CA Douai, 2e ch. sect. 2, 23 novembre 2017, n° 16-06359
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Ségurel (Sté)
Défendeur :
Soval (SARL), Marlière (ès qual.), Ramaje (Sté), Selarl Rouvroy et Declercq (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mmes Cordier, Roques
Avocats :
Mes Laurent, Brouard, Carlier, Gagne, Guillemin, Deleforge, Tessler, Latil
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte notarié du 12 février 2001, la société Soval a consenti à la société Ramaje, exploitant un supermarché à Poix du Nord, un bail commercial dont une clause intitulée " destination des lieux loués " imposait au preneur d'exploiter impérativement un commerce d'alimentation générale de type supermarché, sous l'enseigne " Shopi ".
Le 24 septembre 2010, le bail a fait l'objet d'un renouvellement pour une nouvelle durée de neuf années à compter du 12 février 2010.
Les 1er mars 2004 puis 25 février 2008, la société Ramaje a régularisé un contrat d'approvisionnement avec la société CSF France (filiale du "groupe Carrefour") et un contrat de franchise " Shopi Concept 2000 " (lequel succédait à un précédent contrat de franchise ayant uni les parties de 2001 à 2008) avec une autre filiale, la société Prodim, devenue Carrefour proximité France, pour une durée de 7 ans.
Invoquant des pertes financières et la décision du groupe Carrefour d'abandonner le concept Shopi, ainsi que l'absence de solution alternative économiquement viable proposée par le groupe, la société Ramaje a, par lettre du 30 mai 2011, dénoncé ses contrats de franchise et d'approvisionnement, à effet au 1er janvier 2012.
Carrefour proximité France ayant contesté cette décision, le tribunal arbitral saisi a, le 21 janvier 2013, prononcé la résiliation du contrat de franchise.
Compte tenu de l'interdépendance entre les deux conventions, une seconde sentence arbitrale, du 25 juillet 2014, a considéré que le contrat d'approvisionnement était devenu caduc à la date de la résiliation du contrat de franchise, le 21 janvier 2013.
A compter de janvier 2013, la société Ramaje a transféré son magasin sous l'enseigne Coccinelle, concédée par les Etablissements Ségurel, société de distribution alimentaire, et s'est approvisionnée auprès de cette dernière.
Par acte d'huissier du 27 mars 2013, Soval a fait délivrer à la société Ramaje un commandement visant la clause résolutoire du bail, en invoquant la violation de la clause de destination des lieux loués.
Le 3 mai 2013, la société Ramaje a fait assigner Soval devant le Tribunal de grande instance d'Avesnes-sur-Helpe pour contester la validité de ce commandement et l'application de la clause résolutoire invoquée par le bailleur.
Ayant déclaré son état de cessation des paiements le 30 avril 2013, la société Ramaje a été placée en redressement judiciaire par un jugement du 6 mai 2013.
Le 3 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Valenciennes a homologué un plan de redressement par continuation, prévoyant le remboursement des créanciers sur dix ans.
Par un jugement du 7 avril 2015, le Tribunal de grande instance d'Avesnes-sur-Helpe a, notamment :
- constaté que la clause " conditions particulières - clause résolutoire " du bail du 12 février 2001 doit être réputée non écrite, en application de l'article L. 145-15 du Code de commerce,
- prononcé pour défaut de fondement contractuel l'annulation du commandement d'avoir à exécuter la clause d'enseigne, délivré par la Soval,
- dit que la délivrance de ce commandement constituait une faute contractuelle de la part de la Soval,
- condamné la Soval à payer à la société Ramaje la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de cette faute,
- dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,
- condamné la Soval à payer à la Ramaje, Me Declercq ès qualités et Me Marlière, ès qualités, la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 15 avril 2015, Soval a interjeté appel.
