CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 23 novembre 2017, n° 17-09956
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Early Birds (SAS)
Défendeur :
Target2sell (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseillers :
Mmes Bodard-Hermant, Dellelis
Avocats :
Mes Picard, Grappotte-Benetreau, Bes de Berc
Les sociétés Early Birds et Target2sell sont deux sociétés concurrentes, spécialisées notamment dans l'analyse comportementale des visiteurs des sites de e-commerce dans le but de proposer des solutions à leurs clients de nature à dynamiser leur chiffre d'affaires.
La société Target2sell a saisi le président du Tribunal de commerce de Paris par requête, en demandant la désignation d'un huissier de justice aux fins de réalisation d'une mesure d'instruction dans les locaux d'Early Birds.
Par ordonnance du 27 décembre 2016, le président du tribunal de commerce a fait droit à la requête et a commis la SCP d'huissiers Chevrier de Zitter & Asperti avec mission de se rendre dans les locaux de la société Early Birds aux fins notamment de se faire remettre et de rechercher sur tous supports, sur la période du 1er janvier 2016 jusqu'à la date d'exécution de l'ordonnance, les e-mails contenant les mots clefs " Target2sell ", ou " T2S " ou " Target " ou " tri " ou " tri personnalisé " ou " ordonnancement " ou " tri intelligent " ou " pages listes " ou " pages catégories " et contenus dans les messageries des différentes personnes travaillant dans le cadre de la société Early Birds, de se faire remettre et au besoin rechercher le fichier clients et le fichier prospects de la société Early Birds quel qu'en soit le support et de les comparer avec les fichiers équivalents de la société Target2sell.
Le 2 février 2017, la société Target2sell a fait assigner la société Early Birds en référé aux fins de voir ordonnée l'ouverture du séquestre.
La société Early birds a saisi président du Tribunal de commerce de Paris d'un référé rétractation par assignation en date du 16 février 2017.
Par ordonnance de référé en date du 11 mai 2017 le président du Tribunal de commerce de Paris a :
Vu les articles 145, 249, 493 et suivants du Code de procédure civile,
- dit l'assignation en référé rétractation de la société Early birds recevable ;
- rejeté la demande de renvoi de l'affaire ;
- débouté la société Early birds de sa demande de rétractation ;
- débouté la société Early birds de ses autres demandes ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné en outre la société Early birds aux dépens de d'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 46,34 euros TTC dont 7,51 euros de TVA.
Par déclaration en date du 17 mai 2017, la société Early birds a interjeté appel de cette ordonnance.
Par ses dernières conclusions en date du 29 septembre 2017, la société Early birds demande à la cour, sur le fondement des articles 145, 146 alinéa 2, 495, 496, 497 et 812 du Code de procédure civile, de :
- dire l'appel interjeté par la société Early birds à l'encontre de l'ordonnance du 11 mai 2017 recevable et bien fondé ;
- infirmer l'ordonnance rendue le 11 mai 2017 par le président du Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- constater l'absence de motif légitime de nature à justifier qu'il soit fait application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile au profit de la société Target2sell, ni à déroger au principe du contradictoire ;
- dire que la mission confiée à la SCP Fabienne Chevrier de Zitter & Mathieu Asperti est en tout état de cause disproportionnée et injustifiée au regard de la finalité alléguée ;
En conséquence :
- rétracter l'ordonnance, rendue sur requête de la société Target2sell, le 27 décembre 2016 ;
- annuler les constatations dressées par l'huissier instrumentaire et notamment le procès-verbal de constat de la SCP Fabienne Chevrier de Zitter & Mathieu Asperti du 6, 13 et 23 janvier 2017 et l'inventaire des pièces et des documents saisis ;
- ordonner à la SCP Fabienne Chevrier de Zitter & Mathieu Asperti de restituer à la société Early birds les éléments de toutes natures séquestrés dans le cadre de l'exécution de l'ordonnance sur requête rendue le 27 décembre 2016.
