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Décisions

CJUE, 4e ch., 20 décembre 2017, n° C-81/16 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Royaume d'Espagne

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. von Danwitz

Juges :

MM. Vajda, Juhász, Mme Jürimäe, M. Lycourgos

Avocat général :

M. Wathelet

CJUE n° C-81/16 P

20 décembre 2017

LA COUR (quatrième chambre),

1 Par son pourvoi, le Royaume d'Espagne demande l'annulation de l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 26 novembre 2015, Espagne/Commission (T-461/13, ci-après l'" arrêt attaqué ", EU:T:2015:891), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision 2014/489/UE de la Commission, du 19 juin 2013, relative à l'aide d'État SA.28599 [(C 23/2010) (ex NN 36/2010, ex CP 163/2009)] accordée par le Royaume d'Espagne en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées (excepté en Castille-La-Manche) (JO 2014, L 217, p. 52, ci-après la " décision litigieuse ").

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2 Les faits à l'origine du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 22 de l'arrêt attaqué. Pour les besoins de la présente procédure, ils peuvent être résumés de la manière suivante.

3 La présente affaire concerne une série de mesures prises par les autorités espagnoles dans le cadre du passage de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique en Espagne pour l'ensemble du territoire espagnol, à l'exception de la Comunidad Autónoma de Castilla-La Mancha (Communauté autonome de Castille-La-Manche, Espagne) (ci-après la " mesure en cause ").

4 Le Royaume d'Espagne a instauré un cadre réglementaire pour promouvoir le processus de transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique, en promulguant notamment la Ley 10/2005 de Medidas Urgentes para el Impulso de la Televisión Digital Terrestre, de Liberalización de la Televisión por Cable y de Fomento del Pluralismo (loi 10/2005 établissant des mesures urgentes en vue du développement de la télévision numérique terrestre, de la libéralisation de la télévision par câble et encourageant au pluralisme), du 14 juin 2005 (BOE no 142, du 15 juin 2005, p. 20562) et le Real Decreto 944/2005 por el que se aprueba el Plan técnico nacional de la televisión digital terrestre (décret royal 944/2005 portant approbation du programme technique national en faveur de la télévision numérique terrestre), du 29 juillet 2005 (BOE no 181, du 30 juillet 2005, p. 27006). Ce décret royal a imposé aux radiodiffuseurs nationaux privés et publics de s'assurer respectivement que 96 % et 98 % de la population recevrait la télévision numérique terrestre (TNT).

5 Afin de permettre le passage de la télévision analogique à la TNT, les autorités espagnoles ont divisé le territoire espagnol en trois zones distinctes, respectivement dénommées " zone I ", " zone II " et " zone III ". La zone II, en cause dans la présente affaire, comprend des régions moins urbanisées et éloignées, représentant 2,5 % de la population espagnole. Dans cette zone, les radiodiffuseurs, à défaut d'intérêt commercial, n'ont pas investi dans la numérisation, ce qui a amené les autorités espagnoles à mettre en place un financement public.

6 Au mois de septembre 2007, le Consejo de Ministros (Conseil des ministres, Espagne) a adopté le programme national en faveur du passage à la TNT dont l'objectif était d'atteindre un taux de couverture de la population espagnole par le service de la TNT analogue à celui de cette population par la télévision analogique au cours de l'année 2007, à savoir plus de 98 % de cette population et la totalité ou la quasi-totalité de la population dans les Communautés autonomes du Pays basque, de Catalogne et de Navarre (Espagne).

7 Afin d'atteindre les objectifs de couverture fixés pour la TNT, les autorités espagnoles ont prévu d'accorder un financement public notamment pour soutenir le processus de numérisation terrestre dans la zone II, et plus particulièrement à l'intérieur des régions des communautés autonomes situées dans cette zone.

8 Au mois de février 2008, le Ministerio de Industria, Turismo y Comercio (ministère de l'Industrie, du Tourisme et du Commerce, Espagne) (ci-après le " MITC ") a adopté une décision destinée à améliorer les infrastructures de télécommunications et à fixer les critères ainsi que la répartition du financement des actions menées en faveur du développement de la société de l'information dans le cadre d'un plan intitulé " Plan Avanza ". Le budget approuvé en vertu de cette décision a été alloué en partie à la numérisation de la télévision dans la zone II.