Par un arrêt en date du 31 mars 2016, la Cour d'appel de Douai a :
- réformé le jugement ;
Statuant à nouveau,
- débouté la société Ramaje de ses demandes,
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 27 avril 2013,
- ordonné à défaut de restitution volontaire des lieux dans les trois mois de la signification du présent arrêt, l'expulsion de la société Ramaje et de tout occupant de son chef des lieux situés 9 rue de la Chasse à Poix du Nord, avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier,
- fixé l'indemnité d'occupation due par la société Ramaje, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires,
- débouté Soval de sa demande tendant à mettre sous séquestre les meubles et marchandises,
- rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Ramaje aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile par Me Carlier, avocat.
La société Ramaje a formé un pourvoi en cassation le 26 mai 2016.
Par actes d'huissier en date des 19, 20 et 21 septembre 2016, la SAS Etablissements Ségurel a fait assigner en tierce opposition devant la Cour d'appel de Douai la société Soval, la Selarl Rouvroy Declercq, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Ramaje, la société Ramaje et Me Marlière ès qualités de mandataire judiciaire de la société Ramaje.
À l'audience du 30 mars 2017, la cause évoquée a été renvoyée au 29 juin 2017 pour permettre aux parties de faire valoir leurs observations au message RPVA adressé suivant :
" La cour prie les parties de bien vouloir présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office tiré de l'éventuelle irrecevabilité de la tierce opposition et/ou des demandes de la société Etablissement Ségurel en ce qu'elles sont fondées sur l'article L. 420-1 du Code de commerce et relève du pouvoir de la Cour d'appel de Paris.
La cour prie également les parties de transmettre toutes observations utiles sur les conséquences procédurales qu'il conviendrait d'en tirer (compétence de la Cour d'appel de Douai pour statuer ou non sur la recevabilité de la tierce opposition au regard de l'intérêt à agir " Question préjudicielles sur la nullité de la clause d'enseigne "...) "
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions signifiées par voie électronique en date du 26 juin 2017, la SAS Etablissements Ségurel demande à la cour, au visa des articles 583, 584 et 591 du Code de procédure civile, de :
- la déclarer recevable et bien fondée en sa demande de tierce opposition, à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel du 31 mars 2016 dans les limites de sa compétence ;
- le cas échéant si la cour estime devoir trancher au stade de la recevabilité, la question de l'intérêt à agir lié au préjudice résultant de la pratique anti concurrentielle mise en œuvre par la société Solval,
- se déclarer incompétente sur le moyen tiré de l'intérêt à agir né de l'existence d'une pratique anti concurrentielle mise en œuvre par la société Solval,
- renvoyer l'examen de la question à la Cour de Paris, seule compétente en vertu des dispositions de l'article L. 420-7 du Code de commerce et surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour d'appel de Paris,
- statuer sur le bien-fondé de la tierce opposition,
- se déclarer compétente pour statuer sur les demandes ayant trait à l'existence de pratiques anticoncurrentielle telles que prévues par l'article L. 420-1 du Code de commerce et surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour d'appel de Paris,
- dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour d'appel de Paris
- ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Douai conformément aux dispositions de l'article 590 du Code de procédure civile,
- si par extraordinaire la cour retenait sa compétence pour statuer sur l'entier litige
- déclarer recevable et bien fondée la société Etablissements Ségurel en sa tierce opposition,
- dire que l'arrêt à intervenir sera opposable à la société Soval ainsi qu'à la société Ramaje, Me Marlière, ès qualités et la Selarl Rouvroy Declercq, ès qualités, régulièrement appelés en la cause ;
- constater l'indivisibilité pratique résultant des faits de la présente espèce et déclarer l'effet absolu de la tierce opposition ;
- en conséquence, réformer l'arrêt rendu le 31 mars 2016 en toutes ses dispositions ;
- Statuant à nouveau, au visa des articles L. 330-1, L. 420-1 et suivants du Code de commerce et 1131 et 1133 du Code civil,
- dire nulle et de nul effet la clause d'enseigne insérée au bail commercial conclu entre les sociétés Soval et Ramaje en ce qu'elle viole les articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce et repose sur une cause illicite ;
- dire nul et de nul effet le commandement visant la clause résolutoire délivré le 27 mars 2013 à la requête de la société Soval ;
- réformer l'arrêt de la Cour d'appel de Douai en date du 31 mars 2016 en ce qu'il a constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail conclu entre les sociétés Soval et Ramaje, et a ordonné à défaut de restitution volontaire des lieux dans les trois mois de la signification l'expulsion de la société Ramaje ;
- Si la cour l'estime nécessaire,
- saisir l'Autorité pour avis sur conformité de la clause d'enseigne insérée dans les baux conclus entre le société Soval et les franchisés du groupe Carrefour avec les interdictions posées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ;
- communiquer le dossier au Ministère Public en vertu de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
- condamner la société Soval au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Soval aux entiers dépens de l'instance.
