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Décisions

CA Metz, 1re ch., 9 novembre 2017, n° 16-02066

METZ

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

de Dietrich Thermique (SAS)

Défendeur :

SAMCV Macif

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Hittinger, Conseillers : Mme Staechele, Dussaud

CA Metz n° 16-02066

9 novembre 2017

Exposé du litige

Mme Sabine D. a fait installer une chaudière gaz de marque de Dietrich Thermique en juillet 2010 par l'entreprise RST - R. et fils.

Invoquant un incendie survenu à son domicile le 18 janvier 2013, Mme Sabine D. a fait assigner la société de Dietrich Thermique SAS devant le Tribunal de grande instance de Sarreguemines, par acte d'Huissier de justice du 28 mars 2014, aux fins d'obtenir réparation du dommage qu'elle invoque.

La Macif, société d'assurances mutuelle à cotisations variables est intervenue volontairement en la procédure par acte du 2 janvier 2015.

Dans le dernier état de leurs conclusions Mme Sabine D. et la Macif ont demandé au Tribunal de grande instance de Sarreguemines, avec exécution provisoire, de :

" Vu les dispositions de l'article 12 du Code de Procédure Civile et de l'article L. 121-12 du Code des Assurances et de l'article 1386-1 du Code Civil :

Donner acte à la Macif de son intervention volontaire dans le cadre de la présente procédure ;

Pour le surplus,

Dire que la société de Dietrich Thermique SAS est entièrement responsable des conséquences dommageables du sinistre incendie intervenu sur la chaudière de Mme Sabine D. le 18 janvier 2013 ;

En conséquence :

Condamner la société de Dietrich Thermique SAS à payer à la Macif en sa qualité de subrogée dans les droits de Mme Sabine D. la somme de 17 629,47 euros correspondant au montant des dommages tel qu'il a été évalué dans le rapport d'expertise du cabinet Elex, montant qui sera augmenté des intérêts légaux et capitalisables à compter du jour du jugement à intervenir ;

Condamner la société de Dietrich Thermique SAS à payer à Mme Sabine D. la somme de 611,00 euros représentant la franchise et le pourcentage de vétusté évalué sur son mobilier, montant qui sera augmenté des intérêts légaux et capitalisables à compter du jour du jugement à intervenir ;

Condamner la société de Dietrich Thermique SAS à payer à Mme Sabine D. et à la Macif la somme de 3 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Débouter la société de Dietrich Thermique SAS de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamner la société de Dietrich Thermique SAS en tous les frais et dépens. "

Dans ses dernières conclusions du 6 mai 2015 la société de Dietrich Thermique SAS a souhaité voir :

" Donner acte à la société de Dietrich Thermique SAS de son appel en intervention forcée à l'encontre de la société RST - R..

Dire Et Juger l'assignation de Mme Sabine D. irrecevable et en tout cas mal fondée.

Débouter la demanderesse de toutes ses fins et conclusions.

Condamner la demanderesse aux entiers frais et dépens, ainsi qu'à payer à la société De Dietrich la somme de 3 500 euro par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile. "

L'ordonnance de clôture a été rendue par le Juge de la mise en état le 5 janvier 2016.

Se prévalant de ce que la clôture est intervenue sans que sa demande de jonction avec la procédure d'appel en intervention n'ait été tranchée, la société de Dietrich Thermique a, par note en délibéré du 14 janvier 2016, souhaité voir :

" Dire Et Juger la présente requête recevable et bien fondée :

Ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture du 5 janvier 2016.

Renvoyer l'affaire devant le Juge de la mise en état pour vider l'incident de jonction.

Dire Et Juger que les frais et dépens engendrés par la requête suivront le fond ".

Par ordonnance du 4 février 2016 le Juge de la mise en état, indiquant avoir rejeté la demande de jonction le 13 octobre 2015, a débouté la société de Dietrich Thermique SAS De sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture.