- le cas échéant, ordonner à la société Target2sell de restituer à la société Early birds l'intégralité des éléments qui auraient d'ores et déjà pu lui être communiqués dans le cadre de la procédure de mainlevée de séquestre engagée par cette dernière devant le juge des référés ;
- faire interdiction en tant que de besoin sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à la société Target2sell de faire référence de quelque manière que ce soit aux éléments constatés ou saisis dans le cadre de l'exécution de l'ordonnance sur requête rendue le 27 décembre 2016 et en particulier au contenu de l'inventaire dont il lui a été remis copie par l'huissier ;
- condamner la société Target2sell à verser à la société Early birds la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Target2sell à verser à la société Early birds la somme de 12 500 euros par provision sur fondement de l'article 1240 du Code civil, au titre du préjudice subi à raison de la procédure de saisie engagée sans justifier du moindre motif légitime ;
- condamner la société Target2sell à verser à la société Early birds la somme de 12 000 euros par provision au titre des frais d'expertise qu'elle a été contrainte d'engager sur le fondement de l'article 1240 du Code civil ;
- condamner la société Target2sell à verser à la société Early birds la somme de 450 euros par provision au titre des frais de constat d'huissier qu'elle a été contrainte d'engager sur le fondement de l'article 1240 du Code civil ;
- condamner la société Target2sell aux entiers dépens.
Elle fait valoir notamment :
- que l'exception d'autorité de la chose jugée soulevée par la société Target2sell est manifestement dénuée de tout fondement car, conformément à l'article 1355 du Code civil, en raison de la décision rendue le 11 juillet 2017, dès lors notamment que l'instance en mainlevée de séquestre n'a pas le même objet que la présente procédure ;
- que le juge de la rétractation doit vérifier l'existence d'un motif légitime et doit rechercher le caractère plausible de ces faits dans le cadre du débat contradictoire et au vu des conclusions des parties ;
- que le juge doit tenir compte de tous les éléments de faits et de droit survenus depuis la décision contestée, et notamment des éléments produits par les parties au soutien de leurs conclusions ;
- que la société Target2sell fondait sa requête sur le postulat factuel selon lequel la société Early birds ne disposerait pas d'une fonctionnalité de " tri personnalisé ",
- que ce postulat est totalement erroné ;
- que le président du tribunal a commis une erreur de droit en retenant qu'il n'appartient pas au juge des référés, statuant en audience de rétractation, de se prononcer sur la certitude du motif légitime qui serait de la compétence du juge du fond.
- qu'il est de jurisprudence constante qu'en matière de référé rétractation, la charge de la preuve continue de peser sur le requérant qui doit justifier le bien-fondé de sa requête et ce, alors même qu'il est devenu défendeur à l'instance de référé,
- que le non-déploiement de la fonctionnalité de tri personnalisé par les clients de la société Early birds que la société Target 2sell a voulu établir au moyen d'un constat d'huissier, ne signifie pas que cette fonctionnalité n'est pas pour autant disponible dans le module ; que l'utilisation de la fonctionnalité doit donc nécessairement être dissociée de l'existence de la fonctionnalité ;
- que la société Early birds dispose en réalité d'une fonctionnalité de tri personnalisé, et que sa solution est en réalité bien plus intéressante pour les clients puisqu'elle intègre d'origine et sans supplément de coût cette fonctionnalité ;
- que la plate-forme Early birds et la plate-forme Target2sell ne reposent pas sur les mêmes technologies et que les fonctionnalités de tri personnalisé étaient disponibles dans l'API Early birds dès octobre 2015, soit bien avant la demande de brevet déposée en octobre 2016 par la société Target2sell ;
- que les recherches menées par société Early birds ont été initiées plusieurs mois avant que la société Target2sell ne communique sur ses avancées techniques et bien avant qu'elle ne dépose son brevet d'invention ;
- que la société Early birds n'a jamais eu accès aux recherches ni aux travaux engagés par société Target2sell pour créer sa méthode de tri en cours de brevetage ;
- que le concept d'index de tri est présent dans tous les moteurs de recherche et dans toutes les bases de données, et qu'au demeurant il ne peut faire l'objet d'une invention brevetable ;
- que les griefs tirés d'un comportement déloyal de la part de la société Early birds sont inopérants puisque reposant sur un postulat erroné ;
- que le grief tiré l'existence d'actes de démarchage agressif imputables à la société Early birds est totalement dénué de fondement ;
