Livv
Décisions

ADLC, 8 février 2017, n° 17-A-01

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

concernant un projet de décret portant modification de certaines dispositions réglementaires relatives à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH)

ADLC n° 17-A-01

8 février 2017

L'Autorité de la concurrence

Vu la lettre, enregistrée le 6 décembre 2016 sous le numéro 16/0103A, par laquelle le ministre de l'économie et des finances a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis concernant un projet de décret portant modification de certaines dispositions réglementaires relatives à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu le Code de l'environnement ; Vu le Code de l'énergie, notamment ses articles L. 336-1 à L. 336-10, L. 337-1 et L. 337-13 à L. 337-16 ; Vu le décret n° 2011-466 du 28 avril 2011 fixant les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ; Vu l'avis du Conseil supérieur de l'énergie du 14 novembre 2016 ; Vu la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 19 janvier 2017 portant avis sur le projet de décret modifiant la partie réglementaire du Code de l'énergie portant sur les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, le commissaire du gouvernement et les représentants du ministre de l'énergie et du développement durable entendus lors de la séance du 25 janvier 2017 ;

Les représentants de l'Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Énergie, de l'Association Française Indépendante de l'Électricité et du Gaz, ainsi que de la société Électricité de France, entendus sur le fondement de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

1. Par lettre enregistrée le 6 décembre 2016 sous le numéro 16/0103A, l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") a été saisie par le gouvernement d'une demande d'avis concernant un projet de décret portant modification de certaines dispositions réglementaires relatives à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ci-après "ARENH").

2. Après avoir présenté la demande d'avis (I), l'Autorité formulera un certain nombre de remarques et de recommandations (II).

I. Constatations

A. CONTEXTE JURIDIQUE ET ÉCONOMIQUE

1. LE CADRE JURIDIQUE DUDISPOSITIF ARENH

3. L'ARENH a été instauré par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l'électricité (ci-après " loi NOME"), conformément aux conclusions du rapport Champsaur d'avril 2009. Ce dispositif, créé pour une période transitoire allant du 1er juillet 2011 au 31 décembre 2025, consiste à reconnaître aux fournisseurs d'électricité alternatifs un droit d'accès à un tarif régulé à une quantité d'énergie électrique issue du parc historique de production nucléaire d'Électricité de France (ci-après "EDF"), pouvant aller jusqu'à 100TWh. Il est destiné à remédier aux difficultés rencontrées par les fournisseurs alternatifs pour concurrencer efficacement l'opérateur historique sur le marché aval de la fourniture d'électricité au détail.

4. Les dispositions de la loi NOME relatives au mécanisme ARENH sont aujourd'hui codifiées aux articles L. 336-1 et suivants et L. 337-13 et suivants du Code de l'énergie. L'article L. 336-1 du Code de l'énergie prévoit que les volumes ARENH sont consentis "à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Électricité de France de l'utilisation de ses centrales nucléaires ". Cette disposition, couramment appelée "principe d'équivalence " est précisée et complétée par l'article L. 337-14 qui prévoit qu'"afin d'assurer une juste rémunération à Électricité de France, le prix, réexaminé chaque année, est représentatif des conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires (…) sur la durée du dispositif (…). Il tient compte de l'addition : 1° D'une rémunération des capitaux prenant en compte la nature de l'activité ; 2° Des coûts d'exploitation ; 3° Des coûts des investissements de maintenance ou nécessaires à l'extension de la durée de l'autorisation d'exploitation ; 4° Des coûts prévisionnels liés aux charges pesant à long terme sur les exploitants d'installations nucléaires de base mentionnées à l'article L. 594-1 du Code de l'environnement ".

5. Le prix de l'ARENH est, en vertu de l'article L. 337-13 du Code de l'énergie, arrêté par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie sur proposition de la Commission dérégulation de l'énergie (ci-après la "CRE").

6. Le décret n° 2011-466 du 28 avril 2011 a précisé ces dispositions législatives en élaborant des règles d'accès au parc nucléaire historique d'EDF. Le décret a notamment fixé la procédure de demande de droits de tirage ARENH, les modalités de calcul et de répartition des volumes d'électricité ainsi cédés, les modalités de facturation et la gestion des flux financiers ou encore le mécanisme de contrôle ex post des volumes consommés et les compléments de prix dus par les fournisseurs en cas de non-respect de certaines conditions.

