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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 16 novembre 2017, n° 16-11083

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Domofinance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. David

Conseillers :

Mmes Mongin, Bou

TI Meaux, du 9 mars 2016

9 mars 2016

Faits, procédure et prétentions des parties

Dans le cadre d'un démarchage à domicile effectué par un représentant de la société Ciel Energie qui se présentait comme étant un partenaire de la société EDF, M. J., propriétaire d'un pavillon sis [...] (77230), a, le 7 février 2013, signé un bon de commande portant sur la vente et la pose d'une pompe à chaleur air/eau pour un prix de 21 500 euros, ainsi qu'une offre de crédit affecté par la société Domofinance du même montant au taux d'intérêts contractuel de 4,79%.

La société Domofinance indiquait accepter le contrat de crédit par lettre du 22 février suivant.

Le 7 mars 2013, la pompe à chaleur était livrée et installée au domicile de l'acheteur.

Dès le mois d'août 2013, en raison des dysfonctionnements de cette pompe à chaleur, M. J. ne parvenant pas à joindre la société Ciel Energie écrivait à EDF pour se plaindre de ce partenaire.

Le 31 juillet 2014, M. J. assignait en justice la société Domofinance devant le Tribunal d'instance de Meaux pour que le contrat de crédit conclu le 23 février 2013 avec celle-ci soit jugé nul et de nul effet, et qu'il soit déclaré que la défenderesse avait gravement manqué à ses obligations contractuelles.

Le 17 septembre 2014, M. J. appelait dans la cause la société Ciel Energie afin d'obtenir la résolution et la nullité du contrat conclu le 7 février 2013 avec celle-ci, et ainsi se voir allouer le remboursement de la somme de 21 500 euros, en invoquant la non conformité aux prescriptions du droit de la consommation et le dol, mais également le fait que la pompe à chaleur était impropre à sa destination. Le demandeur réclamait également l'annulation du contrat de financement souscrit auprès de la défenderesse.

Le 9 février 2015, M. J. faisait citer Me D., en qualité de mandataire liquidateur de la société Ciel Energie, devant le Tribunal d'instance de Meaux afin d'obtenir sa mise en cause dans l'instance et la jonction des procédures.

Par jugement en date du 9 mars 2016, le Tribunal d'instance de Meaux ordonnait la jonction des procédures. Le demandeur était débouté de sa demande en nullité du contrat principal en ce qu'il ne démontrait pas avoir été trompé au moment de sa conclusion, le dol était donc écarté, et en ce que M. J. avait confirmé tacitement le contrat litigieux de par sa non rétractation, son acceptation du matériel, sa signature du bon de livraison et son paiement de mensualités de crédit destiné à financer l'installation, la nullité du contrat fondée sur sa non-conformité aux prérogatives du Code de la consommation était ainsi également écartée.

La demande en résolution du contrat principal était rejetée dès lors que les difficultés relevées par l'acheteur ne pouvaient être déclarées comme imputables de façon certaine à la société Ciel Energie, ni suffisamment graves pour justifier la résolution du contrat.

Le tribunal d'instance rejetait les demandes en résolution et en annulation du contrat de crédit litigieux puisque le contrat principal n'avait pas été annulé ou résolu.

Au visa de l'article 1134, le demandeur était condamné à l'exécution du contrat de prêt conclu par lui avec la société Domofinance, et, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, à verser une somme de 500 euros à la société Domofinance.

Par une déclaration en date du 17 mai 2016, M. J. a interjeté appel de cette décision.

Dans ses conclusions en date du 6 juillet 2016, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement rendu, invoquant la nullité du contrat de vente conclu en violation de l'article L. 121-23 du Code de la consommation, en ce qu'il ne désigne pas de manière précise la nature et les caractéristiques des biens offerts ou des services proposés puisque le bon de commande ne préciserait pas la puissance en KWh de la pompe à chaleur. Le contrat ne comporterait pas davantage ni délai de livraison du bien, ni l'identité du fournisseur et du démarcheur. La nullité du contrat principal est aussi recherchée pour dol, en raison de l'utilisation par la société Ciel Energie d'une fausse qualité de partenaire d'EDF, et sur celui de l'erreur sur la substance, en ce que le remplacement de la chaudière à gaz par la pompe à chaleur n'aurait pas causé de baisse de consommation d'énergie. Plus subsidiairement, M. J., en application des articles 1603 et 1604 du Code civil, réclame la résolution du contrat de vente en ce que des dysfonctionnements de la pompe à chaleur ont été relevés et qu'il importerait peu d'examiner leur gravité dès lors que ceux-ci rendent la pompe à chaleur impropre à l'usage pour lequel elle était destinée.

