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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 novembre 2017, n° 17-13965

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Altrad International (SA)

Défendeur :

KGK Konsimpex Srl (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Samama Samuel, Monta, Heguy

Paris, CME, du 4 juill. 2017

4 juillet 2017

Faits et procédure

A la suite de l'assignation délivrée par la société KGK Konsimpex (ci-après KGK) contre la société Altrad International, sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, le Tribunal de grande instance de Béziers, dans un jugement du 24 février 2014, a débouté la société KGK de ses demandes.

Saisie de l'appel de la société KGK, la Cour d'appel de Montpellier a rendu un arrêt d'irrecevabilité le 16 février 2016.

La société KGK a interjeté appel devant la Cour d'appel de Paris le 23 février 2016.

Faisant état de la jurisprudence de la Cour de cassation du 29 mars 2017, selon laquelle la Cour d'appel de Paris n'est compétente que pour statuer en appel des décisions rendues sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce par les juridictions spécialisées, à l'exclusion des autres juridictions, la société Altrad International a demandé au conseiller de la mise en état de la Cour d'appel de Paris de déclarer l'appel irrecevable.

Par ordonnance du 4 juillet 2017, le conseiller de la mise en état a déclaré cet appel recevable.

Le conseiller de la mise en état a relevé que si, en application des arrêts de la Cour de cassation du 29 mars 2017, la Cour d'appel de Montpellier était compétente pour connaître de l'appel dirigé contre le jugement du Tribunal de grande instance de Béziers, cette cour d'appel avait déjà rendu un arrêt d'irrecevabilité d'appel à l'encontre du jugement. " Dès lors, la demande présentée par la société Altrad International tendrait à priver la société KGK Konsimpex de son droit de faire appel, et conduirait à la coexistence de deux décisions incompatibles intervenant sur le même jugement, ce qui constituerait un déni de justice. Cette demande d'irrecevabilité de l'appel formé devant la Cour d'appel de Paris aboutirait à priver la partie appelante d'un procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, lui interdisant de faire entendre sa cause devant un juge d'appel et dans un délai raisonnable ".

LA COUR

Vu le déféré interjeté par la société Altrad International et ses conclusions dans lesquelles elle demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 4 juillet 2017,

- constater que la déclaration d'appel vise une décision rendue par le Tribunal de grande instance de Béziers,

- déclarer l'appel formé devant la Cour d'appel de Paris irrecevable,

- condamner la société KGK à verser à la société Altrad une somme de trois mille (3 000) euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société KGK aux entiers dépens ;

Vu les conclusions de la société KGK Konsimpex, dans lesquelles elle demande à la cour de :

- dire et juger mal fondée la requête en déféré,

- confirmer l'ordonnance du 4 juillet 2017,

- débouter la société Altrad International de ses demandes plus amples ou contraires,

à titre subsidiaire,

- dire et juger que les délais de procédure induits par l'application immédiate de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation à la présente procédure en cours se révèlent contraires à l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, car privant la société KGK Konsimpex d'un procès équitable, en lui interdisant que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, par suite,

- dire et juger mal fondée la fin de non-recevoir opposée par la société Altrad International,

- rejeter en conséquence les demandes de la société Altrad International à ce titre,

à titre reconventionnel,

- dire et juger recevable et bien fondée la société KGK en ses demandes,

y faire droit et, en conséquence :

- dire et juger que la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, opposée par voie de conclusions d'incident en date du 26 mai 2017 devant le conseiller de la mise en état, réitérée par voie de déféré devant la cour de céans, caractérise une intention dilatoire la société Altrad International qu'il convient de sanctionner,

- condamner la société Altrad International à payer à la société KGK la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts, sur le fondement des dispositions de l'article 123 du Code de procédure civile,

en tout état de cause

- condamner la société Altrad International à payer à la société KGK la somme de 4500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Altrad International aux entiers dépens de l'instance de déféré qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE

En premier lieu, la société Altrad International expose que la société KGK n'était pas privée d'accès au droit puisqu'elle aurait pu former un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, comme l'ont fait les parties dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt de la Cour de cassation de mars 2017. En deuxième lieu, elle ajoute que lorsque la Cour de cassation veut différer l'application d'un revirement de jurisprudence, elle le fait par des dispositions expresses dans ses arrêts, ce qu'elle n'a pas fait dans les arrêts de mars 2017. En troisième lieu, elle ajoute que le juge ne peut moduler l'application d'une règle de droit dans le temps, ce qui serait contraire à l'article 5 du Code civil. En quatrième lieu, elle souligne que la société KGK est à l'origine de la situation procédurale litigieuse, puisqu'elle a choisi de saisir une juridiction incompétente, le Tribunal de grande instance de Béziers, non spécialisée.

Il convient, pour la clarté de la discussion, de répondre au quatrième argument de la société Altrad International.

