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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 novembre 2017, n° 16-09705

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Apsys (SAS)

Défendeur :

1 + 3 Design (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Moreuil, Teytaud, Druesne

T. com. Paris, du 29 févr. 2016

29 février 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 29 février 2016 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- dit qu'il existait une relation commerciale établie entre la société 1+3 Design et la société Apsys depuis l'année 1992,

- dit que la société Apsys était la seule responsable de la rupture brutale des relations commerciales intervenue partiellement à compter du mois d'avril "2014" ( en réalité 2013), puis définitive à compter du 30 avril 2014,

- dit que la rupture des relations aurait dû être précédée d'une période de préavis de 14 mois,

- condamné la société Apsys à payer à la société 1+3 Design la somme de 240 097,60 euros HT, à titre d'indemnité de préavis, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

- débouté la société Apsys de ses demandes indemnitaires,

- condamné la société Apsys à payer à la société 1+3 Design la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné la société Apsys aux dépens ;

Vu l'appel relevé par la société Apsys et ses dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2017 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- dire que la rupture des relations commerciales est imputable à la société 1+3 Design et que cette rupture est brutale au regard de la durée des relations,

- condamner la société 1+3 Design à lui payer la somme de 68 601,27 euros, à titre de dommages-intérêts, sauf à parfaire,

- débouter la société 1+3 Design de toutes ses demandes,

- subsidiairement :

* dire que sa responsabilité ne pourrait être engagée qu'au titre d'une rupture partielle des relations commerciales et non de leur rupture totale décidée par la société 1+3 Design

* dire que le préjudice de la société 1+3 Design ne pourrait excéder sa perte de marge sur coûts variables pendant la période courant de la date de rupture partielle jusqu'à la date de la rupture totale qu'elle a elle-même décidée,

* constater la carence de la société 1+3 Design dans l'administration de la preuve,

* débouter la société 1+3 Design de ses demandes, à tout le moins partiellement,

- en tout état de cause, condamner la société 1+3 Design à lui payer la somme de 35 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2017 par la société 1+3 Design qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté qu'il existait une relation commerciale établie entre les parties depuis 1992 et que la société Apsys était seule responsable de la rupture brutale des relations commerciales intervenue partiellement à compter du mois de mai 2013, puis définitivement à compter du 30 avril 2014,

- l'infirmer en ce qu'il a retenu qu'elle aurait dû mettre en œuvre un préavis de 14 mois et, statuant à nouveau, fixer ce préavis à 24 mois,

- dire que la société Apsys a engagé sa responsabilité quasi-délictuelle sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

- condamner la société Apsys à lui payer, en réparation du préjudice économique subi, la somme de 550 000 HT, outre intérêts au taux légal,

- débouter la société Apsys de ses demandes reconventionnelles,

- condamner la société Apsys à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel ;

LA COUR

Il n'est pas contesté que depuis 1992 la société 1+3 Design qui exerce une activité de conseil en systèmes et logiciels informatiques, intervenait en qualité de sous-traitant de la société Apsys dans le cadre de l'externalisation de la maintenance des logiciels commercialisés par celle-ci.

Par lettre du 6 février 2014, la société 1+3 Design s'est plainte auprès de la société Apsys d'une chute brutale et persistante de chiffre d'affaires de nature à mettre en péril sa structure et susceptible de la contraindre à ne pouvoir maintenir son activité. Puis, par lettre du 17 mars 2014, se référant à une réunion tenue le 13 février et constatant l'absence d'éléments permettant d'améliorer la situation, elle l'a informée qu'elle ne serait plus en mesure de répondre à ses demandes au delà du 30 avril 2014.

La société 1+3 Design dans une lettre adressée le 25 avril 2014 à la société Apsys lui a ensuite précisé que la moyenne de ses commandes depuis le mois de mai 2013 s'élevait à 3 700 euros HT, ce qui était sans commune mesure avec le volume antérieur qui était en moyenne de 25 000 euros HT, et que cette baisse brutale et significative des commandes la plaçait dans une situation catastrophique ; imputant à la société Apsys la rupture de leur courant d'affaires, elle a estimé qu'un préavis d'au moins 2 ans aurait dû être respecté.

