Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 31 octobre 2017, n° 16-13694

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sanei Elevators France (Sté)

Défendeur :

Société Civile Professionnelle de Mandataire Judiciaire (ès-qual.), Société Dépannage Entretien Ascenseur (SDEA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Peyron

Conseillers :

Mme Douillet, M. Thomas

T. com. Sens, du 14 juin 2016

14 juin 2016

Considérant que la Sarl Société Dépannage Entretien Ascenseur - ci-après SDEA, créée le 14 novembre 2007, ayant pour objet social la fabrication, l'achat et la vente de tout matériel et accessoires se rapportant à l'activité d'ascenseur, la réalisation, la modernisation, l'entretien, l'assistance et le dépannage d'ascenseurs, a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire le 30 juin 2014, Me A. étant désigné en qualité de mandataire liquidateur ; qu'à la suite de la consultation au mois de septembre 2013 de la boite aux lettres électronique professionnelle de son directeur commercial Gilles D., [...], révélant dix courriels contenant des informations relatives à des appels d'offres, adressés les 8 et 9 septembre 2013 à Gabriel P., directeur général de la SAS Sanei Elevators France, dont l'objet social est la conception, la fabrication, le montage, la vente, l'installation, la mise au point, la maintenance, la réparation, les conseils techniques et le service après-vente d'ascenseurs de tous types, de monte-charges et d'engins d'élévation, puis, autorisé par ordonnance sur requête du 9 octobre 2013, d'un constat d'huissier réalisé le 11 octobre 2013 au siège social de cette société, son mandataire liquidateur, Me Christophe A., par acte du 6 janvier 2015, a fait citer la SAS Sanei Elevators France devant le Tribunal de commerce de Sens afin de solliciter sa condamnation au paiement d'une indemnité de 851 725,50 euro, aux titre d'actes de concurrence déloyale ;

Que la société Sanei Elevators France a interjeté appel du jugement contradictoire rendu le14 juin 2016 par le Tribunal de commerce de Sens qui a :

Reçu partiellement la société SDEA en ses demandes et y a fait droit,

Débouté la société Sanei Elevators France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Condamné la société Sanei Elevators France à payer à la société SDEA la somme de 233 643,82 euros, à titre de dommages et intérêts,

Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la décision,

Condamné la société Sanei Elevators France à payer à la société SDEA la somme de 5 000, 00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamné la société Sanei Elevators France aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à la somme de 70,20 euros;

Que dans ses dernières conclusions du 20 décembre 2016, la société Sanei Elevators France demande à la cour de :

Déclarer la SCP Christophe A., en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société SDEA mal fondée en tous ses chefs de demandes, fins et conclusions,

L'en débouter

Recevant la société Sanei Elevators France en sa demande reconventionnelle,

Condamner la SCP Christophe A., en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société SDEA à verser à la société Sanei Elevators France la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamner la SCP Christophe A., en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société SDEA, au paiement d'une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la SCP Christophe A., en qualité de Mandataire à la liquidation judiciaire de la société SDEA aux entiers dépens ;

Que dans ses dernières conclusions du 25 octobre 2016, Christophe A., en qualité de Mandataire à la liquidation judiciaire de la société SDEA demande à la Cour de :

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Sens du 14 juin 2016 en ce qu'il a limité à 233 643,82 euros le montant du préjudice subi par SDEA du fait des actes de concurrence déloyale commis par Sanei et, statuant à nouveau,

Condamner Sanei à payer à Christophe A. SCP de mandataire Judiciaire, ès-qualités de mandataire liquidateur de SDEA, la somme de 851 725,50 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale,

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Sens du 14 juin 2016 en ce qu'il a condamné Sanei à payer à Christophe A. SCP de Mandataire Judiciaire, ès-qualités de mandataire liquidateur de SDEA, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner Sanei à payer à Christophe A. SCP de Mandataire Judiciaire, ès-qualités de mandataire liquidateur de SDEA, la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamner Sanei aux entiers dépens comprenant les frais de constat d'huissier et les frais d'inscription de l'hypothèque judiciaire provisoire dont distraction au profit de la Selarl Causidicor conformément aux dispositions des articles 699 et suivants du Code de procédure civile ;

Que l'ordonnance de clôture est du 6 juin 2017 ;

