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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 21 décembre 2017, n° 16-00944

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Caviglia Diffusion (SARL)

Défendeur :

Conimast International (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Fisselier, Blanc, de La Taille, Fayard

T. com. Auxerre, du 15 juin 2015

15 juin 2015

Faits et procédure :

La société Conimast International (ci-après " Conimast ") a pour activité, la conception, la fabrication et la distribution d'éclairages publics, de poteaux téléphoniques, de supports d'antennes, et des prestations de galvanisation et de peinture.

Le 14 octobre 2009, elle a signé avec la société Caviglia Diffusion (ci-après " Caviglia "), un contrat d'agent commercial sur plusieurs départements du sud de la France, pour une durée d'une année, renouvelable par tacite reconduction.

Par lettre recommandée avec AR en date du 14 janvier 2014, la société Conimast a notifié à la société Caviglia la résiliation du contrat d'agent commercial, au terme d'un préavis de deux mois.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 12 février 2014, la société Caviglia a contesté cette résiliation et a demandé le paiement d'une somme de 80 050,92 euros au titre de l'article L. 134-12 du Code de commerce, outre une somme de 3 335,45 euros au titre d'un mois complémentaire de préavis, en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce.

N'ayant pas reçu de réponse favorable à cette demande, la société Caviglia a assigné la société Conimast devant le Tribunal de commerce d'Auxerre afin d'obtenir le règlement des sommes litigieuses.

Par jugement du 15 juin 2015, le Tribunal de commerce d'Auxerre a :

débouté la société Caviglia de l'ensemble de ses demandes ;

condamné la société Caviglia à payer à la société Conimast à titre de préjudice qu'elle a subi la somme de 15 000 euros ;

condamné la société Caviglia à payer à la société Conimast à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamné la société Caviglia aux entiers dépens ;

dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire ;

liquidé les frais de greffe à la somme de 70,20 euros.

Vu l'appel interjeté par la société Caviglia le 14 janvier 2016 à l'encontre de cette décision ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 12 septembre 2017 par la société Caviglia par lesquelles il est demandé à la cour de :

recevoir la société Caviglia en son appel ;

au fond, le dire bien fondé ;

réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

condamner la société Conimast au paiement de la somme de 80 050,92 euros, au titre de l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce, ainsi qu'à la somme de 3 345,45 euros au titre de l'article L. 134-11 du Code de commerce, soit au total la somme de 83 386,37 euros avec intérêts de droit à compter du 16 mai 2014, date de l'assignation introductive d'instance ;

débouter la société Conimast de sa demande reconventionnelle ;

condamner en outre la société Conimast au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre aux entiers dépens, ceux d'appel étant distraits au profit de Maître Fisselier sur son affirmation de droit.

Vu les dernières conclusions signifiées le 7 avril 2017 par la société Conimast par lesquelles il est demandé à la cour de :

confirmer le jugement rendu en ce qu'il a, débouté la société Caviglia de ses demandes, consacré la faute contractuelle commise par celle-ci comme son obligation à réparation envers la société Conimast et alloué à cette dernière la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par contre, statuant sur l'appel incident formé par la société Conimast

condamner la société Caviglia à payer, à la société Conimast en réparation du préjudice subi, la somme 153 373,81 euros à titre de dommages et intérêts en raison de l'exécution fautive du contrat d'agent commercial ;

Ajoutant,

condamner la société Cavaglia à payer à la société Conimast la somme de 2 750 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamner enfin la société Caviglia en tous les dépens, d'instance et d'appel, jugeant pour ces derniers que la société Récamier Avocats Associés pourra les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civil.

La société Caviglia soutient qu'elle a droit à l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce qui a pour objet de réparer le préjudice subi au regard de la perte des rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, qu'en l'espèce, en l'absence de faute grave ou de force majeure invoquée, toute clause contraire étant non écrite, y compris le prêt à usage de clientèle qui n'a aucun sens, elle sollicite l'équivalent de deux années de commissions. Elle sollicite également de voir fixer la durée du préavis à trois mois, en application de l'article L.134-11 du même code, et non à deux mois comme l'a fait à tort Conimast.

