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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 22 novembre 2017, n° 17-08334

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Caballé Distribution (SARL)

Défendeur :

Pro Sho (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roy-Zenati

Conseillers :

Mmes Grivel, Quentin de Gromard

Avocats :

Mes Guerre, Charlet, Delannoy, Eiglier

T. com. Marseille, du 6 avr. 2017

6 avril 2017

La société Pro Sho a pris en location-gérance un fonds de commerce d'alimentation générale de type supermarché appartenant à la SARL Caballé Distribution suivant contrat du 27 février 2015 à effet au 17 mars qui s'est tacitement reconduit le 17 mars 2016 pour une durée indéterminée. Le 22 décembre 2016, la société Caballé Distribution a dénoncé le contrat de location-gérance au motif que par arrêt du 14 décembre 2016, la Cour d'appel de Paris avait confirmé une décision lui faisant injonction de reprendre l'exploitation du fonds sous un contrat de franchise Spar précédemment conclu avec le Groupe Casino. C'est dans ces conditions que la société Pro Sho a assigné la société Caballé Distribution en référé le 30 décembre 2016 pour obtenir à titre conservatoire la poursuite forcée du contrat.

Par ordonnance du 6 avril 2017, le juge des référés du Tribunal de commerce de Marseille a ordonné à la société Caballé Distribution de poursuivre le contrat de location-gérance conclu entre les parties pour l'exploitation du fonds de commerce situé à Rieux Minervois jusqu'au 30 juin 2017, sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard par infraction constatée, et l'a condamnée à payer à la société Pro Sho la somme de 1000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 20 avril 2017, la SARL Caballé Distribution a interjeté appel de cette ordonnance.

Par ses conclusions transmises le 10 octobre 2017, elle demande à la cour d'infirmer la décision déférée, de débouter la société Pro Sho de l'intégralité de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 3 000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir :

- qu'aucun trouble manifestement illicite n'est caractérisé dès lors qu'elle n'a fait que mettre en œuvre la stipulation du contrat de location-gérance qui prévoyait la possibilité de le dénoncer à tout moment pour le cas où elle serait contrainte de reprendre l'exploitation du fonds à raison de l'évolution du litige l'opposant à la société Distribution Casino France, qu'elle est de bonne foi puisqu'elle n'avait pas d'autre choix dans la mesure où elle ne pouvait plus se prévaloir du jugement du Tribunal de commerce de Carcassonne du 8 septembre 2014 constatant la caducité du contrat Spar qui avait été infirmé en appel, et qu'elle a respecté les conditions de résiliation du contrat qui ne prévoyaient aucun délai de préavis, de sorte qu'on ne peut pas lui reprocher d'avoir mis abusivement en œuvre ladite clause ;

- qu'aucun dommage imminent n'est davantage caractérisé dès lors que l'ordonnance attaquée a été exécutée et que le contrat s'est trouvé résilié le 30 juin 2017 de sorte que cette question n'est plus d'actualité ; qu'en tout état de cause, ce dommage était parfaitement prévisible puisque la société Pro Sho s'est engagée en connaissance de cause du risque de devoir à tout moment, suivant les décisions de justice susceptibles d'être rendues dans le litige qui opposait son bailleur à la société Distribution Casino France, restituer le fonds de commerce sans délai ; qu'au demeurant, dans la mesure où, étant simple locataire-gérant, la société Pro Sho n'a effectué aucun investissement spécifique dans le fonds et que les marchandises pouvaient être reprises par le propriétaire du fonds de commerce, elle ne pouvait invoquer un dommage imminent.

Par ses conclusions transmises le 6 octobre 2017, la SARL Pro Sho demande à la cour de confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions et de condamner la société Caballé Distribution aux dépens ainsi qu'au paiement de 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- que c'est à bon droit que le juge a constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite dès lors que la clause litigieuse prévoit une rupture sans préavis du contrat de location-gérance en violation de l'interdiction posée par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, d'ordre public, de rompre brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit ;

- que le dommage imminent est bien caractérisé dans la mesure où elle avait pour seule activité l'exploitation de son fonds de commerce et se trouvait donc dans l'incapacité d'emménager ailleurs sans délai, que la réformation du jugement du Tribunal de commerce de Carcassonne du 8 septembre 2014 prononçant la caducité du contrat Spar n'était pas prévisible mais simplement éventuelle lors de l'engagement des parties et qu'en tout état de cause, l'arrêt immédiat de l'activité de supermarché est bien constitutif d'un dommage imminent indépendamment de son caractère prévisible.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions transmises et développées lors de l'audience des débats.

