CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 janvier 2018, n° 15-10161
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ceram Concept France (SARL)
Défendeur :
Medacta France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Cheviller, Bremond, Vaisse
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Medacta France (ci-après Medacta), créée en 1999, est une société spécialisée dans la distribution en France de prothèses et d'implants orthopédiques, pour la plupart fabriqués par sa société mère, Medacta International.
La société Ceram Concept France SARL (ci-après Ceram), créée en 2005, est une société spécialisée dans la conception et la distribution de prothèses médicales à travers l'Union européenne. En particulier, elle commercialise des prothèses de hanche.
Par courrier du 19 octobre 2005, la société Ceram a indiqué à la société Medacta que, comme convenu avec MM. Gagna et Catimel, chirurgiens de la clinique du Pré au Mans, à compter du 24 octobre 2005, elle facturerait les prothèses du genou Medacta et que celle-ci devait lui verser directement les commissions dues pour la période du 1er septembre au 21 octobre 2005.
Selon contrat " de distribution et commissions " daté du 22 janvier 2007, prenant effet rétroactivement au 21 novembre 2006, les sociétés Medacta et Ceram, après avoir rappelé que Ceram s'était adressée à Medacta pour assurer l'approvisionnement de ses clients en France, ont convenu que Medacta confierait à Ceram la distribution de ses " implants désignés en annexe " (essentiellement du genou), ce, selon deux types de modalités différentes :
- soit en fournissant directement Ceram afin que celle-ci distribue à quatre chirurgiens limitativement énumérés à l'annexe I, moyennant un prix " TIPS " diminué d'une remise variant de 30 à 37 % (article 1),
- soit en assurant elle-même la distribution auprès de deux clients de Ceram limitativement énumérés à l'annexe II, à savoir les Dr Gagna et Catimel de la clinique du Pré, moyennant le paiement par Medacta à Ceram d'une commission de 35 % (article 2).
Le contrat était conclu pour une durée indéterminée et résiliable par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec avis de réception avec préavis de six mois.
Selon avenant n° 1 du 24 avril 2009, le lieu d'exercice d'un des chirurgiens (Dr Grenier) a été modifié.
Par courrier recommandé AR du 29 juin 2010, la société Medacta a notifié à la société Ceram son intention de résilier le contrat avec application d'un préavis de six mois, en soulignant une absence totale d'activité au sein d'une des cliniques. Le contrat s'est toutefois poursuivi au-delà du terme annoncé.
Selon avenants n° 2 et 3 du 30 décembre 2011 (le premier prenant effet rétroactivement au 1er février 2011), trois nouveaux chirurgiens - les Dr Bensadoun, Vial et Sinet - ont été ajoutés à la liste de l'annexe II relative à la distribution par Medacta.
Le chiffre d'affaires procuré à la société Medacta par l'activité de distribution de la société Ceram, prévue à l'article 1 du contrat, a été en baisse constante de 2007 à 2012 et inexistant en 2013.
Selon courrier recommandé AR du 28 juin 2013, la société Medacta a notifié à la société Ceram la résiliation du contrat avec un préavis de six mois, soit pour le 31 décembre 2013, date postérieurement à laquelle les relations des parties ont cessé.
C'est dans ce contexte que le 16 juin 2014, la société Ceram a assigné la société Medacta en indemnisation au titre de la concurrence déloyale pour détournement de clientèle et au titre de la révocation abusive de mandat.
Par jugement du 30 mars 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Ceram Concept France de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la société Ceram Concept France à payer à la société Medacta France la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- condamné la société Ceram Concept France aux dépens de l'instance.
