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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 21 décembre 2017, n° 16-05934

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Vérisanté (SAS)

Défendeur :

Assurances de France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mmes Vercruysse, Aldigé

Avocats :

Mes Deleforge, Moulet, Hareng

T. com. Arras du 4 sept. 2016

4 septembre 2016

Faits et procédure :

Les sociétés Vérisanté et Assurances de France sont des sociétés concurrentes de courtage en assurances, spécialisées dans le domaine de la santé.

Elles proposent, par l'intermédiaire d'un réseau de mandataires indépendants, la souscription de contrats d'assurance de personnes à leurs clients.

À ce titre, elles signent avec chacun de leurs mandataires un contrat d'intermédiaire en assurances.

Courant 2014, la SAS Vérisanté est entrée en relation commerciale avec la société Néoliane pour établir un partenariat.

Après une période de pourparlers, la société Néoliane a finalement décidé au début du mois d'octobre 2014 de ne pas contracter avec la SAS Vérisanté.

Estimant que ce revirement était imputable à un courrier adressé le 30 septembre 2014 par la SARL Assurances de France à ses clients et prospects, et notamment à la société Néoliane, la SAS Vérisanté a assigné la SARL Assurances de France devant le juge des référés afin qu'il lui soit enjoint de cesser toute diffusion la nommant, sous astreinte, et qu'elle soit condamnée à lui verser une somme de 3 000 euros à titre de provision sur ses dommages et intérêts.

Dans le même temps, la SARL Assurances de France a mis fin aux contrats de quatre de ses mandataires indépendants au motif qu'ils représentaient également la SAS Vérisanté, en violation de la clause de non concurrence à laquelle ils étaient tenus.

Par ordonnance en date du 10 mars 2015, le juge des référés a constaté l'existence de difficultés sérieuses et rejeté les demandes des parties.

C'est dans ces conditions que par acte en date du 12 février 2015 la SAS Vérisanté a assigné la SARL Assurances de France devant le Tribunal de commerce d'Arras en paiement de dommages et intérêts pour dénigrement commercial.

Par jugement en date du 14 septembre 2016, le Tribunal de commerce d'Arras a :

- débouté la SAS Vérisanté de ses demandes,

- condamné la SAS Vérisanté à payer à la SARL Assurances de France les sommes de :

- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- 500 euros par courrier de débauchage adressé à chaque mandataire de la société Assurances de France,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SAS Vérisanté aux entiers dépens, en ce compris les frais et débours de greffe taxés et liquidés à la somme de 70,20 euros sont TVA 20 %,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel et sans condition de garantie.

La SAS Vérisanté a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions en date du 13 septembre 2017, la SAS Vérisanté demande à la cour d'appel, vu les articles 1382 et suivants du Code civil, de :

- infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau,

- condamner la SARL Assurances de France à lui payer la somme de 575 396 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts au taux légal à compter du jour de signification de l'assignation avec bénéfice de capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

- débouter la SARL Assurances de France de ses demandes reconventionnelles,

en tout état de cause,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais de la SARL Assurances de France,

- condamner la SARL Assurances de France à payer à la SAS Vérisanté la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

À l'appui de ses demandes, elle argue essentiellement :

- que la SARL Assurances de France a commis des actes de dénigrement commercial en adressant aux partenaires actuels ou prospects de la SAS Vérisanté une correspondance de dénigrement afin de les dissuader de poursuivre leur collaboration avec elle,

- que la SARL Assurances de France a également commis des actes de dénigrement ou de parasitisme en démarchant ses mandataires, les incitant à démissionner de leurs fonctions pour la rejoindre, allant jusqu'à leur adresser individuellement des propositions de collaboration en se faisant passer pour elle, et en se livrant à un démarchage commercial déloyal des clients figurant dans son portefeuille, en se faisant passer pour elle,

- que ces actes lui ont causé un préjudice à hauteur de 575 396 euros,

- qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale à l'égard des mandataires travaillant pour la SARL Assurances de France, que cette dernière ne démontre d'ailleurs pas qu'elle ait commis de tels agissements.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 20 janvier 2017, la SARL Assurances de France demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement rendu le 14 septembre 2016 par le Tribunal de commerce d'Arras, sauf en ce qui concerne la condamnation au titre des dommages et intérêts au profit de la société Assurances de France,