La SAS Etablissements Ségurel fait valoir que:
- la Cour d'appel de Douai a une compétence exclusive pour statuer sur la tierce opposition régularisée,
- la Cour d'appel de Douai n'a pas pouvoir juridictionnel pour statuer sur le bien-fondé de la tierce opposition, devant au vu de la compétence exclusive de la Cour d'appel de Paris en matière de pratique anti concurrentielle et du caractère d'ordre public de la réglementation, surseoir à statuer dans l'attente de la question préjudicielle à poser.
Elle soutient que sa tierce opposition est recevable en ce que:
- elle est tiers à l'instance,
- elle a un intérêt à agir :
- car la résiliation du bail commercial de la société Ramaje lui cause un préjudice direct dans la mesure où elle va perdre un point de vente de son réseau et va voir s'arrêter brutalement la relation d'approvisionnement entretenue avec la société Ramaje avec laquelle elle réalise un chiffre d'affaires annuel moyen de 800 000 euros.
- car même en l'absence d'un contrat écrit à durée déterminée de franchise ou d'approvisionnement, il existe une relation commerciale établie de 4 ans et une concession de l'enseigne Coccinelle et des éléments liés à l'exploitation sous cette enseigne,
- mais l'intérêt à agir est né pour partie du préjudice né des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par la société Soval.
- Soval ne peut prétendre qu'elle pourrait approvisionner Ramaje sur un autre point de vente alors qu'une société, associée minoritaire de Ramaje, filiale du groupe Carrefour, a engagé une procédure en vue d'obtenir la dissolution de Ramaje pour extinction de son objet social, limité aux termes de ses statuts à l'exploitation d'une fonds de commerce sous l'enseigne Carrefour,
- la demande est fondée sur des agissements anticoncurrentiels lesquels causent nécessairement un préjudice compte tenu de ce que la clause est systématiquement insérée dans tous les baux signés par la société Soval et cette clause est de jurisprudence constante nulle,
- la tierce opposition peut reposer sur un simple préjudice éventuel.