Elle rappelle que la société Conimast ne fait la démonstration d'aucune faute, que la lettre de résiliation du 14 janvier 2014 ne mentionne pas de faute grave, que bien que l'objectif de chiffre d'affaires de 800 000 euros par an n'ait pas été atteint lors des différents exercices, la société Conimast a souhaité tout de même conserver la relation d'agent commercial, qu'en 2013, la société Conimast a connu une baisse de compétitivité par rapport à ses concurrents qui s'est traduite par une baisse du chiffre d'affaires qui n'est pas imputable à l'activité de la société Caviglia

Sur la demande reconventionnelle de la société Conimast la société Caviglia soutient que même si le raisonnement basé sur le prêt de clientèle apparaît discutable, le contrat énonce clairement que l'agent commercial ne peut être tenu pour responsable " de la perte qui s'avérait, sauf évidemment si elle venait à découler d'une faute caractérisée qui lui serait imputable et qui pourrait être prouvée " (sic), que la société Conimast n'est pas en droit de demander la différence entre la clientèle " prêtée " (800 000 euros/ans) et la valeur de la clientèle " rendue ".

En réponse, la société Conimast soutient que l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce ne permet pas d'allouer automatiquement deux années de commissions à l'agent évincé, que les demandes sont irrecevables, qu'il appartient à l'agent commercial de rapporter la preuve de son préjudice, ce que la société Caviglia ne fait pas, qu'elle n'établit pas avoir acheté la carte correspondant au prix de cession puisque le contrat a été signé sans que la concluante réclame le paiement d'une indemnité d'acquisition de la carte, qu'en l'espèce les parties étaient convenues que Conimast prêtait à Caviglia sa clientèle déjà existante avec laquelle elle réalisait un chiffre d'affaires habituel de 800 000 euros, et ce afin de l'accroître, qu'en l'espèce, la réalité du chiffre d'affaires réalisé par la société Caviglia établie dans le tableau versé aux débats n'est pas contestée, que Caviglia n'a pas respecté son engagement d'accroissement de la clientèle, que la clientèle prêtée n'a pas été restituée, et que le chiffre d'affaires n'a pas été maintenu au même niveau, ce qui a justifié la rupture sans indemnité, que les raisons qui ont contraint la société Conimast à résilier le contrat sont toutes mentionnées dans la lettre du 14 janvier 2014.

Elle sollicite à titre reconventionnel l'indemnisation de la différence de chiffre d'affaires entre le prêt de clientèle évalué à 800 000 euros/an et le chiffre d'affaires dégagé par la société Caviglia de 646 626,19 euros/an au 1er janvier 2014.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 134-12 du Code de commerce " en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi (...) " ;

Que par application de l'article L. 134-13 du même code, cette indemnité n'est pas due en cas de faute grave de l'agent ;

Qu'en l'espèce, compte tenu de l'absence de toute faute grave invoquée, la seule insuffisance de résultats alléguée et l'absence de développement de la clientèle, à les supposer établies, ne sont pas à elles seules constitutives de faute grave, ce d'autant qu'en l'espèce la baisse des résultats provient notamment de ce que la société Conimast a subi un recul de son chiffre d'affaires en raison de la concurrence étrangère entraînant une baisse générale de ses résultats ;

Qu'il ressort au contraire du tableau de chiffre d'affaires cumulé établi par Conimast, prenant en compte la clientèle existante et la clientèle créée, que la société Caviglia a dépassé chaque année la somme de 800 000 euros qui avait été fixée contractuellement ;

Que par application de l'article L. 134-6 du Code de commerce relatif au droit à commissions, il ne peut être déduit, comme le fait à tort la société Conimast la part de clientèle existante générant des opérations sur son secteur ;

