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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 9 novembre 2017, n° 15-17687

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Société de Transport de la Coopérative des Taxis (EURL)

Défendeur :

Grondin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Dauchel, Autier

T. com. Paris, du 18 juin 2015

18 juin 2015

Faits et procédure :

La communauté intercommunale de la Réunion Est (CIREST) a, le 27 septembre 2006, attribué au groupement momentané d'entreprises formé par l'EURL Société de transport de la coopérative des taxis (STCT) et la Sotrap l'exploitation de lignes régulières de transport public routier de personnes sur le territoire de la commune de Saint André. La Sotrap a, par contrat du 30 novembre 2007, sous-traité une partie de ce marché à la STCT.

Le 30 novembre 2007, la STCT a, à son tour, sous-traité à Madame Marie-Aline Grondin, chauffeur de taxi, le service de lignes régulières de transport public sur le territoire de la commune de Saint André ; le contrat a été souscrit pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation par l'une des parties signataires en tenant compte d'un préavis de deux mois.

La STCT lui a notifié la rupture des relations à compter du 5 août 2011.

Par acte du 18 septembre 2013, Madame Grondin a assigné, pour rupture brutale de la relation commerciale établie, la STCT devant le Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion qui, par jugement du 30 juin 2014, s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 18 juin 2015, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

condamné la STCT à payer à Madame Grondin la somme de 8 000 euros ;

débouté Madame Grondin du surplus de ses demandes ;

condamné la STCT à payer à Madame Grondin la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

dit les parties mal fondées dans leurs demandes plus amples ou contraires et les en déboutées ;

ordonné l'exécution provisoire du jugement à charge pour Madame Marie-Aline Grondin de fournir une caution bancaire couvrant, en cas d'exigibilité de leur remboursement éventuel, toutes les sommes versées par la STCT en exécution du jugement outre les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes ;

condamné la STCT aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La STCT a, le 24 août 2015, régulièrement interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties :

La STCT, par dernières conclusions signifiées le 30 mai 2016, demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- dire que les fautes commises par Madame Grondin justifiaient la rupture sans préavis du contrat la liant à la STCT ;

En conséquence,

- déclarer Madame Grondin mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter ;

Subsidiairement,

- débouter Madame Grondin de toutes demandes indemnitaires et de son appel incident, compte tenu de l'absence de preuve de préjudice et de lien de causalité avec la STCT ;

En tout état de cause,

- condamner Madame Grondin à payer à la STCT la somme de 3 255 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient que la rupture sans préavis du contrat était justifiée par les fautes commises par Madame Grondin, en ce que cette dernière n'a pas assuré certaines liaisons, sur des périodes de temps relativement longues, sans prévenir, ni s'en expliquer auprès de la CIREST ou de la société STCT, alors qu'il s'agissait de transport public de personnes, que ce comportement a démontré, de la part de cette professionnelle, un manque grave de sérieux et une négligence dolosive dans l'exécution du contrat. L'absence totale de desserte a désorganisé la bonne marche du service communal de transport de personnes, portant atteinte à la continuité du service public, et constitue un manquement grave de la part de Madame Grondin qui ne pouvait ignorer la fonction de service public de la prestation confiée et des obligations qui en découlaient.

Subsidiairement, sur le préjudice invoqué, la société STCT indique que l'article L. 442-6 du Code de commerce ne prend en compte que le caractère brutal de la rupture contractuelle, que les difficultés financières invoquées par Madame Grondin ne résultent pas de la rupture du contrat par la STCT, ces difficultés étant préexistantes, telles que les difficultés de Madame Grondin de paiement de son loyer; en l'absence dès lors de preuve d'un quelconque préjudice financier, aucune indemnisation ne saurait être allouée à Madame Grondin.

Madame Marie-Aline Grondin, par dernières conclusions signifiées le 14 avril 2016, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la rupture brutale de la relation commerciale établie et a condamné la STCT sur ce fondement ;

A titre reconventionnel,

- condamner la STCT à verser à Madame Grondin la somme de 3 500 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- condamner la STCT à verser à Madame Grondin la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive des relations contractuelles ;

A défaut,

- confirmer le jugement du 18 juin 2015 rendu par le Tribunal de commerce de Paris ;