Sur le bien-fondé de la tierce opposition et de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de la clause de destination contenue dans le bail, les Etablissements Ségurel font valoir que:
- le tiers opposant peut valablement solliciter la nullité de la clause d'enseigne prévue au bail, la nullité d'une clause sur le fondement de l'article L. 420-1, et ce conformément à l'article L. 420-3 du Code de commerce, ne faisant plus débat et la clause d'enseigne reposant de plus sur une cause illicite,
- les moyens utilisés sont distincts de ceux développés par la société Ramaje dès lors qu'ils tendent à voir annuler la clause d'enseigne sur le fondement des articles 420-3 de commerce et 1131 du Code civil,
- l'appréciation de la recevabilité de la tierce opposition formée suppose que soit tranché l'intérêt à agir né du préjudice résultant d'une pratique anti concurrentielle, examen qui relève de la compétence exclusive de Paris,
Elle souligne que :
- la clause de destination (ou clause d'enseigne) introduite dans les baux que la société Soval, filiale du groupe Carrefour, conclut avec les franchisés, qui interdit à ces derniers d'exploiter sous une enseigne autre que le groupe Carrefour, est de fait d'une durée perpétuelle dès lors qu'un changement d'enseigne expose le locataire exploitant à une procédure de résiliation du bail,
- cette clause interdit à tout groupe concurrent la possibilité de rallier vers son réseau de distribution l'exploitant, qui, alors même qu'il se trouve délié de ses liens de franchise à l'égard du groupe Carrefour, se trouve tenu, en vertu du bail, de rester au sein de ce groupe,
- le groupe Carrefour a mis en place une véritable stratégie visant à évincer les concurrents puisque les contrats de franchise et d'approvisionnement ayant une durée contractuelle de 7 ans et le bail conclu avec Soval une durée de 9 ans, l'arrivée du terme des premiers ne permet pas une sortie du réseau compte tenu de la clause de destination figurant dans le bail, de sorte que la société Ramaje est contrainte d'exploiter son fonds de commerce indéfiniment sous enseigne du groupe Carrefour,
- les clauses d'enseigne sont illicites et ont été déclarées nulles, car elles contreviennent aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux en ce qu'elles privent le preneur de son droit à déspécialisation partielle, de son droit au renouvellement et à la libre cession de son droit au bail,
- elles sont aussi illicites en ce qu'elles constituent une pratique anti concurrentielle sanctionnée par l'article L. 420-1 du Code de commerce et dénoncée par l'autorité de la concurrence dans un avis rendu le 07 décembre 2010, qui constate que les opérateurs, sous couvert de clauses contractuelles insérées dans un arsenal juridique complexe, imposent à l'exploitant des pratiques qui ont pour objet et pour effet de verrouiller le marché,
- cette clause d'enseigne, en ce qu'elle viole les dispositions d'ordre public de protection s'agissant du droit des baux commerciaux et d'ordre public économique s'agissant du droit des pratiques anti concurrentielles, repose sur une cause illicite et ne peut donc emporter aucune obligation ni aucun effet conformément aux dispositions de l'article 1131 du Code civil.
S'agissant des conséquences de la tierce opposition, la société Etablissements Ségurel se prévaut de l'article 584 du Code de procédure civile et considère qu'en conséquence de l'indivisibilité pratique résultant des faits de l'espèce (impossibilité d'exécuter simultanément la décision qui constate la résiliation du bail et celle qui juge nulle ou sans effet la clause d'enseigne), la cour devra déclarer l'effet absolu de la tierce opposition et par conséquent mettre à néant l'arrêt du 31 mars 2016.
Si la cour l'estimait nécessaire, la société Etablissements Ségurel suggère la saisine pour avis de l'Autorité de la concurrence sur la pratique mise en place par le groupe Carrefour par l'intermédiaire de la filiale Soval, consistant à insérer dans les baux commerciaux des clauses d'enseigne restrictives de concurrence.
Elle sollicite la suspension de l'exécution de l'arrêt, aux motifs que la société Soval poursuit l'exécution de l'arrêt rendu et l'expulsion de la société Ramaje qui aurait des conséquences irréparables puisque cela emporterait cessation de son activité, liquidation judiciaire et cessation de toute relation avec elle-même.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 10 août 2017, la SARL Soval demande à la cour, au visa de l'article 583 du Code de procédure civile, de:
- déclarer la société Etablissements Ségurel irrecevable et mal fondée en sa tierce opposition et l'en débouter,
- déclarer la société Ramaje irrecevable et mal fondée en ses demandes, fins et conclusions, et l'en débouter,
- constater le caractère abusif de cette tierce opposition, destinée exclusivement à retarder l'expulsion de la société Ramaje des lieux qu'elle occupe aujourd'hui sans droit ni titre,
- condamner la société Etablissement Ségurel à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- subsidiairement pour le cas où la cour d'appel estimerait recevable la tierce opposition régularisée par la société Etablissement Ségurel et fils,
- surseoir à statuer dans l'attente d'une décision de la Cour d'appel de Paris sur le caractère anticoncurrentiel de la clause d'enseigne,
- déclarer la société Etablissement Ségurel et fils irrecevable et mal fondée en sa demande de suspension de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Douai du 31 mars 2016
- la condamner solidairement avec la société Ramaje à lui payer la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens.
