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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 21 décembre 2017, n° 16-00894

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Euro Cargo Rail (SASU)

Défendeur :

Rail Recrut Europe (Sté), Office des faillites du canton de Genève

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Gateau, Etevenard, Duverne-Hanachowicz, Prost

T. com. Paris, du 3 déc. 2015

3 décembre 2015

FAITS ET PROCÉDURE :

En 2010, la société Euro Cargo Rail (ECR), qui exerce une activité de transport ferroviaire de marchandises en Europe, s'est rapprochée de la société de droit belge Rail Recrut SPLR, spécialisée dans le recrutement et le management de personnel du secteur ferroviaire, afin d'organiser le recrutement et la formation de son personnel.

En 2011, la société ECR a souhaité mettre en place un partenariat similaire avec la société de droit suisse Rail Recrut Europe (RRE), ayant le même objet que Rail Recrut SPLR. Ces sociétés ont conclu plusieurs contrats :

- un premier contrat en date du 9 juin 2011, modifié par protocole d'accord du 23 décembre 2011, aux termes duquel la société RRE s'engageait à recruter et à former des candidats conducteurs de locomotive et des agents de formation reconnaisseurs

- visiteurs techniques (AFR), et à les mettre à la disposition d'ECR, selon les modalités suivantes : 21 conducteurs de ligne au 1er octobre 2012, 25 conducteurs de ligne au 1er décembre 2012 ; ECR devait verser à RRE la somme de 53 500 euros HT par conducteur de ligne effectivement mis à sa disposition à l'issue de leur formation ; le règlement de cette somme devait s'effectuer selon l'échéancier suivant : versement d'un premier acompte de 20 % à la date de signature du contrat ; versement d'acomptes d'un même montant deux mois, puis quatre mois après la prise d'effet du contrat ; versement du solde du prix, à l'issue de la formation

- validée par un examen

- des conducteurs de ligne ;

- deux contrats en date des 10 juillet et 14 septembre 2012, rédigés en des termes similaires, prévoyant la mise à la disposition d'ECR en urgence par RRE de 12 conducteurs de manœuvres ferroviaires, au 1er décembre 2011 sur le site de Gevrey, avec versement par ECR à RRE de la somme de 35 000 euros HT par conducteur de manœuvres formé.

Les modalités de paiement du prix étaient identiques au premier contrat : versement successif de trois acomptes représentant chacun 20 % du montant total, soit 84 000 euros HT, règlement du solde de 40 % du prix à l'issue de la formation, soit 168 000 euros HT ; il était également prévu que la société ECR signe une promesse d'embauche des candidats dès leur entrée en formation, sous condition suspensive de leur réussite à l'examen final ;

- un troisième contrat en date du 2 avril 2013 relatif au recrutement de 20 conducteurs.

Ont enfin été conclus deux contrats par lesquels ECR s'engageait à fournir aux candidats recrutés par RRE pour son compte, une formation théorique et pratique de conducteurs de manœuvres ferroviaires, de conducteurs de lignes et d'AFR.

A partir de septembre 2013, des difficultés sont apparues :

- d'une part, la société RRE a invoqué le fait que la société ECR postait directement des annonces d'embauche pour le recrutement de conducteurs de ligne sur des sites d'offres d'emploi, notamment sur les mêmes sites que ceux utilisés par la société RRE et, sans en informer sa partenaire, prenait directement contact avec les candidats recrutés et sélectionnés par la société RRE en leur indiquant qu'un nouveau processus de recrutement était mis en place ;

- d'autre part, la société ECR s'est prévalue de ce que RRE ne respectait pas les dates de mise à disposition des conducteurs.

Par courrier recommandé en date du 18 avril 2014, le conseil de la société RRE a mis en demeure la société ECR de réparer son préjudice résultant :

- du défaut de versement des sommes dues en vertu des contrats conclus entre les sociétés ECR et RRE ;

- de la rupture brutale de sa relation commerciale établie avec la société ECR

En l'absence de réponse de la société ECR RRE l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris le 21 mai 2014.