- débouter la société Vérisanté de ses demandes,

En réformant partiellement le jugement, vu l'article 1240 du Code civil, et l'article 226-15 du Code pénal :

- condamner la société Vérisanté à payer à la société Assurances de France la somme de :

- 400 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Vérisanté aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions elle soutient principalement :

- que c'est en commettant un délit de violation de correspondance que la SAS Vérisanté a obtenu le courrier électronique adressé par elle le 30 septembre 2014, et qu'aucun délit pénal ne saurait fonder une action en concurrence déloyale,

- qu'elle n'a commis aucun acte de dénigrement commercial ou de concurrence déloyale quel qu'il soit et qu'en tout état de cause l'appelante ne démontre pas son préjudice,

- que la SAS Vérisanté et ses mandataires se sont rendus coupables de parasitisme qui est un élément constitutif d'une concurrence déloyale en débauchant plusieurs de ses mandataires, en démarchant leurs anciens clients, et en adressant aux mandataires travaillant avec elle un courrier de démarchage systématique,

- que ces actes lui ont occasionné un préjudice à hauteur de 400 000 euros.

Motifs de la décision

À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application des dispositions du Code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation.

Sur la concurrence déloyale

Il résulte de la liberté du commerce et de l'industrie, principe constitutionnel issu des lois des 2 et 17 mars 1791, que les entreprises sont libres de rivaliser entre elles pour conquérir et retenir une clientèle.

Aux termes des dispositions de l'article 1382 du Code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

L'article 1383 du Code civil dispose que chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Par ailleurs selon les articles 6 et 9 du Code de procédure civile, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires à leur succès.

L'action en concurrence déloyale a pour fondement non une présomption de responsabilité reposant sur l'article 1384 du Code civil, mais une faute engageant la responsabilité délictuelle de son auteur supposant l'accomplissement d'un acte positif dont la preuve incombe à celui qui se déclare victime.

Elle constitue fondamentalement une action en responsabilité civile, dont l'exercice est subordonné aux conditions classiques de cette responsabilité. Il appartient dès lors à celui qui s'en prévaut d'apporter la preuve d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité.

Si la preuve d'une faute s'avère nécessaire pour le succès de l'action en concurrence déloyale, peu importe, en revanche, la nature de la faute, c'est-il- dire qu'elle soit intentionnelle ou non intentionnelle.

Le déplacement de clientèle qui résulte du jeu normal de la concurrence ne peut donner lieu à réparation. Il convient donc de distinguer, dans le préjudice allégué, la perte résultant des manœuvres déloyales et celle " relevant du jeu normal de la concurrence ".

Sur la demande principale en dommages et intérêts pour dénigrement commercial

Le dénigrement consiste à porter atteinte à l'image de marque d'une entreprise ou d'un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d'arguments répréhensibles ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis en tout cas de manière à toucher les clients de l'entreprise visée, concurrente ou non de celle qui en est l'auteur. Par-là, un professionnel espère bénéficier de la clientèle qu'il aura ainsi détournée d'un de ses concurrents en le présentant ou en présentant ses produits sous un mauvais jour.

Il convient de distinguer le dénigrement de ce qui n'est qu'une critique, de rechercher si les agissements litigieux ont ou non dépassé le droit de libre critique ou de simples critiques anodines, conformes aux usages commerciaux.

Ainsi la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu'elle soit exacte.

La victime du dénigrement doit être nécessairement identifiée, c'est-à-dire soit nommément désignée, soit facilement identifiable.

Le dénigrement peut être véhiculé par tout moyen d'expression (parole, écrit, image ou autre).

Pour être constitué, le dénigrement doit être public : le support des propos dénigrants doit faire l'objet d'une certaine publicité, celle-ci étant indispensable pour que le dénigrement soit susceptible de produire des effets dommageables vis-à-vis de la clientèle. La publicité peut résulter de la nature même du support. Il n'est cependant pas nécessaire que cette publicité présente une certaine ampleur, si celle qui a eu lieu a été susceptible de produire des effets dommageables sur la clientèle.