Sur le fondement des articles L. 311-32, L. 121-21, L. 121-23 et L. 321-3 du Code de la consommation, l'appelant sollicite la nullité du contrat de prêt conclu avec la société Domofinance.

M. J. demande également à ce que la société Domofinance se voie condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures en date du 6 septembre 2016, la société Domofinance, intimée, sollicite la confirmation du jugement entrepris, outre une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il doit être relevé que les parties conviennent que M. J. a continué à régler le montant des échéances du prêt à la société Domofinance, dans l'attente de l'issue de la procédure qu'il a engagée.

Les parties ont été invitées, en cours de délibéré, à formuler des observations complémentaires sur le respect des dispositions des articles L. 311-8 et L. 311-9 du Code de la consommation.

SUR CE,

Sur la nullité du contrat de vente et d'installation d'une pompe à chaleur

Considérant que les contrats conclus par démarchage, au domicile d'une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l'achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services sont, en vertu de l'article L. 121-21 du Code de la consommation, dans sa version issue de la loi n°93-949 du 27 juillet 1993, soumis aux dispositions des articles L. 121-22 à L. 121-33 du même Code ; que l'article L. 121-23 du Code de la consommation dispose:

"Les opérations visées à l'article L. 121-21 doivent faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire doit être remis au client au moment de la conclusion du contrat et comporter à peine de nullité, les mentions suivantes:

1) nom du fournisseur et du démarcheur

2) adresse du fournisseur

3) adresse du lieu de conclusion du contrat

4) désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés

5) conditions d'exécution du contrat, notamment les modalités et le délai de livraison des biens ou d'exécution de la prestation de service

6) prix global à payer et modalités de paiement ; en cas de vente à tempérament ou de vente à crédit, les formes exigées par la réglementation sur la vente à crédit, ainsi que le taux nominal de l'intérêt et le taux effectif global de l'intérêt déterminé dans les conditions prévues à l'article L. 313-1

7) faculté de renonciation prévue à l'article L. 121-25, ainsi que les conditions d'exercice de la faculté et de façon apparente, le texte intégral des articles L. 121-23, L. 121-24, L. 121-25 et L. 121-26" ;

Qu'en l'espèce, le contrat conclu le 7 février 2013 avec M. J. à son domicile, ne mentionne pas le nom du démarcheur, mais un simple prénom, les délais de livraison, non plus que la marque, le modèle et les caractéristiques des matériels vendus, notamment la puissance ; qu'en outre, il n'est pas établi que M. J. a été effectivement informé des caractéristiques essentielles des biens commandés en violation de dispositions de l'article L. 111-1 du Code de la consommation ;

Que les dispositions légales ci-dessus visées relevant de l'ordre public de protection des consommateurs, la nullité pour vice de forme encourue ne peut être couverte que si la partie profane a été préalablement informée, par un professionnel averti, de la nullité du contrat et des risques encourus à l'exécuter ; que c'est donc à tort que le tribunal a considéré que le non exercice par M. J. de son droit de rétractation et la signature du bon de livraison confirmaient ce contrat dès lors qu'aucun élément ne permet d'établir que M. J. avait connaissance de ces causes de nullité et ait eu l'intention de les ratifier ;

Que le jugement sera donc infirmé et la nullité du contrat de vente sera prononcée;

Que la nullité du contrat replaçant les parties dans l'état antérieur, il doit être relevé que la SCP B.-D. en la personne de maître Florence D. ayant été désignée par ordonnance rendue par le président du Tribunal de commerce de Paris le 13 mai 2016, pour suivre la présente procédure, ès-qualités de mandataire de justice, afin de représenter la société Ciel Energie dont les opérations de liquidation judiciaire ont été clôturées pour insuffisance d'actif, ce mandataire sera tenu de récupérer le matériel au domicile de l'acheteur, selon des modalités de restitution qui seront précisées au dispositif;

Sur la nullité du contrat de prêt

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 311-32 du Code de la consommation, la nullité du contrat principal implique de plein droit celle du contrat de prêt affecté souscrit avec la société Domofinance ;