Vu la déclaration d'appel du 26 mai 2015 de la société Ceram ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 24 juillet 2015 par la société Ceram, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce du 30 mars 2015 en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
- constater que la société Medacta a pratiqué un démarchage parfaitement déloyal à l'encontre de la société Ceram Concept ;
- constater qu'il a existé entre la société Medacta et la société Ceram Concept un mandat d'intérêt commun ;
- constater l'absence de juste motif de révocation de ce mandat ;
Par conséquent,
- dire et juger que la société Medacta est responsable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Ceram Concept ;
- condamner la société Medacta à payer à la société Ceram Concept la somme de 130 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;
- dire et juger que la société Medacta a engagé sa responsabilité contractuelle envers la société Ceram Concept en révoquant le mandat d'intérêt commun existant entre les parties sans juste motif ;
- condamner la société Medacta à payer à la société Ceram Concept la somme de 307 496 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la révocation abusive du mandant d'intérêt commun existant entre les parties ;
- condamner la société Medacta à payer à la société Ceram Concept, la somme de 12 000 euros toutes taxes comprises au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens au titre de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 22 septembre 2015 par la société Medacta, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles 1134 du Code civil et L. 134-15 du Code de commerce, R. 4127-5, R. 4127-8, R. 4127-33 du Code de la santé publique,
- dire et juger la société Ceram Concept irrecevable et en toute hypothèse mal fondée en son appel, au demeurant abusif ;
- dire et juger que la société Ceram Concept ne prouve aucun fait de démarchage déloyal ;
- dire et juger que la société Ceram Concept ne prouve ni en droit ni en fait l'existence d'un contrat d'agent commercial ni d'un mandat d'intérêt commun ;
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- condamner la société Ceram Concept à verser à la société Medacta France, au titre de la procédure d'appel, la somme additionnelle de 12 000 euros sauf à parfaire au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- la condamner aux dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 octobre 2017.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS :
- Sur la demande indemnitaire au titre de la concurrence déloyale :
Vu l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Ceram reproche tout d'abord à Medacta de l'avoir concurrencée de façon déloyale pendant l'exécution du contrat du 22 janvier 2007 en détournant un de ses clients, la clinique du Pré, à qui Medacta a vendu ses prothèses sans lui verser les commissions qui lui revenaient.
Or, ainsi que le soutient avec exactitude Medacta, le contrat " de distribution et commissions " litigieux, aux termes de ses stipulations expresses en particulier en son article 2, qu'elles soient d'origine ou modifiées par les avenants, n'avait pas de portée générale et précisait de façon très claire et limitative que Ceram n'avait droit à des commissions, concernant cet établissement de santé, que sur la vente de la seule prothèse du genou Evolis, à l'exclusion de tout autre implant ou produit. En effet, le contrat concerne seulement " les implants désignés en annexe " - ce qui induit leur caractère exhaustif - et l'annexe (II), qui est constituée d'un tableau, indique sans ambiguïté pour les Dr Gagna et Catimel de la clinique du Pré, dans la colonne produit, le " genou Evolis " uniquement.
Par suite, Ceram ne justifie nullement de la concurrence déloyale alléguée et ainsi qu'elle a été indûment privée de commissions au titre de la distribution par Medacta de la prothèse du genou " GMK Primary " - dont la similitude avec " Evolis " n'est d'ailleurs pas prouvée - et de la méthode chirurgicale de pose " My Knee ", qui en toutes hypothèses n'est pas un implant, ces produits n'étant pas inclus dans le contrat. Medacta observe d'ailleurs avec raison que la liberté de prescription des médecins implique de fournir à ceux-ci les produits qu'ils choisissent librement au regard de leurs besoins, leurs contraintes et des offres qui leur sont faites.
C'est donc à bon droit que Ceram a été déboutée par les premiers juges de sa demande indemnitaire à ce titre, par de pertinents motifs que la cour adopte et qu'aucun nouveau moyen de droit ou de fait en appel ne permet de remettre en cause.
- Sur la demande indemnitaire au titre de la révocation abusive de mandat :
Vu les articles 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ainsi que L. 134-1 et suivants du Code de commerce ;
En second lieu, Ceram fait grief à Medacta d'avoir révoqué de façon abusive le contrat, puisque sans motif, alors qu'il s'agissait d'un mandat d'intérêt commun qui ne peut être révoqué que par le consentement mutuel des parties, sur un motif légitime reconnu en justice ou conformément aux clauses du contrat. Elle prétend à cet égard avoir eu une activité " apparentée " à celle d'agent commercial pour la clinique du Pré dès 2006 et pour les quatre autres chirurgiens à compter du 1er février 2011 et avoir été le mandataire " non statutaire " de Medacta.
