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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 21 décembre 2017, n° 14-23079

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

e Liquide fr (SASU)

Défendeur :

Toulon. e.Clope (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

Mes Pietra, Marchi, Joly, Tebiel, Dorn

T. com. Toulon, du 12 nov. 2014

12 novembre 2014

Vu les articles 455 et 954 du Code de procédure civile,

Vu le jugement contradictoire du 12 novembre 2014 rendu par le Tribunal de Commerce de Toulon,

Vu l'appel interjeté le 5 décembre 2014 par la SARLU e Liquide fr,

Vu les dernières conclusions de la SARLU e Liquide fr, appelante en date du 13 mai 2015,

Vu les dernières conclusions de la SARLU Toulon. e.Clope, intimée en date du 28 avril 2015,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 9 octobre 2017,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,

Il sera simplement rappelé que :

La société e Liquide fr est une société de droit français qui fabrique, distribue et vend des produits

de cigarette électronique ainsi que des produits afférents qu'elle commercialise sur l'ensemble du territoire français notamment par le biais de la vente en ligne et par l'intermédiaire d'un réseau de distribution sélectionné (10 boutiques en France).

Elle a procédé à un dépôt de la marque e Liquide fr le 4 mai 2013 auprès de l'INPI (Institut national de la propriété industrielle) pour la marque e Liquide fr, publié sous le numéro national 13 4 003009.

Elle exploite également un site internet eliquidefr.com, nom de domaine qu'elle a enregistré le 31 janvier 2009.

Reprochant à la société Toulon. e.Clope de commettre à son encontre des actes de concurrence déloyale, elle a obtenu selon ordonnance sur requête présidentielle en date du 18 mars 2014 la désignation d'un huissier en le personne de Maître Patrick Laure à l'effet de :

- de se rendre au siège de la société Toulon. e.Clope ;

- de constater que sont présents à l'intérieur de la boutique, sur une étagère, une vitrine, un comptoir ou un autre support, les produits de la marque e Liquide suivants : flacons de liquide " e Liquide PREMIUM QUALITY ", quel que soit le parfum et la quantité du flacon (5, 20 ou 50 ml), ainsi que tous autres produits fabriqués et commercialisés par la société e Liquide fr ;

- d'obtenir tout document qui prouverait que les produits sont en vente sur place et à défaut constater l'impossibilité de les obtenir ;

- de l'ensemble, dresser rapport.

Selon procès-verbal de constat du 20 mars 2014, Maître Patrick Laure a :

- constaté la présence sur une vitrine exposée à la vue de la clientèle, des flacons de la marque e Liquide fr,

- recueilli les déclarations de monsieur R., gérant, lequel a répondu, à la question de savoir s'il commercialisait les produits e Liquide exposés dans le magasin à la vue de la clientèle :

" Je ne vends pas ce produit qui n'est pas bon. C'est de la merde.

Nous ne vendons que de l'alpha equinol. "

Selon acte d'huissier du 22 avril 2014 la société e Liquide fr a fait assigner à bref délai la société Toulon. e.Clope aux fins de la voir condamner sous astreinte à cesser ses actes continus de dénigrement direct et de retirer les produits concurrents de l'exposition dans son établissement et réparation du préjudice résultant de ces faits.

Suivant jugement contradictoire du 12 novembre 2014 dont appel, le Tribunal de commerce de Toulon a :

- débouté la société e Liquide fr de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la Société e Liquide fr à payer à la société Toulon. e.Clope la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant l'exercice de toutes voies de recours et sans caution ;

- laissé à la charge de la société e Liquide fr les entiers dépens.

En cause d'appel la société e Liquide fr, appelante demande au visa des articles 1382 et suivants du Code civil de :

- réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- dire et juger que la société Toulon. e.Clope s'est rendue coupable d'actes de dénigrement au préjudice de la société e Liquide fr et des produits fabriqués et commercialisés par cette dernière, constitutifs d'une concurrence déloyale ;

en conséquence,

- débouter la société Toulon. e.Clope de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- ordonner à la société Toulon. e.Clope de cesser immédiatement tout dénigrement de la société e Liquide fr et des produits fabriqués et commercialisés par cette dernière, sous astreinte de 200 euros par jour à compter de la signification de la décision à intervenir,

- ordonner à la société Toulon. e.Clope de retirer tous les produits de la société e Liquide fr de son établissement de vente, sous astreinte de 200 euros par jour à compter de la signification de la décision à intervenir,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux journaux d'audience nationale aux frais de la société Toulon. e.Clope ;

- condamner la société Toulon. e.Clope à payer à la société e Liquide fr la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié aux actes de dénigrement,

- condamner la société Toulon. e.Clope à payer à la société e Liquide fr la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'image,

- condamner la société Toulon. e.Clope à payer à la société e Liquide fr la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La SARLU Toulon. e.Clope, intimée, s'oppose aux prétentions de l'appelante, et demande au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil dans ses dernières écritures en date du 28 avril 2015 de :

- débouter l'appelante de ses demandes,

- confirmer le jugement déféré,

- condamner l'appelante à lui payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de l'instance.

