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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 9 novembre 2017, n° 17-01513

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

JP Immobilier (SARL)

Défendeur :

JC Immobilier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bouvier

Conseillers :

Mme Grison-Pascail, Marilly

T. com. Versailles, du 1 févr. 2017

1 février 2017

Faits et procédure

La société JP immobilier, immatriculée le 20 mars 1992, a pour activité la transaction et la gestion de biens immobiliers. Elle est également marchand de biens.

Par acte du 29 mai 2008, les détenteurs des parts sociales de la société JP immobilier, Mme Michèle C., Mme Sandrine C. et M. Jean-Pierre-C., le gérant, ont cédé les dites parts à la société Remarde Participations, à l'exception de 50 parts détenues et conservées par M. Jérôme C., qui est resté salarié de la société JP immobilier.

Monsieur Jean-Pierre C. est entré par ailleurs au capital de la société Remarde participations à hauteur de 10 parts sociales, le 26 décembre 2008.

L'acte de cession précise par une clause 10, de " non-concurrence et non- réinstallation " que les cédants s'obligent à une garantie de non concurrence, directe ou indirecte, concernant la clientèle cédée pendant une période de 10 ans ; que de plus, les cédants s'obligent à une garantie de non réinstallation directe ou indirecte dans l'activité cédée, dans un rayon de 25 kilomètres du siège social de la société ayant fait l'objet des cessions de parts, pendant une durée de 5 ans.

M. Jérôme C., et son père M. Jean-Pierre C., gérant de la société JP immobilier jusqu'au 29 mai 2008, ont constitué la société JC immobilier, immatriculée au registre du commerce et des sociétés, le 3 Mars 2016, qui a une activité similaire à celle de JP immobilier (vente et administration de tous biens mobiliers et immobiliers, syndic de copropriété, conseil en urbanisme, marchand de biens et expertise).

Par acte du 8 décembre 2016, alléguant être victime d'actes de concurrence déloyale de la part de la société JC immobilier, la société JP immobilier l'a assignée en référé devant le président du Tribunal de commerce de Versailles.

Parallèlement, la société JP immobilier a licencié M. Jérôme C. pour faute lourde, par lettre recommandée du 6 octobre 2010 et saisi le conseil de prud'hommes de Rambouillet.

La société JP immobilier a par ailleurs assigné M. Jean-Pierre C. devant le Tribunal de grande instance de Versailles aux fins d'obtenir réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi, et le Tribunal de commerce de Versailles, lequel s'est dessaisi au profit du tribunal de grande instance.

Par ordonnance de référé du 1er février 2017, le président du Tribunal de commerce de Versailles, retenant que la clause de non-réinstallation a bien été respectée pendant dix années par M. Jérôme C. ; qu'il n'est pas démontré que la clause de non-concurrence a été violée, la société JC immobilier, qui ne dispose d'aucun local commercial, n'ayant aucune visibilité ; qu'il n'est pas non plus démontré que des mandats de gestion ont été détournés par la société JC immobilier ; qu'enfin la société JP immobilier ne rapporte pas la preuve de ce que quelques-uns de ses anciens clients se sont dirigés vers la société JC immobilier à la suite d'actes déloyaux, a en conséquence :

- renvoyé les parties à se pourvoir ;

par provision a :

- débouté la SARL JP immobilier de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la SARL JP immobilier à payer à la SARL JC immobilier la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la SARL JP immobilier aux dépens dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 45,06 euros ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 22 février 2017, la société JP immobilier a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions, reçues au greffe le 19 mai 2017, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des moyens et prétentions soulevées, elle demande à la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en son appel,

l'y accueillant,

- infirmer l'ordonnance rendue le 1er février 2017 par le président du tribunal de commerce ;

et, statuant à nouveau,

- enjoindre à la société JC immobilier d'avoir à cesser tout acte de concurrence déloyale tant par détournement de clientèle et de fichiers que par démarchage illicite de la clientèle et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée ;

- autoriser la société JP immobilier à faire paraître le dispositif de la décision à intervenir dans deux journaux de son choix ;

-condamner la société JC immobilier à verser à la société JP immobilier la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société JC immobilier en tous les dépens.

Au soutien de ses demandes, la société JP immobilier, appelante, soutient que la société JC immobilier, dont le siège social se situe au domicile de M. Jean-Pierre C., sur la même commune de Saint Arnoult en Yvelines que le sien, dont l'activité est similaire et dont la dénomination sociale choisie porte à confusion, a opéré un détournement de clientèle, en récupérant des mandats de gestion que M. Jean-Pierre C. avait cédés, dans le cadre de la vente intervenue le 29 mai 2008. La société JP immobilier soutient que la société JC immobilier, par l'intermédiaire de M. Jérôme C., toujours salarié de la société JP immobilier, a utilisé son fichier clients, allant même jusqu'à rédiger des modèles de lettres de résiliation de mandat, à l'intention des clients qu'elle détournait, comme en atteste le constat d'huissier versé aux débats.

