CA Lyon, 1re ch. civ. A, 11 janvier 2018, n° 15-01737
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SCI Du Pont
Défendeur :
Société d'Economie Mixte de Construction du Département de l'Ain
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bernaud
Conseillers :
Mme Clément, M. Nicolas
Avocats :
SCP Elisabeth L. de M. & Laurent L. Avoués Associés, Selarl Lega-Cité
Par acte notarié du 27 février 2014 la société SEMCODA a vendu en l'état futur d'achèvement à la SCI Du Pont un appartement et deux garages dépendant d'un ensemble immobilier en construction soumis au régime de la copropriété situé à Bourg-en-Bresse (Ain) moyennant le prix de 399 471,58 TTC.
Une somme de 139 815,06 a été versée par l'acquéreur le jour de la signature de l'acte de vente,le solde du prix devant être réglé de façon échelonnée selon l'état d'avancement des travaux.
Les appels de fonds successifs adressés à la SCI Du Pont par la venderesse n'ont pas été honorés, ni régularisés, ce qui a fait obstacle à la livraison.
Après une mise en demeure infructueuse du 5 janvier 2015, la société SEMCODA a fait délivrer le 20 janvier 2015 à la SCI Du Pont un commandement de payer la somme de 259 656,52 , outre pénalité de retard de 13 582,02 , visant la clause résolutoire contractuelle.
Il n'a pas été donné suite à ce commandement dans le délai d'un mois, ce qui a conduit la société SEMCODA à faire assigner la SCI Du Pont devant le Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse à l'effet d'entendre prononcer la résolution de la vente et condamner la défenderesse au paiement des sommes de 13 582,02 au titre des pénalités de retard contractuelles et de 87 888 à titre de dommages et intérêts à compenser avec la fraction du prix à restituer.
La SCI Du Pont n'a pas comparu devant le Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, qui par jugement réputé contradictoire en date du 7 janvier 2016 :
- a prononcé la résolution de la vente,
- a autorisé la société SEMCODA à procéder aux formalités de publication de la décision aux frais de l'acquéreur,
- a condamné la SCI Du Pont à payer à la société SEMCODA la somme de 13 582,02 au titre des pénalités contractuelles de retard et a ordonné la compensation entre cette somme et la fraction du prix à restituer de 139 815,06 ,
- a débouté la société SEMCODA de sa demande en dommages et intérêts supplémentaires,
- a condamné la SCI Du Pont à payer à la société SEMCODA une indemnité de 2 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a considéré en substance que le défaut de paiement des appels de fonds successifs justifiait la résolution de la vente, que l'acquéreur était redevable des pénalités contractuelles de retard au taux de 1 % par mois, mais que le préjudice allégué n'était pas justifié, puisque le coût des travaux d'aménagement intérieur qui devront être réalisés par la société SEMCODA aux lieu et place de la SCI sera pris en compte dans le prix de revente.
La SCI Du Pont a relevé appel de cette décision selon déclaration électronique reçue le 2 février 2016.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées par voie électronique le 10 août 2016 par la SCI Du Pont qui demande à la cour, par voie de réformation du jugement :
- de prononcer la résolution de la vente aux torts de la société SEMCODA pour manquement à son obligation de délivrance et de condamner cette dernière à lui payer une somme de 10 000 à titre de dommages et intérêts, outre restitution de l'acompte versé,
- subsidiairement d'ordonner une diminution du prix de vente d'un montant de 120 000 et de débouter la société SEMCODA de l'ensemble de ses demandes,
- en tout état de cause de condamner la société SEMCODA à lui payer une indemnité de procédure de 10 000 .
Vu les dernières conclusions récapitulatives signifiées et déposées par voie électronique le 18 octobre 2016 par la société anonyme d'économie mixte SEMCODA qui demande à la cour :
- de déclarer irrecevable et subsidiairement mal fondée la demande reconventionnelle en résolution de la vente à ses torts,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente pour défaut de paiement du prix et condamné la SCI Du Pont au paiement d'une somme de 13 582,02 au titre des pénalités de retard,
- de condamner, par voie d'appel incident, la SCI Du Pont à lui payer les sommes de 90 659,58 en réparation de son préjudice financier et de 9 197,56 en remboursement des charges de copropriété jusqu'au mois de décembre 2016, outre charges postérieures,
- de condamner en tout état de cause la SCI Du Pont à lui payer une indemnité de procédure de 10 000 .