- que la société Target2sell n'a pas hésité à soutenir, dans le cadre de sa requête, que la société Early birds exploiterait le manque de connaissance technique de ses interlocuteurs, lesquels ne seraient pas aptes à vérifier la présence de toutes les modalités proposées dans ses offres ; que cette allégation n'est soutenue par aucun élément probant ;
- que les clients apportent leur soutien en témoignant de la qualité des prestations reçues, de la conformité de ces prestations par rapport à ce qui leur a été vendu, et que leurs équipes techniques ont bien évalué les fonctionnalités de la solution Early birds ;
- que l'allégation de la société Target2sell soutenant que la société Early birds serait à même d'émettre des offres tarifaires " ultra concurrentielles " ce qui a pour effet d'évincer la société Target2sell du marché considéré, ne repose sur aucun fondement ni pièce justificative ;
- que le président du tribunal de commerce a été gravement dupé par la société Target2sell, laquelle a instrumentalisé la justice pour tenter de déstabiliser un concurrent en lui imputant des actes de concurrence déloyale alors qu'il est établi qu'en réalité c'est elle qui trompe ses clients et prospects sur les qualités de sa solution ;
A titre subsidiaire,
- que le juge de première instance n'a pas respecté l'article 145 du Code de procédure civile,
- que le nombre de pièces saisies, qui dépasse les 3 500, témoigne du caractère manifestement disproportionné de la mesure autorisée et l'analyse succincte des mots clés utilisés dans le cadre de la saisie permet de constater que l'étendue de ces derniers dépasse de très loin l'objet du litige opposant les parties ;
- que la société Target2sell a elle-même reconnu le caractère disproportionné car elle a en effet proposé au président du tribunal, dans le cadre d'une note en délibéré du 5 juillet 2017, de limiter l'analyse des pièces à trier et donc des pièces dont la levée de séquestre était demandée, aux seules pièces contenant les termes " Target2Sell " ou " t2s " ou " Target " et le terme " Tri " ;
- que l'objectif poursuivi par la société Target2sell est en réalité d'accéder, au moyen de la procédure de saisie engagée, au contenu détaillé des offres commerciales de la société Early birds afin de mieux pouvoir la concurrencer et de regagner la clientèle perdue ;
- que la saisie ordonnée par le président du tribunal le 27 décembre2016 doit être rétractée dès lors que cette mesure, est manifestement disproportionnée et inutile à la manifestation de la vérité ;
- que conformément à l'article 1240 du Code civil, la procédure abusivement engagée par la société Target2sell a causé un préjudice considérable ; que les mesures d'instruction menées sur place, qui ont mobilisé plusieurs employés, le coût de l'élaboration du rapport d'expertise et les frais de constat d'huissier ainsi supportés devront être indemnisés à la société Early birds ;
- que les demandes indemnitaires formées par la société Early birds ne sont aucunement des prétentions nouvelles et que dès lors, les dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile ne saurait trouver à s'appliquer.
Par ses dernières conclusions en date du 3 octobre 2017, la société Target2sell demande à la cour, sur le fondement des 145, 249 et 493 et suivants du Code de procédure civile, de :
- dire et juger que l'autorité de la chose jugée provisoire attachée à l'ordonnance de référé du 12 juillet 2017 s'impose à la cour en ce qu'elle a retenu que le motif légitime est caractérisé et que la mission confiée à l'huissier instrumentaire est pertinente et proportionnée ;
En conséquence :
- déclarer irrecevable la demande de rétractation formée par la société Early Birds ;
- débouter la société Early Birds de l'intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- constater que la société Target2Sell a justifié du motif légitime requis pour qu'une mesure d'instruction in futurum soit ordonnée ;
- constater que la mission confiée à l'huissier instrumentaire par l'ordonnance du 27 décembre 2016 est proportionnée et justifiée afin de permettre la preuve des faits de concurrence déloyale par parasitisme invoqués par la société Target2Sell ;
En conséquence :
- rejeter la demande de rétractation formée par la société Early Birds ;
- débouter la société Early Birds de l'intégralité de ses demandes ;
En tout état de cause :
- dire et juger irrecevable et, à tout le moins, infondée la demande de provision formée par la société Early Birds, et l'en débouter ;
- condamner la société Early Birds à verser à la société Target2Sell la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Early Birds aux entiers dépens, en ce compris les frais d'huissier et d'expert relatifs au constat opéré dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir :
- que la jurisprudence retient qu'une mesure d'instruction est pertinente et proportionnée lorsqu'elle est limitée dans le temps et dans son objet et que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'octroi d'une mesure d'instruction selon la jurisprudence ;
