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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 octobre 2017, n° 15-02091

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Oké (SARL)

Défendeur :

Décathlon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Cheviller, Farges, Bouzidi-Fabre, Forest, Deschryver

T. com. Paris, du 22 déc. 2014

22 décembre 2014

Faits et procédure

La société Décathlon est une société spécialisée dans la conception, la production et la vente d'articles de sports et de loisirs.

La société Oké produit et commercialise des articles de sport et notamment des chaussons en néoprène destinés à la pratique des sports nautiques.

Depuis 1994, la société Oké était le fournisseur de Décathlon en chaussons en néoprène de la marque Okésport (modèles SuperOkéfun, Gravity High, Aquakid, Cat Fish Low et BeachSurf).

En 2010, la société Décathlon a décidé de créer sa propre marque de chaussons en néoprène commercialisés sous sa marque de distributeur "Tribord" et d'en confier la sous-traitance à la société Oké.

C'est ainsi qu'à compter de 2010, Décathlon a progressivement déréférencé les produits de son fournisseur et n'a plus commercialisé qu'un seul et unique modèle de chaussons de la société Oké, le chausson Cat Fish Low. Le chiffre d'affaire moyen réalisé par Oké avec Décathlon entre 2010 et 2012 a ainsi subi une baisse d'environ 30 % par rapport à la moyenne des trois années précédentes.

Les discussions entre les parties pour aboutir à une sous-traitance se sont déroulées de mars 2011 à août 2012. Par mail du 15 décembre 2011, la société Décathlon annonçait à M. Joly, de la société Oké : "Bonjour M. Joly, C'est avec grand plaisir que j'ai appris que nous allions finalement collaborer ensemble et je me réjouis de cette bonne nouvelle. Le challenge qui nous attend est un beau défi que nous allons relever ensemble. Vous avez fourni pendant plus d'une année, accompagné de M. Lalaut beaucoup d'efforts pour vous câler sur nos exigences sociales et qualité et je vous en remercie. Je souhaiterais maintenant travailler avec vous sur le planning à court terme et sur ce qui va nous animer sur les semaines à venir. Vous trouverez en pieces jointes la forme de pied et le 1er design du chausson".

Un prototype de chausson a été élaboré par la société Oké en mai 2012. Parallèlement, le 6 avril 2012, un audit social était réalisé pour satisfaire aux critères de partenariat avec la société Décathlon.

Un protocole était conclu le 21 mai 2012, dont l'objet était le suivant : " Les parties conviennent de mettre un terme aux achats directs de Décathlon auprès d'Okespor à compter du mois de février 2013. En parallèle, Okespor se rapprochera de Oxylane afin d'étudier la mise en place de la relation de sous-traitance, Okespor étant en mesure de produire, sous marque Tribord. La mise en place d'une telle relation sera conditionnée par la signature d'un contrat entre Okespor et Aquamodate, filiale de Oxylane. Okespor reconnaît que ce transfert d'activité lui permet de bénéficier d'une continuité dans sa production. Conformément à ces accords, compte tenu du relais effectué par ce transfert d'activité, et par conséquent du maintien de l'activité pour le compte du réseau Oxylane, un délai de préavis de 8 mois sera respecté par Décathlon et Okespor dans le cadre de la cessation de leur relation commerciale ".

Il était donc convenu de la fin des achats directs dans un délai de huit mois, soit à échéance de janvier 2013, puis de la prise de relais de ces achats directs par une relation de sous-traitance.

Cet accord a été remis en cause dans un premier avenant proposé en août 2012 par la société Décathlon, qui abandonnait la relation de sous-traitance et reculait le terme des achats directs de Décathlon auprès d'Okesport à janvier 2015 pour un volume d'affaires égal à 350 000 euros par année civile.

Monsieur Joly ayant refusé de se plier aux nouvelles conditions de cet avenant, une seconde proposition lui a été soumise le 5 octobre 2012. Cette fois, la société Décathlon s'engageait à commander 6 500 paires de chaussons Okespor au prix de 11,50 euros la paire avant le mois de mars 2013. Par ailleurs si la société Promiles, filiale du groupe Oxylane, devait signer, sans prendre d'engagement ferme, un contrat de production avec la société Oké, cette dernière s'engageait à injecter des semelles pour 60 000 paires de chaussons de marque Tribord la première année et 40 000 la seconde année pour un prix de 3,50 euros la paire.

