CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 13 décembre 2017, n° 17-11372
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
UFC-Que Choisir
Défendeur :
Institut National de la Consommation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roy-Zenati
Conseillers :
Mmes Grivel, Quentin de Gromard
Avocats :
Mes Fourgoux, Lallement, Vogel, Blouet
FAITS ET PROCEDURE
L'association de consommateur UFC-Que Choisir édite notamment un mensuel d'information des consommateurs intitulé " Que Choisir ".
De son côté, l'Institut national de la consommation (INC), établissement public national à caractère industriel et commercial chargé de l'exécution d'une mission de service public, exploite le magazine " 60 millions de consommateurs ".
Soutenant que l'INC avait mis en œuvre des pratiques illicites, déloyales et trompeuses, l'association UFC-Que Choisir l'a assigné le 16 mars 2017 en référé d'heure à heure devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile afin que lui soit communiqué des éléments de preuve de nature à conforter trois pratiques qu'elle lui reproche à savoir un publipostage prétendument dénigrant, la reprise intégrale de tests réalisés par le Touring club suisse (TCS) à l'initiative de l'International Consumer Research and Testing Ltd (IRCT) sur lesquels elle aurait l'exclusivité et une promotion proposant un abonnement d'un an à des prix particulièrement bas.
Par ordonnance contradictoire du 23 mai 2017, le juge des référés Tribunal de commerce de Paris :
- s'est déclaré compétent,
- a débouté l'association UFC-Que Choisir de l'ensemble de ses prétentions,
- condamné l'association UFC-Que Choisir à payer à l'Institut national de la consommation la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 Code de procédure civile, a débouté pour le surplus,
- a rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties,
- a condamné en outre " l'Institut national de la consommation " (sic) aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 8 juin 2017, l'association UFC-Que Choisir a interjeté appel de cette ordonnance.
Par conclusions régulièrement transmises le 24 juillet 2017, l'association UFC-Que Choisir demande à la cour sur le fondement des articles 145 et 484 et suivants du Code de procédure civile, de :
- infirmer l'ordonnance du 23 mai 2017 en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
- faire injonction à l'INC d'avoir à communiquer dans les 10 jours de la signification de l'arrêt à intervenir :
- le nombre de destinataires du publipostage (attestation du routeur) par lequel l'INC se présentait faussement comme le " seul magazine qui protège le consommateur, qui soit 100 % indépendant et financé exclusivement par ses lecteurs, sans pression, sans lobby et sans publicité ",
- le nombre d'offres d'abonnement à prix réduit et une copie de ces offres en 2014, 2015 et en 2016, ainsi que le nombre d'abonnements effectivement souscrits par ce biais,
- le nombre de destinataires - attestation du/des routeur(s) - de l'offre adressée en 2015 (telle que visée dans le Rapport Cour des comptes visé en pièce n° 4) et 2016 (telle que décrite dans le prospectus visé en pièce n° 9) proposant un prix d'Abonnement promotionnel d'un an au magazine " 60 millions de consommateurs " à moins 60 %, soit 20 euros pour les 11 numéros mensuels et notamment de la justification du prix de référence, du coût de conception, réalisation et diffusion de cette offre,
- le taux de retour de l'Abonnement promotionnel (nombre d'abonnements effectivement souscrits),
- les comptes annuels 2014, 2015 et 2016 ainsi que les extraits de la comptabilité analytique attestés par le représentant légal de l'INC, visant à présenter :
- l'absence de subventions croisées pour la publication de la revue " 60 millions de consommateurs ",
- les coûts de fabrication numéro par numéro intégrant notamment les coûts des tests comparatifs, de la rédaction et d'impression,
- les coûts de distribution numéro par numéro en fonction du tarif postal effectivement supporté, de gestion de la base de données des abonnés des prestataires de routage,
- dire que l'injonction sera assortie d'une astreinte de 2 500 euros par jour de retard et par infraction constatée courant à compter du 10e jour de la signification de la décision à intervenir jusqu'à sa parfaite exécution,
- se déclarer compétent pour connaître de la liquidation de l'astreinte ayant éventuellement couru,
- condamner l'INC au paiement de la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.