Or, ainsi que l'ont exactement apprécié les premiers juges, Ceram ne rapporte pas la preuve qu'elle bénéficiait du statut d'agent commercial, lequel peut certes être reconnu au mandataire même si celui-ci n'est pas inscrit au registre idoine tenu au tribunal de commerce et même s'il est l'objet accessoire du contrat et que ledit contrat ne l'a pas expressément prévu. En effet, Ceram ne démontre nullement que, dans les modalités de l'exercice de son activité, elle bénéficiait stricto sensu d'un mandat de Medacta et qu'elle satisfaisait à la condition substantielle d'indépendance inhérente au statut d'agent commercial, puisque :
- concernant son activité prévue à l'article 1 et à l'annexe I du contrat, elle était simple distributrice (soit, acheteuse puis revendeuse) des produits Medacta, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté,
- concernant son activité prévue à l'article 2 et à l'annexe II du contrat, selon lesquels elle était certes rémunérée par commissions sur les ventes, ce droit à commissions, d'une part, venait rémunérer sa présentation à Medacta de ses propres clients, et, d'autre part, était expressément limité aux " clients limitativement énumérés " au contrat d'origine (soit les Dr Cagna et Catimel de la clinique du Pré), l'ajout d'un nouveau client ne pouvant intervenir qu'avec l'accord de Medacta, formalisé par un avenant dûment signé entre les parties, comme cela fut le cas pour les avenants n° 2 et 3 du 30 décembre 2011, sans qu'il soit stipulé que Ceram avait la mission générale, pour le compte de Medacta, de rechercher et trouver des nouveaux clients à celle-ci.
Pour les mêmes raisons, Ceram n'établit pas non plus avoir été le mandataire d'intérêt commun de Medacta, indépendamment d'agent commercial, l'intéressement à la vente perçu par le biais des commissions versées étant insuffisant pour caractériser un tel mandat.
En effet, comme cela a été dit, l'objet du contrat (article 2) était de lui conférer un droit à commissions sur les ventes faites par Medacta des produits Medacta, limitativement prévus, aux clients, limitativement convenus et listés, que Ceram lui avait présentés, de sorte que les premiers juges ont pu en déduire à bon droit que le rôle de Ceram avait été celui, limité, d'agent d'affaires, rémunéré à raison de ses seules présentations de nouveaux clients, sous réserve que ceux-ci, ainsi que les implants concernés, soient expressément approuvés par le vendeur. Il est d'ailleurs démontré et observé avec raison par Medacta, nonobstant les dénégations de Ceram, que, concernant les médecins Gagna et Catimel, Ceram a succédé à la société espagnole Orsedis qui auparavant était sous contrat similaire avec Medacta, mais ce, pour la distribution de tous les implants orthopédiques Medacta et non pour les seules prothèses du genou Evolis, comme Ceram, ce qui corrobore le rôle très restreint que les parties ont entendu assigner à celle-ci dans le contrat du 22 janvier 2007.
Par suite, il apparaît que c'est à bon droit que le 28 juin 2013, Medacta a notifié la résiliation du contrat avec application et respect du préavis contractuel de six mois, s'agissant d'un contrat mixte à durée indéterminée auquel chaque partie pouvait librement mettre fin sans justifier des motifs présidant à sa décision.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a, par des motifs que la cour fait siens, débouté Ceram de sa demande indemnitaire au titre de la prétendue révocation abusive du mandat.
Ceram qui succombe supportera les dépens de l'appel. L'équité commande d'allouer à Medacta la somme supplémentaire de 8 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Ceram Concept France SARL à payer à la société Medacta France la somme de 8 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Ceram Concept France SARL aux dépens.