- que le juge de la levée du séquestre a retenu dans son ordonnance du 12 juillet 2017 que les conditions pour une mesure d'instruction in futurum sont remplies, à savoir absence d'instance au fond et existence d'un motif légitime et que la mission confiée à l'huissier au terme de l'ordonnance est suffisamment précise ; que cette circonstance fait que les prétentions de la société Early Birds se heurtent à l'autorité de la chose jugée ;
- que le motif légitime invoqué par la société Target2Sell réside dans son intérêt à établir des agissements de concurrence déloyale par parasitisme, commis par la société Early Birds à son préjudice ;
- que la société Early Birds propose aux clients et prospects de la société Target2Sell un module de tri personnalisé similaire à celui développé par cette dernière ce qui est confirmé par plusieurs sociétés alors que la société Early Birds ne dispose pas, en réalité, d'un module de tri personnalisé ;
- que la société Early Birds affirme qu'elle aurait développé un tel module, mais cela ne repose sur aucun élément de preuve, si ce n'est un rapport d'expertise non-contradictoirement établi ;
- que les quatre pièces produites par l'appelante ne démontrent aucunement de ce que la société Early brirds aurait mis au point, une nouvelle technique de tri personnalisé de pages listes,
- que le constat d'huissier du 2 décembre 2016 démontre que la société Early Birds ne dispose pas, contrairement à ce qu'elle affirme, de la technologie permettant de mettre en place sur le site de ses clients un tri personnalisé ;
- que la société Early Birds exploite ainsi le manque de connaissance technique de son interlocuteur, et se trouve à même d'émettre une offre tarifaire ultra concurrentielle tout en flouant ses clients ;
- que la société Early Birds démarche directement et très agressivement les clients de la société Target2Sell ;
- que la mission consiste en la recherche d'e-mails, doublement restreinte à une période courant du 1er janvier 2016 à la date d'exécution de l'ordonnance et tendant à la recherche de mots clés spécifiquement listés dans l'ordonnance, ces mots clés étant tous directement liés aux faits de concurrence déloyale allégués ;
- qu'après suppression des doublons, le nombre de pièces saisies n'est plus que de 1537 éléments et non 3515 ;
- que la société Early Birds s'oppose à la communication de 1.127 éléments, soit les 3/4, et n'a toujours pas communiqué à la société Target2Sell les 410 éléments à la remise desquels elle ne s'oppose pourtant pas, nonobstant l'injonction qui lui a été faite à cet égard et la demande de Target2Sell ;
- que la mission de l'huissier instrumentaire a été précisément encadrée, de sorte que les documents qu'il conserve en séquestre sont strictement nécessaires à l'établissement de la preuve des faits de concurrence déloyale par parasitisme reprochés à la société Early Birds, sans qu'il existe aucun risque que leur communication constitue une quelconque violation du secret des affaires ou de la loyauté qui doit présider aux relations entre concurrents au préjudice de la société Early Birds ;
- que la société Early Birds est incapable de démontrer la moindre faute de la société Target2Sell.
Rien ne démontre le caractère prétendument 'abusif' de la procédure intentée par la société Target2Sell.
- que le " procédé d'établissement d'une liste ordonnée d'objets et système de mise en œuvre du procédé " qui a été déposé par la société Target2Sell, est parfaitement brevetable, contrairement à ce qu'affirme l'appelante.
L'instruction a été déclarée close le 4 octobre 2017.
Il sera renvoyé aux conclusions récapitulatives des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs moyens et arguments en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'irrecevabilité de la demande de rétractation pour atteinte à l'autorité de la chose jugée
La société Target 2 sell fait valoir que par ordonnance en date du 12 juillet 2017, le juge de la levée de séquestre a débouté la société Early Birds de sa demande de sursis à statuer concernant la demande de levée du séquestre en retenant au titre de ses motifs que les deux conditions cumulatives requises pour une mesure d'instruction in futurum étaient remplies à savoir l'absence d'instance au fond et l'existence d'un motif légitime, que la mission de l'huissier était suffisamment précise et que lors de la levée du séquestre le juge n'avait pas à statuer sur la réalité de la concurrence déloyale qui est de la compétence du juge du fond mais devait se limiter à statuer sur la communication des pièces qui répondent aux critères de l'ordonnance. Elle en conclut que dès lors que l'ordonnance du 12 juillet 2017 a été signifiée sans être frappée d'appel, la demande formulée par la société Early Birds se heurte à l'autorité de la chose jugée.