Par jugement du 8 septembre 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la société RRE a pris l'initiative de " suspendre " les relations contractuelles entre les parties ;

- dit que la responsabilité de la rupture incombait à la société ECR compte tenu de son comportement déloyal vis-à-vis de la société de droit suisse RRE ;

- condamné la société ECR à payer à la société de droit suisse RRE la somme de 906 900 euros ;

- condamné la société de droit suisse RRE à payer à la société la somme de 652 200 euros ;

- ordonné la compensation entre ces deux sommes ;

- condamné la société ECR à payer la société de droit suisse RRE la somme de 125 000 euros à titre d'indemnité pour rupture brutale des relations commerciales établies ;

- débouté les parties de leurs demandes tendant à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la société ECR aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

Vu la déclaration devant la cour d'appel de Paris du 25 décembre 2015 de la société Euro Cargo Rail ;

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société Euro Cargo Rail par dernières conclusions signifiées le 6 septembre 2016, demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1142 anciens du Code civil et L. 442-6 I 5° du Code de commerce, de :

- déclarer recevable et fondé l'appel formé par la société ECR ;

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 3 décembre 2015 en ce qu'il a condamné la société RRE au paiement des factures n° 90377737 et 90408944 pour un montant de 652 200 euros ;

Le réformant pour le surplus,

- dire que la société ECR n'a commis aucun manquement à la loyauté contractuelle à l'égard de la société RRE ;

- dire que la société RRE a manqué à ses obligations à l'égard de la société ECR ;

- dire que la société RRE est à l'initiative de la rupture des relations commerciales avec la société ECR ;

En conséquence,

- débouter la société RRE de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société ECR ;

En tout état de cause,

- condamner la société RRE au paiement à la société ECR de la somme de 877 400 euros au titre de sommes indûment perçues ;

- donner acte à la société ECR de ce que la société RRE ne conteste pas être débitrice à son égard de la somme de 652 200 euros au titre de factures impayées et condamner en conséquence la société RRE au paiement à la société ECR de la somme de 652 200 au titre de ces factures ;

- condamner la société RRE aux entiers dépens et à la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur la rupture des relations commerciales, elle soutient qu'elle n'est pas à l'initiative de cette rupture, que la démarche de recrutement direct de la société ECR sans avertir la société RRE ne constitue pas un manque de loyauté dès lors qu'elle n'a pas violé ni contourné une stipulation contractuelle pour en tirer un avantage particulier. En tout état de cause, son comportement n'a pas d'impact sur l'exécution des obligations contractuelles de la société RRE. Elle fait valoir que la rupture résulte en réalité du refus de la société RRE d'exécuter ses obligations contractuelles.

ECR soutient que RRE surévalue son préjudice : cette dernière s'appuie sur le rapport du cabinet Fiducia-Intergest qui ne présente aucun caractère probant, sachant que l'arrêt d'une activité structurellement déficitaire ne peut avoir causé un quelconque préjudice ; en conséquence, même en se fondant sur ce document non probant de RRE, le tribunal aurait dû constater que l'estimation du montant de l'indemnité de perte de marge brute sur trois mois ne pouvait être supérieure à 59 215 euros. ECR rappelle qu'elle n'a, à aucun moment, manqué à son devoir de loyauté à l'égard de la société RRE que c'est RRE qui a pris unilatéralement la décision de ne plus exécuter ses obligations contractuelles et par conséquent de rompre les relations commerciales entre elle et ECR.

ECR sollicite enfin le remboursement des acomptes versés au titre des conducteurs finalement non mis à disposition par la société ECR soit la somme de 877 400 euros (53 500 euros x 60 % x 52 agents non mis à disposition = 1 669 200 euros - 791 800 euros (37 conducteurs dont le solde reste à payer à RRE), ainsi qu'au paiement de la somme de 652 200 euros au titre des factures demeurées impayées.