2. ÉVOLUTIONDES DEMANDES ET DES LIVRAISONS D'ARENHSELON LES PRIX DE MARCHÉ

7. L'ARENH repose sur le principe de cessions d'énergies annuelles. Les demandes des fournisseurs alternatifs peuvent être exprimées deux fois par an, à l'occasion de deux guichets se tenant les 16 novembre et 16 mai de chaque année (qui correspondent aux cessions s'échelonnant respectivement du 1er janvier au 31 décembre de l'année N et du 1er juillet de l'année N au 30 juin de l'année N+1). Les demandes annuelles peuvent être ajustées à chaque guichet pour suivre l'évolution du portefeuille de clientèle, en respectant une clause dite "de monotonie " qui contraint les fournisseurs à s'engager dans le même sens sur le semestre qui suit.

8. La clause de monotonie prévoit que lorsqu'un fournisseur augmente sa demande d'ARENH entre deux guichets successifs, il ne peut pas la réduire au guichet suivant et, à l'inverse, lorsqu'il diminue sa demande d'ARENH entre deux guichets successifs, il ne peut pas l'augmenter au guichet suivant. Cette clause est destinée à éviter les possibilités d'arbitrage saisonnier (le prix de l'électricité variant selon les saisons) dont disposeraient autrement les fournisseurs alternatifs.

9. La demande d'ARENH est optionnelle. Les fournisseurs ont ainsi la faculté d'approvisionner leur clientèle finale aux conditions de prix du marché de gros, quand celles-ci sont plus favorables que le prix de l'ARENH, et au prix de l'ARENH, dans le cas contraire.

10. Depuis la mise en place du dispositif en 2011, les demandes d'ARENH et les volumes livrés ont suivi l'évolution des prix de marché pour s'établir à zéro en 2016, comme l'indiquent les deux graphiques suivants :

Source : Autorité de la concurrence, d'après données EDF (janvier 2017)

11. Entre le 1er janvier et le 15 novembre 2016, aucun fournisseur n'a exercé son droit à l'ARENH en raison du niveau des prix de l'électricité sur le marché de gros, sensiblement inférieur au prix de l'ARENH. Dans un contexte d'augmentation soudaine, fin 2016, des prix du marché pour 2017, les fournisseurs ont à nouveau souscrit de l'ARENH, alors qu'ils avaient pu approvisionner leur clientèle finale à des conditions de prix du marché de gros plus favorables que le prix de l'ARENH.

3. LES POSSIBILITÉS DE DÉVOIEMENT DU DISPOSITIF

12. Au regard du cadre réglementaire applicable au premier semestre 2016, il existait une double possibilité de dévoiement du dispositif, fondée sur un contournement du caractère annuel de l'ARENH pour profiter des évolutions infra-annuelles des prix du marché.

13. La première consistait en la possibilité pour l'acheteur de résilier à tout moment (moyennant un préavis de soixante jours), et de manière unilatérale, l'accord-cadre le liant à EDF pour souscrire de l'ARENH. Par ce biais, les fournisseurs alternatifs pouvaient donc s'abstraire de la clause de monotonie précédemment définie (cf. points 7 et 8) et disposaient d'une possibilité d'arbitrer à tout moment entre un produit de marché et le produit ARENH.

14. Cette opportunité d'arbitrage infra-annuelle laissée aux fournisseurs alternatifs n'étant pas cohérente avec le principe d'annualité de l'ARENH, elle a été corrigée par un arrêté du 14 novembre 20161 pris sur proposition de la CRE2. La résiliation de l'accord-cadre n'est désormais possible que dans les trois cas suivants :

- une modification du prix de l'ARENH de plus de 2%;

- une modification substantielle de l'accord-cadre et

- une évolution de la réglementation relative à l'ARENH affectant substantiellement et défavorablement l'équilibre des conditions d'approvisionnement de l'acheteur.

15. La seconde réside dans l'absence d'application de la clause de monotonie, lorsque, comme cela a été le cas au premier semestre 2016 (cf. point 10 ci-dessus), le fournisseur n'a pas fait de demande d'ARENH lors du guichet précédent.

16. C'est notamment pour remédier à cette seconde possibilité d'arbitrage qu'est présenté le projet de décret soumis à l'Autorité.

B. LE PROJET DE DÉCRET SOUMIS À L'EXAMEN DEL'AUTORITÉ

1. CONTEXTE

17. En 2010, la loi NOME est venue faire peser sur les fournisseurs une obligation de détention de garantie de capacité de production ou d'effacement afin qu'ils contribuent à la sécurité d'approvisionnement en électricité. Le décret du 14 décembre 2012 relatif à la contribution des fournisseurs à la sécurité d'approvisionnement en électricité et portant création d'un mécanisme d'obligation de capacité dans le secteur de l'électricité est venu préciser ces dispositions.