9 Cette numérisation a été conduite entre les mois de juillet et de novembre 2008. Le MITC a ensuite transféré des fonds aux communautés autonomes, qui se sont engagées à couvrir les autres dépenses liées à l'opération avec leurs propres ressources budgétaires.

10 Au mois d'octobre 2008, le Conseil des ministres a décidé d'assigner des fonds supplémentaires pour étendre et compléter la couverture de la TNT dans le cadre des projets de passage au numérique qui devaient être mis en œuvre au cours du premier semestre de l'année 2009.

11 Par la suite, les communautés autonomes ont engagé le processus d'extension de la TNT. À cet effet, elles ont organisé des appels d'offres ou ont confié cette extension à des entreprises privées. Dans certains cas, les communautés autonomes ont demandé aux communes de se charger de ladite extension.

12 Le 18 mai 2009, la Commission européenne a reçu une plainte émanant de SES Astra SA et portant sur un régime d'aides d'État accordé par le Royaume d'Espagne en faveur du passage de la télévision analogique à la TNT dans la zone II. Selon SES Astra, ce régime comportait une aide non notifiée susceptible de créer une distorsion de concurrence entre la plateforme de radiodiffusion terrestre et celle de radiodiffusion satellitaire.

13 Par lettre du 29 septembre 2010, la Commission a informé le Royaume d'Espagne de sa décision d'ouvrir la procédure visée à l'article 108, paragraphe 2, TFUE concernant le régime d'aides en cause sur l'ensemble du territoire espagnol, à l'exception de la Communauté autonome de Castille-La-Manche, région dans laquelle une procédure indépendante a été ouverte.

14 La Commission a ensuite adopté la décision litigieuse dont l'article 1er du dispositif déclare que l'aide d'État accordée aux opérateurs de la plateforme de télévision terrestre pour le déploiement, la maintenance et l'exploitation du réseau de TNT dans la zone II a été exécutée en violation des dispositions de l'article 108, paragraphe 3, TFUE, et qu'elle est incompatible avec le marché intérieur, à l'exception de celle qui aurait été accordée conformément au principe de neutralité technologique. L'article 3 du dispositif de cette décision ordonne la récupération de cette aide incompatible auprès des opérateurs de TNT, qu'ils aient reçu l'aide directement ou indirectement.

15 Dans les motifs de la décision litigieuse, la Commission a considéré, en premier lieu, que les différents instruments adoptés au niveau central et les conventions qui avaient été conclues entre le MITC et les communautés autonomes constituaient la base du régime d'aides pour l'extension de la TNT dans la zone II. Dans la pratique, les communautés autonomes auraient appliqué les directives du gouvernement espagnol sur l'extension de la TNT.

16 En deuxième lieu, la Commission a constaté que la mesure en cause devait être considérée comme étant une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, la Commission a relevé, en particulier, que les autorités espagnoles avaient uniquement présenté le cas de la Communauté autonome du Pays basque pour invoquer l'absence d'aide d'État conformément aux conditions posées par la Cour dans l'arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C-280/00, ci-après l'" arrêt Altmark ", EU:C:2003:415). Toutefois, la première condition de cet arrêt (ci-après la " première condition Altmark "), selon laquelle d'une part l'entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l'exécution d'obligations de service public et, d'autre part, ces obligations doivent être clairement définies, n'était, selon la Commission, pas satisfaite. En outre, en l'absence de garantie du moindre coût dans l'intérêt général de ladite communauté autonome, la quatrième condition dudit arrêt (ci-après la " quatrième condition Altmark ") n'était pas non plus satisfaite.

17 En troisième lieu, la Commission a estimé que la mesure en cause ne pouvait être considérée comme une aide d'État compatible avec le marché intérieur, en vertu de l'article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, en dépit du fait que cette mesure était destinée à atteindre un objectif d'intérêt commun bien défini et qu'il existait une défaillance du marché concerné. Selon elle, dès lors que ladite mesure ne respectait pas le principe de neutralité technologique, elle n'était pas proportionnée et ne constituait pas un instrument approprié pour garantir la couverture des chaînes en clair aux résidents de la zone II.

18 En quatrième lieu, la Commission a considéré que, en l'absence de définition suffisamment précise de l'exploitation d'une plateforme terrestre en tant que service public, la mesure en cause ne pouvait être justifiée au titre de l'article 106, paragraphe 2, TFUE.