La société RRE appelante à titre incident, par dernières conclusions signifiées le 11 juillet 2016, demande à la cour de :

- déclarer mal fondé l'appel interjeté par la société ECR et l'en débouter ; - déclarer recevable et fondé l'appel incident formé par la société RRE ; Sur la violation par la société ECR de ses obligations contractuelles,

- dire que la société ECR a abusivement mis fin aux contrats qui la liaient à la société RRE en septembre 2013 ;

- dire que la société RRE subit un préjudice réel et certain lié à cette rupture, correspondant aux sommes qu'elle aurait dû percevoir lors de la mise à disposition des conducteurs de ligne restant à livrer ;

Par conséquent,

- confirmer la décision du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'elle a dit que la responsabilité de la rupture incombe à la société ECR compte tenu de son comportement déloyal vis-à-vis de la société RRE ;

- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a limité la condamnation de la société ECR à hauteur de 906 000 euros ;

- condamner la société ECR à payer à l'Office des faillites du Canton de Genève, ès-qualités de représentant de la société RRE la somme de 1 904 600 euros ;

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie entre la société RRE et la société ECR

- dire que les sociétés ECR et RRE étaient en relation commerciale établie depuis 2011 ;

- dire que la société ECR était le client exclusif de la société RRE ;

- dire que la société ECR a brutalement mis fin à cette relation commerciale en septembre 2013 ;

- constater l'absence de fautes ou de manquement grave imputables à la société RRE dans l'accomplissement de ses obligations contractuelles ;

Par conséquent,

- dire que les sociétés ECR et RRE étaient liées par des relations commerciales établie au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

- dire que la société ECR aurait dû donner un préavis écrit de 12 mois à la société RRE ce qui n'a pas été le cas ;

- dire que dans ces conditions, la société ECR a rompu brutalement les relations commerciales établies qui la liaient à la société RRE ;

Et par conséquent,

- confirmer la décision du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a jugé que la rupture par la société ECR de sa relation commerciale avec la société RRE était imprévisible, soudaine et violente ;

- réformer cette décision en ce qu'elle a limité la condamnation de la société ECR à hauteur de 125 000 euros ;

- condamner la société ECR à verser à l'Office des faillites du Canton de Genève, ès-qualités de représentant de la société RRE la somme de 377 833,56 euros à titre d'indemnité pour rupture brutale des relations commerciales établies ;

En tout état de cause,

- constater que la société ECR sollicite le règlement de la somme de 652 200 euros au titre de factures de formation ;

- prendre acte de ce que la société RRE n'est pas opposée à la compensation du montant des condamnations avec le montant des factures dues à la société ECR ;

- condamner la société ECR à payer à l'Office des faillites du Canton de Genève, ès-qualités de représentant de la société RRE la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société ECR aux entiers dépens de l'instance, y compris ceux résultant de l'article 10 et 12 du décret du 12 décembre 1996 en cas d'exécution forcée.

La société RRE fait valoir que la société ECR a violé ses obligations contractuelles ; elle soutient que la rupture unilatérale de la société ECR est abusive : elle expose qu'elle a confié à la société RRE plusieurs missions de recrutement pour son compte, qu'à partir de septembre 2013, la société ECR a subitement cessé tout contact avec la société RRE.

Par ailleurs, le constat effectué par huissier de justice a permis de faire apparaître que bon nombre des candidats recrutés par la société RRE pour le compte de la société ECR avaient effectivement intégré les effectifs d'ECR, sachant que les soldes de règlement pour la mise à disposition de ces conducteurs de ligne auraient dû être versés à la société ECR ;

De plus, la nouvelle formule proposée la société ECR pour le même profil de poste, était sensiblement plus avantageuse pour les candidats car elle proposait un contrat à durée indéterminée dès l'entrée en formation et rémunéré au niveau du SMIC.

La société RRE a ainsi été placée dans l'impossibilité de mener à bien sa mission et d'honorer ses engagements contractuels, compte tenu de la concurrence menée.

Enfin, conformément à leurs accords, la société RRE devait mettre à la disposition de la société ECR des conducteurs de ligne : après septembre 2013, 37 autres conducteurs ont intégré les effectifs d'ECR, après avoir été recrutés par la société RRE ; 64 candidats ont bien été mis à la disposition d'ECR par RRE ; de plus, les noms de 13 autres candidats ont bien été transmis par la société RRE mais " ont été formés par ECR " ; c'est donc bien un total de 77 conducteurs recrutés par la société RRE qui ont été mis à disposition de la société ECR ce que reconnaît ECR, sans toutefois que le solde soit payé.