****************

La société e Liquide fr fait valoir que par le biais de son activité elle a acquis une forte notoriété sur son nom comme cela résulte de l'importance de son chiffre d'affaires, qui est un gage de sérieux auprès de consommateurs.

Elle ajoute que la société Toulon. e.clope, franchisée de Sudeclope, se livre auprès de la clientèle, à un dénigrement systématique de la société e Liquide fr et de ses produits et détient au sein de son magasin situé à Toulon, plusieurs produits fabriqués par le société e Liquide fr, lesquels sont sur une vitrine exposés à la vue de la clientèle alors même qu'elle ne les vend pas, faute d'en avoir l'autorisation et ce, dans le seul but de les dénigrer.

Elle précise que la preuve du dénigrement dont elle est victime résulte de nombreuses attestations établies par des clients s'étant rendu au magasin de la société Toulon. e.Clope qui indiquent que le vendeur de la société Toulon. e.Clope leur a indiqués que les produits e Liquide fr sont dangereux, qu'ils provoquent des malaises, vertiges, qu'ils ne fallait surtout pas les acheter, que c'était les produits les plus mauvais du marché, d'origine douteuse, d'origine sûrement chinoise.

Elle indique que les imputations malveillantes ne sont pas fondées puisque ses produits sont fabriqués en Angleterre et bénéficient des certificats de conformité.

Que les dénigrements sont également établis par le procès-verbal de constat de l'huissier qui fait foi jusqu'à inscription de faux et que le fait que la société Toulon. e.Clope verse aux débats un constat dressé le 10 juin 2014 duquel il résulte que depuis cette date elle a retiré le produits de la société e Liquide fr de la vitrine de son magasin ne fait que confirmer partie des griefs formulés à son encontre et ajoute que les attestations communiquées par l'intimée sont dénuées de toute force probante, dès lors que la preuve d'un fait négatif ne peut être rapporté.

Elle soutient que ces actes lui causent nécessairement un préjudice et qu'il est nécessaire d'y mettre fin car ses actes de concurrence déloyale sont à l'origine d'une perte de clientèle.

Elle précise que parmi les produits qu'elle commercialise, elle fabrique une gamme de liquides pour cigarettes électroniques dénommée e Liquide Premium Quality dont l'organisation de la production a donné lieu à d'importants investissements ; que compte tenu du résultat d'exercice au 31 décembre 2013 de 990 070 euros, du dénigrement qui a débuté au moins en octobre 2013, de la difficulté à déterminer le nombre de clients réellement détournés elle demande une réparation globale et forfaitaire à hauteur de la somme de 40 000 euros au titre de son préjudice financier, outre la cessation immédiate sous astreinte de tout dénigrement et le retrait de tous les produits de sa marque dans l'établissement de vente de la société Toulon. e.clope.

Concernant l'atteinte à son image elle fait valoir qu'elle est un pionner depuis le 31 janvier 2009 et une société majeure du marché des cigarettes électroniques en France et que ce dénigrement porte gravement atteinte à son image positive ainsi qu'à la confiance que ses clients et partenaires placent en elle qui doit être réparé par l'allocation de la somme de 10 000 euros.

La SARL Toulon. e.Clope fait valoir que son gérant a déclaré à l'huissier que ce sont des clients qui lui ont rapporté ces échantillons E Liquide et que la fille de celui-ci, présente sur les lieux lors du constat, indique que l'huissier n'aurait décliné ni son identité, ni sa qualité et n'aurait pas présenté sa carte et lui aurait posé des questions alors qu'elle effectuait une vente et que c'est pas la suite qu'il se serait adressé au gérant.

Elle précise que le constat ne fait que confirmer que le gérant possède un échantillon d'un produit concurrent et qu'il estime que ce produit n'est pas bon, ce qui n'est qu'un avis personnel émis dans un cadre privé.