S'estimant victime d'une rupture brutale de la relation commerciale, la société Oké a assigné la société Décathlon le 21 novembre 2012 devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 22 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Oké de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société Oké à payer à la société Décathlon la somme de 45 482,21 euros au titre de factures restées impayées, avec intérêts au taux appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à compter de la date d'échéance de chaque facture et capitalisation de ceux-ci, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

- condamné la société Oké à payer à la société Décathlon la somme de 25 000 euros au titre du préjudice subi par l'annulation des livraisons attendues,

- débouté la société Décathlon de sa demande fondée sur le remboursement des frais engagés pour développer le partenariat avec la société Oké qui n'a pas abouti,

- condamné la société Oké à payer la somme de 8 000 euros à la société Décathlon au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Oké aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Oké, du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 22 décembre 2014.

Vu les dernières conclusions de la société Oké, appelante, déposées et notifiées le 31 juillet 2017 par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les articles L. 442-6, I, 5° et L. 441-6 et suivants du Code de commerce, vu les articles 1134, 1315 et 1382 du Code civil, vu l'article 700 du Code de procédure civile,

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 22 décembre 2014 en ce qu'il a :

débouté la société Oké de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

condamné la société Oké à payer à la société Décathlon la somme de 45 482,21 euros au titre des factures restées impayées, avec intérêts au taux appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à compter de la date d'échéance de chaque facture et capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'art 1154 du Code civil,

condamné la société Oké à payer à la société Décathlon la somme de 25 000 euros au titre du préjudice subi par l'annulation des livraisons attendues,

condamné la société Oké à payer la somme de 8 000 euros à la société Décathlon au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

condamné la société Oké aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 22 décembre 2014 en ce qu'il a

débouté la société Décathlon de sa demande fondée sur le remboursement des frais engagés pour développer le partenariat avec la société Oké qui n'a pas abouti,

dire que la société Décathlon est à l'origine de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Oké ;

en conséquence, à titre principal de :

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 895 176,60 euros au titre du préjudice subi du fait de l'absence de préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 342 039,57 euros en réparation du préjudice subi du fait des investissements que la société Oké a dû engager exclusivement à la demande de la société Décathlon dans le cadre des relations commerciales brutalement rompues par cette dernière,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 400 765,10 euros en réparation de la perte subie du fait de l'abandon de la production des patins à glace réclamée par la société Décathlon,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 139 948,63 euros en réparation du coût total des licenciements pour motif économique, conséquence directe de la brutalité de la rupture des relations commerciales avec la société Décathlon,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 300 000 euros en réparation du préjudice moral subi par société Oké du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies avec la société Décathlon,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 1 530 euros en réparation du coût total de reconditionnement des 4 077 paires de Chaussons Okespor conditionnées pour le compte de la société Décathlon,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Décathlon aux entiers dépens,

à titre subsidiaire :

infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 22 décembre 2014 en ce qu'il a :

débouté la société Oké de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

condamné la société Oké à payer à la société Décathlon la somme de 45 482,21 euros au titre des factures restées impayées, avec intérêts au taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à compter de la date d'échéance de chaque facture et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'art 1154 du Code civil,

condamné la société Oké à payer à la société Décathlon la somme de 25 000 euros au titre du préjudice subi par l'annulation des livraisons attendues,

condamné la société Oké à payer la somme de 8 000 euros à la société Décathlon au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Oké aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA,

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 22 décembre 2014 en ce qu'il a :

débouté la société Décathlon de sa demande fondée sur le remboursement des frais engagés pour développer le partenariat avec la société Oké qui n'a pas abouti,

dire que la société Décathlon est l'auteur d'une faute délictuelle constituée par la rupture abusive des pourparlers avec la société Oké,

en conséquence :

