Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 novembre 2017, n° 15-00270

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

GB Cristal (SARL)

Défendeur :

Babou (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Angliviel de la Beaumelle, Vancraeyenest, Boccon Gibod, Nadal

T. com. Lyon, du 3 déc. 2014

3 décembre 2014

Faits et procédure

Vu le jugement rendu le 3 décembre 2014 par le Tribunal de commerce de Lyon qui a :

- débouté la société GB Cristal de sa demande d'indemnisation fondée sur l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce pour la formation de 7 couples, et l'a condamnée à payer à la société Babou la somme de 2 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les sociétés GB Cristal et Babou de toutes leurs autres demandes,

- condamné la société GB Cristal aux dépens ;

Vu l'appel relevé par la société GB Cristal et ses dernières conclusions notifiées le 2 septembre 2015 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 1° et D. 442-3 du Code de commerce, L. 110-3 du Code de commerce et 1134 du Code civil, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- dire que la société Babou a obtenu de sa part un avantage manifestement disproportionné et sans contrepartie, non justifié par un intérêt commun et qui allait au-delà de ses obligations contractuelles,

- condamner la société Babou à lui payer la somme de 200 000 € en remboursement des frais exposés et en rémunération du service rendu, à savoir la formation de 7 couples de gérants mandataires,

- la condamner aux dépens et à lui payer la somme de 5 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 17 juillet 2015 par la société Babou qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 -1 du Code de commerce de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions et tout particulièrement en ce qu'il a débouté la société GB Cristal de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société GB Cristal aux dépens et à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE

La société GB Cristal, qui avait pour activité l'animation commerciale de tous magasins de vente, a signé avec la société Babou plusieurs conventions de gérance-mandat d'une durée d'un an pour la gestion de fonds de commerce exploités à Chenôve (Dijon) du 1er avril 2008 au 30 septembre 2010, puis à Avignon du 1er octobre au 24 octobre 2010 et à Sorgues à compter du 27 octobre 2010 ; la dernière convention signée le 28 septembre 2012 a pris effet le 1er octobre 2012 pour se terminer le 30 septembre 2013.

Par lettre du 18 mars 2013 adressée à la société Babou, la société GB Cristal lui a demandé remboursement de la somme de 200 000 € correspondant au coût exposé pour la formation de 7 couples de " cogérants en formation " au cours de la période du 7 janvier 2010 au 31 juillet 2011 ; dans sa lettre en réponse du 22 mars 2013, la société Babou a indiqué ne pouvoir donner une suite favorable à cette demande.

C'est dans ces circonstances que le 2 juillet 2013 la société GB Cristal a assigné la société Babou en paiement devant le Tribunal de commerce de Lyon ; elle a été déboutée de sa demande par le jugement déféré.

La société GB Cristal, appelante, allègue que la société Babou a obtenu de sa part un avantage injustifié, sans contrepartie financière, consistant en la formation de ses futurs gérants-mandataires. Elle fait valoir au soutien de ses prétentions :

- que la société Babou a recours aux services de certains de ses gérants-mandataires en exercice pour assurer la formation de ses futurs gérants-mandataires,

- qu'elle a formé 7 couples, dont 6 sont devenus gérants-mandataires, entre janvier 2010 et juillet 2011 : M. et Mme C., M. et Mme M., M. F. et M. G., Mme L. et M. M., MM. A. et P., Mme H. et M. P., Mme B. et M. B.,

- que le système imposé par la société Babou consistait à faire acquérir 10 parts de la société GB Cristal aux couples en formation, ce qui permettait le travail dominical et l'économie des charges sociales, les parts étant revendues en fin de formation pour être rachetées par un couple commençant sa formation,

- que sur son site internet, constaté par huissier de justice, la société Babou décrit son système de recrutement en précisant que les candidats passent par une phase de formation théorique et pratique sur le terrain dans l'un des magasins formateurs, pendant plusieurs mois, afin d'appréhender les différentes techniques de vente, de gestion, de marketing et de management, cette formation initiale étant prise en charge par la société Babou,

- qu'entre commerçants la preuve est libre et qu'elle justifie des formations accomplies par attestations,

- que ses résultats pour les exercices 2010 et 2011 ont été moins importants du fait qu'ils ont été impactés par les charges liées aux formations,

- qu'elle a supporté les frais suivants : 87 141,08 € pour rémunération nette des 7 couples, 36 000 € pour cotisations RSI des 7 couples, 8 246,23 € pour leur hébergement et 12 800 € pour transcription des entrées/sorties des 7 couples et qu'elle doit être rémunérée en qualité de formateur à concurrence de 100 € par jour et par couple, soit 60 000 €.