Sur ce,

Il est constant que le dirigeant de la SARL Assurances de France, M. Thierry L., a adressé le 30 septembre 2014 un courrier électronique à M. Jean Marc C., Mme Séverine M. (société Gieps), M. Eric M. (société Néoliane), M. Philippe B., " g. jeannin " (société CAS Assurances), " p. baudet " (mutuelle MMC) et " c. courtin " (société Groupe Santiane), courrier rédigé dans les termes suivants :

" Mesdames, Messieurs

Depuis 27 ans j'ai toujours eu le souci de la qualité, du service et surtout de l'esprit client.

J'ai dû parfois en tant que courtier suivre vos conseils pour améliorer la qualité de ma production et aussi, sur des conseils avisés, la qualité de mon recrutement de mandataires.

II est m'est arrivé encore dernièrement, pour éviter tout conflit entre courtiers, de laisser tomber quelques affaires afin d'avoir la paix sociale et commerciale. Parfois aussi de me séparer de mandataires.

Je n'ai pas la prétention de vous dicter vos marches à suivre concernant vos ouvertures de codes mais j'ai l'ambition de croire qu'un courtier sain et honnête fera toujours, malgré les difficultés de notre métier, une production saine.

Bien évidemment nous nous reprenons chaque jour de l'année des clients mais celui-ci ne doit en aucun cas être lésé ou trompé à des fins purement financières ou personnelles, voire mercantile.

Je vous fais donc parvenir ci joint une liste de mandataires qui, soit veulent un code à tout prix chez vous (ils sont tous de la même promotion chez ADF) ou sont chez Vérisanté à AIX qui mène une politique de détournement de portefeuille assez surprenante.

Je suis donc en conflit ouvert avec ce courtier car je contacte ma clientèle lorsque qu'un mandataire part chez lui (" ou l'est pendant qu'il est chez moi aussi ") et que sa production dépasse les 3 mois. II m'assigne donc pour diffamation et il me confirme ne pas détourner de clients ADF. Bien sûr nous avons les preuves par attestations du contraire et que ces mandataires ont été contactés par liste de diffusion d'un fichier d'origine inconnue.

Sachez que je défendrai becs et ongles toutes ces affaires qui me sont reprises car il est bien évident qu'à moins de 24 mois, certains d'entre vous s'y retrouvent en me reprenant des commissions et d'un autre coté en commissionnant ce type d'abruti notoire.

Je resterai fidèle à ma ligne de conduite sur la qualité en espérant que des courtiers comme Vérisanté ou comme Mutuelle Avenir gérée par Monsieur T. (" à qui on ouvre un code alors qu'il n'a que 15 jours d'existence' ") disparaissent du marché ou sont réduits par votre implication qualitative au strict minimum: c'est-à-dire rien.

Je ne suis pas un justicier du Courtage mais je me garderai bien à l'avenir de produire pour des partenaires n'exigeant pas les mêmes conditions qualitatives et déontologiques que celles que je m'imposent par respect pour les clients et la survie de nos portefeuilles respectifs.

Cordialement

Je reste votre dévoué.

Thierry L. "

La pièce jointe à ce courrier électronique est constituée d'un tableau comportant les nom, prénom, date de naissance et lieu d'habitation de 7 mandataires, tableau précisant à l'aide d'une colonne dédiée s'ils font partie de " l'équipe Vérisanté ".

Ce courrier électronique dépourvu de toute confidentialité a très bien pu être transféré à la SAS Vérisanté par un de ses destinataires. Aucun élément produit aux débats ne démontre que l'appelante l'ait obtenu par la commission d'un délit de violation de correspondance, de sorte qu'il constitue un élément de preuve recevable.

Il a été adressé à plusieurs compagnies d'assurances, spécialisées dans la santé, et donc partenaires potentiels de la SAS Vérisanté, ainsi qu'à la société Néoliane avec laquelle l'appelante était en cours de pourparlers en vue de la conclusion d'un partenariat. Il est donc revêtu d'un caractère de publicité.