La procédure devant le Tribunal et l'arrêt attaqué

19 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2013, le Royaume d'Espagne a introduit son recours tendant à l'annulation de la décision litigieuse.

20 Au soutien de son recours, le Royaume d'Espagne a soulevé cinq moyens. Le premier moyen était tiré d'une violation de l'article 107, paragraphe 1, TFUE. Le deuxième moyen, soulevé à titre subsidiaire, concernait la compatibilité de l'aide présumée en cause avec le marché intérieur. Ce moyen était tiré d'une méconnaissance des conditions d'autorisation visées à l'article 106, paragraphe 2, TFUE et à l'article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Par le troisième moyen, le Royaume d'Espagne faisait valoir une violation des règles de procédure. Le quatrième moyen, soulevé à titre subsidiaire, portait sur la demande de récupération de l'aide et était tiré d'une violation des principes de sécurité juridique, d'égalité de traitement, de proportionnalité et de subsidiarité. Par le cinquième moyen, le Royaume d'Espagne faisait valoir, à titre subsidiaire, une violation du droit fondamental à l'information relatif à la récupération de l'aide.

21 Le Tribunal a rejeté le premier moyen comme étant non fondé.

22 À cette fin, le Tribunal a écarté l'argumentation du Royaume d'Espagne selon laquelle la mesure en cause ne pouvait pas être qualifiée d'" aide d'État " au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE, en l'absence de l'octroi d'un avantage économique aux bénéficiaires, dans la mesure où les conditions posées par la Cour dans l'arrêt du 24 juillet 2003, Altmark (C-280/00, EU:C:2003:415), étaient remplies.

23 S'agissant de la première condition Altmark, relative à l'exécution d'obligations de service public, le Tribunal a jugé, aux points 53 à 78 de l'arrêt attaqué, que le Royaume d'Espagne n'avait pas démontré que la Commission avait considéré à tort que, en l'absence de définition claire du service en cause, à savoir le déploiement, la maintenance et l'exploitation du réseau de la TNT dans la zone II, en tant que service public, ladite condition n'était pas satisfaite.

24 S'agissant de la quatrième condition Altmark, relative à la garantie du moindre coût pour la collectivité, le Tribunal a jugé, aux points 79 à 83 de l'arrêt attaqué, que ledit État membre n'avait pas non plus démontré que la Commission avait erronément conclu que cette condition n'était pas remplie, dans la mesure où le même État membre s'était borné, en substance, à faire valoir que, en comparaison avec la plateforme satellitaire, la plateforme terrestre était la solution la plus efficiente en termes de coûts, car l'infrastructure existait déjà pour la télévision terrestre analogique.

25 Le Tribunal a également rejeté, sur le fond, l'argumentation du Royaume d'Espagne relative à une prétendue violation de l'article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, ainsi que les trois autres moyens soulevés par celui-ci et a, par conséquent, rejeté le recours dans son intégralité.

Conclusion des parties

26 Par son pourvoi, le Royaume d'Espagne demande à la Cour :

- d'annuler l'arrêt attaqué ;

- d'annuler la décision litigieuse, et

- de condamner la Commission aux dépens.

27 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner le Royaume d'Espagne aux dépens.

Sur le pourvoi

28 À l'appui de son pourvoi, le Royaume d'Espagne invoque deux moyens.

Sur le premier moyen

29 Le premier moyen est tiré d'une erreur de droit relative au contrôle de la définition et la mise en œuvre par les États membres d'un service d'intérêt économique général (SIEG). Ce moyen est subdivisé en deux branches.

Sur la première branche

- Argumentation des parties

30 Par la première branche de son premier moyen, le Royaume d'Espagne critique les points 53 à 78 de l'arrêt attaqué relatifs à l'examen, par le Tribunal, de l'appréciation de la Commission au terme de laquelle cette institution a conclu que la première condition Altmark n'était pas satisfaite.