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 342 039,57 euros en réparation du préjudice subi du fait des investissements que la société Oké a dû engager exclusivement à la demande de la société Décathlon dans le cadre des négociations pour la mise en place d'une relation de sous-traitance,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 400 765,10 euros en réparation de la perte subie du fait de l'abandon de la production des patins à glace réclamée par la société Décathlon dans le cadre des négociations pour la mise en place d'une relation de sous-traitance,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 139 948,63 euros en réparation du coût total des licenciements pour motif économique, conséquence directe de la rupture des négociations pour la mise en place d'une relation de sous-traitance,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 300 000 euros en réparation du préjudice moral subi par la société Oké dans le cadre de la rupture des négociations pour la mise en place d'une relation de sous-traitance,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 1 530 euros en réparation du coût total de reconditionnement des 4 077 paires de Chaussons Okespor conditionnées pour le compte de la société Décathlon,

- condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Décathlon aux entiers dépens';

Vu les dernières conclusions de la société Décathlon, intimée, déposées et notifiées le 21 août 2017 par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les dispositions des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 1134 et suivants du Code civil et 2044 et suivants du Code civil, vu les pièces et la jurisprudence versées au débat,

- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a :

débouté la société Oké de l'intégralité de ses demandes, fins, et conclusions,

condamné la société Oké à payer à la société Décathlon la somme de 45 482 21 euros au titre des factures restées impayées, avec intérêts au taux appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à compter de la date d'échéance de chaque facture et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

condamné la société Oké à payer à la société Décathlon la somme de 25 000 euros au titre du préjudice subi par l'annulation des livraisons attendues,

condamné la société Oké à payer la somme de 8 000 euros à la société Décathlon au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- infirmer le jugement en qu'il a :

débouté la société Décathlon de sa demande fondée sur le remboursement des frais engagés pour développer le partenariat avec la société Oké qui n'a pas abouti,

en conséquence :

- condamner la société Oké au paiement de la somme de 9 135 euros HT au titre des frais engagés pour développer le partenariat avec la société Oké qui n'a pas abouti,

en tout état de cause :

- condamner la société Oké à régler à la société Décathlon la somme de 15 000 00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

condamner la société Oké aux entiers frais et dépens d'instance ;

SUR CE

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Oké, se fondant sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, soutient que la société Décathlon a brutalement rompu les relations commerciales que les deux sociétés entretenaient.

En premier lieu, la société appelante estime qu'elle entretenait avec la société Décathlon une relation commerciale régulière, stable et, ayant un caractère significatif. En effet, elle indique qu'elle était le fournisseur de la société Décathlon en chaussons néoprènes depuis 1994. En deuxième lieu, la société Oké soutient que la société Décathlon a brutalement rompu leurs relations commerciales, sans préavis écrit. L'appelante estime que l'information, dès 2010, de la volonté de la société Décathlon de mettre un terme aux achats directs de chaussons " Okesport " ne saurait être considérée comme un préavis donné par Décathlon, dès lors qu'elles avaient convenu de poursuivre leurs relations commerciales dans le cadre d'un schéma de sous-traitance. Ainsi, l'appelante affirme qu'elle pouvait légitimement et raisonnablement s'attendre à la poursuite de sa relation commerciale avec la société Décathlon. Par ailleurs, l'appelante soutient qu'elle a dû réaliser d'importants travaux de restructuration de son outil de production, à sa charge, pour la production des chaussons " Tribord ". En sus, elle indique que la société Décathlon est à l'initiative de la rupture des relations commerciales en annulant le lancement, en août 2012, de la production des chaussons " Tribord ". La société Oké affirme qu'elle n'a pas bénéficié d'un préavis écrit et, dès lors, ne pouvait s'attendre à la rupture de leurs relations commerciales.

En conséquence, la société Oké soutient avoir subi un préjudice du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales. Elle estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 18 mois devant être doublé car la relation commerciale portait sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, soit 36 mois. De plus, elle soutient qu'elle réalisait une marge brute moyenne d'environ 46,47% et sollicite ainsi le paiement de la somme de 895 176,60 euros à titre de dommages-intérêts.

La société Décathlon soutient qu'aucune rupture ne lui est imputable. Elle indique avoir voulu repousser le passage en sous-traitance à 2015 au lieu de 2013 au regard de l'évolution du marché et de la diminution des ventes de chaussons en néoprène. Elle indique qu'elle n'a jamais résilié le protocole d'accord conclu avec la société Oké et que c'est la société Oké elle-même qui y a mis un terme en l'assignant en justice. Elle argue du fait qu'elle n'a pas brutalement rompu les relations commerciales. En effet, elle soutient que la société Oké était parfaitement informée, depuis 2010, qu'elle souhaitait mettre fin aux achats directs de chaussons " Okesport ". De plus, elle indique que la poursuite des relations commerciales était possible puisque les deux sociétés avaient conclu un protocole d'accord prévoyant que l'activité de sous-traitance était confiée à la société Oké à compter du mois de février 2013.