Quant au contenu de ce courrier électronique, il convient de relever les éléments suivants :

- il fait état de la " politique de détournement de portefeuille " menée par Vérisanté, nommément citée,

- le paragraphe suivant renvoyant à " ce courtier " est de manière évidente relatif à la SAS Vérisanté, dans ces développements il affirme que cette société détourne des clients ADF,

- le qualificatif injurieux d'" abruti notoire " se rapporte de façon tout à fait évidente également à la société Vérisanté et à son dirigeant,

- la liste de mandataires jointe comporte une colonne spécifique pour indiquer s'ils sont en contrat avec la SAS Vérisanté ou pas.

Au vu des termes de ce courriel, le dirigeant de la SARL Assurances de France avait donc pour but explicite de jeter le discrédit sur les pratiques de la SAS Vérisanté et de ses mandataires, de les faire disparaître du marché ou d'être réduits à leur strict minimum c'est-à- dire rien (sic) et par la même occasion de l'auto valoriser, en expliquant ne pas être adepte de ce type de pratiques et être un " courtier sain et honnête ".

Ce courrier constitue un acte de dénigrement caractérisé.

Il en est d'ailleurs de même du courrier circulaire adressé par la SARL Assurances de France à tous les clients du portefeuille de M. F. le 04 juillet 2014, rédigé en ces termes :

" Madame, Monsieur,

Vous faites partie de nos clients et nous vous en remercions. Notre métier est aussi de vous informer.

Votre conseiller Monsieur Fabien Léonard ne fait plus partie de nos effectifs mais cela n'affecte en rien vos contrats.

Nous tenons à ne travailler qu'avec des gens respectueux des règles et lois afférentes à notre métier. Son départ de notre société n'est donc pas sans raison'

C'est ainsi que nous voulons vous informer que Monsieur Léonard vous démarchera certainement et tentera de vous faire changer votre contrat, au détriment de vos besoins, pour d'autres cabinets tels que le cabinet Vérisanté (cabinet qui a une sinistre réputation au sein de notre métier).

Ne recevez pas cette personne " Si celle-ci cherche à vous joindre, contactez notre service juridique au 0 820 20 66 83 (0,12€ /min).

Nous vous aiderons dans vos démarches. Nous regrettons de devoir vous écrire cela, mais il en va de vos droits d'être protégés.

Dans le but de toujours vous satisfaire, recevez, Madame, Monsieur, notre dévouement le plus sincère.

Le service juridique

Assurances de France "

Il est d'usage qu'à la fin du partenariat entre une société de courtage et un mandataire, la société adresse aux clients du portefeuille du mandataire un courrier circulaire les informant de ce changement de partenaire, et de l'absence de conséquences de cette modification sur leurs contrats.

En revanche, un tel courrier adressé à tous les clients du portefeuille de M. Léonard, portant atteinte à son honnêteté, à son honorabilité, et laissant entendre qu'ils courraient un danger à lui répondre s'il les contactait, en raison de son partenariat avec la SAS Vérisanté dont l'honnêteté et l'honorabilité sont également mises en doute, constitue un acte de dénigrement caractérisé.

Sur la demande principale de la SAS Vérisanté en dommages et intérêts au titre des agissements de la SARL Assurances de France envers ses mandataires indépendants

Pour la Cour de cassation, le parasitisme économique peut être défini comme " l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.

La concurrence parasitaire entre entreprises concurrentes est une forme de concurrence déloyale qui se développe à travers toute une série de comportements qui ont souvent pour trait commun de provoquer une confusion ou un risque de confusion et où le parasite entend bénéficier de la notoriété d'autrui ou utiliser son travail pour réaliser des économies injustifiées.

En application de l'article 12 du Code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.

En application de ce texte il est constant que si, parmi les principes directeurs du procès, l'article 12 oblige le juge à donner ou à restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes.

La SAS Vérisanté reproche ainsi également à la SARL Assurances de France :

- d'avoir démarché ses mandataires, les incitant à démissionner de leurs fonctions pour la rejoindre, allant jusqu'à leur adresser individuellement des propositions de collaboration en se faisant passer pour elle,

- de s'être livrée à un démarchage commercial déloyal des clients figurant dans son portefeuille, en se faisant passer pour elle.