Elle allègue enfin, en produisant un courriel de M. Jérôme C. du 15 juin 2016, qu'il avait bien l'intention de détourner la clientèle, et demandait à son interlocutrice, si, selon elle, il était préférable de racheter le portefeuille de clientèle de la société JP immobilier ou de créer une nouvelle société, vers laquelle les clients se dirigeraient, avec le risque que la société Remarde Participations entreprenne des procédures pour détournement de clientèle. Par courriel du 8 juillet 2016, il a demandé à sa mère, Mme Michèle C., d'effacer ce mail de la messagerie de la société JP immobilier.

Aux termes de ses dernières conclusions, reçues au greffe le 17 juillet 2017, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé plus ample des moyens et prétentions soulevées, la société JC immobilier demande à la cour de :

- confirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue par le président du Tribunal de commerce de Versailles le 1er février 2017 ;

en conséquence,

- débouter la société JP immobilier de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société JP immobilier au paiement d'une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, la société JC immobilier allègue l'absence de trouble manifestement illicite constitué par des actes de concurrence déloyale, de détournement et démarchage illicite de clientèle.

Elle soutient que les consorts C. étaient en droit de créer une société concurrente à la société JP immobilier, M. Jérôme C. associé et salarié de la société JP immobilier, et M. Jean-Pierre C., associé de la société Remarde Participations, n'étant liés par aucune obligation de non-concurrence à l'égard de ces sociétés. Elle invoque la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle, sauf stipulation contraire, l'associé d'une société à responsabilité limitée n'est pas, en cette qualité, tenu de s'abstenir d'exercer une activité concurrente de la société et doit seulement s'abstenir d'actes de concurrence déloyale.

Par ailleurs, la société JP immobilier ne peut selon elle, se prévaloir de la clause de non-concurrence prévue à l'article 10 du contrat de cession des parts sociales, cette dernière n'étant pas partie au contrat, conclu entre les consorts C. et la société Remarde Participations. En outre, la clause de non-concurrence contenait une clause de non réinstallation, pour une durée de 5 ans, écoulée le 29 mai 2013, et une clause de non concurrence, non valide, puisque limitée dans le temps, à dix ans, mais pas dans l'espace, contrairement aux exigences de validité posées par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 février 2013.

La société JC immobilier conteste avoir commis des actes de concurrence déloyale, en rappelant qu'en tant que microstructure familiale, dont l'objet est la gestion du patrimoine immobilier de la famille, dont le capital social n'est que de 1 000 euros et dont le siège social est fixé au domicile de Jean-Pierre C., elle n'a aucun moyen d'attirer une clientèle car elle n'a aucune visibilité.

Elle soutient qu'elle n'a que cinq clients dont quatre (Messieurs B., Nicolas D., B. et S.) étaient d'anciens clients de la société JP immobilier, mais ont mis un terme à leur mandat de leur propre initiative, en raison des nombreuses défaillances de cette dernière et non à la suite d'actes déloyaux de concurrence de sa part.

La société JC immobilier fait également valoir l'absence de dommage imminent dont la société JP immobilier serait susceptible d'être victime, les difficultés financières qu'elle rencontre depuis plusieurs années ne pouvant lui être imputables.

Elle ajoute que la procédure diligentée par la société JP immobilier a pour objectif de nuire à sa nouvelle concurrente et est motivée de surcroît par un différend antérieur relatif au rachat des parts sociales.

Elle rappelle enfin qu'il ne relève pas du pouvoir du juge des référés d'ordonner une mesure de publication de la décision à intervenir.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 septembre 2017.

L'audience de plaidoirie a été fixée au 27 septembre 2017 et le délibéré au 9 novembre 2017.

Sur ce la cour,

Au principal :

Selon l'article 873, alinéa 1 du Code de procédure civile, le président peut dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite que le juge des référés a le pouvoir de faire cesser s'entend de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Le principe de la liberté du commerce consacré par les lois des 2 mars et 17 mars 1791 a pour conséquence directe la liberté des entreprises de rivaliser entre elles afin de conquérir et de retenir la clientèle. Il n'est donc pas interdit à une entreprise d'attirer vers elle un client et de le détourner d'un concurrent.

Le démarchage de la clientèle d'un concurrent, considéré comme une pratique commerciale normale, devient toutefois fautif lorsque son auteur enfreint les usages commerciaux et agit de façon déloyale.