18. L'entrée en vigueur du décret a été retardée par l'ouverture, le 13 novembre 2015, d'une enquête approfondie sur le mécanisme de capacité français par la Commission européenne. À la suite d'un accord intervenu à l'automne 2016 avec les autorités françaises, le mécanisme de capacité est susceptible d'être mis en œuvre à compter de la période de livraison débutant en 2017.

19. Il résulte des dispositions de l'article L. 335-5 et R. 336-5 du Code de l'énergie que l'ARENH est réputé comprendre un montant de garanties de capacité. La mise en œuvre du mécanisme de capacité est donc susceptible de rendre l'ARENH plus attractif encore.

Combinée à la hausse récente des produits à terme sur le marché de gros, cette nouvelle attractivité imposait de préciser et de renforcer le cadre d'utilisation de l'ARENH.

2. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE DÉCRET

20. Le projet de décret présenté reprend plusieurs dispositions techniques de clarification déjà présentées dans un projet de décret élaboré en 2014 et non entré en application. Il s'agit notamment de précisions concernant des modalités techniques de calcul des consommations constatées utilisées pour le contrôle du dispositif, des délais s'appliquant en cas de défaut de payement ou encore des modalités de calcul des frais perçus par la Caisse des Dépôts et

Consignations.

21. Au-delà de ces dispositions techniques, le projet propose également deux dispositions plus significatives d'assouplissement du dispositif :

- L'article 2 du projet de décret réduit le délai de transmission d'une demande d'ARENH à EDF de 45 à 40 jours avant le début de chaque période de livraison.

- L'article 8 prévoit pour sa part un aménagement du terme CP2 du complément de prix3. Le calcul du terme CP2 tient désormais également compte :

" des cas de force majeure, ainsi que des cas de suspension de fourniture d'électricité ou de réduction significative et brutale de consommation à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ;

" des cas où plusieurs fournisseurs relevant de sociétés liées au sens de l'article L. 336-4 du Code de l'énergie4 ont déposé un dossier de demande d'ARENH.

22. Enfin l'article 3 du projet de décret permet de clarifier la clause de monotonie en insérant deux modifications significatives qui complètent le dispositif dans deux situations non prévues initialement :

- le fournisseur ne bénéficie d'aucun accord-cadre avant la période en cours,

- le fournisseur (disposant d'un accord-cadre) n'a fait aucune demande d'ARENH avant la période en cours.

II. Analyse concurrentielle

23. L'Autorité limitera ses remarques aux seuls points de rédaction relatifs au projet de décret présentant un enjeu concurrentiel (A), se prononcera sur un élément soulevé par la CRE relatif au plafond de l'ARENH (B) avant d'évoquer brièvement l'avenir du dispositif ARENH (C). Pour le reste, elle renvoie à son rapport d'évaluation du 18 décembre 20155, ainsi qu'à ses précédents avis, notamment n° 14-A-16 du 20 octobre 2014 6 et n° 11-A-06 du 15 mars 20117.

A. SUR LES DISPOSITIONSDU PROJET DE DÉCRET

1. SUR LA DEMANDE D'ARENH

24. S'agissant du délai de transmission d'une demande d'ARENH à EDF, celui-ci est désormais porté à 40 jours avant le début de chaque période de livraison, au lieu de 45 jours. Cette modification apporte plus de souplesse aux fournisseurs alternatifs dans leur demande, sans ajouter de contraintes notables à EDF. La CRE, dans son rapport 2011-2012. Le fonctionnement des marchés de détail français de l'électricité et du gaz naturel8, relevait que le délai précédent [avait] pour conséquence que les offres des fournisseurs alternatifs établies à partir d'un approvisionnement type ARENH et complément marché ne peuvent pas être proposées aux clients pendant cette période de 45 jours. EDF n'est pas soumise à cette contrainte ". Cette réduction était donc appelée de ses vœux par la CRE. L'Autorité y est également favorable.

2. SUR LE CONTRÔLE EX POSTET LE COMPLÉMENT DE PRIX

25. Les acheteurs d'ARENH doivent payer des compléments de prix en cas de demandes excédentaires (CP1) et, le cas échéant, excessives (CP2).

