CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 janvier 2018, n° 15-06194
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Landrix
Défendeur :
Esprit Sushi (SA), Gorrias (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Régnier, Thréard, Benoit, Teytaud, Dalat
Faits et procédure
Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 16 février 2015 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
- débouté la société Seramb de l'ensemble de ses demandes,
- condamné in solidum la société Seramb et M. Landrix à payer à la société Esprit Sushi la somme de 32 089,29 au titre des sommes facturées, avec intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2014 ainsi que la somme de 3 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- condamné in solidum la société Seramb et M. Landrix aux dépens ;
Vu l'appel relevé le 20 mars 2015 par M. Landrix à l'encontre de la société Esprit Sushi et l'ordonnance du 10 juillet 2015 arrêtant l'exécution provisoire du jugement ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 3 août 2015 par la société Esprit Sushi qui demande à la cour, au visa de l'article 564 du Code de procédure civile et des articles 1134 et suivants du Code civil, de :
- dire irrecevables les prétentions nouvelles en cause d'appel de M. Landrix relatives à l'indemnisation de son apport en compte courant à la société Seramb et au montant cautionné à l'égard de la Banque populaire,
- la déclarer recevable et bien fondée en toutes ses demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* jugé qu'elle avait respecté ses obligations pré-contractuelles et contractuelles et que le contrat en litige a été résilié aux torts exclusifs de la société Seramb,
* condamné solidairement la société Seramb et M. Landrix à lui payer la somme de 32 089,29 avec intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2014 ainsi que la somme de 3 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :
* condamner M. Landrix à lui payer les sommes de 61 458,15 en réparation de son préjudice financier, 30 000 en réparation de son préjudice moral et 20 000 en réparation du préjudice subi du fait de l'exploitation de son enseigne sans autorisation,
* ordonner à M. Landrix de cesser toute exploitation de l'enseigne Esprit Sushi sur quelque support que ce soit, sous astreinte de 500 par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
* se réserver la liquidation de l'astreinte,
- condamner M. Landrix aux dépens et à lui payer la somme de 5 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu la liquidation judiciaire de la société Esprit Sushi prononcée le 4 octobre 2016 ;
Vu l'assignation en intervention forcée à la requête de M. Landrix, délivrée le 23 novembre 2016 à la société BTSG prise en la personne de Me Gorrias, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Esprit Sushi, au visa de l'article 132 du Code de procédure civile, des articles 1108, 1110, 1116 et 1382 du Code civil ainsi que des articles L. 330-3 et L. 622-22 du Code de commerce, afin de :
- déclarer recevable et bien fondée l'assignation en intervention forcée et la reprise d'instance de la société BTSG, ès-qualités,
- déclarer son appel recevable et fondé,
- écarter des débats les pièces de la société Esprit Sushi numérotées de 1 à 80 qui ne lui ont pas été communiquées,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, l'a condamné à payer à la société Esprit Sushi la somme de 32 089,29 ainsi que celle de 2 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamné aux dépens,
- statuant à nouveau :
* dire ses demandes recevables et dire irrecevables celles de la société Esprit Sushi formées contre lui,
* dire que la société Esprit Sushi a commis une faute engageant sa responsabilité à son égard en ayant manqué à son obligation légale d'information pré-contractuelle et en ayant communiqué des informations trompeuses préalablement à la conclusion du contrat qu'elle a signé avec la société Seramb le 30 avril 2012,
* dire que les différents manquements de la société Esprit Sushi lui ont causé des préjudices directs, engageant ainsi sa responsabilité délictuelle à son égard,
* débouter la société Esprit Sushi de son appel incident ainsi que de l'intégralité de ses demandes,
* constater la créance de M. Landrix sur la société Esprit Sushi et la fixer comme suit : 98 500 au titre du remboursement de son compte courant, 59 512 au titre des sommes qu'elle doit rembourser à la Banque populaire et 10 000 pour préjudice moral,
* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 3 quotidiens ou mensuels nationaux ou régionaux, à son gré, aux frais de la société Esprit Sushi sans que le coût de chaque insertion excède la somme de 5 000 HT,
- condamner la SCP BTSG, ès-qualités, aux dépens et à lui payer la somme de 8 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu la clôture de l'instruction prononcée le 7 novembre 2017 ;
Vu les conclusions du 15 novembre 2017 par lesquelles la société BTSG, ès-qualités, demande la révocation de l'ordonnance de clôture et développe ses prétentions sur le fond du litige ;
Vu les conclusions de procédure notifiées le 28 novembre 2017 par lesquelles M. Landrix demande à la cour de constater qu'il n'existe aucune cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture et de déclarer irrecevables les conclusions régularisées le 15 novembre 2017 par la SCP BTSG, es qualités de liquidateur judiciaire de la société Esprit Sushi ;
Vu les conclusions du 5 octobre 2015 de la société Esprit Sushi ;
SUR CE
En l'absence de cause grave, il n'y a pas lieu à révocation de l'ordonnance de clôture.