De plus, la société Décathlon soutient que la relation commerciale n'a jamais eu pour objet la vente de produits sous marque distributeur, mais exclusivement des produits de marque " Okesport ". En conséquence, l'intimée estime qu'il n'y a pas lieu de doubler le préavis. En outre, la société Décathlon indique que l'appelante ne démontre pas sa marge nette.

Si, aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. Par ailleurs, " les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Si les parties s'accordent sur l'existence de relations établies, elles sont en désaccord sur l'imputabilité et la brutalité de la rupture.

Il n'est pas contesté que les sociétés Oké et Décathlon entretenaient depuis 1994 une relation commerciale régulière, stable et représentant un flux significatif. A compter d'août 2012, il n'est pas davantage discuté que la société Décathlon n'a plus acheté de chaussons à la société Oké, la régularisation d'octobre 2012 ne pouvant être prise en compte.

Si la société Oké connaissait, dès 2010, la volonté de Décathlon de cesser de lui acheter les chaussons Okesport et de substituer à ces relations d'achat direct des relations de sous-traitance, cette information ne saurait être considérée comme un préavis donné par Décathlon, de la fin des relations commerciales avec la société Oké, puisque les deux sociétés avaient convenu de poursuivre leurs relations commerciales dans le cadre d'un schéma de sous-traitance. Le partenariat conclu en mai 2012 entre les deux parties, dont l'objectif était, selon les conclusions de la société Décathlon elle-même (page 7) " d'assurer une continuité de la production ", concrétisait cette poursuite du flux d'affaires entre les deux sociétés, sous une forme juridique différente. Ainsi, l'appelante pouvait légitimement et raisonnablement s'attendre à la poursuite de sa relation commerciale avec la société Décathlon, selon les termes mêmes de cet accord. Elle pouvait d'autant moins s'attendre à la remise en cause de ces relations qu'elle avait étroitement négocié les conditions de la sous-traitance avec la société Décathlon qui, en décembre 2011, l'avait acceptée comme partenaire, aux termes d'un mail du 15 décembre 2011 qui félicitait Monsieur Joly des efforts réalisés. Un prototype de chausson avait été présenté à Décathlon, sans soulever d'observations substantielles. La société Oké avait présenté son planning de production et ses nouvelles installations dédiées à la production sous-traitée avaient fait l'objet de contrôles pour répondre aux normes de qualité de Décathlon ainsi que d'un audit social.

Dès lors, la remise en cause de cet accord en août 2012 de ce partenariat par la société Décathlon a été véritablement brutale et constitue le point de départ de la rupture, qui coïncide d'ailleurs avec l'arrêt des commandes de la société Décathlon. En effet, les deux avenants successifs proposés par la société Décathlon remettaient en cause la continuité des relations commerciales, en supprimant l'activité de sous-traitance convenue, celle-ci étant clairement et sans aucune ambiguïté remise en cause. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a imputé la rupture à la société Oké, pour avoir assigné son partenaire, celle-ci étant imputable à la société Décathlon. Le tribunal a retenu à tort un mail du 30 août 2012 comme preuve de l'acquiescement de Monsieur Joly au second avenant.

Compte tenu de l'ancienneté des relations entretenues entre les parties, de la part représentée par la société Décathlon dans le chiffre d'affaires de la société Oké, et surtout de l'importance des investissements dédiés spécifiquement à ce projet de sous-traitance, non amortis et difficilement reconvertibles, les échanges entre les parties et les factures versées aux débats démontrant que la plupart d'entre eux répondaient aux exigences et prescriptions de la société Décathlon, le préavis suffisant qui aurait dû être consenti à la société Oké doit être évalué à 22 mois.

Il n'y a pas lieu, en revanche de retenir la circonstance que les produits dont la production était envisagée en sous-traitance étaient sous marque de distributeurs, pour allonger le préavis, ces produits n'ayant jamais été fabriqués et vendus, seuls les chaussons Okesport ayant été échangés entre les parties.