La société Apsys dans sa lettre en réponse du 23 mai 2014, a contesté toute rupture brutale en indiquant :

- que la réduction des commandes était justifiée par une conjoncture défavorable et qu'elle n'était pas exceptionnelle au vu du courant d'affaires des dernières années,

- qu'elle avait toujours régulièrement informé la société 1+3 Design de son calendrier prévisionnel de commandes et l'avait invitée à plusieurs reprises à diversifier sa clientèle,

- qu'elle n'avait jamais manifesté la volonté de mettre un terme à leurs relations commerciales,

- que la décision de la société 1+3 Design de ne plus honorer ses commandes à l'issue d'un préavis d'un mois et demi seulement la mettait dans une situation difficile pour répondre aux attentes de ses clients et que celle-ci avait obligation de lui transmettre la documentation de développement afférente aux codes de ses progiciels et de former ses équipes à la prise en main des développements effectués pour son compte et dont elle avait acquis la propriété.

Saisi par la société 1+3 Design le Tribunal de commerce de Paris, par le jugement déféré, a déclaré la société Apsys seule responsable de la rupture brutale des relations commerciales établies, l'a condamnée au paiement de la somme de 240 097,60 euros HT à titre de dommages-intérêts et l'a déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts.

La société Apsys appelante, soutient qu'elle n'a jamais manifesté la volonté de rompre les relations commerciales entretenues avec la société 1+3 Design la baisse des commandes ne suffisant pas à démonter une telle volonté et ne pouvant à elle seule caractériser une rupture partielle de ces relations ; elle expose qu'une chute du volume des commandes ne constitue pas une rupture brutale dès lors qu'elle n'est pas délibérée, qu'elle ne résulte pas d'un changement de politique et de stratégie d'achats et qu'elle s'explique par des événements extérieurs ; elle fait valoir plus particulièrement :

- qu'elle a rencontré d'importantes difficultés en 2013 qui l'ont contrainte à mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi,

- qu'en ce qui concerne les logiciels, son chiffre d'affaires incluant les licences et la maintenance, est passé de 668 366 euros en 2011 à 464 262 euros en 2012 et à seulement 149 749 euros en 2013,

- que la baisse du chiffre d'affaires réalisé avec la société 1+3 Design est corrélative à la diminution des commandes qu'elle subissait elle-même,

- qu'en 2013, ses achats auprès de la société 1+3 Design ont représenté 135 % de ses propres ventes, soit une proportion nettement supérieure aux années précédentes,

- que la maintenance des logiciels étant externalisée auprès de la société 1+3 Design depuis une vingtaine d'années et les logiciels étant hébergés sur ses serveurs, celle-ci ne pouvait pas rompre les relations, même partiellement, sauf à organiser très en amont la réversibilité de cette externalisation, ce qu'elle n'a pas fait,

- qu'une diminution ponctuelle des commandes n'était pas inhabituelle au regard de l'historique des relations entre les parties,

- qu'hormis l'année 2012 qui revêt un caractère exceptionnel en raison du développement de nouvelles versions des logiciels, le chiffre d'affaires entre les parties a oscillé pendant les 10 dernières années entre 125 770 euros en 2011 et 247 645 euros en 2005,

- que le chiffre d'affaires de 2013 qui s'établit à 201 788 euros se situe à un niveau tout à fait habituel, ce qui est incompatible avec la notion de rupture partielle

- que c'est la société 1+3 Design qui a décidé de rompre les relations en refusant toute nouvelle commande après le 30 avril 2014 et en refusant de répondre à des demandes de devis en mai et en juin 2014.

Mais il ressort des attestations de l'expert-comptable de la société 1+3 Design ainsi que de ses factures et tableaux versés, non contestés par l'appelante, que :

- le chiffre d'affaires réalisé par la société 1+3 Design avec la société Apsys a été de 233 060 euros pour la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2010, de 302 020 euros du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2011, de 327 300 euros du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012, de 195 271 euros du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2013 et de 32 385 euros pendant 7 mois du 1er octobre 2013 jusqu'au 30 avril 2014,

- la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires réalisé avec la société Apsys qui était de 24 678,32 euros entre avril 2010 et mars 2013 n'a plus été que de 4 156,50 euros de mai 2013 à avril 2014.