31 Cet État membre fait valoir que le Tribunal fonde son raisonnement sur des prémisses erronées dans la mesure où il a jugé, premièrement, qu'il n'y avait pas lieu de prendre en considération, outre le cadre juridique, l'ensemble des actes des autorités espagnoles par lesquels les opérateurs concernés ont été chargés de l'exécution d'obligations de service public, deuxièmement, que le Royaume d'Espagne ne lui avait fourni aucun contrat imposant des obligations de service public à ces opérateurs et, troisièmement, qu'aucune autre communauté autonome que le Pays basque n'avait présenté une argumentation susceptible de démontrer que l'exploitation du réseau terrestre était un service public. Il en résulterait que le Tribunal n'a pas effectué un examen suffisamment circonstancié afin de déterminer si les autorités espagnoles avaient commis une erreur manifeste dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation dans la définition du SIEG en cause.

32 En premier lieu, l'analyse du cadre juridique par le Tribunal serait manifestement erronée. En effet, la Ley 32/2003, General de Telecomunicaciones (loi générale 32/2003 relative aux télécommunications), du 3 novembre 2003 (BOE no 264, du 4 novembre 2003, p. 38890), qualifierait expressément de SIEG l'exploitation des réseaux de radio et de télévision et il ne serait pas possible, au regard de la jurisprudence, d'écarter la pertinence de cette loi au motif qu'elle s'appliquerait à tous et non à certains opérateurs du secteur.

33 En deuxième lieu, les actes du droit national et les contrats conclus par les autorités espagnoles non seulement définiraient et confieraient l'exécution du SIEG à certains opérateurs, mais feraient également expressément référence à la technologie terrestre. Ces actes auraient été pris en compte par la Commission, notamment aux considérants 23 à 36 de la décision litigieuse, et par le Tribunal pour conclure à l'existence d'une aide d'État.

34 À cet égard, le Royaume d'Espagne fait valoir que les éléments de preuve pouvant être fournis dans le cadre de la procédure juridictionnelle, en l'occurrence les contrats imposant des obligations de service public, ne sont pas pertinents pour le contrôle de la légalité d'une décision de la Commission. En outre, parmi les obligations procédurales devant être respectées figure l'obligation pour la Commission d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents et de motiver sa décision.

35 En l'occurrence, la Commission aurait dû prendre en compte les appels d'offres organisés dans certaines communautés autonomes, lesquels, ainsi qu'il ressort d'ailleurs de la description de la mesure en cause effectuée notamment aux considérants 32 à 34 de la décision litigieuse, font partie intégrante de cette mesure.

36 En troisième lieu, le Royaume d'Espagne soutient que le Tribunal ne pouvait pas affirmer qu'aucune autre communauté autonome que le Pays basque n'avait démontré la qualité de SIEG de l'exploitation du réseau terrestre, dans la mesure où la Commission a examiné un échantillon de 82 appels d'offres afin d'apprécier la compatibilité de l'aide avec le marché intérieur, ainsi que cela ressort de la note en bas de page 29 de la décision litigieuse. Par conséquent, le Tribunal n'aurait pas vérifié si la Commission avait bien examiné tous les éléments pertinents pour définir le service public en cause.

37 La Commission estime que cette branche est inopérante et, en tout état de cause, irrecevable et non fondée.

- Appréciation de la Cour

38 Par la première branche de son premier moyen, le Royaume d'Espagne fait valoir, en substance, que l'examen du Tribunal, en ce qui concerne la première condition Altmark, est entaché de plusieurs erreurs de droit.

39 En premier lieu, s'agissant de la prétendue erreur commise par le Tribunal dans l'appréciation du droit national, il y a lieu de relever que, au point 66 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a précisément reconnu que la loi générale 32/2003 qualifie l'exploitation de réseaux de radio et de télévision de " service d'intérêt général ".

40 Or, le Tribunal a considéré, au point 67 de l'arrêt attaqué, que le fait qu'un service soit désigné comme étant d'intérêt général en droit national n'implique pas que tout opérateur qui le fournit soit chargé de l'exécution d'obligations de service public clairement définies au sens de la première condition Altmark. En outre, il a constaté qu'il ne ressortait pas de la loi 32/2003 que tous les services de télécommunications en Espagne revêtaient le caractère de SIEG au sens de l'arrêt du 24 juillet 2003, Altmark (C-280/00, EU:C:2003:415), et que cette loi disposait expressément que tous les services d'intérêt général au sens de ladite loi devaient être fournis dans le cadre d'un régime de libre concurrence.