Elle fait valoir :
- que le président du tribunal de commerce a retenu à bon droit sa compétence dès lors que les mesures d'instruction sollicitées ne reposent pas sur la recherche de la responsabilité de l'Etat sur le fondement des aides d'Etat mais sur une violation des règles de concurrence et/ou de concurrence déloyale, les pratiques mises en œuvre par l'INC constituant des actes de concurrence déloyale et notamment un potentiel abus de position dominante et un prix abusivement bas,
- qu'elle justifie d'un motif légitime puisque les mesures sollicitées sont destinées à lui permettre de qualifier précisément les pratiques mises en œuvre par l'INC et notamment un potentiel abus de position dominante et une infraction tenant à des prix abusivement bas, de quantifier et prouver à combien de prospects le publipostage et l'abonnement promotionnel ont été -voire sont encore- adressés et d'actualiser le taux actuel et potentiel de retour afin de pouvoir éclairer le juge du fond sur la qualification des pratiques et le dommage en résultant et dont elle demandera réparation,
- que la condition édictée par l'article 145 du Code de procédure civile tenant à l'absence de procès relatif aux faits qui fondent la mesure d'instruction in futurum sollicitée est satisfaite dès lors qu'à ce jour, aucune juridiction n'est saisie des faits litigieux mais que la solution d'un éventuel litige et l'appréciation de l'étendue du préjudice causé par l'INC pour abus de position dominante, prix abusivement bas, pratique commerciale trompeuse et/ou concurrence déloyale dépend des mesures d'instruction sollicitées,
- que les mesures sollicitées sont admissibles dès lors qu'elles sont circonscrites et n'ont vocation qu'à appréhender un nombre limité de documents en lien direct avec les faits litigieux, qu'il n'existe donc pas de risque qu'elle appréhende des pièces dénuées de rapport avec l'objet du futur débat de fond et/ou couvertes par un secret professionnel, que les documents sollicités présentent un lien étroit avec le futur débat de fond, que l'INC ne peut se retrancher derrière son statut d'EPIC pour refuser la communication de ses comptes concernant son activité commerciale soumise à la concurrence et quand bien même ces documents contiendraient des secrets d'affaires leur communication procède d'un motif légitime et est nécessaire à la protection de ses droits qui sont gravement affectés par les pratiques mises en œuvres par l'INC qui entretient volontairement l'opacité pour dissimuler le caractère gravement anticoncurrentiel et déloyal de sa politique tarifaire et commerciale de sorte que rien ne s'oppose à leur production,
- qu'il y a lieu d'assortir la communication des pièces d'une astreinte suffisamment coercitive pour obliger l'INC à exécuter la décision dans la mesure où celle-ci a pratiqué une politique commerciale déloyale et refusé de répondre à ses légitimes demandes.