La rupture brutale de leur relation par la société ECR ainsi que la concurrence déloyale exercée par cette dernière aura empêché la société RRE de poursuivre le recrutement des autres conducteurs, pour atteindre le nombre total de 116 candidats.

Il est ainsi manifeste que la société ECR a résilié tacitement et abusivement les contrats qui la liaient à la société RRE.

RRE indique qu'il en résulte pour cette dernière un préjudice certain qu'il convient d'indemniser.

Le préjudice résultant pour la société RRE de la rupture unilatérale des contrats entre les sociétés RRE et ECR se calcule donc de la manière suivante : 89 x 21 400 euros = 1 904 600 euros.

C'est cependant à tort que la société ECR a ensuite estimé que RRE aurait dû lui régler la formation des 13 candidats-conducteurs mentionnés ci-dessus, soit la somme forfaitaire de 163 100 euros correspondant au prix d'une session de formation.

En effet, le coût de cette session de formation est déjà inclus dans le montant des factures impayées que la société RRE n'a pas contesté devoir régler à la société ECR.

La société RRE a parfaitement réalisé ses obligations contractuelles : au cours de l'année 2013, avant le mois de septembre, elle avait d'ores et déjà sélectionné 157 candidats, destinés à intégrer la formation de conducteur de trains, pour le compte de la société ECR.

En avril 2013, la société ECR avait renouvelé sa confiance à la société RRE en signant un nouveau contrat portant sur vingt conducteurs.

Du fait de la rupture unilatérale par la société ECR des contrats qui les liaient, la société RRE n'a cependant pu recueillir la juste contrepartie du travail accompli.

La société RRE subit ainsi un préjudice réel et certain lié à la rupture abusive de leur relation contractuelle par la société ECR évalué à la somme de 1 904 600 euros.

Elle est donc en droit de réclamer la condamnation de la société ECR à lui verser la somme de 1 904 600 euros, correspondant aux sommes qu'elle aurait dû percevoir lors de la mise à disposition des conducteurs de ligne, conformément aux termes des différents contrats conclus avec la société ECR.

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie entre les sociétés RRE et ECR : RRE expose qu'elle a débuté sa collaboration avec la société ECR dès le 9 juin 2011 ; dès l'origine de leur relation, ECR était le client exclusif de RRE, et les commissions versées constituaient la totalité de son chiffre d'affaires.

Le cabinet d'expertise-comptable Fiducia-Intergest atteste que le chiffre d'affaires réalisé provient exclusivement de son client unique ECR.

La durée de cette collaboration, son renouvellement par des contrats successifs et son caractère exclusif établissent la stabilité de cette relation.

Sur la rupture brutale, RRE soutient qu'en septembre 2013, ECR a coupé brutalement tout contact avec RRE, et l'a évincée du processus de recrutement qu'elle prenait elle-même en charge, tout en détournant les candidats recrutés par la société RRE pour son compte.

Au regard de l'ancienneté de la relation commerciale (3 ans) et de son caractère exclusif, la société ECR aurait dû respecter, au minimum, un préavis de 12 mois avant de mettre un terme à sa relation contractuelle et commerciale avec la société RRE.

Cette durée correspond surtout à la durée minimum écoulée entre le début du processus de recrutement (3 à 4 mois) et la fin de la formation (9 mois en moyenne) d'un conducteur de train.

Elle soutient qu'elle n'a commis aucune faute et que la société ECR a tacitement mis fin à sa relation avec la société RRE sans faire état d'un quelconque manquement de sa part. Aucun courrier, aucun échange entre les sociétés ECR et RRE avant la rupture ne fait ainsi état d'un quelconque manquement de la société RRE dans l'accomplissement de ses obligations contractuelles. La société ECR n'a jamais officiellement procédé à la rupture de ses relations commerciales avec la société RRE. Elle s'est contentée d'évincer la société RRE du processus de recrutement et de cesser tout contact. ECR était donc seule responsable des résultats des formations qu'elle dispensait. Si ECR pensait que les résultats d'embauche étaient mauvais, elle ne pouvait donc s'en prendre qu'à la piètre qualité de la formation qu'elle dispensait ; aucune faute ne peut donc être imputée à RRE dans l'accomplissement de ses missions.