Il convient toutefois de relever :
- que l'audience en référé rétractation et l'audience en mainlevée de séquestre n'ont pas le même objet ;
- que la décision de levée de séquestre ne peut faire obstacle au droit de la société Early Birds de relever appel de l'ordonnance refusant la rétractation ;
- que les motifs d'une décision, fussent-ils des motifs décisoires, n'ont pas en principe l'autorité de la chose jugée ;
- que le juge de la levée du séquestre a pris sa décision au regard du fait que le juge de la rétractation avait refusé cette dernière dans le cadre d'une décision ayant autorité de la chose jugée au provisoire, en estimant qu'il n'y avait pas lieu à surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour, cette circonstance ne pouvant toutefois pas faire perdre à Early Birds le bénéfice de son appel.
En conséquence, aucune fin de non- recevoir tiré de l'autorité de la chose jugée ne s'oppose pas à la demande de la société d'Early Birds tendant à la rétractation de l'ordonnance du 27 décembre 2016.
Sur le bien-fondé de la demande de rétractation
Aux termes des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
L'article 875 du Code de procédure civile dispose encore que le président du tribunal de commerce peut dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner sur requête toutes les mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.
Le demandeur à la mesure d'instruction in futurum, s'il n'a pas à démontrer l'existence des actes de concurrence déloyale ou de parasitisme économique qu'il allègue doit justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions, ne relevant pas de la simple hypothèse, en lien avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction, la mesure demandée devant être pertinente et utile.
La société Target 2 Sell a justifié sa requête en faisant valoir essentiellement :
- que la société Early Birds propose à ses clients et prospects une technique de tri qu'elle ne détient pas ;
- qu'elle inclut cette technique dans son offre de base et exploite le manque de connaissances techniques de ses concurrents ;
- que réalisant des économies sur le coût du développement alors que la société Target2sell a consacré un travail important pour l'élaboration d'une fonction pour laquelle elle a déposé une demande de brevet, la société Early Birds est en mesure de faire des offres ultra-concurrentielles à peu de frais ;
- qu'elle se livre à un démarchage agressif vis à vis des clients de Target2sell.
Pour justifier des pratiques commerciales qualifiées d'agressives de sa concurrente, la société Target2Sell a produit :
- un échange de courriels à l'automne 2016 avec les représentants de Beauté Privée duquel il résulte que cette société souhaitait travailler avec Early Birds, la société Target2sell ayant répondu en dernier lieu " si vous avez déjà souscrit à l'offre de tri de notre confrère Early Birds alors je vous laisserai revenir vers nous dans les mois qui viennent quand vous envisagerez un changement sans vous solliciter davantage ";
- une lettre de résiliation du contrat liant Beauté Privée à Early Birds en date du 13 septembre 2016 ;
- un courriel émanant d'une représentante de l'enseigne Jacqueline Riu en date du 29 septembre 2016 indiquant qu'avant de répondre aux offres de Target2sell, elle doit faire le bilan avec Early Birds ;
- une lettre de la direction de Celio International résiliant le contrat liant cette société à Target2sell avec effet au 1er février 2017 ;
- une lettre de résiliation de la Sofrade en date du 1er décembre 2016 ;
- un mail d'une représentante de Devernois en date du 19 décembre 2016 indiquant à Target2sell que cette dernière est " challengée avec Early Birds ";
- un échange de courriels entre Early Birds et la société Korben dans lequel Early Birds propose à son interlocuteur de tester la qualité de son accompagnement par rapport à ce que propose Target2sell.