41 Au point 68 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a également relevé que les dispositions de la loi générale 32/2003 se caractérisaient par leur neutralité technologique et que les télécommunications étaient la transmission de signaux à travers tout réseau de diffusion et non à travers le réseau terrestre en particulier. Le Tribunal a considéré que, à la lumière de ces précisions de la loi espagnole, il ne saurait être conclu que, dans cette loi, l'exploitation d'un réseau terrestre était définie comme étant un service public au sens de l'arrêt du 24 juillet 2003, Altmark (C-280/00, EU:C:2003:415).

42 À cet égard, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, celle-ci est exclusivement compétente, dans le cadre du pourvoi, pour vérifier s'il y a eu une dénaturation du droit national, laquelle doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C-524/14 P, EU:C:2016:971, point 20 et jurisprudence citée).

43 Or, en l'occurrence, le Royaume d'Espagne n'a pas fait valoir et, a fortiori, n'a pas démontré l'existence d'une telle dénaturation du droit national. Il n'a, en effet, pas soutenu ni établi que le Tribunal s'était livré à des considérations allant de façon manifeste à l'encontre du contenu des dispositions de la législation espagnole en cause ou bien avait attribué à l'une de ces dispositions une portée qui ne lui reviendrait manifestement pas par rapport aux autres éléments du dossier.

44 Au demeurant, à supposer que le Royaume d'Espagne fasse également valoir que le Tribunal a procédé à une qualification juridique erronée de la loi générale 32/2003, il y a lieu de relever, à l'instar de M. l'avocat général, aux points 155 et 156 de ses conclusions, que, au regard du caractère équivoque des éléments de cette loi évoqués au points 40 et 41 du présent arrêt, la conclusion du Tribunal selon laquelle ladite loi ne permettait pas de considérer que les opérateurs exploitant un réseau terrestre aient été investis d'obligations de service public clairement définies, conformément à la première condition de l'arrêt du 24 juillet 2003, Altmark (C-280/00, EU:C:2003:415), n'est entachée d'aucune erreur de droit (arrêt de ce jour, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C-66/16 P à C-69/16 P, point 102).

45 En deuxième lieu, l'argument du Royaume d'Espagne évoqué aux points 33 à 35 du présent arrêt est fondé sur une lecture erronée de l'arrêt attaqué.

46 En effet, premièrement, contrairement à ce que le Royaume d'Espagne prétend, le Tribunal n'a pas jugé qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte l'ensemble des actes par lesquels les autorités espagnoles ont confié l'exécution d'obligations de service public aux opérateurs concernés.

47 Il ressort, au contraire, des points 69 à 73 de l'arrêt attaqué que le Tribunal a examiné l'argument du Royaume d'Espagne selon lequel lesdits opérateurs ont été chargés de l'exécution de telles obligations notamment dans les contrats publics conclus entre les mêmes opérateurs et les autorités espagnoles, ainsi que dans les conventions interinstitutionnelles conclues entre le gouvernement basque, l'association des communes basques et les trois gouvernements provinciaux basques.

48 Dans ce cadre, le Tribunal a relevé, au point 71 de l'arrêt attaqué, que le mandat conférant la mission de service public peut recouvrir des actes conventionnels pour autant qu'ils émanent de la puissance publique et sont contraignants, a fortiori lorsque de tels actes concrétisent les obligations imposées par la législation.

49 Le Tribunal a, toutefois, rejeté, audit point 71, l'argumentation du Royaume d'Espagne au motif que, en l'espèce, ce dernier n'a fourni aucun contrat permettant d'étayer ses affirmations et que la qualité de SIEG du service en cause ne pouvait, sans aucune précision de la part des autorités concernées, se déduire de la seule circonstance qu'il ait fait l'objet d'un contrat public.

50 De plus, ainsi qu'il ressort du point 72 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les arguments du Royaume d'Espagne concernant les constatations de la Commission relatives à l'absence de définition de l'exploitation du réseau terrestre en tant que service public dans les conventions interinstitutionnelles, au motif que ces constations n'ont pas été contestées devant lui par le Royaume d'Espagne.

51 Deuxièmement, l'argument du Royaume d'Espagne selon lequel le Tribunal lui aurait erronément reproché de n'avoir produit, dans le cadre de la procédure juridictionnelle, aucun contrat dans lequel étaient définies les obligations de service public devrait être rejeté comme étant non fondé, au motif qu'il procède d'une lecture erronée dudit arrêt.