SUR CE

Considérant que pour dire que la SAS Sanei Elevators France avait commis des actes de concurrence déloyale et la condamner à payer à la société SDEA une somme de 233 643,82 euros à titre de dommages et intérêts, le tribunal a notamment considéré :

- qu'il était démontré que la société Sanei Elevators France avait été, du fait de ses échanges avec Gilles D., employé de la société SDEA, en possession d'informations confidentielles lui permettant de souscrire à des marchés et à des appels d'offres dans une position plus favorable, ce qui caractérisait un acte de concurrence déloyale ;

- que par l'effet de cet acte de concurrence déloyale la société SDEA avait perdu la chance de conclure an moins un des six marchés visés dans les six messages adressés par monsieur D. à la société Sanei Elevators France le 8 et 9 septembre 2013, et sinon tous, au moins certains d'entre eux ; que cette perte de chance s'élevait à 20% du montant total de ces six marchés, soit la somme de 233 643,82 euros (compte tenu du fait que le secteur des ascensoristes est un secteur réduit à quatre gros intervenants, prenant environ 80% des marchés, seuls les 20% restant pouvant effectivement être remportés par des entreprises de même taille et de même activité que la société SDEA) ;

Considérant que pour demander l'infirmation du jugement, la SAS Sanei Elevators France développe dans ses conclusions :

les conditions de création de la société SDEA,

les circonstances dans lesquelles ses dirigeants auraient tronqué les comptes de l'année 2012, permettant une augmentation substantielle des salaires de ses dirigeants,

le fait que cette société aurait bénéficié de prêts notamment par elle-même,

le fait que les salariés de cette société, excédés par le comportement de leur gérant, auraient quitté l'entreprise en 2012,

que la responsabilité de la SAS Sanei Elevators France ne être recherchée pour des faits antérieurs au 1er mars 2013, date de sa création,

que les informations communiquées par Gilles D. l'ont été en sa qualité de fournisseur,

que par le constat du 11 octobre 2013, la société SDEA s'est livrée à un véritable pillage de ses données,

que la société SDEA ne pouvait pas non plus se prévaloir de courriels issus de la messagerie personnelle de son salarié,

qu'il n'est pas démontré le détournement d'un seul client,

que la SAS Sanei Elevators France est un fabriquant et un distributeur de matériels d'ascenseurs, cependant que la société SDEA uniquement installateur de matériels et en charge de dépannages,

que la société SDEA n'apporte pas un commencement de preuve de son préjudice ;

Considérant que dans ses conclusions, pour demander la réévaluation de son préjudice, Christophe A., en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société SDEA, après avoir décrit les faits constitutifs de concurrence déloyale, estime que le préjudice ne se limite pas aux seuls actes de concurrence déloyale commis les 8 septembre 2013, et peut être chiffré à la moitié du chiffre d'affaires de la SAS Sanei Elevators France pendant les dix mois de 2013 où elle a exercé son activité ; qu'il répond ensuite aux moyens de défense soulevés par la SAS Sanei Elevators France ;

Considérant, ceci étant exposé, que c'est par de justes motifs que la cour fait siens que le tribunal a retenu que la SAS Sanei Elevators France avait commis des actes de concurrence déloyale et que le préjudice en résultant pour la société SDEA s'élevait à la somme de 233 643,82 euros ;

Qu'il a effectivement été démontré que la société Sanei Elevators France s'est fait transmettre par Gilles D., directeur commercial de la société SDEA, des informations confidentielles lui permettant de souscrire à des marchés et à des appels d'offres dans une position plus favorable ; qu'il sera précisé que cette démonstration résulte des dix courriels adressés les 8 et 9 septembre 2013 par Gilles D. à Gabriel P., directeur général de la SAS Sanei Elevators France :

le 8 septembre 2013 à 20:26, transférant un marché d'appel d'offres concernant des travaux de modernisation ou de remplacement de deux ascenseurs à la maison des services publics de Cachan,

le 8 septembre 2013 à 20:36, transférant un marché d'appel d'offres ayant pour objet des travaux de réhabilitation des ex-celliers Jacquart de la ville de Reims,

le 8 septembre 2013 à 21:30, transférant un marché d'appel d'offres concernant l'ensemble des ascenseurs du patrimoine " Le Toit Champenois ",