Par conclusions régulièrement transmises le 20 octobre 2017, l'Institut national de la consommation demande à la cour sur le fondement des articles 145 du Code de procédure civile, L. 420-2 et L. 420-5 du Code de commerce et 1240 du Code civil, de :
- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a jugé que l'association UFC-Que Choisir ne justifie pas d'un motif légitime pour se voir communiquer les pièces qu'elle sollicite,
- débouter l'association UFC-Que Choisir de l'ensemble de ses prétentions,
- condamner l'association UFC-Que Choisir à lui verser la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la Selarl BDL Avocats, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Il réplique :
- que, s'agissant des promotions proposées à partir de 2015, les mesures sollicitées par l'association UFC-Que Choisir ne répondent pas à l'existence d'un motif légitime imposée par l'article 145 du Code de procédure civile dès lors que la demande de communication de la comptabilité analytique de 2014, 2015 et 2016 et des éléments comptables de 2014 ne sont d'aucune utilité pour la solution du litige futur,
- que l'action fondée sur la commission de l'infraction d'abus de position dominante est vouée à l'échec puisqu'il ne détient pas une position dominante sur le marché dans la mesure où sa part de marché en volume d'abonnés serait de 20 à 25 % contrairement à l'association UFC-Que Choisir qui en détient 75 à 80 %,
- qu'une éventuelle action fondée sur des prix abusivement bas alimentés par des subventions publiques serait également vouée à l'échec dès lors qu'au vu de la puissance de l'association UFC-Que Choisir, de sa progression sur le marché comme le démontrent ses ventes et son chiffre d'affaires durant la période incriminée, aucun risque d'éviction ne peut exister d'autant plus qu'il s'agissait d'offres promotionnelles ponctuelles,
- qu'il n'existe pas de motif légitime à la mesure sollicitée puisque l'association UFC-Que Choisir échoue à apporter des éléments probants attestant d'une pratique de prix inférieurs aux coûts variables et d'un quelconque risque d'éviction,
- que la mesure sollicitée ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à ses intérêts légitimes alors que la demande de l'appelante ne repose sur aucun élément probant relatif à des prix prédateurs et à des subventions croisées ; qu'elle ne mentionne pas l'existence d'un préjudice dont elle serait victime du fait des prix qu'elle pratique de sorte qu'elle ne justifie pas l'intrusion grave dans les secrets de ses affaires ; que son argument selon lequel elle aurait besoin des éléments en cause pour intenter une action devant l'Autorité de la concurrence est sans fondement car celle-ci demande un standard de preuve équivalent à celui exigé pour l'octroi de mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile et que la comptabilité analytique est un élément confidentiel dont la diffusion lui serait extrêmement préjudiciable,
- que s'agissant du grief concernant la campagne de publipostage, l'appelante détient les éléments pour établir l'existence d'une faute et ne peut alléguer d'un intérêt légitime à se voir communiquer les documents demandés pour la seule évaluation de son préjudice,
- qu'il n'existe aucun élément probant d'une publicité mensongère, dénigrante, cette publicité ne visant d'ailleurs pas particulièrement l'association UFC-Que Choisir qui n'est pas son seul concurrent ; qu'il revient à l'appelante de solliciter ces documents devant le juge du fond dans le cadre de son action en responsabilité et qu'il a fait preuve de bonne foi en retirant immédiatement la mention contestée,
- n'avoir commis aucune faute en publiant le test du TCS et de l'International Consumer Research and Testing Ltd puisqu'il avait l'accord de leur auteur qui n'ont jamais fait mention d'une exclusivité d'exploitation pour ces études au profit de l'association UFC-Que Choisir laquelle reconnaît dans ses écritures que la demande initiale de mesure d'instruction à ce titre n'a plus d'objet à ce stade de la procédure.