Ces différentes pièces ne démontrent pas que la société Early Birds se livrerait à une concurrence anormalement agressive vis-à-vis de Target2 Sell. Il convient d'observer que les deux sociétés parties à la présente instance ont strictement le même domaine d'activité et se concurrencent dans un secteur qui est en constant développement. Il n'est aucunement surprenant en conséquence que ces deux sociétés aient sensiblement les mêmes prospects et que leurs clients potentiels les mettent en concurrence avant de choisir l'une ou l'autre pour assurer la meilleure rentabilité de leur site de vente en ligne. Il sera précisé en tant que de besoin que ces deux sociétés sont étanches l'une par rapport à l'autre et qu'il n'a pas été soutenu que des actes de concurrence déloyale auraient été commis au travers des agissements d'un ancien salarié donnant des informations sur le fichier client ainsi que sur les méthodes commerciales de son ancien employeur.
Par ailleurs, il ne ressort pas des échanges de courriels produits que la société Early Birds se serait livrée à des actes de dénigrement vis à vis de sa concurrente.
Ces premières constatations permettent de conclure que le litige se concentre en réalité autour du grief fait par la société Target 2 sell à Early Birds de prétendre pouvoir offrir à ses clients une fonctionnalité de tri personnalisé dont elle ne disposerait pourtant pas.
Pour démontrer que la société Early Birds était dans l'incapacité de proposer une solution de tri personnalisé contrairement à ses allégations, la société Target 2 Sell a produit aux débats un constat d'huissier en date du 2 décembre 2016 en indiquant qu'il en résulte de manière certaine :
- que pour les sites internet des clients de Target 2 Sell , à savoir par exemple Micromania et la Maison du Whisky, les résultats des pages listes varient en fonction de l'historique du visiteur, et donc de ses intérêts et attentes, en temps réel ; qu'ainsi l'huissier a pu constater que deux visiteurs aux profils différents, l'un ayant par exemple cliqué sur " NIKKA Super Nikka 43 % " et l'autre ayant cliqué sur " Nikka 17 ans Taket suru 43 % " voient s'afficher une liste de produits de la page Whiskies du monde " japonais différente ou que l'un ayant cherché précédemment " Pro Evolution Soccer 2016 " alors que l'autre recherchait " Playstation 4 Pro " voient s'afficher une liste de produits de la page 4 nouveautés du site Micromania différente ;
- qu'en revanche, sur les sites des clients de la société Early Birds, les résultats de pages listes ne varient jamais quelle que soit la navigation des visiteurs ;
- que spécifiquement, les résultats des pages listes des sites internet de Gémo, Nature et Découvertes et de la Fnac ne varient jamais, preuve de ce que le tri personnalisé n'était pas mis en œuvre sur les sites internet concernés, la société Target 2 Sell ajoutant à cet égard que la société Early Birds ne conteste pas au demeurant ce point en indiquant simplement que la solution tri, même si elle existait n'était utilisée sur aucun des sites concernés.
Il convient toutefois d'observer que la société Early Birds a produit aux débats un rapport établi par M.Lipski, expert en informatique agréé par la Cour de Cassation.
Sur ce point, la société Target2 Sell ne peut se borner à se prévaloir du fait que ce rapport n'a pas été établi dans le cadre d'une procédure contradictoire, alors que ce rapport est soumis à la discussion contradictoire certes différée des parties et qu'il n'est aucunement la seule pièce produite aux débats par la société Early Birds pour asseoir sa position. Du reste, un document établi par un expert en informatique est particulièrement bien venu à titre probatoire dans le cadre d'un litige qui est de nature essentiellement technique.
Dans le cadre du document intitulé " compte-rendu d'analyse de la capacité de la solution développée par Early Birds ", M. Stéphane Lispski indique ainsi après avoir effectué ses investigations d'ordre technique qu'il est démontré que l'API Early Birds a la capacité à résoudre l'ensemble des prérequis techniques nécessaires à la réalisation de tris personnalisés de pages-listes soit :
- réaliser des tris personnalisés de produits en fonction du comportement du visiteur ;
- fournir un nombre de produits variable ;
- gérer du multi-pages ;
- tenir compte des règles de filtrage ;
Il indique encore que si la recommandation personnalisée et le tri de pages-listes présentent un affichage légèrement différent pour le visiteur, les prérequis techniques pour y parvenir ne sont pas nécessairement très éloignés et peuvent parfaitement être embarqués dans un même solution technique ; que la fonctionnalité développée par Early Birds a ainsi été développée en suivant une stratégie de développement différente des modules distincts tels que décrits par la société Target 2 Sell, qui lui permet à la fois d'adresser des recommandations personnalisées et de trier des pages listes. Il énonce enfin que si les clients d'Early Birds n'ont pas souhaité faire intervenir leur direction informatique pour modifier les requêtes adressées par leur site de e-commerce, la simulation des requêtes adaptées permet d'apporter la démonstration de la capacité de l'Api Early Birds de fournir aussi bien de la recommandation personnalisée que du tri de pages-listes.