Elle dénie tout caractère probant aux attestations en exposant qu'elles relatent les propos de clients présents dans la boutique et non ceux du vendeur (mesdames W.), que celle de monsieur S. a manifestement été faite à la demande de la requérante car elle a été établie le 21 janvier 2014 à 17h 30, ces personnes ayant manifestement un lien avec la société e Liquide fr ; qu'il en est de même avec madame C. , monsieur C., madame B., dont les motifs de la visite dans

l'établissement apparaissent être faites à la demande de la requérante et revêtent un caractère partial.

Elle soutient que les faits de dénigrement ne sont pas démontrés et qu'elle verse aux débats des attestations de nombreux clients qui confirment qu'ils n'ont jamais entendu le gérant tenir des propos tendant à dénigrer les produits concurrents.

Elle ajoute qu'elle ne détient plus de produit distribué par la société e Liquide fr.

A titre subsidiaire elle indique que tous les produits étant appelés e liquides et possédant des noms commerciaux différents il est délicat de retenir qu'elle a été clairement identifiée par les personnes ayant pu entendre les prétendus propos du gérant et si la cour estime que la société e Liquide fr était clairement identifiable, seul un produit aurait été dénigré et non l'ensemble des produits commercialisés par cette dernière.

Elle conteste que la société E liquide fr ait subi un quelconque préjudice.

Ceci rappelé, si le fait d'exposer des produits concurrents ne constitue pas en soi un élément de concurrence déloyale, cette exposition sans motif dans son établissement, dès lors que la société Toulon. e.Clope n'est pas autorisée à les vendre, vient conforter les propos concordants des témoins qui relatent les propos dénigrants portés sur ces produits par le gérant de ce même établissement, servant ainsi de support à ses propos dénigrants.

Le caractère péremptoire de la critique du gérant sur ces produits ne fait que confirmer les déclarations des clients de la société e Liquide fr proférés dans son établissement alors qu'il y avait de la clientèle présente comme cela ressort de l'attestation de sa fille, étant précisé que la validité du constat d'huissier n'est pas valablement contestée et qu'il est par ailleurs confirmé pour partie par l'intimée qui reconnaît la présence des produits litigieux.

Les témoignages très circonstanciés des clients de la société e Liquide fr permettent d'identifier les produits objets de critiques virulentes et malveillantes dès lors qu'elles touchent à la santé des utilisateurs.

Il s'ensuit que la société e Liquide fr est fondée en ses demandes tendant à mettre fin à ces actes de dénigrement fautifs.

Il convient, réformant le jugement, d'ordonner à la société Toulon. e.Clope de cesser immédiatement tout dénigrement de la société e Liquide fr et des produits fabriqués et commercialisés par cette dernière, sous astreinte de 200 euros par jour à compter de la signification de la présente décision et, en tant que de besoin, de retirer tous les produits de la société e Liquide fr de son établissement de vente, sous astreinte de 200 euros par jour à compter de la signification de la présente décision.

Ces propos de dénigrement ont nécessairement occasionné à la société e Liquide fr un préjudice moral pour atteinte à son image et généré un détournement de clientèle en regard des risques sur la santé qui sont attribués à ses produits.

Il convient en conséquence condamner la société Toulon. e.Clope à payer à la société e liquide la somme forfaitaire de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudices confondus.

Ces préjudices étant suffisamment réparé par l'allocation de cette indemnité il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication.

L'équité commande d'allouer à la société appelante la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par l'intimée.

Les dépens renteront à la charge de l'intimée qui succombe.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, Rejette l'ensemble des demandes de l'intimée, Réforme le jugement déféré, Dit que la société Toulon. e.Clope a commis des actes de dénigrement à l'encontre de la société concurrente e Liquide fr, Ordonne à la société Toulon. e.Clope de cesser immédiatement tout dénigrement de la société e Liquide fr et des produits fabriqués et commercialisés par cette dernière, sous astreinte de 200 euros par jour à compter de la signification de la présente décision et, en tant que de besoin, de retirer tous les produits de la société e Liquide fr de son établissement de vente, sous astreinte de 200 euros par jour à compter de la signification de la présente décision. Condamne la société Toulon. e.Clope à payer à la société E liquide fr la somme forfaitaire de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudices confondus, Condamne la société Toulon. e.Clope à payer à la société E liquide fr la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes de l'appelante, Condamne l'intimée aux entiers dépens de première instance et d'appel.