Par jugement du 3 mai 2016, le Tribunal de grande instance de Sarreguemines a statué comme suit :

" - Déclare Sabine D. et la Macif recevables et partiellement bien fondées en leur action ;

- Condamne la société de Dietrich Thermique SAS à payer à

- Sabine D. la somme de 611,000 euro augmentée des intérêts moratoires au taux légal à compter de ce jour,

- la Macif la somme d'un montant de 17 629,47 euro augmentée des intérêts moratoires au taux légal à compter de ce jour, au titre de ses obligations délictuelles,

- condamne la société de Dietrich Thermique SAS à payer à Mme Sabine D. la somme d'un montant de 250,00 euro au titre des frais non compris dans les dépens,

- Dit que les intérêts moratoires échus chaque année au 3 mai seront capitalisés pour produire eux-même des intérêts au taux légal en vigueur et pour la première fois le 3 mai 2017,

- déboute Sabine D. et la Macif de l'ensemble de leurs demandes prétentions fins, moyens et conclusions plus amples ou contraires aux précédentes dispositions,

- Rejette les demandes de la Macif et de la société de Dietrich Thermique SAS en paiement de leurs frais non compris dans les dépens ;

- Condamne la société de Dietrich Thermique SAS aux entiers dépens de la présente instance.

Pour statuer ainsi le Tribunal a retenu :

- s'agissant de la responsabilité du fait des produits défectueux :

- que la preuve du dommage est constituée par la perte totale de la chaudière, la salissure par suies de parties de l'immeuble, et la perte de biens mobiliers,

- que l'expert a exclu toute cause électrique dans la survenance de l'incendie dans la mesure où le disjoncteur ne s'est pas déclenché, et que l'expert a exclu toute cause par fuite de gaz dans la mesure où celle-ci n'aurait pu entraîner qu'une explosion, et qu'il se déduit de ces deux indices la preuve d'un dysfonctionnement au niveau de la chaudière elle-même,

- que l'allégation par la société de Dietrich Thermique SAS d'une intervention défectueuse de l'artisan-chauffagiste 16 jours avant l'incendie lors de l'entretien annuel n'est étayée par aucun élément probant, et que le fonctionnement normal de la chaudière durant 16 jours après l'intervention du chauffagiste " est de nature à éliminer tout vice dans la délivrance de la prestation du chauffagiste ",

- que l'allégation de la société de Dietrich Thermique selon laquelle aucun incendie n'est jamais intervenu sur ce type de chaudière, dépourvue de force probante, peut être sérieusement mise en doute en raison de la passivité de la défenderesse dans la gestion du problème que représente sa chaudière,

- s'agissant de la créance en réparation : qu'il résulte du rapport d'expertise que le préjudice total représente 18 719,60 euros, et que Mme Sabine D. est bien fondée à obtenir paiement d'une somme de 611,00 euros et la Macif bien fondée à solliciter 17 629,47 euros, outre intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts.

Le jugement a été signifié à la société de Dietrich Thermique SAS le 8 juin 2016.

Par déclaration de son avocat remise le 4 juillet 2016 au greffe de la Cour d'Appel de Metz, la société de Dietrich Thermique SAS en a relevé appel.

Par dernières conclusions du 30 janvier 2017, la société de Dietrich Thermique SAS demande à la Cour de :

Dire Et Juger l'appel de la société de Dietrich Thermique recevable.

Dire Et Juger l'appel de la société de Dietrich Thermique bien fondé.

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE Sarreguemines.

- statuant à nouveau :

DIRE ET JUGER les demandes de Mme Sabine D. irrecevables en tout cas mal fondées.

DIRE et JUGER l'intervention de la société Macif irrecevable en tout cas mai fondée.

DÉBOUTER Madame D. et la société Macif de toutes leurs fins et prétentions.

Subsidiairement :

DIRE et JUGER le préjudice indemnisable sur le fondement visé par Mme D. et la société Macif limité à 12.641,26 euro.

CONDAMNER Madame D. et la société Macif conjointement aux entiers frais et dépens ainsi qu'à payer à la société DE DIETRICH la somme de 3.500,00 euro par application de l'article 700 CPC.'

La société de Dietrich Thermique fait valoir que le dysfonctionnement de la chaudière n'est caractérisé ni par le rapport d'expertise Elex, ni par la motivation du jugement attaqué.

Elle souligne que le juge a exclu la possibilité d'une intervention défectueuse du chauffagiste 16 jours avant l'incendie, sans s'interroger sur le fonctionnement vierge de tout incident de l'équipement depuis sa mise en service en 2010 jusqu'à l'incendie en date du 19 février 2013.

Elle observe que le défaut n'est ni décrit ni caractérisé, et qu'il aurait échappé à la société R., professionnel de l'installation et de l'entretien, qui est le dernier intervenant sur l'ouvrage avant l'incendie, et qui n'a pas détecté d'anomalie sur l'appareil depuis sa mise en service.