Evoquant l'historique du développement de l'application chez Early Birds, élément important pour déterminer si la société était en possession de la fonction de la fonctionnalité tri personnalisé pendant la période concernant les faits litigieux, M.Lipski conclut son rapport en indiquant que les prérequis existaient dès le 11 janvier 2016 étant précisé que l'intégralité du code source de la fonctionnalité permettant de parvenir à un tel résultat est intégré dans le code source de ladite API depuis le 22 octobre 2015.
Les conclusions de ce rapport apparaissent à cet égard davantage probantes que le contenu d'un courriel adressé par un représentant d'Aramis Auto à Target2sell dans lequel ce représentant indique " effectvement vos concurrents français ne proposaient pas vraiment des solutions de tri personnalisé ".
La question n'est pas de savoir si la société Early Birds offre une solution absolument équivalente à celle de Target 2 sell mais de savoir si elle trompe ses clients en se prévalant d'une offre technique qu'elle n'est pas en mesure d'offrir comme l'affirme Target2sell.
Force est de constater que le rapport évoqué ci-dessus dément une telle assertion.
S'agissant par ailleurs des sites sur lesquels l'huissier a opéré des constatations, la société Early Birds a été en mesure de produire des courriers de ses clients selon lesquels ces derniers n'avaient pas souhaité mettre en œuvre dans un premier temps la fonction tri personnalisé. Ainsi la société Nature et Découverte indique " la fonctionnalité de tri de la page liste, disponible dans l'API Early Birds n'a pas été priorisée par Nature & Découverte car nous avions des leviers plus importants à actionner un autre site. Le tri de la page liste vient, pour nous, en prolongement du déploiement de la solution qui fait partie des derniers lots à mettre en œuvre. Nous procéderons surement au déploiement du tri de la page liste avec Early Birds courant 2017, début 2018. La solution déployée sur notre site est conforme à ce que nous avons sollicité et comprend l'ensemble des fonctionnalités qui figuraient dans notre cahier des charges et nous n'avons pas déployé le tri personnalisé dès 2016 pour des raisons internes.
La société Gemo et la FNAC ont établi des attestations reprenant des explications équivalentes, la Fnac précisant notamment que ses équipes ont comparé les deux solutions, fonctionnellement et techniquement en intégrant une dimension prospective et a constitué une grille de notation à l'issue de laquelle Early Birds a été désignée comme la solution qui correspondait le plus aux attentes du groupe Fnac Darty et que la fonctionnalité tri personnalisé n'a pas été priorisée en 2016 mais s'inscrit dans son roadmap de 2017.
Il convient de relever que les trois sociétés reprises ci-dessus sont des sociétés importantes, peu susceptibles d'être mal informées sur les moyens dont elles disposent pour accroître leur chiffre d'affaires et encore moins susceptibles d'être particulièrement conciliantes si un co-contractant leur avait menti sur la nature des prestations qu'il est en mesure d'offrir.
Dans un mail adressé à Early Birds, la responsable Ecommerce et digital de Jacqueline Riu détaille de manière précise les motifs pour lesquels la société concernée a finalement choisi l'offre Early Birds et indique que ce choix a été fait en dépit de meilleurs prix offerts par la concurrence ce qui dément le fait la société Early Birds se permettrait d'offrir des solutions techniques peu évoluées à des prix cassés.
L'ensemble de ces éléments remet clairement en cause la thèse selon laquelle la société Early Birds n'est pas en mesure d'offrir la fonction tri personnalisé à ses clients.