La société 1+3 Design qui réalisait plus de 80 % de son chiffre d'affaires avec la société Apsys a ainsi subi une chute brutale et persistante des commandes à compter de mai 2013 sans que cette chute soit précédée d'un préavis écrit de sa cocontractante.

La société Apsys ne justifie pas des difficultés financières qu'elle aurait rencontrées en 2013 et qui seraient à l'origine de cette baisse des commandes ; qu'en effet, d'une part son chiffre d'affaires pour l'exercice 2013 a été de 35 823 000 euros contre 37 663 000 euros en 2012, d'autre part ses ventes de maintenance ont été de 79 024 euros en 2013 contre 79 271 euros en 2012 ; c'est en vain qu'elle invoque, sans les analyser, un plan de sauvegarde de l'emploi homologué le 6 août 2014 et un article de la Fédération professionnelle de l'ingénierie en France intitulé "Péril sur l'ingénierie en France" daté du 26 juin 2014.

Eu égard au montant du chiffre d'affaires réalisé avec la société Apsys et à sa chute brutale à partir de mai 2013, la société 1+3 Design n'était plus en mesure de poursuivre leurs relations ; la société Apsys ne peut donc lui reprocher sa décision d'y mettre fin le 30 avril 2014.

En prenant en considération la durée des relations entretenues, soit 22 ans, le montant du chiffre d'affaires réalisé avec la société Apsys et le temps nécessaire pour que la société 1+3 Design puisse se réorganiser er redéployer son activité, il apparaît que la société Apsys aurait dû respecter un préavis de 14 mois.

Pour fixer le préjudice subi à 240 097,60 euros HT, le tribunal a évalué la perte de marge brute à 80 % du chiffre d'affaires mensuel (25 000 euros HT) pendant 14 mois et en a déduit 80 % du chiffre d'affaires réalisé entre le 1er mai 2013 et le 30 avril 2014.

La société 1+3 Design évalue son préjudice à 550 000 euros HT sur la base de la perte de marge brute, qui serait équivalente à son chiffre d'affaires selon attestation de son expert-comptable, soit 25 000 euros par mois pendant 24 mois (durée du préavis revendiqué), sous déduction du chiffre d'affaire effectivement réalisé entre le 1er mai 2013 et le 30 avril 2014 pour un montant de 49 878 euros.

La société Apsys objecte que la société 1+3 Design ne peut être indemnisée sur la base d'une perte de chiffre d'affaires, d'autant que ses charges ont significativement baissé au cours de l'exercice 2014, que c'est la marge sur coûts variables qui doit être prise en compte en matière de prestations de services et que la cour ne peut pallier la carence de la société 1+3 Design dans l'administration de la preuve.

Il convient de retenir que si la société 1+3 Design a perdu un chiffre d'affaires de 25 000 euros HT pendant 14 mois, soit 350 000 euros HT, elle a également économisé pendant cette période les charges qui sont susceptibles de varier en fonction du chiffre d'affaires, sur lesquelles elle n'apporte aucune précision. De plus, la rupture n'ayant été que partielle, il y a lieu de tenir compte du chiffre d'affaires réalisé à hauteur de 49 878 euros. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour confirmera le jugement en ce qu'il a fixé le préjudice à la somme de 240 097,60 euros HT.

Comme énoncé plus haut, la société Apsys qui avait pris l'initiative de réduire de façon brutale et persistante ses commandes ne peut valablement reprocher à la société 1+3 Design une rupture brutale de leurs relations fin avril 2014, ce qui prive de fondement sa demande de dommages-intérêts en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Etant à l'origine de la rupture des relations, la société Apsys est mal fondée à reprocher à la société 1+3 Design d'avoir refusé de l'accompagner lors de la reprise de la maintenance en interne au cours du processus dit de réversibilité. Elle ne démontre pas avoir subi un préjudice d'image pour lequel elle demande la somme de 20 000 euros, ni une désorganisation de ses services avec nécessité d'embaucher un ingénieur spécialement affecté à la maintenance. En conséquence, sa demande de paiement de la somme totale de 68 601,27 euros, à titre de dommages-intérêts sera rejetée.

La société Apsys qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens.

Par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 10 000 euros à la société 1+3 Design et de débouter la société Apsys de ce chef de demande.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Condamne la société Apsys aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société Apsys à payer à la société 1+3 Design la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.