L'ordonnance de clôture n'ayant pas été révoquée, les conclusions de la SCP BTSG, ès qualités, doivent être déclarées irrecevables par application de l'article 783 du Code de procédure civile.
La société Esprit Sushi ne justifiant pas avoir communiqué les pièces visées dans ses conclusions, ses pièces numérotées 1 à 80 doivent être écartées des débats.
Contrairement à ce qui est prétendu, les demandes nouvelles de M. Landrix en appel sont recevables en raison de la survenance d'un fait nouveau, à savoir l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Seramb le 20 janvier 2015 après la clôture des débats devant le tribunal, qui ne rend plus possible le remboursement du compte courant de M. Landrix et entraîne la mise en jeu de son engagement de caution par la Banque populaire.
Il apparaît des pièces versées aux débats par M. Landrix que la société Esprit Sushi a été constituée le 20 août 2008 avec pour activité la commercialisation de machines alimentaires ainsi que, de manière générale, la réalisation de toutes opérations se rattachant à l'alimentaire ; sur son site internet, cette société expliquait avoir mis au point un concept innovant " clé en main " reposant sur la fabrication semi-automatisée de sushi frais de grande qualité, grâce à des matériels de fabrication brevetés et un approvisionnement en produits de qualité ; elle y précisait s'être spécialisée dans l'aménagement et l'ameublement de locaux.
Intéressé par ce concept, M. Landrix s'est rapproché de la société Esprit Sushi qui lui a adressé un document d'information précontractuelle le 5 avril 2012 ; le 23 avril 2012, M. Landrix a constitué la société Seramb dont l'objet était le commerce de restauration sur place, à emporter ou à livrer.
Un contrat d'une durée de 5 ans a été signé le 30 avril 2012 entre la société Esprit Sushi, désigné comme " le concédant ", et la société Seramb représentée par M. Landrix, désignée comme " le partenaire en distribution exclusive " ; en préambule, il était rappelé que l'activité de la société Esprit Sushi reposait sur sa maîtrise à proposer à ses clients des concepts " clé en main " incluant la fourniture de matériel associée à la vente de prestations et de consommables ainsi qu'un accompagnement de formation, de service après-vente et de marketing, étant ajouté que le système de concession se caractérisait en particulier par un accompagnement continu du partenaire par le concédant.
Ce contrat stipulait que le concédant accordait à son partenaire le droit d'utiliser la marque commerciale Esprit Sushi et le droit d'exploiter un point de vente à Bourgoin Jallieu dans le but exclusif d'y vendre sa gamme de produits, services et consommables.
Il y était mentionné notamment, au titre des obligations incombant au concédant, que celui-ci :
- mettait à la disposition de son partenaire le savoir-faire qu'il avait développé et le tiendrait informé des évolutions futures liées au concept de point de vente Esprit Sushi,
- assurerait la formation de son partenaire,
- s'engageait à honorer les commandes de son partenaire - lequel devait s'approvisionner en consommables exclusivement auprès de lui à hauteur de 95 % - et garantissait la qualité, la fraîcheur et la conformité des produits fournis,
- s'engageait à lui vendre un ensemble de matériels nécessaire à l'exploitation de son activité.
A l'article 5 du contrat relatif aux conditions financières, il n'était prévu aucun droit d'entrée ni redevance sauf si le partenaire ne s'approvisionnait pas ou plus auprès du concédant, auquel cas il devrait lui payer un droit d'entrée de 25 000 et une redevance de 5 % sur son chiffre d'affaire HT annuel.