52 En effet, contrairement à ce que fait valoir le Royaume d'Espagne, le Tribunal n'a pas reproché à ce dernier de ne pas avoir fourni les contrats publics nécessaires à l'appréciation du service litigieux. Ainsi qu'il ressort du point 77 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a correctement jugé que cet État membre ne pouvait reprocher à la Commission d'avoir fondé son analyse sur les éléments de fait dont elle disposait à la date à laquelle la décision litigieuse a été adoptée. Selon une jurisprudence constante de la Cour, que le Tribunal a correctement rappelée à ce point, la légalité d'une décision en matière d'aides d'État doit être appréciée en fonction des éléments d'information dont la Commission pouvait disposer à la date à laquelle elle a adopté cette décision (voir, notamment, ordonnance du 4 septembre 2014, Albergo Quattro Fontane e.a./Commission, C-227/13 P à C-239/13 P, non publiée, EU:C:2014:2177, point 77 ainsi que jurisprudence citée).

53 En troisième lieu, comme M. l'avocat général l'a souligné au point 159 de ses conclusions, l'argument tiré du fait que le Tribunal n'aurait pas examiné tous les éléments pertinents visant à définir le service public en cause, dans la mesure où la Commission a examiné un échantillon de 82 appels d'offres afin d'apprécier la compatibilité de l'aide avec le marché intérieur, ne saurait prospérer. Cette circonstance n'implique pas, en effet, qu'une communauté autonome autre que le Pays basque ait démontré que le service de l'exploitation du réseau terrestre a la qualité de SIEG au sens de l'arrêt du 24 juillet 2003, Altmark (C-280/00, EU:C:2003:415).

54 Au regard de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la première branche du premier moyen.

Sur la seconde branche

- Argumentation des parties

55 Par la seconde branche du premier moyen, le Royaume d'Espagne critique, plus spécifiquement, les points 81 à 82 de l'arrêt attaqué, en ce que le Tribunal y a jugé, dans le cadre de son appréciation de la quatrième condition Altmark, que la comparaison avec la technologie satellitaire ne suffisait pas, dans le cas du Pays basque, pour démontrer que l'entreprise en cause était l'entreprise la plus efficiente.

56 La Commission soutient que les arguments du Royaume d'Espagne manquent de clarté et sont irrecevables ou, en tout état de cause, non fondés.

- Appréciation de la Cour

57 Dans la mesure où la présente branche du premier moyen porte sur une prétendue erreur commise par le Tribunal en ce qui concerne l'examen de la quatrième condition Altmark, il y a lieu de relever que, eu égard au caractère cumulatif des conditions Altmark, le fait que l'appréciation du Tribunal selon laquelle l'une de ces conditions n'est pas satisfaite soit erronée ne saurait entraîner l'annulation de l'arrêt attaqué si, par ailleurs, celui-ci est exempt d'erreur de droit en ce qui concerne l'appréciation d'une autre de ces conditions (arrêt de ce jour, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C-66/16 P à C-69/16 P, point 49).

58 Or, il ressort de l'examen de la première branche du premier moyen, que le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant les arguments du Royaume d'Espagne contestant les constatations figurant aux considérants 119 à 126 de la décision litigieuse selon lesquelles la première condition Altmark n'était pas satisfaite.

59 Dans ces conditions, la seconde branche du premier moyen doit être considérée comme étant inopérante.

60 Il convient dès lors de rejeter le premier moyen dans son intégralité.

Sur le second moyen

Argumentation des parties

61 Le Royaume d'Espagne reproche au Tribunal d'avoir commis une erreur de droit, aux points 101 à 110 de l'arrêt attaqué, dans son analyse de la compatibilité de l'aide avec le marché intérieur au sens de l'article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Cet État membre soutient que le raisonnement du Tribunal contient plusieurs erreurs qui démontrent que celui-ci n'a pas effectué son contrôle juridictionnel en conformité avec la jurisprudence issue de l'arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval (C-12/03 P, EU:C:2005:87, point 39).