La société de Dietrich Thermique soutient que le type de chaudière concerné n'a pas fait l'objet d'une procédure de rappel dans le cadre du système communautaire issu de la directive CE 2001-95 du 3 décembre 2001, et que cela est vérifiable sur le site dédié de la Commission européenne.

La société de Dietrich Thermique souligne que seules les constatations du sinistre lui sont opposables en raison de la signature de son préposé au bas du procès-verbal du 15 février 2013, à l'exclusion des développements de l'expert en date du 19 février 2013. Elle rappelle qu'en dernière page l'expert avait indiqué que la cause précise de l'incendie ne pouvait plus être déterminée, et que les caractères de la défectuosité de l'appareil n'ont pas été décrits dans l'expertise. Elle estime que l'expert n'a pas caractérisé d'autre défaut que le constat de l'incendie. Elle considère que la preuve de la défectuosité de la chaudière n'est pas rapportée positivement par la demanderesse.

Dans leurs dernières conclusions du 5 décembre 2016 Mme Sabine D. et la Macif demandent à la Cour de :

" Rejeter l'appel principal,

Faire Droit à l'appel incident,

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions exception faite de la condamnation de la société SAS de Dietrich Thermique à payer à Madame Sabine D. la somme d'un montant de 250euro au titre de ses frais non compris dans les dépens et exception faite du rejet de la demande de la Macif sur ce fondement,

Condamner la SAS de Dietrich Thermique à payer à Madame Sabine D. et à la société Macif à chacune d'elles la somme de 2 000euro en application des dispositions de l'article 700 du CPC pour les frais irrépétibles exposés devant le Tribunal,

Infirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions,

Subsidiairement,

En cas de rejet des demandes de la société Macif,

Condamner la société de Dietrich Thermique à payer à Madame Sabine D. la somme totale de 18 240,47euro outre intérêts légaux à compter du jugement rendu ainsi qu'un montant de 3 500euro au titre des dispositions de l'article 700 du CPC pour les frais irrépétibles exposés devant le Tribunal,

Ajoutant au jugement rendu,

Condamner la société de Dietrich Thermique à payer à Madame Sabine D. et à la Macif à chacune d'elles la somme de 3 000euro en application des dispositions de l'article 700 du CPC pour les frais irrépétibles exposés à hauteur de Cour,

CONDAMNER en outre la société de Dietrich Thermique aux entiers frais et dépensde la procédure. "

Rappelant que le dommage est prouvé, et que toute cause électrique et toute fuite de gaz ont été exclues par l'expert, Mme Sabine D. et la Macif en concluent que la preuve d'un dysfonctionnement au niveau de la chaudière elle-même ne peut pas être contestée. Elles en déduisent que la preuve du défaut d'une part, et du lien de causalité entre le défaut et le dommage d'autre part, est bien établie. Elles soulignent que le préposé de la société de Dietrich Thermique a signé le procès-verbal sans y apporter de remarque particulière.

Elles considèrent comme le tribunal que l'allégation d'une intervention défectueuse de l'artisan chauffagiste 16 jours avant l'incendie n'est étayée par aucun élément probatoire. Elles rappellent la motivation du tribunal et estiment que la confirmation du jugement s'impose.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 juin 2017.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur l'exception d'irrecevabilité des demandes de Mme Sabine D. et de l'intervention volontaire de la Macif :

La société de Dietrich Thermique soutient que les demandes de Mme Sabine D. et l'intervention volontaire de la Macif sont irrecevables.

Cependant la société de Dietrich Thermique SAS n'invoque à cet égard aucune cause d'irrecevabilité au sens de l'article 122 du Code de Procédure Civile.

Les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la société de Dietrich Thermique SAS ne sont pas fondées et seront rejetées.

Sur la responsabilité du fait des produits défectueux :

Selon l'ancien article 1386-1 du Code Civil, recodifié à l'article 1245 du Code Civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.

L'article 1386-9 ancien, devenu article 1245-8 du Code Civil, dispose que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Il résulte de l'article 1386-9 du Code Civil (ancien) précité que le demandeur supporte la charge de la preuve non seulement de l'existence d'un dommage, mais également du défaut du produit, et du lien de causalité entre le défaut et le produit.

Il n'est pas contesté que Mme Sabine D. a subi des dommages matériels en raison d'un incendie survenu le 18 janvier 2013 à son domicile qui a notamment détruit sa chaudière.