Le 30 avril 2012, la société Seramb a signé un bon de commande pour un montant total de 392 178,48 TTC ; pour financer son projet elle a obtenu un prêt de 400 000 de la Banque populaire, garanti à concurrence de 24 % de son encours par la caution de M. Landrix.
Courant 2013, M. Landrix a reproché à la société Esprit Sushi le caractère excessif du prix des produits livrés et leur mauvaise qualité ; il a alors cessé de s'approvisionner auprès d'elle. La société Esprit Sushi a réclamé paiement du droit d'entrée et des redevances et, n'obtenant pas satisfaction, a notifié la résiliation du contrat le 15 janvier 2014.
Sur les demandes de M. Landrix
M. Landrix fait valoir, au soutien de ses prétentions, que le consentement de la société Seramb a été vicié lors de la signature du contrat en raison des manœuvres frauduleuses de la société Esprit Sushi pour l'amener à contracter, ce qui entraîne la nullité du contrat, et que ces manœuvres, qui l'ont poussé à investir personnellement dans la société Seramb, lui ont causé un préjudice.
Il allègue que la société Esprit Sushi a été déloyale pendant la phase précontractuelle en retenant par devers elle certaines informations capitales pour le consentement de la société Seramb et en lui communiquant des informations trompeuses sur la rentabilité de son concept.
En premier lieu, il prétend que le document d'information précontractuelle est insuffisant et non conforme à l'article L. 330-3 du Code de commerce pour les raisons suivantes :
- il ne comporte aucune présentation du marché local,
- il ne contient pas la liste des entreprises liées à la société Esprit Sushi par un contrat identique à celui de la société Seramb,
- il ne mentionne pas d'informations sur les difficultés financières rencontrées par les franchisés et les dépôts de bilan déjà intervenus dans le réseau avant la signature du contrat comme celui de la société Carine Hoang,
- il avance un chiffre de 60 000 au titre des investissements à engager avant de commencer l'exploitation alors qu'au final c'est la somme de 390 000 que la société Seramb a investie ;
En second lieu, il expose que la société Seramb a été trompée et a commis une erreur sur la rentabilité du concept Esprit Sushi, la marge annoncée de 85 % étant impossible à atteindre en raison du prix très élevé des marchandises ; il souligne que sur les 17 restaurants ouverts sous l'enseigne Esprit Sushi, 12 sont fermés ou ont déposé le bilan.
Même s'il apparaît que le document d'information précontractuelle ne satisfait pas entièrement aux prescriptions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce et si la rentabilité annoncée - mais non promise - était exagérée, M. Landrix ne démontre pas que son consentement en avait été vicié. Au demeurant, la société Seramb devait procéder à une étude de marché local avant de signer le contrat et au 30 avril 2012, date de la signature du contrat et du bon de commande qui avait été précédé d'un devis du 10 avril 2012, elle était parfaitement informée du coût global de ses investissements ; la preuve n'est pas rapportée de manœuvres frauduleuses commises par la société Esprit Sushi ayant eu pour effet de vicier le consentement de la société Seramb et, partant, d'engager la responsabilité de cette société à l'égard de M. Landrix ; en conséquence, toutes les demandes de M. Landrix doivent être rejetées et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes de la société Esprit Sushi
La société Esprit Sushi n'explique pas pour quelle raison M. Landrix serait tenu personnellement de la somme de 32 089,29 facturée à la société Seramb ; toutes ses pièces ayant été écartées des débats, la société Esprit Sushi, qui ne justifie pas du bien fondé de ses demandes, en sera déboutée et le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Chacune des parties qui succombe en ses prétentions gardera la charge de ses dépens ; vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité de ce chef à l'une ou l'autre des parties.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris, sauf sur la condamnation de M. Landrix à payer la somme de 32 089,29 à la société Esprit Sushi, l'infirme sur ce point, et statuant de nouveau, déboute la société Esprit Sushi de cette demande, constate que la SCP BTSG, prise en la personne de Me Gorrias, a été assignée en intervention forcée devant la cour, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Esprit Sushi, rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, déclare irrecevables les conclusions notifiées le 15 novembre 2017 par la SCP BTSG, ès- qualités, écarte des débats les pièces de la société Esprit Sushi numérotées 1 à 80, déboute M. Landrix de toutes ses demandes, déboute la société Esprit Sushi de toutes ses demandes, dit que chacune des parties gardera la charge de ses dépens de première instance et d'appel, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.