juge nulle la clause de non concurrence liant les parties ; Déboute Frédérique H. de ses demandes en dommages-intérêts ; Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Nelly V. aux dépens de première instance et d'appel.