La société Ramaje estime que :
- seule la Cour d'appel de Douai a compétence pour statuer sur la recevabilité de la tierce opposition régularisée par la société Ségurel, s'agissant d'une compétence exclusive fondée sur les dispositions de l'article 587 du Code de procédure civile,
- ce n'est qu'en cas de recevabilité de cette tierce opposition que la Cour d'appel de Douai devra surseoir à statuer dans l'attente de la décision rendue par la Cour d'appel de Paris sur le bien-fondé du moyen tiré de la violation des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
La société Ramaje soulève en premier lieu l'irrecevabilité de la tierce opposition de la société Etablissements Ségurel faute d'intérêt à agir faisant valoir que:
- cette société n'a signé aucun contrat (de franchise ou d'approvisionnement) avec la société Ramaje,
- elle n'est qu'un simple fournisseur (grossiste alimentaire), la résiliation du bail n'entraînant pas la cessation de la relation d'approvisionnement, qui n'est pas attachée au fonds de commerce de Poix du Nord et peut être réalisée sur un autre point de vente,
- il n'existe aucune démonstration du soutien financier accordé pour la pérennité de ce fonds de commerce, de son aide au développement de la clientèle.
- aucun texte ne prévoit qu'un tiers puisse intervenir dans les procédures où est invoquée une clause résolutoire, Soval rappelant que l'obligation faite au bailleur de dénoncer la procédure de résiliation de bail aux créanciers inscrits n'a pas pour but de permettre à ceux-ci de contester la mise en œuvre de la clause résolutoire mais seulement de se substituer à la défaillance de leur débiteur pour sauvegarder leur gage,
- la société Etablissements Ségurel invoque un préjudice éventuel consécutif à la perte d'un client alors que sa tierce opposition ne peut être recevable que si elle démontre un préjudice né et actuel,
- la société Etablissements Ségurel ne demande pas la réformation de l'arrêt à son profit mais au profit de Ramaje et reprend les moyens développés par celle-ci ce qui démontre qu'elle n'a pas d'intérêt personnel pour agir - et qui ont été écartés par la cour faute de démonstration et de pièces probantes de la société Ramaje,
- la société Etablissements Ségurel n'est pas recevable à solliciter la nullité d'une clause d'un contrat auquel elle n'est pas partie en vertu de l'effet relatif des contrats (article 1165 ancien du Code civil) et ne peut que solliciter des dommages et intérêts si le contrat lui cause préjudice,
- la société Ramaje fait l'objet d'une procédure de dissolution pendante à la demande de son associé, ce qui conduirait à la fin de la relation commerciale pouvant exister entre Etablissement Ségurel et la société Ramaje.
En second lieu, la société Soval conteste le bien-fondé de la tierce opposition aux motifs que:
- en reprenant les moyens développés par Ramaje devant la cour d'appel, la société Etablissements Ségurel demande en réalité à la cour, par le biais de cette tierce opposition, de réformer sa propre décision,
- il appartient aux Etablissements Ségurel, qui prétend être victime d'une pratique anti-concurrentielle, de saisir la juridiction compétente, et de mieux se pourvoir s'agissant de la demande de saisine de l'Autorité de la concurrence.
A l'appui de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, Soval pointe la mauvaise foi de la société Etablissements Ségurel et fait valoir que la tierce opposition a pour seul but de permettre à Ramaje d'obtenir confirmation de l'ordonnance rendue par le président du Tribunal de commerce de Valenciennes du 15 juillet 2016 qui lui a accordé un délai de 18 mois pour quitter les lieux, à l'encontre de laquelle elle a interjeté appel (délibéré au 30 mars 2017).