62 En premier lieu, le Royaume d'Espagne considère que le Tribunal n'a pas dûment vérifié l'exactitude des éléments sur lesquels la décision litigieuse est fondée, en jugeant, au point 104 de l'arrêt attaqué, que la Commission n'était pas tenue de fournir les détails sur l'échantillon d'appels d'offres qu'elle a pris en compte pour conclure que le principe de neutralité technologique n'avait pas été respecté. À cet égard, la jurisprudence citée à ce point par le Tribunal ne serait pas pertinente, car, dans les affaires ayant donné lieu à cette jurisprudence, les appels d'offres individuels ne faisaient pas partie de la description de la mesure d'aide. Or, en l'occurrence, ainsi qu'il ressortirait des considérants 23 à 36 de la décision litigieuse, les appels d'offres feraient partie intégrante de la mesure en cause.

63 En deuxième lieu, selon cet État membre, le Tribunal n'a pas vérifié la fiabilité et la cohérence de l'échantillon d'appels d'offres sur lequel la Commission s'est fondée et si celle-ci avait utilisé les données pertinentes. Ainsi, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, au point 108 de l'arrêt attaqué, que les autorités espagnoles ont omis de fournir les éléments nécessaires pour conclure à la compatibilité de l'aide. D'une part, la Commission aurait décidé elle-même d'analyser un échantillon fourni par les autorités espagnoles et elle aurait affirmé devant le Tribunal qu'elle ne connaissait pas le nombre d'appels d'offres qu'elle avait examinés. D'autre part, la question de la fiabilité de l'échantillon fourni par les autorités espagnoles dans le cadre de la procédure juridictionnelle serait en tout état de cause dénuée de pertinence, dans la mesure où le contrôle de la légalité de la décision litigieuse devait être effectué en fonction des éléments disponibles à la date à laquelle cette décision a été adoptée.

64 En troisième lieu, en confirmant la conclusion de la Commission selon laquelle la mesure en cause n'était pas technologiquement neutre, le Tribunal aurait, par sa propre motivation, comblé les lacunes apparaissant dans la décision litigieuse.

65 Dans son mémoire en réplique, le Royaume d'Espagne précise que ce second moyen porte sur la négligence de la Commission en ce qu'elle n'a pas examiné tous les appels d'offres fournis par les autorités espagnoles. Cette question toucherait au pouvoir d'appréciation de la Commission et pourrait ainsi faire l'objet d'un pourvoi.

66 La Commission souligne, à titre liminaire, que le présent moyen ne vise pas le point 96 de l'arrêt attaqué et qu'il ne saurait, par conséquent, être compris comme remettant en cause l'analyse de la compatibilité de l'aide au regard de l'article 106, paragraphe 2, TFUE. En outre, selon la Commission, par ce moyen, le Royaume d'Espagne invite la Cour à un contrôle d'office de l'arrêt du Tribunal et entendrait ainsi introduire au stade du pourvoi des questions non évoquées devant celui-ci, ce qui rendrait ledit moyen irrecevable.

67 Au demeurant, elle soutient que les critiques formulées par le Royaume d'Espagne à l'égard de l'analyse effectuée par le Tribunal à partir de l'échantillon d'appel d'offres sont infondées.

68 Dans son mémoire en duplique, la Commission souligne que, contrairement à ce qu'autorise l'article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, il ressort du mémoire en réplique du Royaume d'Espagne que celui-ci étend le second moyen du pourvoi aux éléments visés par le premier moyen de celui-ci. Cet État membre alléguerait ainsi, de manière générale, l'existence d'un contrôle juridictionnel insuffisant également en ce qui concerne le premier moyen, alors que, aux termes de ce premier moyen du pourvoi, celui-ci porterait uniquement sur l'erreur de droit commise par le Tribunal en ce qui concerne l'existence d'un SIEG.

Appréciation de la Cour

69 Par le second moyen, le Royaume d'Espagne reproche au Tribunal d'avoir commis plusieurs erreurs de droit dans le cadre de l'examen de l'analyse de la Commission concernant la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur au sens de l'article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE,

70 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour à laquelle le Tribunal s'est référé à bon droit au point 99 de l'arrêt attaqué, dans le cadre du contrôle que les juridictions de l'Union exercent sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission dans le domaine des aides d'État, il n'appartient pas au juge de l'Union de substituer son appréciation économique à celle de la Commission. Toutefois, le juge de l'Union doit notamment vérifier non seulement l'exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l'ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s'ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, notamment, arrêt du 24 octobre 2013, Land Burgenland e.a./Commission, C-214/12 P, C-215/12 P et C-223/12 P, EU:C:2013:682, points 78 et 79, ainsi que jurisprudence citée).