Elle qualifie ces faits dans ses écritures tantôt de parasitisme, tantôt de dénigrement commercial.

En ce qui concerne en premier lieu le démarchage des mandataires, la SAS Vérisanté produit une attestation d'une de ses mandataires, non accompagnée d'une copie de sa pièce d'identité, affirmant avoir été contactée téléphoniquement directement au cours de l'été 2015 par le dirigeant de la SARL Assurances de France, qui lui a proposé de venir travailler dans son cabinet, avoir mieux à lui proposer, et avoir fait son maximum pour que Vérisanté ne travaille jamais avec Néoliane.

Cette pièce n'est démentie par aucun des documents produits par la SARL Assurances de France.

Par ailleurs, il convient de relever que la similitude parfaite entre les courriers reçus par Vérisanté de la part de MM. M. et C., tous deux postés du même bureau de poste béthunois à plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres de leurs domiciles respectifs, et ce alors que le siège de l'intimée se trouve justement à Béthune, permet de douter de leur sincérité.

Cependant ces seuls courriers, non accompagnés de la proposition de collaboration que la SARL

Assurances de France aurait adressée au nom de Vérisanté à plusieurs mandataires indépendants, sont insuffisants à démontrer que l'intimée ait commis les faits de concurrence déloyale qu'on lui reproche.

En ce qui concerne en second lieu le démarchage des clients, la SAS Vérisanté produit un courrier d'une cliente démontrant qu'elle a été démarchée par M. Hugues C., mandataire indépendant sous contrat avec la SARL Assurances de France, aux fins de souscription d'un nouveau contrat de garantie santé, et qu'à la suite de ce contact téléphonique elle a été rendue destinataire d'un dossier d'adhésion pré rempli, comprenant un courrier également pré rempli de résiliation de son contrat en cours à la prochaine échéance. Elle indique dans son courrier d'abord n'avoir jamais donné son accord à M. C. pour l'envoi d'un tel dossier, et même n'avoir jamais manifesté d'intention d'adhérer à l'offre qu'il lui avait proposée, et ensuite avoir été trompée par ce mandataire qui lui avait indiqué travailler pour Vérisanté et reprendre son dossier à la suite de son prédécesseur qui lui avait fait signer son contrat en cours.

La teneur de ce courrier et de ses pièces jointes n'est pas non plus contredite par les pièces produites par la SARL Assurances de France.

Ainsi la SAS Vérisanté démontre la commission par la SARL Assurances de France de deux agissements, soit de son dirigeant, soit d'un de ses mandataires, pouvant être qualifiés de parasitisme.

Sur le préjudice de la SAS Vérisanté

S'agissant des pourparlers avec la société Néoliane, il convient de relever :

- que par courrier électronique du 25 septembre 2014, la société Néoliane a repris les éléments du partenariat envisagé entre les deux sociétés pour la fin d'année 2014,

- que par courrier électronique du 26 septembre 2014, la société Néoliane a adressé à la SAS Vérisanté la liste des pièces à lui fournir afin d'établir son ouverture de code,

- que la SAS Vérisanté a répondu en lui envoyant les éléments sollicités par courrier électronique du 2 octobre 2014,

- que le 15 octobre 2014, la SAS Vérisanté a adressé à la société Néoliane un courrier électronique dénonçant les termes du mail de M. Lemaire du 30 septembre, n'espérant pas faire changer d'avis la direction, mais simplement apporter sa version des faits.

Il en ressort que la société Néoliane a indiqué à la SAS Vérisanté qu'elle ne conclurait pas le partenariat envisagé, entre le 2 et le 15 octobre 2014, soit quelques jours après l'envoi du courriel de dénigrement de M L.

Les courriers électroniques des 25 et 26 septembre sont rédigés en des termes particulièrement cordiaux, reflétant la qualité des échanges entre les sociétés, et ne font état d'aucun élément de doute ou d'hésitation quant à la conclusion du partenariat envisagé.

