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Décisions

CAA Bordeaux, 1re ch., 15 novembre 2017, n° 15-03680

BORDEAUX

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Girault

Conseillers :

MM. Paul-André Braud, Normand

CAA Bordeaux n° 15-03680

15 novembre 2017

M. B...D...a demandé au Tribunal administratif de Poitiers, par deux requêtes distinctes, d'annuler la décision du 27 novembre 2012 par laquelle le maire de Poitiers a rejeté sa demande du 28 septembre 2012 concernant l'installation de son manège sur la place du maréchal Leclerc et l'arrêté du 29 novembre 2012 par lequel le maire de Poitiers a réglementé les installations de manège dans le centre-ville à l'occasion des fêtes de fin d'année.

Par un jugement n°s 1300223, 1300224 du 17 septembre 2015, le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 novembre 2015 et le 21 avril 2017, M. B... D..., représenté par Me G...puis par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Poitiers du 17 septembre 2015 ;

2°) d'annuler l'arrêté du maire de Poitiers en date du 29 novembre 2012 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Poitiers la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué ainsi que l'ensemble des pièces sur lesquelles il se fonde sont produites ;

- il justifie d'un intérêt à agir, l'arrêté devant s'analyser comme un refus implicite de lui délivrer une autorisation d'occupation temporaire pour l'emplacement sollicité ;

- le signataire de l'arrêté ne justifie pas d'une délégation l'habilitant à le signer ;

- l'arrêté municipal faisant grief, il doit être motivé en fait et en droit en vertu de la loi du 11 juillet 1979. Il n'avait pas à formuler une demande de communication des motifs, l'article 5 de cette loi ne prévoyant qu'une faculté. En tout état de cause, le délai entre la décision implicite de refus et l'arrêté municipal ne permettait pas de solliciter la communication des motifs. En outre, la communication des motifs a été sollicitée par un courrier du 18 décembre 2012 mais il n'y a pas été donné suite ;

- le défaut de motivation factuelle aboutit à une inexistence des faits, de sorte que l'arrêté doit être annulé faute de pouvoir contrôler la matérialité des faits qui en sont à l'origine ;

- le refus opposé lui a causé un préjudice financier résultant du manque à gagner car les emplacements proposés sont moins fréquentés ou dangereux. L'arrêté du 29 novembre 2012 porte donc atteinte à sa liberté de commerce et d'industrie ;

- l'arrêté méconnaît le droit de la concurrence en plaçant M. F...en situation d'abuser d'une position dominante car il est le seul forain à bénéficier d'une autorisation d'occupation temporaire de la place du maréchal Leclerc, qui attire la grande majorité des visiteurs. Les autres emplacements proposés sont soit moins attractifs soit inappropriés au regard des dimensions de son manège ;

- l'arrêté méconnaît l'article 12 de la directive 2006/123/CE du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, en l'absence de procédure de mise en concurrence.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 29 février 2016 et le 16 mai 2017, la commune de Poitiers, prise en la personne de son maire et représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. D...la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête ne comporte pas d'inventaire des pièces jointes et ne précise pas que le jugement attaqué a été joint à la requête. Elle est donc irrecevable pour méconnaissance des articles R. 412-1 et R. 412-2 du Code de justice administrative ;

- l'arrêté du 29 novembre 2012 ne peut être regardé comme une décision défavorable puisqu'il accorde à l'intéressé une autorisation d'occupation temporaire du domaine public. S'il confirme le refus, opposé implicitement le 27 novembre 2012, d'occuper la place du maréchal Leclerc, un recours ne peut être dirigé contre une décision confirmative. Le requérant ne justifie donc pas d'un intérêt à agir ;

- avant l'expiration du délai d'appel, le requérant n'a sollicité que la réformation du jugement en tant qu'il a refusé d'annuler l'arrêté du 29 novembre 2012, il ne peut donc plus solliciter l'annulation des autres décisions attaquées devant le tribunal ;

- le signataire de l'arrêté disposait d'une délégation de signature transmise à la préfecture de la Vienne et régulièrement publiée ;

