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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 9 novembre 2017, n° 15-11102

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sgorbati

Défendeur :

La Cigale Dorée (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Messias

Conseillers :

Mmes Durand, Chalbos

Avocats :

Mes Badie, Mathieu

T. com. Marseille, du 26 mai 2015

26 mai 2015

La société La Cigale dorée a signé avec Monsieur Eric Sgorbati le 25 février 2011 un contrat d'agent commercial à durée indéterminée.

Monsieur Sgorbati avait précédemment occupé au sein de la société La Cigale dorée un emploi salarié de commercial entre 1986 et 2010, ce contrat de travail ayant fait l'objet d'une rupture conventionnelle.

Par lettre recommandée AR du 21 mars 2013, la société La Cigale dorée a notifié à Monsieur Sgorbati la rupture de son contrat d'agent commercial, invoquant des agissements fautifs d'une particulière gravité la dispensant du paiement de toute indemnité.

Par courrier de son conseil en date du 4 mars 2014 Monsieur Sgorbati a contesté les motifs de rupture allégués et demandé paiement d'une indemnité compensatrice de rupture d'un montant de 18 633,22 € égal à la moyenne annuelle des commissions perçues en 2011 et 2012, ainsi que d'une somme de 5 081,79 € de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, correspondant à trois mois de commissions.

Par acte en date du 28 mai 2015 Monsieur Sgorbati a fait assigner la société La Cigale dorée devant le Tribunal de commerce de Marseille aux fins d'obtenir paiement des sommes précitées.

Par jugement du 26 mai 2015, le Tribunal de commerce de Marseille a :

- débouté Monsieur Eric Sgorbati de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné Monsieur Sgorbati à payer à la société La Cigale dorée la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure,

- laissé les dépens à la charge de Monsieur Sgorbati,

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires.

Le tribunal a retenu que Monsieur Sgorbati avait commercialisé pour d'autres mandants des babas et des macarons surgelés, que ces produits étaient directement en concurrence avec les propres produits de la société La Cigale dorée, que Monsieur Sgorbati avait ainsi délibérément violé l'article 2.3 de son contrat d'agent et s'était rendu coupable de concurrence déloyale constitutive d'une faute grave justifiant la rupture du contrat notifiée par le mandant.

Monsieur Sgorbati a interjeté appel de cette décision le 18 juin 2015.

Par conclusions déposées et notifiées le 8 avril 2016, il demande à la cour, vu les articles L. 134-1 et suivants, notamment l'article L. 134-12 du Code de commerce d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté Monsieur Sgorbati de l'ensemble de ses demandes et statuant à nouveau de :

- constater que la rupture du contrat d'agent commercial de Monsieur Sgorbati ne repose sur aucune faute grave,

- condamner la société La Cigale dorée à payer à Monsieur Eric Sgorbati :

- la somme de 18 633,22 € à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat d'agent commercial,

- la somme de 5 071,79 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis,

- débouter la société La Cigale dorée de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société La Cigale dorée à payer à Monsieur Eric Sgorbati la somme de 2500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Badie Simon-Thibaud Juston.

Par conclusions déposées et notifiées le 22 décembre 2015, la société La Cigale dorée demande à la cour de :

- dire et juger que Monsieur Sgorbati a commis des actes de concurrence déloyale justifiant à eux seuls la rupture pour faute grave de son contrat d'agent commercial,

- dire et juger que la rupture sans préavis du mandat de Monsieur Sgorbati a été justifiée par ses fautes professionnelles réitérées et multiples, constitutives d'une faute grave,

- dire et juger que Monsieur Sgorbati ne peut prétendre à une indemnité de fin de contrat en application de l'article L. 134-13 du Code de commerce,

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter en conséquence purement et simplement Monsieur Sgorbati de ses demandes, fins et conclusions,

- le condamner à verser la somme de 2000 € en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La procédure a été clôturée le 13 septembre 2017.