Qu'aucune faute grave n'est établie, ni alléguée ;

Qu'il y a lieu par conséquent de faire droit à la demande en paiement par Caviglia d'une indemnité de résiliation en application de l'article L. 134-12 susrappelé et d'infirmer la décision des premiers juges sur ce point ;

Que s'agissant du quantum de cette indemnité de rupture, celui-ci n'est pas réglementé ;

Qu'il est constant que l'indemnité de rupture due à l'agent commercial doit réparer le préjudice subi, résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune ;

Que, selon les circonstances, cette indemnité est généralement fixée à deux ans de commissions ;

Qu'en l'espèce, compte tenu de la durée effective du contrat d'agent commercial pendant quatre ans et de la réalisation d'un chiffre d'affaires à un niveau, selon les années, proche, égal ou supérieur au montant de 800 000 euros fixé comme base de référence, dont l'insuffisance n'est pas caractérisée sur le secteur concerné, nonobstant la baisse d'activité générale constatée, il y a lieu d'accorder à la société Caviglia une indemnité compensatrice de deux années de commissions, fixée sur la moyenne annuelle des trois dernières années de commissions, soit la somme de 80 050,92 euros, dont le décompte n'est pas contesté ;

Considérant qu'en ce qui concerne le préavis, l'application du statut d'agent commercial, d'ordre public, ne dépend pas de la volonté exprimée par les parties limitant le droit à préavis à deux mois ;

Considérant que la durée du préavis est fixée par l'article L. 134-11 du Code de commerce qui énonce que chaque partie à un contrat d'agence à durée indéterminée peut y mettre fin moyennant un préavis sauf faute grave de l'une des parties, que le préavis est fixé à trois mois pour la troisième année commencée et les suivantes ;

Qu'en l'espèce, la société Conimast a accordé à la société Caviglia un préavis de deux mois, sur la base des dispositions contractuelles ;

Mais considérant que les parties ayant débuté la relation d'agence commerciale en 2009 et celle-ci ayant été rompue en 2014, soit au cours de la quatrième année, sans qu'une faute grave ne soit invoquée, la société Caviglia doit être déclarée bien fondée à solliciter une indemnité de préavis complémentaire d'un mois à hauteur de la somme de 3 345,45 euros, sur la base du décompte non contesté par Conimast ;

Que la décision des premiers juges, qui n'avaient pas expressément répondu à cette demande, mais avaient simplement débouté Caviglia de toutes ses demandes, sera également infirmée sur ce point ;

Considérant, sur la demande reconventionnelle de la société Conimast que selon la définition de l'article L. 134-1 alinéa 1 du Code commerce, l'agent commercial est un mandataire professionnel indépendant qui traite au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels ou de commerçants, pour négocier et, éventuellement, conclure " avec la clientèle de ces derniers ", des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services ;

Que la notion même d'agence commerciale inclut la mise à disposition de la clientèle du mandant, sans cession ni location, et que le contrat d'agent commercial ne peut être requalifié en contrat de " prêt de clientèle à usage " ;

Que c'est dès lors à tort que les premiers juges ont fait droit à la demande reconventionnelle de Conimast sur la non-restitution de clientèle ;

Que la décision entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande de la société Caviglia d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, tant pour les frais irrépétibles de première instance que d'appel, à hauteur de 6 000 euros ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, condamne la société Conimast International à payer à la société Caviglia Diffusion les sommes de : 80 050,92 euros au titre de l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce, 3 345,45 euros au titre de l'indemnité complémentaire de préavis prévue par l'article L. 134-11 du Code de commerce, avec intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2014, date de l'assignation ; déboute la société la société Conimast International de toutes ses demandes, condamne la société la société Conimast International à payer à la société Caviglia Diffusion la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Conimast International aux dépens, dont distraction au profit de Maître Fisselier, pour les dépens d'appel, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.