Force est de constater en conséquence :
- que la requête de la société Target 2 Sell reposait essentiellement ainsi qu'il a été dit sur le postulat factuel selon lequel la société Early Birds ne disposait pas de la fonction tri personnalisé ;
- que la réalité de ce postulat ne ressort aucunement des pièces produites ;
- que la mesure d'instruction qui visait à permettre à la société Target 2 Sell de pouvoir saisir les supports de communication de la société Early Birds avec ses clients et prospects reprenant certains mots clefs et notamment les mots Target 2 Sell n'était pas de nature à apporter un éclairage sur cette question essentielle et technique ;
- qu'il n'était pas justifié et pertinent de rechercher au travers des mails émanant des associés ou salariés d'Early Birds l'ampleur d'une concurrence déloyale qui repose sur un motif erroné.
En conséquence, et sans qu'il soit besoin de rechercher si le champ de la mesure d'instruction ordonnée était de surcroît trop large, il convient de conclure que la demande de mesure d'instruction in futurum ne correspond pas en l'espèce à un motif légitime caractérisé.
Il convient donc par infirmation de l'ordonnance querellée de rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 27 décembre 2016, de dire que les opérations diligentées en vertu de celles-ci sont nulles et de déclarer nul et de nul effet le procès-verbal de constat établi les 6 janvier et 13 janvier 2017 pour les opérations et le 23 janvier 2017 pour la rédaction par l'huissier instrumentaire et d'ordonner lorsque la présente décision sera devenue définitive, à SCP Fabienne Chevrier de Zitter & Mathieu Asperti, de procéder à la restitution de l'ensemble des pièces et documents appréhendés dans le cadre de celles-ci, sans qu'elle puisse en conserver copies, ni en divulguer le contenu.
Il convient en tant que de besoin d'ordonner à la société Target2sell de restituer à la société Early birds l'intégralité des éléments qui auraient d'ores et déjà pu lui être communiqués dans le cadre de la procédure de mainlevée de séquestre engagée par cette dernière devant le juge des référés.
Il convient enfin d'interdire à SAS Target 2sell de faire usage du procès-verbal de constat et de toute pièce obtenue dans le cadre de ce constat sans qu'il y ait lieu toutefois en l'état de prononcer une astreinte.
Sur les dépens et sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile
La SAS Target 2sell doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Les demandes formulées par la société Early Birds sur le fondement de l'article 1240 du Code civil au titre de la prise en compte des frais engagés pour le rapport établi par M.Lipski, du temps perdu par ses collaborateurs pour trier les différents mails dans le cadre de la levée de séquestre ainsi que du coût du constat correspondent en réalité à des frais engagés par Early Birds pour assurer sa défense. Il doit en être tenu compte par conséquent au titre de la somme allouée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La cour observe qu'il a été justifié des frais engagés pour recourir aux services de M.Lipski
Au vu des frais particulièrement importants engagés par la société Early Birds pour assurer sa défense dans le cadre de la présente procédure, la société Target 2 sell sera condamnée à payer à l'appelante une indemnité de 15 000 euros fsur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile comme indiqué au dispositif.
Par ces motifs, rejette la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée et DÉCLARE la société Target2sell recevable et bien fondée en son appel ; infirme la décision querellée en toutes ses dispositions, En conséquence, statuant à nouveau, rétracte en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 27 décembre 2016 ; DIT que les opérations diligentées en vertu de celles-ci sont nulles et déclare nul et de nul effet le procès-verbal de constat dressé les 6, 13 et 23 janvier 2017 par l'huissier instrumentaire, Maître Asperti de la SCP Chevrier de Ziter-Asperti ; ordonne , lorsque la présente décision sera devenue définitive, à la SCP Fabienne Chevrier de Zitter & Mathieu Asperti, de procéder à la restitution de l'ensemble des pièces et documents appréhendés dans le cadre de celles-ci, sans qu'elle puisse en conserver des copies, ni en divulguer le contenu ; ordonne en tant que de besoin à la société Target2sell de restituer à la société Early birds l'intégralité des éléments qui auraient d'ores et déjà pu lui être communiqués dans le cadre de la procédure de mainlevée de séquestre engagée par cette dernière devant le juge des référés ; interdit à la société Target 2sell de faire usage du procès-verbal de constat dressé les 6,13 et 23 janvier 2017, ainsi que de toute pièce en original ou en copie transmise à la suite de ce constat ; déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires ; condamne la société Target 2sell aux dépens de première instance et d'appel ; La condamne à payer à la société Early Birds une indemnité de 15 000 (quinze mille) euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.