MOTIFS :

La société La Cigale dorée reproche à Monsieur Sgorbati les manquements contractuels suivants :

- des actes de concurrence déloyale consistant en la vente de produits concurrents : des babas de la société Rocci et des macarons de la société Alpi macarons,

- un défaut de prospection, Monsieur Sgorbati s'abstenant de prospecter sur l'ensemble du secteur défini au contrat et laissant des clients sans visite pendant plusieurs mois,

- un manquement au devoir d'information et un désintérêt pour la société mandante, caractérisés notamment par la difficulté à obtenir des rapports écrits sur les visites et prospects de l'agent malgré les demandes et mises en garde,

- un chiffre d'affaires conventionnel non atteint en raison des manquements contractuels, une chute brutale du chiffre d'affaires résultant d'une prospection manifestement insuffisante, d'un désintérêt pour les produits fabriqués par la mandante et d'une prospection au profit de la concurrence.

Le tribunal n'a examiné que le premier de ces griefs, considérant que ces faits étaient suffisants pour justifier à eux seuls la rupture du contrat sans indemnité.

- Sur les actes de concurrence déloyale :

Aux termes de l'article L. 134-4 alinéa 1 et 2 du Code de commerce, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties, les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

Le contrat conclu entre les parties le 25 février 2011 stipule notamment :

2.2 : lLagent commercialisera les produits suivants :

- produits fabriqués actuellement par La Cigale dorée : savarins, babas, génoises, tulipes, coques de macarons,

- produits de négoce : pâte à choux, tartes, feuilletés, meringues, produits festifs, bavarois, charlottes, feuilles de génoise.

Si le mandant était conduit à mettre en vente d'autres produits, il se réserve le droit d'en confier ou non la représentation à l'agent qui restera libre de l'accepter ou de la refuser. Cette acceptation ou ce refus ne fera pas obstacle à la poursuite du présent contrat.

2.3 : L'agent s'engage à ne pas commercialiser une gamme concurrente à celle qui lui a été confiée.

La société mandante justifie par la production de courriers électroniques des 28 janvier et 28 février 2013 que son dirigeant, Monsieur Michel Bohé., a été informé par la société Pâtisserie Rocci de ce que Monsieur Sgorbati avait commercialisé des babas pour le compte de cette dernière courant août, septembre, octobre, novembre et décembre 2012, auprès des clients Intermarché Cavaillon, Leclerc Manosque, Intermarché Sarrians, et de ce qu'il commercialisait également des macarons de la société Alpi macarons auprès des magasins Hyper U Pertuis, Intermarché Sarrians, Leclerc Carpentras et Nîmes.

Monsieur Sgorbati ne conteste pas avoir vendu ces produits dans le même secteur géographique que celui prévu au contrat le liant à la société La Cigale dorée.

Il soutient cependant que les produits commercialisés par les sociétés par les sociétés Rocci et Alpi macarons sont différents et n'entrent pas en concurrence avec ceux fabriqués par la société La Cigale dorée, puisque la société Rocci vend des babas garnis alors que la Cigale dorée vend des babas à garnir, et que la société Alpi macarons vend des macarons finis bio tandis que la Cigale dorée vend des coques de macarons.

Il précise que lors de la signature du contrat d'agent commercial, la société mandante ne fabriquait pas de produits finis et que ce n'est qu'en 2013 qu'elle a lancé sur le marché des babas garnis, qu'il avait la possibilité d'accepter ou de refuser de commercialiser conformément à l'article 2.2 du contrat.

C'est cependant à juste titre que les premiers juges ont considéré que les babas de la société Rocci et les macarons de la société Alpi macarons entraient directement en concurrence avec les propres produits de la Cigale dorée et que leur commercialisation par Monsieur Sgorbati était déloyale et constituait une violation de l'article 2.2 de son contrat.

En effet, le baba garni ne constitue qu'une déclinaison du baba visé au contrat d'agent liant Monsieur Sgorbati à la société La Cigale dorée sans autre précision, et les coques de macaron constituent un produit de la même gamme que les macarons finis.

Les produits des sociétés Rocci et Alpi macarons peuvent être proposés en substitution de ceux fabriqués par la société La Cigale dorée et conduire la clientèle à ne plus acheter de babas à garnir ou de coques de macarons produites par cette dernière.

L'obligation de loyauté et de non-concurrence est une obligation essentielle du contrat d'agent commercial.