26. Le coefficient CP1 vise à neutraliser les gains qui sont réalisés par un fournisseur qui demanderait une quantité excédentaire d'ARENH au regard de son portefeuille de clients, afin d'en opérer la revente sur les marchés de gros. Le coefficient CP2 vise à inciter les fournisseurs à la meilleure prévision possible de leurs volumes de ventes en fonction de l'évolution anticipée de leur parc de clients, et s'applique dès lors que l'écart entre le volume prévisionnel et le volume effectivement réalisé excède une certaine marge de tolérance9.

27. L'article 8 du projet de décret complète le mode de calcul des pénalités dues par les fournisseurs au cas où leur demande d'ARENH apparaîtrait surévaluée. Il précise que le calcul de la pénalité la plus forte (CP2) doit tenir compte : (i) des cas de force majeure et des cas d'ouverture d'une procédure de liquidation ou de redressement judiciaire des consommateurs du fournisseur (situations qu'il n'a pu anticiper) et (ii) des cas de fournisseurs relevant de sociétés juridiquement liées afin de prévenir un risque de surévaluation de la pénalité.

28. Concernant le premier élément, la rédaction antérieure ne prévoyait de prendre en compte que le cas d'une suspension de fourniture d'électricité. Désormais, la CRE pourra également s'appuyer sur la baisse brutale de consommation à la suite de l'ouverture d'une procédure collective.

29. Concernant le second élément, la CRE peut désormais prendre en compte le fait que plusieurs sociétés du même groupe ont fait des demandes d'ARENH. Il s'agit ici de permettre une forme de " consolidation " des droits ARENH. En effet, si une société mère réalise une demande inférieure aux droits ARENH auxquels elle peut prétendre, alors que sa filiale fait une demande excessive (donc susceptible d'être sanctionnée au titre du terme CP2), le foisonnement des deux portefeuilles permet d'annuler le différentiel constaté et d'ainsi éviter le paiement d'une pénalité.

30. L'Autorité souscrit à ces dispositions qui permettent d'alléger la contrainte pesant sur les fournisseurs alternatifs.

3. SUR LA CLAUSE DE MONOTONIE

31. L'achat d'ARENH se fait à deux moments, appelés "guichets ", fixés le 16 novembre de l'année N-1 pour des livraisons intervenant entre le 1er janvier et le 31 décembre de l'année N et le 16 mai de l'année N pour des livraisons intervenant entre le 1er juillet de l'annéeN et le 30 juin de l'année N+1. Comme indiqué précédemment (cf. points 7 et 8), la clause de monotonie prévoit que, lorsqu'un fournisseur augmente sa demande d'ARENH entre deux guichets successifs, il ne peut pas la réduire au guichet suivant et, à l'inverse, lorsqu'il diminue sa demande d'ARENH entre deux guichets successifs, il ne peut pas l'augmenter au guichet suivant. Cette clause est destinée à éviter les possibilités d'arbitrage saisonnier dont disposeraient autrement les fournisseurs alternatifs.

32. Le projet de décret permet de remédier aux cas non prévus par la précédente rédaction, à savoir les situations dans lesquelles la demande pour la période précédant la période en cours est nulle ou lorsqu'il n'existait pas d'accord-cadre. En effet, avant le projet de décret modificatif, les fournisseurs avaient la possibilité de faire une demande annuelle d'ARENH au 1er janvier 2017 suivie d'une réduction au 1er juillet 2017 :

33. Le projet de décret permettra de maintenir durant une période de 12 mois une demande annuelle d'ARENH réalisée au 1er janvier 2017 :

[TABLEAU]

34. En résumé, quatre interdictions existeront désormais10 :

(1) Si QS-1 >QS, alors on ne peut pas avoir QS <QS+1 ;

(2) Réciproquement, si QS-1 <QS, alors on ne peut pas avoir QS >QS+1 ;

(3) Si QS-1 =0, alors on ne peut pas avoir QS >QS+1 et

(4) Si aucun accord-cadre n'existe au semestre S-1, alors on ne peut pas avoir

QS >QS+1.

35. Ainsi, les nouvelles dispositions proposées permettent d'appliquer la clause de monotonie à des cas non prévus lors de la création du dispositif initial11. Il convient de rappeler que le produit ARENH est par nature un produit annuel, comme en témoignent les dispositions des articles L. 336-3 et 336-5 du Code de l'énergie12. Les guichets biannuels, qui constituent un aménagement du dispositif en faveur des fournisseurs alternatifs, doivent donc être strictement encadrés afin d'éviter tout dévoiement du mécanisme.