Celle-ci soutient à tort que la société KGK serait à l'origine de la situation procédurale litigieuse, le choix du Tribunal de grande instance de Béziers pour connaître du présent contentieux ne relevant pas de son propre choix, mais résultant d'une clause attributive de juridiction contenue dans le contrat en cause, ainsi qu'il ressort de l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier. Dans cet arrêt du 16 février 2016, celle-ci relève expressément que " le fait que le Tribunal de grande instance de Béziers, qui n'est pas une des juridictions spécialisées au sens du décret susvisé, ait été déclaré compétent pour connaître de l'action en responsabilité introduite le 25 mai 2010 par la société KGK à l'encontre de la société Altrad International, au titre de la rupture sans préavis des relations commerciales établies, sur la base de la clause attributive de compétence insérée dans le contrat de collaboration conclu le 1er septembre 2001, n'a pas pour effet de déroger à la compétence exclusive de la Cour d'appel de Paris. La prorogation de compétence au profit de la juridiction du premier degré désigné par les parties à la convention ne s'étend pas à la Cour d'appel de Montpellier, étant observé que celles-ci ont opté pour l'application de la loi française et que les dispositions particulières d'ordre public de l'article D. 442-3 du Code de commerce s'imposent à elles dans le cadre de la voie de recours et ne sont pas contraires à l'article 23 du Règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000. Il s'ensuit que l'appel du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Béziers (...) est irrecevable ".

Il ressort de la motivation de cet arrêt que la présente espèce n'est pas expressément visée par le revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation du 29 mars 2017 qui ne distingue que, d'une part, les juridictions spécialisées et, d'autre part, les autres juridictions du premier degré qui peuvent être amenées par erreur à statuer sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, alors qu'elles n'en ont pas le pouvoir juridictionnel. Dans cette hypothèse, concernant des juridictions non spécialisées qui ont statué sur l'article L. 442-6, il appartient à la cour d'appel territorialement compétente de statuer sur les moyens qui relèvent de sa compétence et d'annuler les dispositions du jugement portant sur l'article L. 442-6, les parties devant ensuite saisir la bonne juridiction spécialisée de premier ressort.

Dans la présente affaire, la juridiction du premier degré, quoique non spécialisée, a été habilitée, par une clause d'attribution de compétence reconnue valide par la Cour d'appel de Montpellier, à statuer sur l'article L. 442-6. Dans ce cas de figure, on voit mal à quelles solutions pourrait conduire l'application de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, car la cour d'appel territorialement compétente ne peut annuler pour incompétence le jugement en ce qu'il porte sur l'article L. 442-6.

S'agissant du premier moyen de la société Altrad International, et à supposer applicable immédiatement la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, il n'est pas davantage pertinent.

La circonstance qu'un pourvoi en cassation soit ouvert contre l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier se déclarant incompétente ne résoudrait nullement l'atteinte au droit au procès équitable tiré du non accès au juge. En effet, à supposer que la Cour de cassation ait annulé cet arrêt, l'affaire serait revenue devant la Cour d'appel de Montpellier, qui n'aurait pu statuer sur l'article L. 442-6.

S'agissant du deuxième argument, la Cour de cassation a déjà admis, dans plusieurs arrêts cités par la société KGK, l'impossibilité d'appliquer un revirement de sa jurisprudence à des instances en cours, lorsque cette application aboutirait à priver la partie d'un procès équitable, notamment dans les cas où la partie ne peut éviter la prescription de ses droits. Il n'en ressort nullement une violation de l'article 5 du Code civil qui interdit au juge de se prononcer par voie de règlement, le juge intervenant, dans ces hypothèses, au cas par cas.

Enfin, la situation visée par la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme citée par la société Altrad International (26 mai 2011, 23228/08) ne semble pas identique à la présente affaire. La Cour a estimé conforme au principe du procès équitable l'application immédiate à une instance en cours du principe de concentration des moyens dégagé par la Cour de cassation, la situation défavorable de la partie saisissante résultant de son choix procédural initial et l'arrêt d'appel dont elle se prévalait étant susceptible de remise en cause par un pourvoi, de sorte qu'elle ne pouvait se prévaloir de droits acquis. Tel n'est pas le cas en l'espèce, où la situation ne résulte pas d'un choix procédural de la société KGK, comme il a été vu supra et, contrairement aux allégations de la société Altrad International. De plus, ici, la substance du droit n'est pas en cause, mais la voie procédurale pour le contester.

Il y a donc lieu de déclarer recevable l'appel interjeté devant la cour de céans.

Il n'y a pas lieu de condamner la société Altrad International sur le fondement de l'article 123 du Code de procédure civile, qui dispose que " Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt ", cette intention dilatoire ne pouvant résulter du seul dépôt de l'incident le 26 mai 2017, quelques jours avant la clôture des débats, les arrêts de la Cour de cassation qui ont fondé la demande de la société Altrad International datant seulement de mars 2017.

Il y a lieu en revanche de condamner la société Altrad International aux dépens du déféré ainsi qu'à payer à la société KGK la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevable l'appel formé le 23 février 2016 par la société KGK Konsimpex, Condamne la société Altrad International aux dépens de l'instance de déféré, Condamne la société Altrad International à payer à la société KGK Konsimpex la somme de 4 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.