La société Babou conteste devoir la moindre somme en objectant :

- qu'aucune des conventions de gérance-mandat n'imposait au gérant-mandataire une obligation de formation de personnes qu'elle aurait recommandées et qui seraient intéressées par une intégration éventuelle au réseau,

- que préalablement à la signature des conventions, elle a remis à la société GB Cristal un document pré contractuel ayant pour objet d'éclairer son consentement et que celle-ci n'a jamais négocié une contrepartie à ce qu'elle considère comme des formations,

- que le fait pour la société GB Cristal d'avoir intégré des associés et de les avoir nommés comme cogérants ne résulte que de sa propre initiative et ne lui a pas été imposé,

- qu'elle est étrangère aux relations particulières nouées entre la société GB Cristal et les personnes prétendument en formation, n'ayant jamais participé à l'acquisition des parts, ni à leur cession,

- que si des personnes ont intégré le capital de la société GB Cristal et en sont devenues cogérantes, ce ne pouvait être que pour fournir un travail effectif à son profit,

- que dès lors qu'aucun programme de formation, ni calendrier ni support de formation ne sont produits, c'est bien que les personnes concernées travaillaient pour le compte de la société GB Cristal et qu'il n'y a donc aucun avantage manifestement disproportionné au sens de l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce,

- que la société GB Cristal a accepté comme associées et cogérantes à hauteur de 10 parts d'autres personnes que celles présentées par elle, à savoir Mmes et M. R., M., B., V. Nicolas et V. Anaïs, ce qui démontre que cette pratique était courante, qu'elle ne lui a jamais été imposée et qu'elle est sans lien avec une notion de formation,

- que le constat d'huissier de justice invoqué a été effectué le 23 janvier 2014, soit des années après les prétendues formations qui auraient été imposées à la société GB Cristal en 2010 et 2011 et qu'actuellement la formation est organisée dans le cadre d'une promesse de convention de gérance-mandat aux termes de laquelle les candidats doivent suivre une formation théorique délivrée par elle et une formation pratique dans un magasin formateur, des conventions étant conclues pour définir le parcours de formation pratique des candidats,

- que la société GB Cristal ne justifie pas d'un lien de cause à effet entre la prétendue formation qu'elle aurait dispensée et une baisse de ses résultats,

- que les signatures apposées sur les attestations de Mmes R., L. et G. ne correspondent pas à leurs signatures sur les pièces d'identité et que la cour doit écarter des débats ces trois attestations.

Mais à supposer que la cour ne puisse pas tenir compte des trois attestations dont la signature est discutée, il apparaît que toutes les autres attestations rédigées par des salariés de la société GB Cristal relatent que des couples de cogérants ont été en formation dans le magasin exploité par la société GB Cristal.

Julie L. déclare qu'elle a fait partie de la société GB Cristal en tant qu'associée de septembre 2009 à juillet 2010 et que, pendant cette période, plusieurs couples envoyés par la société Babou ont été formés dans le but de gérer un magasin Babou, les temps de formation pouvant varier en fonction de ce que la société Babou estimait nécessaire.

Mme F. et M. G. attestent avoir été placés par la société Babou dans le magasin de la société GB Cristal à Chenôve pour finir leur formation et y avoir exercé les fonctions de cogérants du 2 au 31 août 2010, leur formation ayant pris fin en raison de difficultés relatives à l'exercice de la fonction.