Le chiffre d'affaires annuel qui aurait dû être réalisé par la société Oké avec la société Décathlon aurait été de 642 117 euros, sur la base de la moyenne des exercices 2009 à 2011 précédant la rupture ((808 541 euros + 565 111 euros + 552 700)/3). En retenant un taux de marge de 46 % (taux moyen des années 2009 à 2011), la marge annuelle perdue s'élève à 295 373 euros. La marge perdue sur 22 mois s'élève donc à 541 518 euros (295 373 X 12/22).

Il y a donc lieu de condamner la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 541 518 euros.

Sur les autres demandes de la société Oké

L'appelante sollicite le paiement des investissements réalisés au titre du partenariat de production, pour un montant de 342 039,57 euros, ainsi que l'indemnisation du reconditionnement des chaussons finalement non commandés par Décathlon, de la perte d'exploitation sur les patins à glace, des frais de licenciement, ainsi que de son préjudice moral.

Mais elle ne démontre pas le lien entre ces préjudices et la brutalité de la rupture, de sorte que ces demandes seront rejetées.

Sur le préjudice subi par la société Décathlon

La société Décathlon soutient, à titre reconventionnel, avoir subi différents préjudices du fait des annulations de plusieurs commandes de produits " Catfish Low " et " Highboot ", lui ayant causé un manque à gagner de 41 897 euros. De plus, elle soutient avoir engagé des frais pour développer le partenariat en production pour un montant total de 9 132 euros.

La société Oké soutient que la commande de chaussons " Catfish Low " du 19 novembre 2012 a été livrée le 22 novembre 2012. Concernant les produits " Highboot ", la société appelante soutient qu'en raison de la restructuration de son appareil de production et des problèmes techniques qu'une telle modification implique, elle n'a pas été en mesure d'honorer cette commande dans les temps impartis par la société Décathlon. Pour autant, l'appelante indique que ce retard a eu lieu du fait de la restructuration de ses équipements exigée par la société Décathlon elle-même.

S'il ressort de plusieurs mails l'existence de retards de livraison, la cour ne dispose que d'un tableau interne à la société Décathlon (pièce 17) retraçant les commandes en cause. Elle sera donc déboutée de sa demande à ce titre et le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Par ailleurs, si la société Décathlon justifie avoir engagé des dépenses dans le cadre du partenariat envisagé avec la société Oké, elle ne saurait les imputer à la société Oké qui n'est nullement responsable de la rupture avant même la mise en production des chaussons en sous-traitance. Cette demande sera donc également écartée, ainsi que l'ont justement fait les premiers juges.

Sur les factures émises par la société Décathlon

La société Décathlon soutient, à titre reconventionnel, que la société Oké est débitrice de la somme de 45 482,81 euros au titre de factures échues. De plus, elle affirme que le formalisme imposé par les dispositions de l'article L. 441-7 du Code de commerce a toujours été respecté par les parties.

La société Oké soutient que la société Décathlon n'a jamais justifié de l'existence d'un document unique formalisant la relation entre les parties tel que cela est exigé par l'article L. 441-7 du Code de commerce. Elle prétend que la société Décathlon n'a jamais apporté la preuve de la réelle exécution des prestations facturées et qu'elle ne saurait être tenue de les régler. Dès lors, elle sollicite l'infirmation du jugement du tribunal de commerce qui l'a condamnée à payer la somme de 45 482,21 euros à la société Décathlon.

La société Décathlon verse aux débats des factures impayées pour le remboursement desquelles un échéancier avait été convenu entre les parties. La société Oké ne conteste pas utilement ces factures, qui correspondent à des prestations qui ont bien été livrées. Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Décathlon succombant principalement sera condamnée au paiement des dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Oké la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, infirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a condamné la société Oké à payer à la société Décathlon la somme de 45 482, 21 euros au titre des factures impayées, outre intérêts et capitalisation de ceux-ci, et en ce qu'il a débouté la société Décathlon de sa demande de remboursement des frais engagés dans le partenariat, et, statuant à nouveau, déclare brutale la rupture des relations commerciales intervenue en août 2012 du fait de la société Décathlon, condamne la société Décathlon à payer à la société Oké la somme de 541 518 euros, rejette le surplus des demandes des parties, condamne la société Décathlon aux dépens de première instance et d'appel, la condamne à payer à la société Oké la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.