- l'arrêté du 29 novembre 2012 étant une décision favorable au requérant, elle n'avait pas à être motivée. En tout état de cause, M. D...était parfaitement informé de la situation après avoir effectué plusieurs visites des sites disponibles. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, aucune demande de communication des motifs n'a été adressée, la lettre du 18 décembre 2012 ne comportant nullement une telle demande ;

- l'existence d'une erreur de fait n'est nullement démontrée ;

- il n'existe pas de droit acquis à occuper une portion du domaine public ni de droit au renouvellement d'une autorisation d'occupation temporaire. Ainsi la jurisprudence estime qu'un refus d'autorisation d'occupation temporaire n'est pas susceptible par lui-même de porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie. Dès lors, l'arrêté litigieux ne porte pas atteinte à cette liberté ;

- le fait pour un autre forain d'être placé dans une position privilégiée ne suffit pas à entraîner un abus de position dominante, alors au demeurant que le requérant a déjà bénéficié pendant 19 années de l'emplacement en cause. Il faut qu'il y ait un abus et qu'il découle directement de l'autorisation. Or la jurisprudence considère qu'il n'y a pas d'abus lorsque, comme en l'espèce, l'autorisation a une durée limitée. En outre, en changeant le titulaire de l'autorisation d'occupation temporaire en cause, elle a respecté le principe d'égalité entre les concurrents. Le choix a été fait d'installer sur la place du maréchal Leclerc des manèges traditionnels dans le cadre de l'opération " coeur d'agglo " d'embellissement du centre. Or le manège du requérant est un manège moderne. De plus, la place ne pouvait accueillir trois manèges. La preuve de l'existence d'un abus n'est nullement rapportée ;

- à la date de l'arrêté en litige, aucune disposition législative ou règlementaire n'imposait une procédure de mise en concurrence. Cela est confirmé par la jurisprudence. S'agissant de la directive du 12 décembre 2006, son article 12 concerne les ressources naturelles or il est en l'espèce question d'une dépendance du domaine public artificiel.

Par ordonnance du 5 mai 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 mai 2017 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;

- le Code de commerce ;

- la loi n° 79-857 du 11 juillet 1979 ;

- le Code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Paul-André Braud,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- et les observations de Me C..., représentant la commune de Poitiers.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 28 septembre 2012, M. D...a sollicité une autorisation d'occupation temporaire pour le mois de décembre 2012 d'un emplacement situé place du maréchal Leclerc à Poitiers pour y installer son manège. Après avoir proposé d'autres emplacements, le maire de Poitiers a, dans un courrier daté du 27 novembre 2012, invité M. D... à lui faire part de sa décision au plus tard le 28 novembre 2012. En l'absence de réponse de l'intéressé dans ce délai, le maire de Poitiers a, par un arrêté du 29 novembre 2012, notamment autorisé plusieurs forains à occuper le domaine public du 26 novembre 2012 au 7 janvier 2013 et a ainsi autorisé M. D...à occuper pendant cette durée un emplacement situé place Charles de Gaulle. N'ayant pas obtenu l'emplacement souhaité, M. D...a sollicité, dans un courrier daté du 18 décembre 2012, l'octroi d'un " emplacement sécurisé non désert ". En l'absence de réponse, M.D..., a, par deux requêtes distinctes, demandé au Tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du maire de Poitiers en date du 29 novembre 2012 ainsi que sa décision de refus du 27 novembre 2012. Par un jugement commun du 17 septembre 2015, le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté l'ensemble de ces demandes. M. D...relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande à fin d'annulation de l'arrêté du 29 novembre 2012.

Sur la légalité de l'arrêté du 29 novembre 2012 :

2. En premier lieu, le maire de Poitiers a, par un arrêté du 7 avril 2008, délégué à M. Jean-Claude Bonnefon, conseiller municipal et signataire de l'arrêté en litige, la préparation et la signature des questions relatives à la prévention de la délinquance, à la tranquillité publique et à l'hygiène publique. Or l'arrêté litigieux a pour objet de réglementer l'occupation du domaine public et le stationnement à l'occasion de l'installation de manèges en centre-ville pour les fêtes de fin d'année 2012. Cet arrêté se rattachant ainsi à la tranquillité publique, son signataire doit être regardé comme ayant été régulièrement habilité.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 alors applicable : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) refusent une autorisation (...) ". Selon l'article 5 de cette même loi alors applicable : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ".