La violation de cette obligation par Monsieur Sgorbati constitue une faute grave au sens de l'article L. 134-13 1° du Code de commerce, l'appréciation des premiers juges étant confirmée sur ce point.

- Sur les autres griefs :

Aux termes de son contrat d'agent commercial (article 3.1) Monsieur Sgorbati exerçait son activité en exclusivité sur les départements 04-05-06-07-11-13-26-30-34-66-83-84.

La société La Cigale dorée soutient que Monsieur Sgorbati se contentait de prospecter autour de son domicile et laissait certains clients sans visites pendant plusieurs mois.

Elle justifie avoir transmis à Monsieur Sgorbati, notamment par mails des 9 mai 2011 et 22 juin 2011, les plaintes des clients Murat, Poucel et Distrisud se disant sans nouvelles de l'agent, ce grief étant également formulé dans un mail adressé le 29 novembre 2011 par Madame Valérie Flick, en charge de l'organisation de la prospection commerciale, à la société Distrisud à laquelle elle écrivait : " j'ai bien noté que malgré la demande que vous m'aviez formulé cet été et ma transmission auprès de lui, notre commercial M. Eric Sgorbati n'est toujours pas venu vous voir. J'espère néanmoins avoir répondu à vos attentes et le relance à ce sujet ", et dans un autre mail adressé par Madame Flick à Monsieur Michel Bohé. le 23 avril 2012 dans les termes suivants : " Nous avons envoyé des échantillons chez Poucel début mars. Cela nécessite un suivi commercial (...) Eric devait y aller et n'y est pas allé. "

Contrairement à ce que soutient Monsieur Sgorbati, ces courriers électroniques effectivement envoyés par la société La Cigale dorée ou l'un de ses partenaires commerciaux avant la survenance du litige ont une valeur probante suffisante concernant les réclamations de clients transmises à Monsieur Sgorbati courant 2011 et 2012.

Monsieur Sgorbati ne conteste pas, au demeurant, avoir reçu les courriers électroniques qui lui étaient adressés puisqu'il prétend y avoir répondu sans être en mesure d'en justifier.

Il est ainsi suffisamment démontré un manque de suivi de la part de Monsieur Sgorbati envers certains clients.

Monsieur Sgorbati reconnaît par ailleurs avoir limité son secteur de prospection aux départements de Vaucluse, du Gard et des Bohéouches-du-Rhône, affirmant que de par sa connaissance du secteur depuis 1986, " il savait, au regard des tarifs pratiqués par la société, quels territoires il pouvait tenter de démarcher et pour quels territoires c'était totalement inutile. "

Aux termes de son contrat, Monsieur Sgorbati se devait cependant de tout mettre en œuvre pour assurer la promotion et la vente des produits du mandant sur un secteur constitué de 12 départements sur lequel il intervenait en exclusivité, en respectant la politique commerciale du mandant, et à réaliser un chiffre d'affaires minimum déterminé.

En se dispensant de toute tentative de prospection sur la plus grande partie de son secteur, Monsieur Sgorbati n'a pas respecté ses obligations contractuelles.

La société La Cigale dorée reproche encore à Monsieur Sgorbati un manquement au devoir d'information et un désintérêt pour la société mandante.

Elle rappelle qu'outre le devoir d'information réciproque prévu à l'article L. 134-4 du Code de commerce, les articles 8.3, 10.1 et 10.2 du contrat signé entre les parties imposaient à l'agent de transmettre au mandant un rapport mensuel détaillé de visites sous la forme d'un écrit et un rapport semestriel sur l'état du marché dans son secteur, les souhaits de la clientèle et les actions de la concurrence ainsi que toutes autres informations susceptibles d'intéresser le mandant.

Elle prétend que malgré les demandes qui lui étaient adressées, Monsieur Sgorbati n'a pas fourni les rapports écrits prévus au contrat.

Seuls sont versés aux débats les rapports d'activité de décembre 2011 et janvier 2012, Monsieur Sgorbati produisant en outre un compte rendu adressé le 20 juin 2011.

Il appartient à Monsieur Sgorbati qui prétend avoir satisfait à son obligation en adressant des rapports réguliers d'en rapporter la preuve conformément aux dispositions de l'article 1315 ancien du Code civil, ce qu'il ne fait pas.