Cette rupture brutale a causé un préjudice à la société RRE. Cette dernière est ainsi en droit de lui réclamer une indemnité correspondant à une année de marge brute, établie selon une moyenne calculée sur les 3 dernières années.

Le préjudice découlant de la rupture brutale peut donc être évalué de la façon suivante : pour une marge brute réalisée au cours des 3 dernières années de 1 022 394 CHF, la réparation pour un préavis d'une année peut être fixée à 408 958 CHF, soit 377 833,56 euros.

Sur les demandes reconventionnelles de la société ECR la société RRE soutient que la société ECR est à l'origine de la rupture des relations contractuelles la liant à la société RRE et du préjudice en découlant pour cette dernière.

Seuls ces agissements ont empêché la société RRE de remplir ses obligations contractuelles comme elle l'avait toujours fait.

La société ECR ne saurait obtenir une compensation pour un dommage qui n'existe que du fait de son attitude fautive.

Ainsi, la société ECR ne peut demander la restitution des acomptes versés au titre des conducteurs finalement non mis à sa disposition, puisque ce sont ses agissements déloyaux qui ont empêché RRE de remplir complètement ses obligations contractuelles.

Elle ajoute qu'en raison de la rupture de leurs relations commerciales par la société ECR aucune convention de compensation n'a été mise en place pour ces dernières factures, qu'elle n'est toutefois pas opposée à la compensation de ces factures avec le montant des condamnations que la cour prononcera à l'encontre de la société ECR.

L'Office des faillites du Canton de Genève, par conclusions signifiées le 25 juillet 2016, demande à la cour de le dire recevable et bien fondé en son intervention volontaire. Il indique qu'il est chargé des intérêts de la masse et pourvoit à la liquidation de la société RRE par suite du jugement de faillite rendu le 16 mars 2016 par le Tribunal de première instance de Genève.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS :

Considérant qu'il convient de recevoir l'Office des faillites du Canton de Genève en son intervention volontaire ;

- Sur les demandes principales de la société RRE :

- Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie entre la société RRE et la société ECR

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose qu'" engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers

(...) 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

(...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. " ; qu'il résulte de ces dispositions que la gravité du comportement d'une partie à une relation commerciale autorise l'autre partie à mettre fin sans préavis ;

Considérant que les parties ont été en relation à partir du 9 juin 2011 aux termes de contrats par lesquels ECR a confié à RRE le recrutement de conducteurs pour son compte : selon contrat du 9 juin 2011 pour le recrutement de 46 conducteurs de ligne, selon contrat du 10 juillet 2012 pour le recrutement de 40 conducteurs de ligne, selon avenant du 14 septembre 2012 au contrat du 10 juillet 2012 pour le recrutement de 10 conducteurs de ligne supplémentaires, selon par contrat du 2 avril 2013 pour le recrutement de 20 conducteurs de ligne ; que l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties n'est pas discutée ;

Considérant que RRE fait grief à ECR d'avoir procédé elle-même à une partie des recrutements qu'elle lui avait confiés ;

Considérant que, par courrier recommandé du 11 octobre 2013, le conseil suisse de RRE a informé ECR que sa cliente suspendait sine die la poursuite des relations contractuelles, RRE estimant qu'ECR se livrait à des actes de concurrence déloyale en faisant paraître des offres d'emploi (pièce ECR n° 3) ; que, le 16 octobre 2013, RRE a adressé un courriel à tous les auditeurs qui devaient commencer leur formation le 21 octobre 2013, en les informant de l'annulation la formation (pièce ECR n° 4) ; que, par courrier du 23 octobre 2013, ECR a sollicité de RRE qu'elle l'informe sur sa volonté de maintenir ou non les formations prévues au cours des mois d'octobre et de novembre 2013 (pièce ECR n° 5) ; que RRE soutient que la relation commerciale n'était que suspendue dans l'attente d'une solution négociée entre les parties ;