4. Si la loi du 11 juillet 1979, alors applicable, énonce au premier alinéa de son article 1er que les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent, cette exigence n'emporte obligation de motiver un acte administratif que pour les catégories de décisions mentionnées au second alinéa. Or l'arrêté par lequel le maire autorise l'occupation temporaire d'une dépendance du domaine public autre que celle sollicitée doit être regardé comme un refus implicite d'autorisation d'occuper la parcelle demandée et entre de ce fait dans la catégorie des refus d'autorisation. Cependant s'agissant d'un refus implicite, il appartenait, en vertu des dispositions précitées de l'article 5 de la loi du 11 juillet 1979, à M. D...de solliciter, dans le délai de recours contentieux, la communication des motifs de ce refus. Or, contrairement à ce qu'il soutient, le courrier du 18 décembre 2012, qui est une demande d'octroi d'un " emplacement sécurisé non désert ", ne comporte aucune demande de communication des motifs. Dès lors, en l'absence de toute demande de communication des motifs, le moyen tiré du défaut de motivation du refus implicite d'octroi d'une autorisation d'occupation temporaire d'un emplacement situé place du maréchal Leclerc ne peut qu'être écarté.

5. Si M. D...soutient qu'à défaut de motivation factuelle, il est impossible de contrôler la motivation réelle de la décision, un tel contrôle reste possible devant le juge à l'occasion d'une demande d'annulation de la décision. La ville de Poitiers a ainsi expliqué que le manège de M.D..., de facture très moderne, ne répondait pas au souhait d'implanter des manèges traditionnels avec chevaux de bois dans le cadre de la rénovation du " cœur d'agglo ", et que l'intéressé avait bénéficié de l'emplacement précédemment pendant 19 ans, motifs que l'intéressé ne critique pas.

6. En troisième lieu, l'arrêté, qui prévoit la délivrance d'autorisations d'occupation privative du domaine public communal ne porte pas, par lui-même, une atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Toutefois, une personne publique ne peut légalement délivrer au profit d'une personne privée une autorisation d'occuper le domaine public aux fins d'y exercer une activité économique lorsque sa décision aurait pour effet de méconnaître le droit de la concurrence, notamment en plaçant automatiquement l'occupant en situation d'abuser d'une position dominante, contrairement aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce. En l'espèce, le seul fait d'avoir attribué à un autre forain un emplacement plus fréquenté, sur la place où se tient le marché de Noël, n'a pas, eu égard notamment à la durée limitée de l'autorisation, par lui-même pour effet de placer ce forain en situation d'exploiter une position dominante de façon abusive.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article 12 de la directive n° 2006/123/CE : " 1. Lorsque le nombre d'autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les États membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d'impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l'ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture. 2. Dans les cas visés au paragraphe 1, l'autorisation est octroyée pour une durée limitée appropriée et ne doit pas faire l'objet d'une procédure de renouvellement automatique, ni prévoir tout autre avantage en faveur du prestataire dont l'autorisation vient juste d'expirer ou des personnes ayant des liens particuliers avec ledit prestataire (...) ".

8. Si M. D...invoque la méconnaissance du 1 de l'article 12 de la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne dans sa décision sur l'affaire C-458/14 du 14 juillet 2016, les autorisations accordées par l'arrêté en litige ne sont nullement limitées en raison de la rareté d'une ressource naturelle ou de capacités techniques utilisables et ne relèvent donc pas des dispositions du 1 de l'article 12 de la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Poitiers, que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Poitiers, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. D...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de M. D...une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Poitiers et non compris dans les dépens.

Decide :

Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.

Article 2 : M. D...versera à la commune de Poitiers une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D...et à la commune de Poitiers.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 novembre 2017.

Le rapporteur,

Paul-André BRAUDLe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de la Vienne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.