La société La Cigale dorée justifie pour sa part avoir réclamé à plusieurs reprises des rapports d'activité à Monsieur Sgorbati, notamment par mail du 9 mai 2011, aux termes duquel Monsieur Bohé. se plaint de n'avoir aucune nouvelle de Monsieur Sgorbati et exprime le souhait de recevoir de ce dernier un retour écrit de ses visites, par mail du 26 juillet 2011 aux termes duquel Monsieur Bohé. se plaint à nouveau de n'avoir aucune nouvelle depuis deux mois, par courrier recommandé AR du 18 avril 2012 qui comporte notamment un rappel des clauses du contrat concernant les rapports mensuels (article 8.3), Monsieur Bohé. se plaignant de n'avoir reçu aucun rapport de visite de la clientèle hormis janvier 2012 malgré ses relances et mettant en demeure Monsieur Sgorbati d'envoyer sous quinzaine ses rapports des mois de février et mars et de respecter strictement son contrat d'agent commercial sous peine de rupture du contrat pour faute grave sans préavis ni indemnité.

Si le non-respect ponctuel de l'obligation d'information ne constitue pas nécessairement une faute grave au sens de l'article L. 134-13 1° du Code de commerce, ces manquements viennent en l'espèce s'ajouter aux autres manquements établis et confirmer l'insuffisance de l'engagement de Monsieur Sgorbati dans l'exécution de son contrat de travail.

Le manque d'investissement personnel de Monsieur Sgorbati se traduit également par l'insuffisance de chiffre d'affaires que lui reproche la société mandante.

Aux termes de l'article 7.1 du contrat, Monsieur Sgorbati s'est engagé à tout mettre en œuvre pour réaliser dans son secteur un chiffre d'affaires minimum pour 2011 de 650 000 € à compter de la signature du contrat, ce montant étant fixé par référence au chiffre d'affaires de 682 269 € réalisé par l'agent alors salarié du mandant entre le 1er septembre 2009 et le 31 août 2010, et détaillé en annexe du contrat.

L'article 7.2 précise que ces objectifs seront réajustés d'un commun accord chaque année par un avenant au contrat en fonction des données économiques du secteur, de l'évolution du marché et des capacités de production du mandant.

Il ressort du tableau établi par la société La Cigale dorée et des factures de commissions établies par l'agent lui-même que le chiffre d'affaires réalisé par Monsieur Sgorbati entre la signature du contrat et le 31 décembre 2011 s'élève pour 10 mois à 325 701 € soit un montant très inférieur aux objectifs fixés au contrat, et que le chiffre d'affaires réalisé du 1er janvier au 31 décembre 2012 s'élève à 350 835 €, soit à peine plus de la moitié du chiffre d'affaires de référence mentionné au contrat.

Cette forte chute du chiffre d'affaires est à mettre en rapport avec le développement, par Monsieur Sgorbati, d'une activité au profit de sociétés concurrentes et avec l'insuffisance des efforts de prospection au profit de la société mandante, sans qu'il soit nécessaire de démontrer que ces manquements constituent la cause exclusive de cette baisse de chiffre d'affaires.

Monsieur Sgorbati ne saurait s'exonérer de toute responsabilité dans la baisse de son chiffre d'affaires en invoquant les tarifs trop élevés pratiqués par la société La Cigale dorée, cette circonstance étant insusceptible d'expliquer une chute brutale de chiffre d'affaires dès les premiers mois de l'année 2011 alors qu'il n'est pas démontré ni même allégué que la société La Cigale dorée aurait modifié sa politique commerciale entre 2010 et 2011.

Il résulte de ce qui précède que la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave privative de toute indemnité notifiée le 14 mars 2013 par la société La Cigale dorée à Monsieur Eric Sgorbati est justifiée tant au regard des agissements de concurrence déloyale qu'au regard de l'insuffisance manifeste d'investissement personnel de l'agent en vue de la réalisation de ses objectifs contractuels.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

Partie succombante, Monsieur Sgorbati sera condamné aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, y ajoutant Condamne Monsieur Eric Sgorbati à payer à la société La Cigale dorée une somme de 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Monsieur Sgorbati aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.