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la demande principale en résolution de la vente pour défaut de paiement du prix
Il est soutenu par la société SEMCODA que la SCI reste débitrice d'une somme de 259 656,52 , que la clause résolutoire contractuelle a été régulièrement mise en œuvre par la délivrance d'un commandement de payer demeuré infructueux dans le délai d'un mois, que les propres plans d'aménagement intérieur de la SCI font état de la différence de niveau de 30 cm entre l'appartement et la terrasse, que le gérant de la SCI est un professionnel du BTP, que l'ouvrage est parfaitement conforme à la réglementation édictée en faveur des personnes à mobilité réduite et qu'il n'est pas même établi que la SCI avait pour projet de louer le bien à des personnes à mobilité réduite.
La SCI Du Pont conteste cette demande en se prévalant de l'exception d'inexécution aux motifs que l'appartement vendu était destiné à l'habitation par des personnes à mobilité réduite, mais que la présence de marches entre la terrasse et l'appartement, qui n'étaient pas prévues, rend le bien impropre à l'usage auquel il était destiné, qu'elle n'est pas un professionnel averti et que les plans ne faisaient pas apparaître de différence de niveaux.
Sur ce
Par acte notarié du 27 février 2014 faisant suite à un contrat de réservation la société d'économie mixte SEMCODA a vendu en l'état futur d'achèvement à la SCI Du Pont divers lots dépendant d'un ensemble immobilier en construction situé à Bourg-en-Bresse, dont notamment le lot numéro 66 situé au quatrième niveau composé d'un plateau brut de maçonnerie à aménager d'une superficie totale de 171,97 m² comprenant trois terrasses.
Il résulte expressément des mentions du plan coté des lots privatifs annexé à l'acte de vente qu'il existe " un seuil " de 18 cm entre le plancher de l'appartement et le sol des terrasses extérieures.
Surtout, le plan d'aménagement coté du plateau établi le 22 novembre 2013 antérieurement à la vente par le propre architecte de l'acquéreur (Damien L.), dont notamment le plan de coupe figurant en pièce 15 de l'intimée, fait très clairement apparaître une différence définitive de niveau de 30 cm entre le plancher intérieur (cote 251,34) et le sol des terrasses (251,64), ce qui ne pouvait échapper à la SCI Du Pont, dont le dirigeant, Monsieur Jean-Bernard P., exerce une activité d'études et de conseil dans le secteur du BTP et doit ainsi nécessairement être qualifié d'acquéreur averti, comme disposant des compétences techniques lui permettant d'interpréter les plans d'exécution de l'ouvrage, étant observé qu'ayant fait intervenir un architecte la SCI a nécessairement bénéficié des commentaires et des conseils de ce professionnel de la construction.
La SCI Du Pont ne peut donc sérieusement soutenir que le bien vendu aurait été impropre à l'usage auquel il était destiné en raison de la présence d'une marche entre le sol de l'appartement et les terrasses.
Au demeurant il n'est nullement établi d'une part que l'immeuble ne serait pas conforme à la réglementation PMR (personnes à mobilité réduite), ni d'autre part que l'acquéreur destinait le bien à la location à des personnes à mobilité réduite.
La preuve d'un manquement de la société SEMCODA à son obligation de délivrance conforme n'est dès lors en rien établie, ce qui interdit à l'acquéreur d'invoquer l'exception d'inexécution pour justifier le non-paiement des appels de fonds.
D'ailleurs la SCI Du Pont, qui a laissé sans réponse les nombreuses relances et mises en demeure de la venderesse, n'a à aucun moment tenté de justifier sa défaillance par la prétendue non-conformité de l'ouvrage, dont elle ne s'est prévalue pour la première fois qu'en cause d'appel.
C'est par conséquent régulièrement que la société venderesse a mis en œuvre la clause résolutoire contractuelle en faisant délivrer à l'acquéreur un commandement de payer le solde du prix de vente de 259 656,52 , dont il n'est pas contesté qu'il était intégralement exigible après achèvement de la construction.
Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a décidé que la clause résolutoire de plein droit était acquise un mois après la délivrance du commandement de payer demeuré infructueux, sauf à substituer au " prononcé " de la résolution de la vente sa constatation.
La confirmation s'impose également en ce que la venderesse a été autorisée à faire procéder à la publication de la décision aux frais de l'acquéreur.