En tout état de cause,

- condamner la STCT à payer à Madame Grondin la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle invoque les conditions irrégulières et abusives de la rupture de la relation contractuelle, en ce que la société STCT n'a respecté aucun préavis de rupture et a rompu le contrat dans des circonstances abusives, Madame Grondin ayant été brutalement avertie de la rupture de la relation par un simple appel téléphonique. Elle ajoute que la STCT ne lui a jamais laissé la possibilité de s'expliquer sur les fautes alléguées ; s'il lui est en effet reproché certaines absences sur les lignes urbaines qui lui étaient attribuées, il s'avère que son véhicule est tombé en panne, ce qui est attesté par une facture de la société Jista Assistance ; sur ce point, Madame Grondin indique que la sanction contractuellement prévue en cas de défaillance du taxiteur est d'ordre financier, alors que la société STCT a immédiatement pris la décision de rompre le contrat. Elle souligne également que les dénonciations dont elle fait l'objet sont calomnieuses car il y a huit autres taxiteurs sur les lignes concernées et qu'il est convenu qu'en cas de défaillance de l'un d'entre eux, un remplacement par un autre au pied levé doit être effectué. L'appelante considère que l'ensemble de ces reproches n'ont visé qu'à l'exclure de son travail pour avoir refusé de vendre sa licence à un proche du dirigeant de la société STCT, Monsieur Payet.

Sur le préjudice, Madame Grondin soutient qu'il est considérable car elle tirait une part importante de son revenu de son activité de transporteur, que la rupture du contrat l'a mise dans des difficultés financières et morales ; ne pouvant plus faire face à ses charges de la vie courante (loyer, facture d'EDF, eau, frais d'entretien), elle a été contrainte de céder son véhicule et a fait l'objet d'une procédure d'expulsion de son habitation.

Motifs :

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure. ";

Considérant que l'existence, entre les parties, d'une relation commerciale établie n'est pas contestée ; qu'il est constant que, par courrier en date du 24 août 2011, la STCT a notifié à Madame Grondin sa décision de ne plus l'affecter sur les lignes de transport de la Cirest à compter du 5 août 2011, en indiquant : " Motifs : plusieurs plaintes et non-respect de la convention " ; qu'il résulte de ces éléments que la rupture de la relation commerciale est intervenue sans préavis ;

Considérant que la STCT invoque, au soutien de l'absence de préavis de rupture, les manquements graves de Madame Grondin à ses obligations contractuelles, en l'espèce, l'absence de desserte des lignes urbaines L 37/42 le mercredi 27 juillet 2011 de 15h40 à 17h30, l'absence de desserte des lignes urbaines 32/36 durant toute la journée du jeudi 4 août 2011, le mécontentement et les plaintes répétées de voyageurs sur les circuits assurés par Madame Grondin ;

Mais considérant qu'aucune des pièces versées aux débats n'établit une quelconque plainte de voyageur quant au service confié à Madame Grondin ; que, si cette dernière ne conteste pas n'avoir pas assuré la prestation prévue les 27 juillet et 4 août 2011, l'interruption du service s'est limitée, dans l'après-midi du 27 juillet 2011, à moins de deux heures, et, au cours de la matinée du 4 août 2011, à deux rotations non effectuées sur les lignes 32 et 36 (aux termes des relevés de manquement n° 332 et 333 - pièces STCT n° 6 et 7) ; que ces deux seuls incidents - dont la STCT ne conteste pas que, comme l'affirme l'intimée, ils ont donné lieu au remplacement de la conductrice - sur une période de plus de trois ans et demi, ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture du contrat sans préavis ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu la brutalité de la rupture de la relation commerciale ;

Considérant, sur le préjudice, que le préjudice indemnisable au titre de l'article L. 442-6 I, 5° réside dans la perte éprouvée et le manque à gagner consécutifs, non à la rupture elle-même, mais à sa brutalité ; que la victime de la rupture doit démontrer avec certitude que la rupture lui a causé une perte de marge pendant la période où elle aurait dû bénéficier d'un préavis ; qu'en l'espèce, Madame Grondin ne fait état que de chefs de préjudice dont elle n'établit pas le lien avec l'absence de préavis de rupture (non-paiement de son loyer entre avril et novembre 2011, vente de son véhicule en 2012, état dépressif) ; qu'elle ne communique aucun élément, ni sur son chiffre d'affaires, ni sur la marge réalisée, permettant à la cour d'évaluer le préjudice causé par le caractère brutal de la rupture ; qu'en conséquence, la cour déboutera Madame Grondin de sa demande de dommages et intérêts et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la rupture brutale de la relation commerciale établie ; l'infirme pour le surplus ; Statuant à nouveau ; déboute Madame Grondin de sa demande de dommages et intérêts ; dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne Madame Grondin aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.