36. C'est d'ailleurs la position retenue par l'Autorité notamment dans son avis n° 11-A-06 du 15 mars 201113, dans lequel le principe de la clause de monotonie avait été admis dans les termes suivants : "Cette contrainte s'avère nécessaire pour éviter les effets d'aubaine qui pourraient être créés du fait du différentiel de consommation entre hiver et été, notamment chez les petits consommateurs. En d'autres termes, l'ARENH doit être mis au service du développement d'un portefeuille de clients sur le moyen terme ".

37. L'Autorité est donc favorable aux nouvelles dispositions envisagéesdans le projet de décret.

38. L'Autorité souhaite toutefois rappeler que les termes "période de livraison en cours " sont ambigus du fait du chevauchement permanent de deux périodes de livraison. Dans sa délibération du 19 janvier 201714, la CRE propose de remplacer ces termes par "période de livraison ayant débuté 6 mois avant le début de la période de livraison à venir ", pour mieux identifier la période visée. L'Autorité souscrit à cette clarification de la rédaction du décret.

B. SUR L'ÉVALUATION DE L'ATTEINTE DU PLAFOND ANNUEL D'ARENH

39. Dans le cadre de sa délibération du 19 janvier 2017, la CRE a formulé une remarque sur le cadre réglementaire permettant l'évaluation de l'atteinte du plafond annuel d'ARENH. La CRE s'interroge sur les modalités de mise en œuvre e de l'article R. 336-18 relatif à l'application du plafond lorsque la somme des demandes d'ARENH dépasse le plafond annuel de 100TWh. Elle relève ainsi que, bien que la rédaction de l'article prévoie que la comparaison s'effectue à un guichet donné entre les quantités demandées à ce guichet et le niveau plafond, les périodes de livraison d'ARENH s'opèrent sur des années glissantes. La CRE conclut "qu'il apparaît nécessaire, pour mesurer le niveau global d'ARENH livré sur une année donnée, de prendre en compte les demandes effectuées à tous les guichets entraînant une livraison physique sur l'année considérée "15.

40. L'Autorité souscrit à la remarque de la CRE. Il existe en effet une contradiction rédactionnelle entre la loi NOME et la lettre des dispositions réglementaires en vigueur.

L'article 1er de la loi NOME prévoyait ainsi que " le volume global maximal d'électricité nucléaire historique pouvant être cédé (…) ne peut excéder 100TWh par an ". Ce plafond figure aujourd'hui à l'article L. 336-2 du Code de l'énergie. L'article R. 336-6-1 du Code de l'énergie indique que " le plafond d'ARENH est le volume global maximal d'électricité nucléaire historique pouvant être cédé pour les petits et grands consommateurs par période de livraison ".

41. Or, les périodes de livraison se juxtaposent les unes aux autres. Par conséquent, pour apprécier si le plafond de 100TWh est dépassé pour l'année N, trois périodes de livraison doivent être prises en compte : celle de juillet de l'année N-1 (pour la partie empiétant sur l'année calendaire N), celle de janvier de l'année N et celle de juillet de l'année N (pour la partie empiétant sur l'année calendaire N). Une telle différence n'est potentiellement pas neutre pour les acteurs du marché. Notamment, il convient de s'interroger, en cas d'atteinte du plafond, à la fois sur les demandes susceptibles de faire l'objet d'un prorata (intégralité des demandes concernées ou nouvelles demandes uniquement) et, si un prorata devait être appliqué, sur une possible contradiction avec la clause de monotonie (cette clause imposant de maintenir une demande monotone par rapport à la demande précédemment réalisée, la situation d'atteinte du plafond ne ferait que s'aggraver).

C. SUR L'AVENIR DU DISPOSITIF

42. Dans le cadre de son avis n° 14-A-16 du 20 octobre 2014, l'Autorité avait souligné que la méthodologie retenue pour le calcul du prix de l'ARENH laissait subsister un doute quant à la volonté du gouvernement de prolonger ou non le dispositif après 2025.

43. Bien qu'invité à clarifier sa position16, le gouvernement ne s'est à ce jour pas prononcé sur son choix de prolonger (ou non) ce mécanisme au-delà de 2025, pas plus que sur d'éventuels mécanismes de substitution. Compte tenu des très longs délais à prévoir pour des investissements dans la production d'électricité de base, a fortiori pour des volumes censés se substituer à l'ARENH, le silence actuel des pouvoirs publics semble plaider dans le sens d'une prorogation implicite du dispositif, si l'on veut préserver la capacité des producteurs alternatifs à animer le marché.