SUR CE, LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ;
Considérant que, lorsqu'il statue en référé sur le fondement de ce texte, le juge n'est pas soumis aux conditions imposées par l'article 808 du Code de procédure civile, qu'il n'a notamment pas à rechercher s'il y a urgence, que l'existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle à la mise en œuvre de la mesure sollicitée, l'application de cet article n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé ;
Que l'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès " en germe " possible, et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés par les défendeurs, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui ;
Considérant en l'espèce que l'association UFC-Que Choisir soutient dans ses écritures que son action au fond aura pour objet de voir constater que l'INC a mis en œuvre des pratiques illicites, déloyales et trompeuses, tant au regard de l'article 1240 du Code civil que de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, également susceptibles de constituer un prix prédateur au d'éviction au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce et/ou prix abusivement bas au sens de l'article L. 420-5 du Code de commerce ; que par ailleurs les mesures d'instruction in futurum sollicitées sont destinées à lui permettre d'une part d'appréhender et de sauvegarder des éléments de preuve auxquels elle ne peut accéder et qui sont de nature à conforter ceux dont elle dispose déjà sur le caractère illicite des pratiques mises en œuvre par l'intimé et d'autre part de quantifier l'ampleur des pratiques et leur effet sur le marché ou les prix et le dommage qui lui a été causé ;
Qu'elle communique à l'appui de sa demande notamment une décision n° 00-D-54 du 28 novembre 2000 du Conseil de la concurrence relative au comportement de l'INC (pièce 3) ainsi que le Rapport particulier de la Cour des comptes relatif à l'INC, pour les exercices 2010 à 2015, en date du 4 mai 2016 (pièce 4) qui, selon ses écritures, démontreraient les pratiques mises en œuvre par l'intimé et sa " pratique de prix d'éviction ou en tous cas de prix abusivement bas, destinée à augmenter artificiellement les volumes des ventes afin d'éliminer ou de la discipliner " ainsi que l'existence d'une concurrence déloyale et déséquilibrée sur le marché de la presse consumériste ; qu'elle produit également à l'appui des griefs qu'elle reproche à l'INC le publipostage litigieux (pièce 6), l'article paru dans " 60 millions de consommateurs " qui reprend les résultats de tests réalisés par le Touring club suisse (pièce 8), et l'abonnement promotionnel 2016 de l'INC, prospectus et mailing adressés aux abonnés ayant souscrit l'offre (pièce 11) ; qu'au vu de ces éléments il apparaît manifestement que l'association UFC-Que Choisir dispose déjà des éléments suffisants lui permettant d'intenter une action au fond et que la mesure d'instruction viendra " conforter " ceux déjà en sa possession ainsi qu'elle le reconnaît dans ses conclusions ;
Que par ailleurs l'appelante réclame la communication d'information et de pièces relatives au nombre d'offres d'abonnement à prix réduit et au nombre d'abonnements effectivement souscrits/ au nombre de destinataires de l'offre promotionnelle adressée en 2015 et 2016/ à la justification du prix de référence, du coût de conception, à la réalisation et diffusion de cette offre/au taux de retour de l'abonnement promotionnel /aux comptes annuels 2014, 2015 et 2016/ aux extraits de la comptabilité analytique visant à présenter les coûts de fabrication numéro par numéro intégrant notamment les coûts des tests comparatifs, de la rédaction et d'impression, les coûts de distribution numéro par numéro en fonction du tarif postal effectivement supporté, de gestion de la base de données des abonnés des prestataires de routage- éléments qui visent à l'évaluation de son préjudice qui résulterait des fautes de l'INC dont l'existence ne peut être établie qu'ultérieurement lors de l'instance au fond ;
Qu'il s'en suit que l'association UFC-Que Choisir ne démontre pas disposer d'un motif légitime à solliciter les renseignements et documents réclamés et que les conditions d'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile ne sont pas réunies qu'il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a débouté l'association UFC-Que Choisir de l'ensemble de ses demandes sauf à dire n'y avoir lieu à référé sur ces demandes ;
Considérant que le sort de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge ; que statuant à nouveau sur les dépens de première instance, il y a lieu de condamner l'association UFC-Que Choisir, partie perdante, à leur paiement ;
Qu'à hauteur de cour, il convient d'accorder à l'INC, contraint d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que l'association UFC-Que Choisir, partie perdante, doit supporter les dépens de l'instance d'appel et ne saurait bénéficier d'une somme au titre des frais irrépétibles.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions sauf à dire n'y avoir lieu à référé sur les demandes de l'association UFC-Que Choisir et sauf sur la condamnation aux dépens, Statuant à nouveau sur ce chef, Condamne l'association UFC-Que Choisir aux dépens de première instance, Y ajoutant, Condamne l'association UFC-Que Choisir à payer à l'Institut national de la consommation une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette la demande de l'association UFC-Que Choisir au titre des frais irrépétibles, Condamne l'association UFC-Que Choisir aux dépens d'appel lesquels seront distraits au profit de la Selarl BDL Avocats en application de l'article 699 du Code de procédure civile.