Il incombe à Mme Sabine D. et à la Macif, en leur qualité de demanderesses, de rapporter la preuve d'un défaut de la chaudière, en démontrant que celle-ci n'offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, au sens de l'article 1386-4 ancien devenu 1245-3 du Code Civil.

Ainsi que l'observe la société de Dietrich Thermique, l'annexe 1 des demanderesses est constituée de deux parties distinctes :

- d'une part un " procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages ", rédigé et signé par l'expert de l'assurance Macif, M. Fabrice T. du cabinet Elex METZ, et qui est opposable à la société de Dietrich Thermique SAS pour avoir été signé par son préposé le 15.02.2013,

- d'autre part les conclusions de M. Fabrice T. en date du 19.02.2013, qui n'ont quant à elles pas été signées par la société de Dietrich Thermique ni par son préposé.

Il est précisé dans le procès-verbal du 15.02.2013 signé par les parties que " le 18.01.2013 Mme Sabine D. constate des fumées provenant de l'intérieur de la chaudière. Après avoir éteint l'alimentation électrique de l'habitation (sur disjoncteur) et fermé l'arrivée du gaz immédiatement après le constat des fumées, des flammes sont apparues et Mme D. a fait évacuer l'habitation (') . Le sinistre est la conséquence d'un incendie ayant pris naissance dans l'habitacle de la chaudière ".

Cependant le fait que l'incendie ait pris naissance dans l'habitacle de la chaudière ne suffit pas à prouver que celle-ci avait un caractère défectueux.

En effet, la seule implication d'un produit dans la réalisation d'un dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens de l'article 1386-1 ancien du Code Civil. (Cass Civ. 1ère, 22.10.2009, n° 08-15-171).

Par ailleurs, le fait que l'expert de l'assureur ait, dans son rapport du 19.02.2013, exclu toute cause de surtension électrique et toute fuite de gaz à l'origine de l'incendie, ne permet pas de conclure avec certitude que la chaudière était affectée d'un défaut ayant concouru à la production du dommage.

En effet, ainsi que l'observe la société de Dietrich Thermique, la chaudière avait été installée par les établissements R.S.T. R. & FILS le 14.09.2010, et avait déjà fonctionné sans incident durant 2 ans et quatre mois, et notamment pendant 3 périodes hivernales de chauffe, avant l'incendie du 18.01.2013. Il n'est pas prétendu ni démontré qu'une défectuosité quelconque aurait été relevée par Mme Sabine D. ni par la société en charge de l'entretien de la chaudière depuis son installation avant l'incendie du 18.01.2013.

En outre le chauffagiste est intervenu le 02 janvier 2013 sur l'appareil. L'écoulement d'un délai de 16 jours entre la date des opérations d'entretien et l'incendie ne permet pas d'exclure avec certitude que celui-ci soit imputable à une intervention défectueuse ou à une révision incomplète du chauffagiste.

La cause exacte de l'incendie n'est pas déterminée ni prouvée.

M. Fabrice T. affirme dans son rapport que " malgré l'entretien par la société R., le produit était visiblement défectueux (défaut de sécurité) ". Cependant cette affirmation n'est étayée par aucune considération technique. En particulier l'expert de l'assureur n'indique pas quel organe de l'appareil était selon lui défectueux, et n'explique pas non plus comment l'incendie a pu se produire. En outre il souligne en fin de rapport qu'"étant donné que la cause précise ne peut plus être déterminée, nous ne pouvons garantir l'aboutissement d'un (tel) recours " sur le fondement de l'article 1386-1 du Code Civil.

En définitive Mme Sabine D. et la Macif ne prouvent pas que l'incendie soit imputable à un défaut de la chaudière fabriquée par la société de Dietrich Thermique.

Il y a dès lors lieu d'infirmer le jugement, et de rejeter l'ensemble des prétentions des demanderesses.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Succombant en leurs prétentions, Mme Sabine D. et la Macif seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société de Dietrich Thermique la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Elles seront également déboutées de leur demande fondée sur ces dispositions.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire : Rejette l'exception d'irrecevabilité des demandes soulevée par la société de Dietrich Thermique SAS ; Infirme le jugement en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau : Rejette l'intégralité des demandes de Mme Sabine D. et de la Macif ; Condamne Mme Sabine D. et la Macif aux dépens de première instance et d'appel ; Condamne Mme Sabine D. et la Macif à payer à la société de Dietrich Thermique SAS la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.