44. L'Autorité rappelle, conformément aux développements de son rapport d'évaluation de2015 précité, que la pérennisation de l'ARENH rendrait nécessaire de s'interroger sur certains des principes ayant présidé à sa conception, ainsi que sur certaines de ses modalités. Une telle réflexion est lourde de conséquences et ne peut être repoussée sans conséquences négatives, l'échéance de 2025 étant désormais très proche. L'absence actuelle de prise de position est préjudiciable à la fois à EDF, aux fournisseurs alternatifs et aux consommateurs bénéficiant de l'ARENH, dans la mesure notamment où tant le prix de l'ARENH que le prix des TRV bleus sont fonction de la durée du dispositif.

45. Si d'autres solutions devaient être explorées - par exemple toute forme de financiarisation du dispositif, comme évoqué dans le rapport de 2015 susmentionné - des délais suffisants devraient être ménagés pour permettre aux acteurs du secteur d'avoir recours dans les meilleures conditions à un nouveau mécanisme.

CONCLUSION

46. L'Autorité de la concurrence est d'avis que :

- le projet de décret modifiant les articles R. 336-8, R. 336-9, R. 336-16, R. 336-23, R. 336-26 à R. 336-28 et R. 336-35 du Code de l'énergie relatif à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique peut être approuvé dans toutes ses dispositions et

- de manière à donner le maximum de prévisibilité aux acteurs économiques, le gouvernement devrait se prononcer dans les meilleurs délais sur le caractère transitoire (ou non) de l'ARENH au-delà de 2025.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Marie-Aimée Veinberg-Trouvet et M. Henry-Pierre Mélone et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par MmeÉlisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, MM. Emmanuel Combe et Thierry Dahan, vice-présidents.

NOTES :

1 Arrêté du 14 novembre 2016 portant modification de l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

2 Délibération de la CRE du 7 novembre 2016 portant proposition d'arrêté pris pour application de l'article L. 336-2 du Code de l'énergie et portant modification de l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

3 Lorsqu'un fournisseur a demandé des volumes d'ARENH en quantité excessive par rapport aux volumes effectivement livrés, il peut avoir des pénalités progressives (dites "CP1 " et "CP2 ") évaluées ex post.

4 Deux sociétés sont réputées liées (i) soit lorsque l'une détient directement ou indirectement la majorité du capital social de l'autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision (ii) soit lorsqu'elles sont placées l'une et l'autre sous le contrôle d'une même tierce entreprise qui détient directement ou indirectement la majorité du capital social de chacune ou y exerce en fait le pouvoir de décision.

5 Rapport d'évaluation du 18 décembre 2015 sur le dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique.

6 Avis n° 14-A-16 du 20 octobre 2014 concernant un projet de décret portant modification du décret n° 2011-466 du 28 avril 2011 fixant les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique.

7 Avis n° 11-A-06 du 15 mars 2011 relatif à un projet de décret fixant les modalités d'accès à l'électricité nucléaire historique.

8 Janvier 2013, page 116.

9 Cette marge de tolérance est calculée comme la plus élevée des deux valeurs suivantes : (i) 10% de la consommation constatée par RTE divisé par le nombre d'heures de la période de livraison ou (ii) 5MW.

10 QS désigne ci-après la quantité d'ARENH demandée par le fournisseur alternatif au guichet du semestre S.

11 En particulier, ces cas correspondent aux interdictions (3) et (4) listées ci-avant.

12 Article L. 336-3 du Code de l'énergie : "Le volume maximal cédé à un fournisseur mentionné à l'article L. 336-2 est calculé pour une année par la Commission de régulation de l'énergie (…) ".

Article L. 336-5 du Code de l'énergie : "Dans un délai au plus d'un mois à compter de la demande présentée par un fournisseur mentionné à l'article L. 336-2, un accord-cadre conclu avec Électricité de France garantit, dans les conditions définies par le présent chapitre, les modalités selon lesquelles ce fournisseur peut, à sa demande, exercer son droit d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique pendant la période transitoire par la voie de cessions d'une durée d'un an ".

13 Avis n° 11-A-06 du 15 mars 2011 précité, point 83.

14 Délibération de la CRE du 19 janvier 2017 portant avis sur le projet de décret modifiant la partie réglementaire du Code de l'énergie portant sur les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique.

15 Délibération de la CRE du 19 janvier 2017 précitée, page 3.

16 Rapport d'évaluation du 18 décembre 2015 précité, point 72.