Sur les écritures de la société Ramaje, elle fait observer que :
- ces dernières démontrent une volonté de la société Ramaje de replaider le dossier, malgré la force de chose jugée attachée à l'arrêt du 31 mars 2016,
- les moyens de nullité de la clause d'enseigne au regard du droit de la concurrence ont d'ores et déjà été soulevés par Ramaje, et à supposer qu'ils ne l'aient pas été ces nouveaux moyens ne peuvent être exposer en raison du principe de concentration des moyens, ce d'autant que toute action en nullité de la clause d'enseigne est aujourd'hui prescrite,
- les dispositions de l'article L. 341-1 du Code de commerce issues de la loi Macron du 6 août 2015 ne sont pas applicable à raison de la date d'entrée en vigueur de la disposition et de l'exception prévue à l'alinéa 3.
Sur les écritures de la société Ségurel, elle fait observer que :
- l'approvisionnement, la concession de l'enseigne et d'élément d'exploitation, le versement d'une somme de 50 000 euros ne sont avérés par aucun élément probant,
- la relation commerciale entre Ramaje et Ségurel n'est pas attachée aux locaux situés à Poix-du-Nord,
- la société Ségurel fait état de l'action engagée par un associé minoritaire en vue d'obtenir la dissolution de Ramaje mais omet d'indiquer que la société Ramaje dans ses conclusions a demandé de prononcer sa liquidation amiable,
- les deux jurisprudences sur lesquelles s'appuie Ségurel pour solliciter la nullité d'une clause d'enseigne sur le fondement de l'article L. 420-3 du Code de commerce concernent des concurrents, aucune relation de concurrence n'existant pourtant entre Ségurel et elle-même qui est une foncière.
- la demande de suspension de l'exécution de l'arrêt doit faire l'objet d'une procédure distincte et est sans objet, l'arrêt ayant confirmé une ordonnance de référé ayant elle-même accordé un délai.
- il n'est pas démontré de conséquences irréparables pour elle-même
Par conclusions signifiées par voie électronique le 26 juin 2017, la société Ramaje, Me Marlière, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Ramaje et la Selarl Rouvroy et Declercq, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Ramaje, demandent à la cour, au visa des articles L. 420-1 et suivants Code de commerce, et notamment l'article L. 420-7 du Code de commerce ; des articles 583, 584 et 591 du Code de procédure civile et 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de:
- à titre principal,
- adjuger à la société Etablissement Ségurel et fils l'entier bénéfice de ses demandes et moyens ;
- déclarer la société Etablissement Ségurel et fils recevable et bien fondé en sa demande de tierce opposition à l'encontre de la Cour d'appel de Douai du 31 mars 2016 ;
- renvoyer, sur le fond, devant la Cour d'appel de Paris pour juger des questions ayant trait à l'appréciation des dispositions des articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce ;
- surseoir à statuer dans l'attente d'une décision de la juridiction compétente ;
- dire que l'arrêt à intervenir sera opposable à la société Soval, à la société Ramaje, et à Maître Julien Marlière, ès qualités, et à la Selarl Rouvroy et Declercq, ès qualités;
- condamner la société Soval à une somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC au profit de la société Ramaje. L. 330-1, L. 341-1 et L. 442-6 du Code de commerce, de:
- adjuger à la société Etablissements Ségurel l'entier bénéfice de ses demandes et moyens,
- déclarer la société Etablissement Ségurel et fils recevable et bien fondé en sa demande de tierce opposition à l'encontre de la Cour d'appel de Douai,
- renvoyer sur le fond, devant la Cour d'appel de Paris pour juger des questions ayant trait à l'appréciation des dispositions des articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce,
- condamner la société Soval à payer à la société Ramaje une somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ils font valoir que :
- le tiers exerçant la tierce opposition ne saurait saisir aucune autre juridiction que celle ayant rendue la décision critiquée,
- ces dispositions sont d'ordre public et il ne saurait être ajouté une condition non prévue par la loi en exigeant du demandeur de saisir la juridiction exclusivement compétente,
- la loi imposant aux tiers opposant de saisir la juridiction ayant rendu la décision critiquée, ce dernier ne saurait se voir opposer une fin de non-recevoir qui lui priverait derechef de son accès au juge,
- la cour est toutefois privée du pouvoir d'en apprécier la recevabilité en raison du pouvoir exclusif de la Cour d'appel de Paris,
- la juridiction saisie doit surseoir à statuer dans l'attente d'une éventuelle décision d'une juridiction ayant le pouvoir de statuer, et notamment en posant une question préjudicielle à la Cour d'appel de Paris.