Considérant qu'ECR reconnaît avoir elle-même procédé à des recrutements directs à partir de septembre 2013 et avoir proposé des conditions plus attractives que celles offertes par RRE ; qu'en justifiant ces recrutements par les retards pris par RRE dans l'exécution de sa mission et la mauvaise qualité de la formation, ECR admet que les conducteurs qu'elle a recrutés relevaient du contingent confié à RRE ; qu'il est constant qu'ECR n'a, à aucun moment, ni mis en demeure de respecter ses obligations, ni notifié à RRE ni rupture, même partielle, de la relation, ni préavis de rupture ; que la démarche d'ECR tendait à priver les contrats en cours de leur objet ; qu'elle est constitutive d'une rupture partielle brutale de la relation commerciale établie ; que, par motif substitué, le jugement entrepris sera confirmé ;

Considérant, sur la durée du préavis de rupture, que RRE n'est pas fondée à invoquer un quelconque état de dépendance à l'égard d'ECR, dès lors que cette dernière n'a exigé de RRE aucune exclusivité et que la part d'ECR dans le chiffre d'affaires de RRE ne résulte que du choix délibéré de la société évincée ;

Considérant qu'un préavis de quatre mois doit être considéré comme raisonnable au regard de l'ancienneté de la relation ;

Considérant que les pièces versées aux débats - le rapport de l'expert-comptable Fiducia-Intergest - dont il convient de constater le caractère probant, la cour, qui adopte sur ce point les motifs des premiers juges, dispose d'éléments suffisants pour estimer que la somme de 125 000 euros doit être allouée à RRE ; que le jugement entrepris sera confirmé de ce chef ;

Sur le paiement des prestations réalisées par RRE

Considérant qu'il n'est pas discuté qu'ainsi que l'a retenu le jugement, RRE a perçu des acomptes de 60 % au titre des 116 conducteurs à recruter (3 723 600 euros) et le solde de 40 % sur 27 conducteurs mis à disposition et formés (577 800 euros) ; que 77 conducteurs ont au total été mis à la disposition d'ECR, y compris 13 dont la formation a été annulée par RRE ; que RRE est fondée à réclamer le paiement du solde impayé de 40 % pour 50 conducteurs (77-50), soit 50 x 21 400 euros = 1 070 000 euros ; que, pour les 13 conducteurs mis à disposition, dont il n'est pas discuté qu'ils ont été formés non par RRE, mais par ECR, il convient, comme l'a retenu le tribunal, de réduire la somme due à RRE à hauteur de 163 100 euros, prix d'une session de formation ;

Que, le préjudice invoqué par RRE par suite de l'impossibilité dans laquelle elle a été placée de mettre à disposition 39 conducteurs étant indemnisé au titre de la rupture brutale, c'est à juste titre que le tribunal l'a déboutée de sa demande de ce chef ;

Considérant que c'est à raison que le jugement entrepris a mis à la charge d'ECR la somme de 906 900 euros (1 070 000 - 163 100) ; que la cour condamnera ECR à payer cette somme à l'Office des faillites du Canton de Genève et réformera sur ce point la décision déférée ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société ECR :

Considérant qu'ECR demande la restitution des acomptes versés au titre des 39 (116 - 77) conducteurs non mis à disposition, soit 1 251 900 euros (53.500 euros x 60 % x 39) ;

Mais considérant qu'ECR étant l'auteur de la rupture de la relation commerciale, elle ne saurait se prévaloir d'un quelconque préjudice alors qu'elle a elle-même placé RRE dans l'impossibilité d'exécuter sa mission jusqu'à son terme ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté ECR de sa demande de ce chef ;

Considérant, par ailleurs, que RRE ne conteste pas n'avoir pas réglé deux factures d'un montant total de 652 200 euros (facture n° 90377737 venant à échéance le 26 avril 2013 d'un montant de 326 000 euros TTC et relative à deux formations des 25 février et 4 mars 2013, facture n° 90408944 venant à échéance le 30 juillet 2014 d'un montant de 326 200 euros TTC et relative à deux formations des 10 et 17 juin 2013) ; que la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a condamné RRE au paiement de la somme de 652 200 euros ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit l'Office des faillites du Canton de Genève en son intervention volontaire ; Confirme le jugement entrepris, sauf à dire que la condamnation de la SASU Euro Cargo Rail au paiement de la somme de 906.900 euros l'est au bénéfice de l'Office des faillites du Canton de Genève ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la SASU Euro Cargo Rail aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.