Il est certain que la volonté non équivoque de contracter de la société Néoliane aurait été manifestée par l'envoi à la SAS Vérisanté de la convention de partenariat, ce qui ne s'est pas produit en l'espèce.

Les éléments repris ci-dessus démontrent cependant que les pourparlers étaient bien avancés, et bien engagés, au moment où la SARL Assurances de France a adressé au directeur commercial de la société Néoliane, personne en lien direct avec la SAS Vérisanté, son courrier de dénigrement.

La société Néoliane disposait bien entendu de toute latitude pour décider de contracter ou non avec la SAS Vérisanté, quelle que soit la qualité de leurs contacts. Dans ce choix, de multiples critères pouvaient intervenir, à des niveaux divers.

Dans la sommation interpellative qui lui a été adressée par la SAS Vérisanté, le directeur de la société Néoliane a indiqué qu'" après avoir eu un bon contact avec M. P., [il] a fait un point en interne notamment avec [ses] collaborateurs qui travaillent depuis des années au sein de Néoliane, et, sur la base de [leurs] échanges, [il] a pris la décision de ne pas adresser le protocole de partenariat à M. P. pour Vérisanté. "

Il ne fait ainsi pas mention du courriel de la SARL Assurances de France dans les raisons ayant motivé sa décision.

Néanmoins, compte tenu de la teneur du courrier de dénigrement de la SARL Assurances de France et de l'influence que pouvaient avoir de telles affirmations sur le choix opéré par quelqu'un qui affirmait le 25 septembre qu'il était " important que nous puissions débuter ce partenariat sur une base saine et non compromettante pour nos deux entités ", la proximité temporelle entre la décision négative de la société Néoliane et le courriel suffit à démontrer que cet acte de dénigrement a contribué à la décision de la société Néoliane, ce qui a nécessairement causé un préjudice à la SAS Vérisanté, sous la forme d'une perte de chance de contracter qui sera fixée à 40 %.

À défaut d'éléments probants produits par la SAS Vérisanté quant aux bénéfices attendus de ce partenariat, le préjudice de la SAS Vérisanté résultant de cette perte de chance sera évaluée à la somme de 40 000 euros.

S'agissant du courrier circulaire adressé aux clients de M. Léonard et des deux actes de parasitisme retenus ci-dessus, il sera relevé que ces agissements de concurrence déloyale ont causé à la SAS Vérisanté un préjudice qui résulte de la nature même des actions de dénigrement et de parasitisme menées par la SARL Assurances de France, à hauteur de 10 000 euros.

La SARL Assurances de France sera donc condamnée à verser à la SAS Vérisanté la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, et la décision déférée infirmée sur ce point.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts

La loyauté dans l'exercice de la liberté de la concurrence peut être affectée par des agissements qui perturbent le fonctionnement d'une entreprise concurrente ou encore le fonctionnement général du marché.

Dans le cas d'un salarié libre de tout engagement de non concurrence à l'expiration de son contrat, le principe est celui de la liberté d'embauche et il est loisible à un employeur de solliciter le personnel d'une entreprise concurrente.

Cette liberté n'est cependant pas absolue et elle ne doit pas être exercée de manière fautive : il convient donc de rechercher si le procédé litigieux a eu ou n'a pas eu pour objet ou pour effet de désorganiser l'entreprise ou le marché.

De la même manière, tout salarié qui n'est pas lié à son ancien employeur par une clause de non concurrence est fondé, par application de la liberté du travail et de la libre concurrence, à exercer à l'expiration de son contrat de travail la même activité pour son compte ou pour celui d'un nouvel employeur. Dès lors, la concurrence d'un ancien salarié ne peut être considérée comme répréhensible en elle-même, seuls les moyens employés étant éventuellement susceptibles d'engager sa responsabilité s'ils sont jugés déloyaux.

Pour condamner une société pour débauchage fautif, il convient ainsi de vérifier de façon concrète si le transfert des employés a entraîné une véritable désorganisation de l'entreprise concurrente et non une simple perturbation.

La charge de la preuve de cette désorganisation incombe à l'entreprise qui se dit victime des agissements de concurrence déloyale.