MOTIVATION :
En application des dispositions de l'article 587 du Code de procédure civile, la tierce opposition à titre principal est portée devant la juridiction dont émane le jugement attaqué.
Cette règle, d'ordre public est une règle de compétence exclusive.
Traditionnellement lorsque, à l'occasion d'une tierce opposition, les développements du litige concernent la compétence d'une autre juridiction, la juridiction saisie de la tierce opposition doit se déclarer incompétente et surseoir à statuer sur la tierce opposition jusqu'à la juridiction compétente se soit prononcée.
Sont envisagés pour fonder son recours par la société Ségurel des moyens relatifs à l'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce, qui conformément aux dispositions des articles L. 420-7 du Code de commerce et R. 420-5 du Code de commerce, sont de la compétence exclusive de la Cour d'appel de Paris, disposition également d'ordre public.
Ainsi, conformément aux règles ci-dessus rappelées, la tierce opposition formée par la société Ségurel à l'encontre de l'arrêt rendu le 31 mars 2016 par la Cour d'appel de Douai ne pouvait qu'être régularisée auprès de cette dernière juridiction, quand bien même au fond, la question serait de la compétence exclusive d'une autre juridiction, à charge pour ladite juridiction d'envisager une saisine pour question préjudicielle de cette autre juridiction.
Si le défaut de pouvoir de la Cour d'appel de Douai pour statuer sur le bien-fondé de la tierce opposition, au vu des moyens soulevés et fondés sur l'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce, est incontestable, la cour d'appel demeure toutefois seule compétente pour statuer sur la recevabilité même de la tierce opposition déférée.
Or, l'argumentation de la société Ségurel, selon laquelle " à l'occasion de l'appréciation de l'intérêt à agir comme condition de recevabilité de la tierce opposition se pose à nouveau la question du pouvoir juridictionnel de la Cour d'appel de Douai dès lors que l'intérêt à agir est né, pour partie du préjudice né de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par la société Soval " ne saurait être retenue, l'intérêt à exercer une voie de recours ne se confondant aucunement avec le fond du droit.
En effet, l'article 583 du Code de procédure civile précise qu'est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt à la condition qu'elle n'ait été ni partie, ni représentée au jugement qu'elle attaque.
Les créanciers et autres ayant cause d'une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s'ils invoquent des moyens qui leurs sont propres.
S'agissant d'une voie de recours extraordinaire, elle tend à faire rétracter ou reformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque conformément aux termes de l'article 582 du Code de procédure civile et permet de remettre en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.
L'exigence d'un intérêt, prévue par l'article 583 du Code de procédure civile ne se confond donc pas entièrement avec celle posée par l'article 31 du même Code. L'intérêt requis est l'intérêt à l'exercice du recours et non l'intérêt au succès de l'action.
L'intérêt du tiers doit être légitime, actuel, direct et personnel à peine d'irrecevabilité de la tierce opposition et ne peut résulter de sa propre négligence.
Il s'apprécie au regard du dispositif du jugement attaqué et non des motifs.
Il s'en déduit que pour apprécier la recevabilité d'une tierce opposition le juge doit seulement vérifier que le litige porte sur l'existence d'un droit susceptible d'être revendiqué par le tiers opposant, le débat sur le bien-fondé de cette revendication ressortissant du fond.