Ainsi si la création par un gérant de société, d'une entreprise concurrente de celle dans laquelle il est ou était auparavant associé, n'est pas constitutive en soi d'un acte de concurrence illicite ou déloyale, il en est autrement si la création de cette nouvelle entreprise est accompagnée de pratiques illicites et notamment d'utilisation de fichiers aux fins de détournement de sa clientèle.

En l'espèce, il résulte du courriel adressé par M. Jérôme C. à Immobilier Consulting, le 15 juin 2016, qu'il entend poursuivre l'activité entreprise par son père, en 1992, et conserver ses anciens clients, tout en sortant de la société JP immobilier, gérée par M.de L., dont il qualifie la gestion de " médiocre ".

Ce courriel démontre qu'il s'interroge sur l'opportunité soit de racheter le portefeuille de gestion de JP Immobilier, ce qui impose peu de contraintes aux clients et permet de conserver le local, mais ce qui a un coût, soit de créer une autre société avec M. Jean-Pierre C. comme gérant, (société déjà créée). Il précise dans son courriel que dans cette deuxième hypothèse, les clients les suivraient, lui et son père, mais que la société Remarde Participations entreprendrait toutes les procédures possibles pour détournement de clientèle.

Les pièces produites par la société JP immobilier, au soutien de ses prétentions, démontrent par ailleurs que M. Jérôme C., toujours salarié de la société JP immobilier, jusqu'à la date de son licenciement, a usé de cette qualité, du matériel et documents mis à sa disposition pour commencer à détourner des clients de la société créée à l'origine par son père et dans laquelle il travaillait toujours.

Le constat d'huissier établi le 13 avril 2017 démontre qu'il a effectivement préparé sur l'ordinateur appartenant à la société JP Immobilier, un courrier au nom des époux B. et à destination de la société JP Immobilier, aux fins de résiliation du mandat de gestion qui les liait, les époux B. faisant désormais partie de la clientèle de JC Immobilier. Il résulte également de ce constat d'huissier que cinq autres courriers de résiliation de mandat de gestion ont été préparés pour des clients de la société JP immobilier sur l'ordinateur de M. Jérôme C..

S'il est exact, la date à laquelle le premier juge a statué, la société JC Immobilier était une microstructure familiale, sans local commercial, et peu visible, la dénomination choisie pour cette nouvelle société, dont l'activité est parfaitement similaire à celle de JP Immobilier, le courriel de M. Jérôme C., salarié de la société JP Immobilier, du 15 juin 2016, les actes préparés sur son ordinateur, qui ont permis, au moins pour l'un des clients, de l'aider à quitter la société JP Immobilier, pour contracter avec la société JC Immobilier, démontrent un détournement de clientèle et une volonté de poursuivre en ce sens, en utilisant le fichier clientèle et les outils de la société.

Cette utilisation par M. Jérôme C., dans le contexte décrit ci-dessus, du fichier clientèle de la société JP Immobilier, constitue, avec l'évidence requise en référé, un acte de concurrence déloyale causant un trouble manifestement illicite à la société JC Immobilier qu'il convient de faire cesser, en application de l'article 809, alinéa 1 du Code de procédure civile, par toutes mesures conservatoires utiles.

L'astreinte est une mesure de contrainte destinée à vaincre la résistance opposée à l'exécution de l'obligation qu'elle assortit.

En l'espèce, elle apparaît nécessaire pour favoriser le respect, dans les meilleurs délais, de l'injonction prononcée.

Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance dont appel et d'enjoindre à la société JC Immobilier de cesser tout acte de concurrence déloyale tant par détournement de clientèle et de fichiers que par démarchage illicite de la clientèle et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée.

La cour n'entend pas se réserver le contentieux de l'astreinte.

La société JP Immobilier sera en revanche déboutée de sa demande tendant au prononcé de mesures de publication qui ne se justifient pas au regard des circonstances de l'espèce.

Sur l'article 700 et les dépens :

Il apparaît équitable de condamner la société JC Immobilier à payer la somme de 3000 euros à la société JP Immobilier au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Partie perdante, la société JP Immobilier supportera les dépens de première instance et d'appel.

Par Ces Motifs, LA COUR statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort ; Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée ; Statuant À Nouveau, Fait Injonction à la société JC Immobilier de cesser tout acte de concurrence déloyale tant par détournement de clientèle et de fichiers que par démarchage illicite de la clientèle et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée ; Dit que la cour ne se réserve pas la liquidation de l'astreinte, Déboute la société JP Immobilier de sa demande tendant au prononcé de mesures de publication dans deux journaux de son choix ; Y Ajoutant, Condamne la société JC Immobilier à payer la somme de 3 000 euros à la société JP Immobilier au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société JC immobilier aux entiers dépens de première instance et d'appel. Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et signé par Madame Odette-Luce Bouvier, président et par Madame Agnès Marie, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.