Sur la demande reconventionnelle en résolution de la vente aux torts de la venderesse et subsidiairement en diminution du prix
Pour les mêmes motifs que précédemment la SCI Du Pont soutient que le bien était impropre à l'usage auquel il était destiné, ce qui justifierait la résolution de la vente aux torts de la société SEMCODA et à défaut une diminution du prix de 120 000 .
La société SEMCODA réplique que cette demande est irrecevable à défaut d'avoir été publiée dans les conditions prévues par les articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955, qu'elle est au surplus sans objet puisque la résolution de la vente est acquise de plein droit par le jeu de la clause résolutoire et qu'elle est en outre mal fondée.
Elle ajoute que hors le cas de lésion le juge n'a pas le pouvoir d'ordonner la réduction du prix de vente.
Sur ce
Il a été précédemment jugé que la résolution de plein droit de la vente pour défaut de paiement du solde du prix était régulièrement et valablement acquise un mois après le commandement de payer délivré le 20 janvier 2015.
Cette résolution préalable aux torts de l'acquéreur prive d'objet la demande reconventionnelle en résolution de la vente aux torts de la venderesse et subsidiairement en diminution du prix, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de statuer sur la recevabilité et le bien-fondé de cette demande, étant observé qu'il a été précédemment jugé que la venderesse n'avait pas manqué à ses obligations.
Sur la demande en paiement de pénalités de retard
La société SEMCODA invoque la clause du contrat de vente mettant à la charge de l'acquéreur une pénalité de retard au taux de 1 % par mois appliquée à toute fraction du prix non payée à son échéance.
Elle produit aux débats un décompte détaillé, qui n'est pas techniquement contesté par la SCI Du Pont.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a condamné de ce chef cette dernière au paiement de la somme de 13 582,02 à compenser avec la fraction du prix de vente à restituer.
Sur la demande complémentaire en dommages et intérêts
La société SEMCODA explique que l'acquisition portait sur un plateau brut à aménager par l'acquéreur et qu'elle va devoir désormais réaliser elle-même les travaux d'aménagement intérieur de deux logements pour un coût de 87 888 TTC, qui ne pourra pas être intégralement répercuté sur le prix de revente, ce qui représente pour elle un manque à gagner caractérisé par la différence entre le coût total des travaux à sa charge et la valeur vénale de marché des deux logements aménagés.
Elle ajoute que les charges de copropriété qu'elle a dû acquitter devront être remboursées par l'acquéreur.
La SCI Du Pont s'oppose à cette demande en faisant valoir qu'il sera plus facile à la société de vendre le lot en deux appartements plutôt qu'en un seul.
Sur ce
La société SEMCODA a, certes, dû financer elle-même l'aménagement du plateau brut en deux appartements, mais elle ne justifie pas qu'en l'état actuel du marché immobilier elle ne sera pas en mesure de répercuter ce coût de construction supplémentaire sur le prix de revente. Outre le fait qu'elle a elle-même chiffré unilatéralement le coût des travaux d'aménagement intérieur sans se fonder sur un quelconque devis émanant d'une entreprise tierce, elle ne produit, en effet, aucun avis de valeur vénale de nature à justifier la perte qu'elle prétend subir.
Le jugement sera par conséquent également confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.
La demande nouvelle en remboursement des charges de copropriété ne saurait pas plus être accueillie, alors qu'en raison de l'effet rétroactif de la résolution de la vente la société SEMCODA est censée être demeurée propriétaire du lot depuis l'origine.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité commande de faire à nouveau application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'intimée.
Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à ce que la résolution de plein droit de la vente soit constatée à compter du 21 février 2015 par le jeu de la clause résolutoire contractuelle, Y ajoutant : - Déboute la société anonyme d'économie mixte SEMCODA de sa demande en remboursement des charges de copropriété, - Déclare sans objet la demande reconventionnelle en résolution de la vente aux torts de la venderesse et subsidiairement en diminution du prix, et déboute de ce chef la SCI Du Pont de toutes ses prétentions, - Condamne la SCI Du Pont à payer à la société anonyme d'économie mixte SEMCODA une nouvelle indemnité de 4 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SCI Du Pont aux entiers dépens, y compris les frais de commandement de payer 20 janvier 2015, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SELARL d'avocats Lega-Cité.