En l'espèce, la société Ségurel forme tierce opposition à l'arrêt ayant prononcé la résiliation du bail commercial du preneur pour non-respect de la clause d'enseigne et l'expulsion de ce dernier, soutenant que cette décision " va directement [lui] causer préjudice dans la mesure où elle va perdre un point de vente de son réseau et va voir s'arrêter brutalement la relation d'approvisionnement entretenue avec la société Ramaje avec laquelle elle réalise un chiffre d'affaires annuel moyen de 800 000 euros HT " ayant en outre investi une somme de 50 000 euros pour assurer la pérennité du fonds de commerce.
Aucune pièce ne vient étayer ces dires et établir la relation, tant son ampleur que sa nature, qu'elle revendique auprès de la société Ramaje.
En effet, alors même qu'elle revendique sa qualité de " fournisseur à titre exclusif ", il n'est même pas offert, en l'absence de contrat de franchise ou d'approvisionnement, de démontrer l'existence de relations contractuelles régulières avec la société Ramaje.
Affirmant avoir concédé l'enseigne Coccinelle à la société Ramaje, elle ne produit qu'un extrait marketing du site Coccinelle relatif aux outils promotionnels (prospectus, carte de fidélité, nombre de marques du réseau) sans établir les liens entre cette enseigne et elle-même, le nom Ségurel n'apparaissant même pas sur les extraits de site versés au débat, la nature même et la durée des liens éventuellement concédés demeurant en outre totalement inconnus de la cour.
Elle n'offre pas plus de preuve pour asseoir l'affirmation selon laquelle elle aurait versé un budget de 50 000 euros pour réaliser les aménagements du point de vente faisant l'identité de l'enseigne Coccinelle.
Ainsi n'est-il pas justifié par la société Ségurel d'un droit susceptible d'être revendiqué par ses soins auquel la décision rendue porterait atteinte et d'un intérêt donc propre et direct à former tierce opposition audit arrêt.
- Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.
En vertu des dispositions des articles 6 et 9 du Code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.
Le fait d'intenter une action ou d'opposer des moyens de défense à une demande n'est pas en soi générateur de responsabilité et la succombance du plaideur ne caractérise pas sa faute.
La société Solval, faisant valoir la mauvaise foi flagrante de la société Ségurel sollicite la somme de 10 000 euros, soulignant que la tierce opposition, introduite plus de 6 mois après l'arrêt rendu par la cour d'appel, n'avait que pour seul but de se maintenir dans les lieux et de justifier de la demande de délai formé par la société Ramaje.
La société Solval affirme plus qu'elle ne démontre les liens entre le preneur et le tiers opposant, aucun élément objectif ne venant étayer la collusion invoquée entre ces deux parties.
En conséquence, la demande d'indemnisation pour procédure abusive ne peut qu'être rejetée.
- Sur les dépens et accessoires :
En application des dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile, la société établissement Ségurel succombant en sa tierce opposition, il convient de la condamner aux dépens de la présente procédure.
Au vu de la nature de la demande et de l'argumentation développée par le tiers opposant, étayé par un nombre de pièces limitées, ayant nécessité de la part de la société Soval, à nouveau, d'organiser une défense pour permettre de faire valoir ses droits légitimes de bailleur, la condamnation de la société Ségurel à une indemnité procédurale, fixée à la somme de 15 000 euros s'impose.
La demande d'indemnité procédurale présentée par la SA Ségurel mais également la société Ramaje à l'encontre de la société Solval ne peut qu'être rejetée.
Par ces motifs, LA COUR, Déclare irrecevable la SAS Etablissements Ségurel et fils en sa tierce opposition formée à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Douai en date du 31 mars 2016 ; Déboute la société Solval de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Déboute la société SAS Etablissement Ségurel et fils et la société Ramaje de leurs demandes d'indemnité procédurale ; Condamne la société SAS Etablissements Ségurel et fils à payer à la société Solval la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; La Condamne aux dépens de cette procédure.