Sur ce,

La SARL Assurances de France reproche à la SAS Vérisanté d'avoir :

- sollicité ses mandataires afin qu'ils contractent avec elle,

- adressé à l'ensemble de ses mandataires des courriers de démarchage systématiques les 10 mars et 11 mai 2016.

Elle reproche également à quatre de ses anciens mandataires, passés chez Vérisanté, d'avoir fait signer à leurs clients des contrats Vérisanté, sans leur dire qu'ils avaient changé de partenaire, et parfois en leur faisant renoncer au(x) contrat(s) qu'ils avaient précédemment conclu(s) avec Assurances de France.

Dans ses écritures, elle qualifie ces faits tantôt de débauchage, tantôt de parasitisme.

Sur ce, il convient de rappeler que les mandataires intermédiaires d'assurance sont par définition indépendants, et qu'ils souscrivent pour l'exercice de leur activité des contrats de mandats avec des sociétés qu'ils choisissent. Il est tout à fait conforme aux usages commerciaux en la matière qu'un mandataire change de société partenaire.

Les clients qui ont souscrit un contrat par son intermédiaire intègrent le portefeuille du mandataire.

Il convient en premier lieu de constater que les courriers qualifiés de démarchage par la SARL Assurances de France et datés des 10 mars et 11 mai 2016, sont de simples courriers publicitaires, informant les mandataires indépendants des services offerts par la SAS Vérisanté.

Le seul fait qu'ils leur aient été adressés individuellement n'est pas en soi répréhensible, dans la mesure où la liste des mandataires intermédiaires d'assurance n'a rien de secret, chacun d'entre eux étant immatriculé auprès de l'ORIAS.

Ces faits ne sont donc pas qualifiables d'actes de concurrence déloyale.

Concernant en deuxième lieu la sollicitation des mandataires, la SARL Assurances de France produit une attestation de M. Hugues C. selon laquelle il a été démarché par courrier par le cabinet Vérisanté dont le dirigeant lui aurait indiqué par téléphone que lui et son portefeuille clients seraient les bienvenus chez lui.

Il sera relevé sur ce point que M. C. ne date pas ces événements, et ne joint pas à son attestation le courrier de démarchage qu'il dit avoir reçu.

Par ailleurs le dirigeant de la SAS Vérisanté n'a manifesté son intérêt envers le mandataire qu'après que ce dernier l'ait lui-même recontacté, et dans des termes qui ne contreviennent pas aux usages en la matière, les mandataires intermédiaires d'assurance étant libres de contracter, et les employeurs libres de solliciter le personnel d'une entreprise concurrente.

Le courrier de M. S. indiquant être " comme beaucoup de ses collègues, courtisé par Vérisanté " n'est par ailleurs pas assez spécifique pour permettre de caractériser la commission par l'appelante d'un acte de concurrence déloyale .

Concernant en troisième lieu le départ de quatre mandataires sous contrat avec elle chez la SAS Vérisanté, en violation de la clause de non concurrence figurant à leur contrat, il sera relevé :

- s'agissant de M. Léonard :

- que la SARL Assurances de France ne produit ni le contrat la liant avec ce mandataire, ni un extrait du registre ORIAS démontrant qu'il ait été en même temps sous contrat avec la SAS Vérisanté,

- s'agissant de M. D. :

- que la SARL Assurances de France ne produit pas non plus le contrat la liant avec ce mandataire, ni un extrait du registre ORIAS démontrant qu'il ait été en même temps sous contrat avec la SAS Vérisanté, mais simplement un courrier de rupture du mandat qu'elle lui a adressé le 22 mai 2014, sans motif précisé,

- s'agissant de M. D. :

- qu'elle ne produit pas non plus le contrat la liant avec lui,

- que les autres pièces produites démontrent que ce mandataire, dont le contrat avec la SAS Vérisanté débutait le 30 mai 2014, a adressé à la SARL Assurances de France une lettre recommandée avec accusé de réception de rupture de contrat le 22 mai 2014, de sorte qu'il n'a pas travaillé en même temps pour les deux sociétés,

- s'agissant de Mme B. :

- que l'extrait du registre ORIAS démontre que son partenariat avec la SAS Vérisanté débutait le 30 mai 2014,

- que la SARL Assurances de France lui a adressé le 11 juin 2014 un courrier mettant fin à leur mandat, sans motif précisé,

- que la clause de non concurrence contenue en article 4 de son contrat n'est limitée ni dans le temps ni dans l'espace, et ne saurait donc valoir au-delà du terme du contrat, que la période pendant laquelle elle a effectivement été sous contrat avec les deux sociétés est comprise entre le 30 mai et le 11 juin 2014.