M. et Mme C. attestent quant à eux :

- qu'ils ont postulé auprès du groupe Babou dans le but d'exploiter un magasin,

- qu'après un entretien et des tests psychologiques, M. J. et Mlle M., chargés du recrutement de gérants-mandataires, leur ont expliqué qu'il fallait obligatoirement une formation de six mois minimum, que pour que cette formation soit possible ils devaient acheter 10 parts de la société de leurs futurs formateurs dans le but d'être rattachés à une société et de pouvoir travailler le dimanche et qu'ils seraient rémunérés 1 500 € chacun et logés moyennant 150 €,

- qu'ils ont acquis chacun 10 parts sociales de la société GB Christal et sont devenus cogérants de cette société pendant le temps de leur formation dans le magasin de Dijon,

- que leur formation a duré 7 mois, de janvier à juillet 2010, au cours desquels ils ont eu des entretiens hebdomadaires avec Mlle M.,

- que pendant cette formation, leurs gérants formateurs leur ont appris le mode de fonctionnement Babou, les méthodologies et la partie gestion,

- qu'à l'issue de cette formation, ils se sont vus proposer le magasin de Strasbourg mais que, à la demande de la société Babou, ils ont dû présenter une demande en ce sens par lettre précisant leur volonté de reprendre ce magasin.

M. P. et M. H. attestent dans le même sens :

- qu'ils ont effectué leur formation dans le magasin Babou de Sorgues du 1er mars au 31 juillet 2011 et sont devenus gérants du magasin Babou (...) suite à cette formation,

- qu'ils avaient postulé auprès du groupe Babou pour exploiter un magasin de cette enseigne,

- qu'après un entretien et divers tests, la personne chargée du recrutement à la société Babou leur a expliqué qu'il fallait faire obligatoirement une formation d'environ 6 mois et devenir provisoirement cogérants des gérants formateurs le temps de la formation, avec rémunération et logement compris,

- qu'ils ont donc acheté temporairement 10 parts sociales de la société GB Cristal et ont bénéficié d'un logement de fonction, soit un studio à Avignon,

- que le système permettait de travailler tous les jours de la semaine y compris le dimanche et d'effectuer un nombre d'heures important dans le but de recevoir une formation complète et structurée,

- que presque toutes les semaines le point était fait par téléphone avec les gérants de la société GB Cristal et la personne chargée du recrutement à la société Babou sur l'avancée de la formation,

- qu'ils ont été formés sur tous les postes du magasin, réserve et caisses, ainsi que sur l'administratif du magasin et de la SARL.

Il résulte de ces attestations précises et concordantes ainsi que des autres pièces versées aux débats (extraits du Grand livre, actes de cession de parts sociales et lettres de démission des fonctions de cogérants) que la société Babou adressait des candidats postulant à la gestion de ses magasins à la société GB Cristal pour qu'elle assure leur formation, ceux-ci devant se porter acquéreurs de 10 parts sociales de la société formatrice pendant le temps de la formation.

C'est donc en vain que la société Babou prétend qu'elle n'a pas imposé la formation des 7 couples cités et que la société GB Cristal aurait choisi d'intégrer en son sein par cooptation des personnes susceptibles de créer un jour leur société et d'exploiter un magasin sous enseigne Babou mais susceptibles également de rester liées à la société GB Cristal ou de s'orienter vers d'autres horizons. Elle ne conteste pas que les 7 couples cités étaient des candidats postulants aux fonctions de gérants-mandataires dans ses magasins.

Contrairement à ce qu'elle soutient, la preuve de l'existence et du contenu de la formation est bien rapportée, peu important l'absence de documents précisant son contenu et les dispositions prises depuis lors pour assurer la formation.

Le fait que la société GB Cristal n'ait pas formulé de demande relative aux formations au moment où elle les a assurées et avant de conclure une nouvelle convention le 28 septembre 2012 est sans incidence.

En faisant financer par la société GB Cristal, hors de toute obligation contractuelle et sans aucune contrepartie, la formation de ses candidats aux fonctions de gérants-mandataires, la société Babou a obtenu un avantage manifestement disproportionné, ce qui ouvre droit à réparation par application de l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce.

Pour évaluer le préjudice subi, il convient cependant de prendre en considération le fait que les couples, tout en étant en formation à la demande de la société Babou, ont fourni un travail au profit de la société BG Cristal ; au regard de ces éléments, le montant des dommages intérêts dus par la société Babou sera fixé à la somme de 100 000 €.

La société Babou, qui succombe, doit supporter les dépens ; vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 4 000 € à la société BG Cristal et de rejeter la demande de la société Babou à ce titre.

Par ces motifs, LA COUR, infirme le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau : condamne la société Babou à payer à la société GB Cristal : - la somme de 100 000 €, à titre de dommages intérêts, - la somme de 4 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile, déboute les parties de toutes leurs autres demandes, condamne la société Babou aux dépens de première instance et d'appel.