le 8 septembre 2013 à 21:39, transférant un marché d'appel d'offres concernant le lot ascenseur d'un programme de 40 logements de la caserne Colbert à Reims,

le 8 septembre 2013 à 21:46, transférant un marché d'appel d'offres concernant notamment les ascenseurs élévateurs de Troyes Habitat,

le 8 septembre 2013 à 21:53, transférant un marché d'appel d'offres concernant le centre hospitalier de Gonesse,

le 8 septembre 2013 à 21:56, transférant un marché d'appel d'offres concernant la ville de Reims,

le 9 septembre 2013 à 8:43, transférant un marché d'appel d'offres concernant des travaux de rénovation de l'ascenseur du bassin école du [...],

le 9 septembre 2013 à 9:13, de nouveau relatif aux travaux de réhabilitation des ex-celliers Jacquart de la ville de Reims,

le 9 septembre 2013 à 9:15, de nouveau relatif aux travaux de modernisation ou de remplacement de deux ascenseurs à la maison des services publics de Cachan ;

Considérant que ces messages sont tous postérieurs au 1er mars 2013 ; que, tous issus de la boite aux lettres électronique professionnelle de Gilles D., [...] et non d'une adresse personnelle à ce dernier, et ayant un objet manifestement professionnel, ils pouvaient être régulièrement consultés par son employeur ; qu'à l'évidence, ils n'ont rien à voir avec la qualité de fournisseur de la SAS Sanei Elevators France par rapport à la société SDEA, mais à des marchés portant sur la rénovation ou la réhabilitation d'ascenseurs auxquels ces deux entreprises, de par leurs objets sociaux, pouvaient concourir ; qu'ainsi ces faits commis par un salarié, permettant de favoriser une entreprise concurrente au préjudice de son employeur, caractérisent des actes de concurrence déloyale commis par la SAS Sanei Elevators France au préjudice de la société SDEA ;

Considérant, concernant le préjudice, que ces faits s'analysent effectivement en une perte de chance pour la société SDEA d'obtenir ces marchés ; que très exactement, compte tenu du fait que le secteur des ascensoristes est un secteur réduit à quatre gros intervenants, prenant environ 80% des marchés, seuls les 20% restant pouvant effectivement être remportés par des entreprises de même taille et de même activité que la société SDEA, le tribunal a apprécié que le préjudice résultant de cette perte de chance devait être évalué à 20% du montant total des six marchés portant sur des ascenseurs, soit la somme de 233 643,82 euro ;

Que les autres moyens développés par l'appelant principal, se rapportant aux conditions de création de la société SDEA, aux circonstances dans lesquelles ses dirigeants auraient détourné des fonds, au fait qu'elle aurait bénéficié de prêts, au fait que des salariés, excédés par le comportement du gérant, auraient quitté la société et au fait qu'à l'occasion du constat d'huissier ses dirigeants auraient eu accès à des informations indues, sont étrangers à la démonstration qui précède et par là même inopérants ;

Que concernant l'appel incident, si d'autres faits indélicats ont été révélés par le constat d'huissier réalisé le 11 octobre 2013, par exemple le fait qu'en même temps qu'il était salarié de la Sarl SDEA, Gilles D. travaillait déjà pour le compte de la SAS Sanei Elevators France où il sera embauché par la suite, cette circonstance ne conduit pas à modifier l'étendue du préjudice ci-dessus déterminée ; que rien ne permet en particulier de le chiffrer avec pertinence à la moitié du chiffre d'affaires de la SAS Sanei Elevators France pendant les dix mois de 2013 où elle a exercé son activité ;

Que le jugement sera dès lors confirmé en toutes ses dispositions ;

Qu'il sera aussi confirmé en ce qui concerne les dépens et les frais irrépétibles de première instance ;

Que la SAS Sanei Elevators France succombant supportera les dépens et les frais irrépétibles d'appel ainsi qu'il est dit au dispositif ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, condamne la SAS Sanei Elevators France à payer à Christophe A. SCP de Mandataire Judiciaire, ès-qualités de mandataire liquidateur de SDEA, la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, condamne la SAS Sanei Elevators France aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl Causidicor conformément aux dispositions des articles 699 et suivants du Code de procédure civile.