71 Tout d'abord, il y a lieu de rejeter l'argument du Royaume d'Espagne selon lequel le Tribunal se serait abstenu de vérifier l'exactitude matérielle des éléments de preuve sur lesquels la Commission s'est fondée pour conclure dans la décision litigieuse que la mesure en cause ne pouvait être considérée comme étant compatible avec le marché intérieur au titre de l'article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, au motif que cette mesure ne respectait pas le principe de neutralité technologique.

72 En effet, il ne ressort pas de la requête en annulation que le Royaume d'Espagne ait fait valoir devant le Tribunal que la Commission s'est fondée sur des éléments qui étaient matériellement inexacts.

73 Au demeurant, l'argument du Royaume d'Espagne se résume à contester l'affirmation, figurant au point 104 de l'arrêt attaqué, selon laquelle la Commission n'était pas tenue de fournir plus de détails à l'égard du non-respect du principe de neutralité technologique que ceux figurant aux considérants 148 à 171 de la décision litigieuse, au motif que la jurisprudence sur laquelle le Tribunal s'est fondé à ce point n'était pas applicable en l'espèce.

74 Au point 104 de l'arrêt attaqué, le Tribunal s'est référé, à juste titre, à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle, dans le cas d'un régime d'aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de la décision, si ce régime revêt un caractère nécessaire à la réalisation de l'un des objectifs visés à l'article 107, paragraphe 3, TFUE. Ainsi, la Commission, dans une décision qui porte sur un tel régime, n'est pas tenue d'effectuer une analyse de l'aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d'un tel régime. Ce n'est qu'au stade de la récupération des aides qu'il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C-630/11 P à C-633/11 P, EU:C:2013:387, point 114 ainsi que jurisprudence citée).

75 Or, il suffit de souligner que le Royaume d'Espagne ne conteste pas que la mesure en cause constituait un régime d'aides au sens de la jurisprudence visée au point précédent, de telle sorte que celle-ci lui est applicable. À cet égard, la circonstance invoquée par le Royaume d'Espagne, tirée du fait que, en l'occurrence, les appels d'offres individuels en cause font partie de la description de la mesure d'aide est sans pertinence.

76 Ensuite, l'argument du Royaume d'Espagne selon lequel le Tribunal n'a pas vérifié la fiabilité et la cohérence de l'échantillon d'appels d'offres sur lequel la Commission s'est fondée ne saurait non plus prospérer.

77 En effet, il ressort du point 106 de l'arrêt attaqué que le Tribunal a procédé à une telle vérification afin de répondre à l'argument du Royaume d'Espagne tiré de l'absence de représentativité de l'échantillon d'appels d'offres utilisé par la Commission. Le Tribunal a jugé que, quand bien même, parmi les 82 appels d'offres analysés par la Commission, 65 auraient été des appels d'offres de fourniture non concernés par la décision litigieuse, les 17 appels d'offres analysés concernant l'extension du réseau représentent, en tout état de cause, un échantillon suffisamment significatif en l'espèce eu égard, notamment, au fait que la procédure administrative concernait 16 communautés autonomes en Espagne.

78 Or, dans son pourvoi, le Royaume d'Espagne n'a formulé aucun argument visant à faire valoir que cette appréciation est manifestement erronée ni, a fortiori, apporté d'éléments susceptibles d'aboutir à une telle conclusion.

79 Enfin, dans la mesure où cet État membre se borne à affirmer que le Tribunal a comblé les lacunes apparaissant dans la décision litigieuse par sa propre motivation, sans préciser les raisons qui l'ont conduit à formuler un tel argument ni même indiquer les points de l'arrêt attaqué que ledit État entend viser, cet argument est irrecevable.

80 Partant, il y a lieu de rejeter le second moyen du pourvoi comme étant pour partie irrecevable et pour partie non fondé.

81 Il s'ensuit que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

82 En vertu de l'article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n'est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L'article 138, paragraphe 1, du même règlement, rendu applicable à la procédure du pourvoi en vertu de l'article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

83 La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d'Espagne et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Le Royaume d'Espagne supporte les dépens.