Motifs

Considérant que par application de l'article 873 alinéa 1 du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ;

Considérant qu'en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, engage sa responsabilité celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte notamment de la durée de la relation commerciale ; que ce texte institue donc un cas de responsabilité du cocontractant et non un cas de nullité d'une clause de rupture sans préavis ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les parties entretenaient depuis un an et neuf mois une relation commerciale établie au sens des dispositions précitées ; que pour rechercher s'il y a eu, avec l'évidence requise en référé, une rupture brutale de cette relation, il convient de tenir compte non seulement des prévisions contractuelles mais également des autres circonstances de l'espèce ;

Considérant que le contrat de location-gérance signé entre les parties le 27 février 2015 prévoit à son article 4.10 que " le contrat sera résilié de plein droit et immédiatement si bon semble au bailleur dans l'un quelconque des cas suivants : (...) i) en cas de décision judiciaire ordonnant à la société Caballé Distribution la reprise de l'exploitation du fonds sous l'enseigne " Spar ", dans le cadre du contentieux qui l'oppose à la société Casino France " ; que par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 décembre 2016, la société Caballé Distribution a notifié à la société Pro Sho son obligation de mettre en œuvre la clause de résiliation prévue au contrat en raison de l'intervention coup sur coup de deux décisions de justice l'obligeant à reprendre l'exploitation de ce contrat de franchise Spar ; qu'il est constant en effet que l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier du 29 novembre 2016 est venu infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Carcassonne qui, après avoir constaté dans ses motifs la caducité du contrat de franchise Spar, avait jugé que la société Casino devait en raison de sa faute garantir la société Caballé Distribution de l'astreinte à laquelle elle avait été condamnée, et celui de la Cour d'appel de Paris du 14 décembre 2016 confirmant le jugement qui avait ordonné la reprise des relations contractuelles avec la société Casino jusqu'au 1er juin 2017, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard à compter de la signification ;

Considérant que la société Pro Sho ne peut sérieusement soutenir que l'événement envisagé dans le contrat de location-gérance comme condition d'une rupture immédiate " n'était pas prévisible mais simplement éventuel " puisque cette éventualité avait été précisément prévue par les parties dans la clause susvisée ; qu'en conséquence, la rupture n'a pas été prononcée unilatéralement par la société Caballé Distribution en fonction d'éléments inconnus de son cocontractant mais en raison de la réalisation d'un aléa convenu entre les parties, qui faisait donc partie de l'équilibre contractuel ; qu'en conséquence, l'éventualité d'une rupture sans préavis apparaît comme un élément qui ne pouvait pas ne pas être pris en considération par la société Pro Sho lorsqu'elle a pris le fonds en location-gérance, et que la brutalité dont elle fait état ne résultant que de ce seul élément, elle ne peut être constitutive d'un trouble manifestement illicite auquel le juge des référés peut mettre fin ; qu'il en est de même du dommage imminent allégué dès lors qu'il était envisageable dès la signature du contrat ; qu'il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée, sauf à y ajouter, compte tenu de l'évolution du litige et du départ de la société Pro Sho à la fin du préavis précédemment accordé, que la demande n'a plus d'objet ;

Considérant qu'infirmant la décision sur les dépens et l'indemnité de procédure allouée, il convient de condamner la société Pro Sho aux dépens de première instance et d'appel et de dire qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties ses frais de procédure ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme l'ordonnance de référé du 6 avril 2017 du Tribunal de commerce de Marseille ; Statuant de nouveau et y ajoutant compte tenu de l'évolution du litige, Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de poursuite forcée du contrat de location-gérance, Constate que la demande n'a plus d'objet ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, Condamne la société Pro Sho aux dépens de première instance et d'appel.