Que si l'annulation des contrats entraîne la remise des parties dans leur état antérieur et que l'annulation de ce crédit se traduit normalement par la restitution par l'emprunteur du capital prêté déduction faite des sommes versées à l'organisme prêteur, il en va différemment lorsque l'organisme de crédit a commis une faute dans l'exécution de ses obligations de nature à le priver de sa créance de restitution ;

Que la société Domofinance, se présente dans sa publicité comme spécialisée dans les prêts destinés à financer "l'éco-efficacité énergétique des logements de nos clients", affirmant financer "des projets performants pour vos travaux, en particulier au travers du réseau Partenaires Bleu Ciel d'EDF, gage d'expertise, de sécurité et de qualité" (pièce n°21 de l'appelant) ;

Que, s'agissant d'une offre de crédit destinée à financer une installation de matériel pour laquelle elle se prétend spécialisée et donne mandat au vendeur de faire signer à l'acheteur/emprunteur l'offre préalable de crédit, elle est tenue de vérifier la régularité de l'opération financée au regard des dispositions d'ordre public de l'article L. 121-23 du Code de la consommation ;

Qu'elle ne saurait utilement contester une telle obligation en invoquant qu'elle est tiers au contrat principal, qu'il n'existe pas d'obligation expresse en ce sens et qu'elle n'a pas à se substituer au juge dans la vérification de la régularité du contrat ; qu'en effet, en application de l'article L. 311-1 9°) du Code de la consommation dans sa numérotation alors applicable, le contrat principal et le contrat de crédit forment une opération commerciale unique, si bien que du fait de l'indivisibilité des contrats, l'établissement de crédit doit procéder préalablement aux vérifications élémentaires du bon de commande, ce qui, en l'espèce, lui aurait permis de déceler immédiatement que le contrat principal était affecté de plusieurs causes évidentes de nullité, parmi lesquelles l'absence des caractéristiques du matériel vendu et le défaut d'indication du nom du démarcheur lequel, de surcroît, agissait pour son compte en qualité d'intermédiaire ;

Considérant, en conséquence, que la société Domofinance doit donc être déboutée de ses demandes et condamnée à rembourser à l'emprunteur l'intégralité du montant des échéances versées qui, au 2 septembre 2016 s'élevait, selon l'historique de compte versée aux débats par la société intimée, à la somme de 12 395,08 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en date du 31 juillet 2014 pour les payements faits antérieurement à cette date, et à compter des règlements pour ceux faits postérieurement ;

Sur les autres demandes

Considérant que l'appelant sollicite la condamnation de la société Domofinance à lui verser la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que néanmoins, les préjudices qu'il invoque étant liés aux dysfonctionnements du matériel livré, cette demande ne saurait être accueillie ;

Qu'il sera fait droit à la demande de la société Domofinance formée au visa de l'article L. 311-33 du Code de la consommation tendant à ce que sa créance de 21 500 euros soit fixée au passif de la procédure collective de la société Ciel Energie ;

Que la société Domofinance sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et, en équité, à verser à M. J. la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu par le Tribunal d'instance de Meaux le 9 mars 2016, Statuant à nouveau et y ajoutant, Prononce la nullité du contrat souscrit par M. J. avec la société Ciel Energie le 7 mars 2013 et du contrat de crédit affecté souscrit le même jour avec la société Domofinance, Dit que M. J. tiendra à disposition de maître Florence D., ès-qualités de mandataire de justice pour représenter la société Ciel Energie, le matériel livré par cette société pendant une durée de trois mois à compter de la signification du présent arrêt et que, passé ce délai, il pourra disposer de ce matériel et notamment s'en débarrasser, Déboute la société Domofinance de sa demande de restitution par M. J., du capital versé en exécution du contrat de prêt d'argent, Condamne la société Domofinance à rembourser à M. J., l'intégralité des sommes réglées par lui en exécution de ce contrat de prêt, qui, au 2 septembre 2016, s'élevaient à la somme de 12 395,08 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2014 pour les payements faits antérieurement à cette date, et à compter des règlements pour ceux faits postérieurement, Fixe la créance de la société Domofinance au passif de la procédure collective de la société Ciel Energie à la somme de 21 500 euros, Déboute les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires, Condamne la société Domofinance à verser à M. J. la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Domofinance aux dépens de première instance et d'appel.