Seul le fait de contracter avec Mme B. serait donc susceptible d'être considéré comme fautif pour la SAS Vérisanté, présumée s'être renseignée auprès de sa cocontractante quant à sa liberté de contracter, et présumée donc être informée de la clause de non concurrence figurant à son contrat.

Cependant la SARL Assurances de France ne soutient ni ne démontre que le départ de cette mandataire ait causé une désorganisation quelconque au sein de cette entreprise.

La faible durée de chevauchement entre les contrats ne permet par ailleurs pas d'inférer la désorganisation de la seule concomitance des deux contrats de mandat pour deux entreprises concurrentes.

Concernant en quatrième et dernier lieu les contrats conclus par ces quatre mandataires avec leurs clients pour Vérisanté, en ayant omis de leur dire qu'ils ne travaillaient plus pour la SARL Assurances de France, et parfois en leur faisant renoncer à leur contrat conclu précédemment avec elle, l'intimée produit :

- un courrier d'une cliente, Mme A., portant résiliation du contrat souscrit avec M. D. le 16 juin 2014,

- deux " fiche[s] client rouge[s] suite contrôle des rdv de Mr D. ".

Il sera noté sur le courrier de Mme A., que sa résiliation est principalement motivée par le fait qu'elle se soit aperçue que les garanties du nouveau contrat n'étaient pas les mêmes que celles dont elle bénéficiait avec le contrat précédent.

Elle mentionne sans en tirer argument ou conséquence que lorsqu'il est venu lui proposer ce nouveau contrat il ne lui a pas précisé qu'il ne travaillait plus pour ADF mais pour Vérisanté. Elle n'indique aucunement qu'il lui aurait menti sur la société avec laquelle il travaillait.

Le seul fait pour un mandataire de la SAS Vérisanté de proposer un nouveau contrat à une des clientes de son portefeuille, cette dernière disposant de la liberté de contracter ou non, n'est pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale.

La première fiche du 1er juillet 2014 fait simplement état de ce qu'un client a signé un contrat mutuelle avec M. D. " pour le compte de la société Vérisanté ", tandis que la seconde fiche du 2 juillet 2014 relate qu'un client qui avait souscrit un contrat mutuelle ADF par l'intermédiaire de M. D. le 29 avril 2014 a souscrit par le même intermédiaire un contrat obsèques le 13 juin 2014.

Ces deux événements relèvent simplement pour M. D. de l'exécution de son travail, et pour le client de sa liberté de contracter, et non d'actes de concurrence déloyale.

La SARL Assurances de France qui échoue à démontrer de la part de la SAS Vérisanté la commission d'actes de concurrence déloyale à son encontre sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts, et la décision déférée infirmée sur ce point.

Sur la publication de la décision

Le préjudice de la SAS Vérisanté est justement indemnisé par l'allocation de dommages et intérêts, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner en plus la publication de la présente décision.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En application des articles 696 et 700 du Code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Il y a lieu de réformer la décision déférée du chef des dépens et des frais irrépétibles.

La SARL Assurances de France, partie perdante, sera condamnée au paiement des entiers dépens du premier degré et d'appel et à payer à la SAS Vérisanté la somme de 4 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau : Condamne la SARL Assurances de France à verser à la SAS Vérisanté la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, Déboute la SARL Assurances de France de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts, Y ajoutant : Déboute la SAS Vérisanté de sa demande de publication de la présente décision, Condamne la SARL Assurances de France aux entiers dépens de première instance et d'appel, Condamne la SARL Assurances de France à verser à la SAS Vérisanté la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens.