CA Versailles, 12e ch., 17 octobre 2017, n° 16-05819
VERSAILLES
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Agriconsulting (SAS) , E4experts (SAS)
Défendeur :
Association Francilienne d'Expertise Comptable et de Conseil AF2C
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
MM. Leplat, Ardisson
Faits :
Vu le jugement du Tribunal de grande instance de Pontoise du 31 mai 2016 qui a :
- dit que Monsieur L. et les sociétés Agriconsulting et E4 experts ont commis une faute au préjudice de l'association AF2C en ne respectant pas les règles de déontologie de l'ordre des experts comptables,
- condamné Monsieur L. et les sociétés Agriconsulting et E4 experts in solidum à payer à l'association AF2C la somme de 80 000 euros de dommages et intérêts tous préjudices confondus et celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- rejeté toute autre demande,
- condamné in solidum Monsieur L., la société Agriconsulting et E4 experts aux dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 27 juillet 2016 par Monsieur L., la société Agriconsulting et la société E4 experts ;
Vu les conclusions transmises le 28 avril 2017 par le RPVA pour Monsieur L., la société Agriconsulting et la société E4 experts aux fins de voir, en application de articles 1133, 1152, 1174, 1231 et 1315 du Code civil, du principe de liberté de la concurrence et de l'article L. 410-2 du Code de commerce :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que Monsieur L., la société Agriconsulting et la société E4 experts, ont commis une faute au préjudice de l'association AF2C, en ne respectant pas les règles de déontologie de l'ordre des experts-comptables et les a condamné in solidum la somme de 80 000 euros de dommages- intérêts tous préjudices confondus, 3 000 euros au titre des frais de procédure et aux dépens et débouté les appelants de leurs demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté l'association AF2C de ses autres demandes,
- condamner l'association AF2C à rembourser aux appelants les condamnations, réglées en février 2017,
- débouter l'association AF2C de l'ensemble de ses demandes,
- limiter, subsidiairement, à 28 512 euros le montant des dommages-intérêts, tous préjudices confondus,
- condamner l'association AF2C à verser à chacun des appelants, une somme de 3 000 euros au titre de leur article 700 de première instance, outre une somme complémentaire de 3 000 euros, au titre des frais de défense exposés en cause d'appel, et la prise en charge des dépens de première instance et d'appel ;
Vu les dernières conclusions transmises par le RPVA le 22 novembre 2016 pour l'Association francilienne d'expertise comptable et de conseil AF2C, aux fins de voir, au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que Monsieur L., la société Agriconsulting et la société E4 experts ont commis une faute au préjudice de l'association AF2C, les a condamné à payer la somme de 3 000 euros au titre des frais de procédure,
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé les dommages et intérêts à revenir à l'association AF2C à la somme de 80 000 euros,
- interdire à la société E4 experts, de démarcher et contracter avec la clientèle qui était celle de l'association AF2C à la date de la prise d'effet de la démission de son ancien conseiller d'entreprise, Monsieur L. sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée,
- condamner Monsieur L. au paiement de :
22 560 euros brut correspondant au montant des primes perçues en complément de ses salaires à titre d'un apport en clientèle désormais sans objet,
- 227 299,60 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par leurs agissements de concurrence déloyale,
- le tout avec capitalisation des intérêts suivant l'article 1154 du Code civil,
- condamner solidairement Monsieur L., la société Agriconsulting et la société E4 expert, à payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Les condamner solidairement aux entiers dépens,
- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
Vu l'ordonnance de clôture du 18 mai 2017.
SUR CE, LA COUR,
Considérant que pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties, ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du Code de procédure civile ;
Qu'il sera succinctement rapporté, que l'Association de comptabilité et d'économie de la région Ile-de-France, devenue l'Association francilienne d'expertise comptable et de conseil (" l'Association "), qui a pour activité la gestion et la comptabilité des exploitants du secteur agricole a engagé, le 18 septembre 2007, Monsieur L. en qualité de conseiller d'entreprise, contre rémunération complétée d'une prime de 15 % représentant 22 560 euros en contrepartie de l'apport de clientèles par Monsieur L. ;
Qu'après que le 10 décembre 2009, Monsieur L. ait donné sa démission avec effet au 10 janvier 2010, l'Association a constaté le départ de certains de ces adhérents vers la société E4 experts, en lien avec la société Agriconsulting dont Monsieur L. avait pris la direction et auquel il lui a reproché d'inciter ses clients à confier le traitement de leur comptabilité à la société E4 experts ;
Que l'Association a mis en demeure Monsieur L. de cesser tout démarchage des adhérents, puis après avoir refusé l'offre d'une indemnisation amiable de 50 000 euros qu'il lui avait faite au mois de mai 2010, l'Association a, sur autorisation du président du Tribunal de grande instance de Pontoise, fait établir le 22 septembre 2011 le dénombrement des clients de la société E4 experts dont la comptabilité était suivie par le passé par l'Association, avant d'assigner le 15 janvier 2014 Monsieur L., la société Agriconsulting et E4 experts pour voir condamner, Monsieur L. à payer 22 560 euros brut au titre des compléments de ses salaires, et les trois, à payer, solidairement, la somme de 227 299,60 euros de dommages et intérêts au titre des actes de concurrence déloyale.
1. Sur le bien-fondé des actes de concurrence déloyale
Considérant que pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de Monsieur L. et des sociétés Agriconsulting et E4 experts dans les actes de concurrence déloyale, l'Association invoque leurs manquements dans les actes de sollicitation de ses adhérents aux dispositions de l'article 23 du code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable en suite desquels il appartient à un expert-comptable, sollicité pour tenir une comptabilité, d'informer le prédécesseur du choix du client de changer d'expert-comptable, de s'assurer, avant le début de sa mission, que le client est en règle avec les honoraires dus au prédécesseur et en cas de litige, sur les honoraires, d'en référer au président du conseil régional de l'ordre et de formuler toutes réserves auprès du client avant de débuter la mission, manquements que les premiers juges ont retenus dans les motifs de leur décision selon lesquels " la société E4 experts a bénéficié d'un apport de clientèle immédiat au détriment de l'AF2C qui a ainsi vu une partie de sa clientèle partir sans préavis ne lui laissant aucune possibilité de la retenir " ;
Que l'Association soutient en outre, que l'intention déloyale dans le détournement de ses adhérents est établie par les immatriculations au registre du commerce et des sociétés de Pontoise, d'une part, de la société E4 experts le 3 février 2010 dont Monsieur S. est le Président avec pour objet l'expertise comptable, et d'autre part, de la société Agriconsulting le 17 février 2010 dont Monsieur L. est le président avec pour objet " d'apporter un conseil global et de qualités aux agriculteurs " ; que les adhérents ont été dirigés vers la société E4 experts qui savait que Monsieur L. avait personnellement signé les lettres de mission pour le compte de l'Association ;
Que l'Association reproche encore des actes de dénigrement de Monsieur L. et des sociétés Agriconsulting et E4 experts en se prévalant des termes d'une lettre de la société M. volailles a adressée le 9 mars 2010 dans laquelle elle a indiqué " par ailleurs, j'aimerais que Monsieur L. continue de m'accompagner au niveau du conseil et des aspects déclaratifs même si vous terminez mes deux comptabilités ".
Que le principe des dommages qui sont résultés de ces détournements dans les procédures déclaratives a en outre été reconnu par Monsieur L. au mois de mai 2010, ainsi que par la société E4 Experts qui a offert le 5 juin 2012 de verser la somme de 15 000 euros en dédommagement de la perte de chiffre d'affaires,
Mais considérant, en premier lieu, que depuis un arrêt n° 807 du 10 septembre 2013 (12-19.356), la chambre commerciale, financière et économique commerciale de la cour de cassation a dit pour droit qu' " un manquement à une règle de déontologie, dont l'objet est de fixer les devoirs des membres d'une profession et qui est assortie de sanctions disciplinaires, ne constitue pas nécessairement un acte de concurrence déloyale " ;
Et considérant, en second lieu, qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui, fût-ce par un ancien salarié de celui-ci, est libre, et tandis, d'une part, qu'aucun des griefs invoqués par l'Association ne caractérise un démarchage accompagné d'un acte déloyal ou des actes de dénigrement de Monsieur L., de sa société Agriconsulting ou de la société E4 Experts, et que d'autre part, aucun accord n'est intervenu entre les parties sur des offres d'indemnisation et dont la compétence pour leur arbitrage relève de l'ordre des experts comptables, il convient d'infirmer le jugement de ce chef et de débouter l'Association de l'ensemble de ses demandes qui leurs sont rattachées ;
Que le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation de Monsieur L. au remboursement des primes qu'il a perçues lors de son embauche par l'Association, aucune faute n'étant non plus établie en rapport avec l'exécution de son contrat de travail et la nouvelle activité qu'il a poursuivie après sa démission.
2. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Considérant que l'Association succombe à l'action, en sorte qu'il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens ; que, statuant à nouveau y compris en cause d'appel, il est équitable de la condamner à verser à chacun des appelant la somme de 1 500 euros ainsi qu'aux dépens.
Par ces motifs : Contradictoirement, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de remboursement du complément de rémunération versé à Monsieur L. ; Statuant à nouveau, Déboute l'Association francilienne d'expertise comptable et de conseil AF2C de ses demandes du chef des actes de concurrence déloyale ; Condamne l'Association francilienne d'expertise comptable et de conseil AF2C à payer à Monsieur L., la société Agriconsulting et E4 experts, chacun, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne l'Association francilienne d'expertise comptable et de conseil AF2C aux dépens de première instance et d'appel. Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile. Signé par Madame Dominique Rosenthal, Président, et Monsieur Alexandre Gavache, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. Le Greffier Le Président