CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 17 janvier 2018, n° 18-00449
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Charles Faraud (SAS)
Défendeur :
Autorité de la Concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fusaro
Avocats :
Mes Grappotte-Benetreau, Tardif
Avons rendu l'ordonnance ci-après :
Par assignation du 5 janvier 2018, la société Charles Faraud, sise Avenue de Gladenbach ' ZI La Tapy 84170 Monteux, a formé un recours en annulation de la décision n°17-DEC-572 du 21 décembre 2017, devant notre juridiction et a demandé la condamnation du Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) à lui payer la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Ce recours sera examiné sur le fond le 24 janvier 2017.
Par acte en date du 9 janvier 2018, la société Charles Faraud a également assigné le
Rapporteur général de l'ADLC à comparaître devant notre juridiction le 11 janvier 2018 à 11 heures.
Ce présent recours est exercé, sur le fondement de l'article R. 464-24-4 du Code de commerce, aux fins de surseoir à l'exécution de la décision du Rapporteur général de l'ADLC n°17-DEC-572 du 21 décembre 2017.
La requérante fait valoir que, par décision du 21 décembre 2017, le Rapporteur général de l'ADLC a prononcé la mainlevée de la protection du secret des affaires dont bénéficiait une pièce à la procédure d'examen d'allégations de pratiques anti-concurrentielles actuellement pendante devant l'ADLC, en dépit de son opposition à la mainlevée de cette protection.
La décision contestée concerne la levée de la protection du secret des affaires dont bénéficiait la Cote 7370.
Il est argué que cette cote ne porte que sur un échange interne concernant les prix fixés unilatéralement par Charles Faraud.
La société Charles Faraud soutient que la divulgation de ce document aurait :
1 - Un caractère irréversible dans la mesure où, à compter de la notification des griefs aux parties à la procédure, ces dernières auront accès au dossier, et pourront consulter tous les documents sur lesquels les rapporteurs se sont fondés pour son établissement.
S'il était annexé à la notification des griefs une information confidentielle, toutes ces parties en auraient immédiatement connaissance.
Dès lors, il ne pourrait être remédié à la connaissance de telles informations même si le Premier président venait à considérer que leur divulgation n'aurait pas dû avoir lieu.
2 - Des conséquences irrémédiables et serait la cause d'un préjudice grave et irréparable.
Si cet élément venait à être connu des autres opérateurs, ceci porterait une atteinte immédiate à la stratégie commerciale, voire à la santé commerciale de Charles Faraud, qui fournit des marques de distributeur.
Enfin la communication de la cote 7370 pourrait causer un préjudice commercial à la société requérante.
Il s'en suit que ces conséquences irrémédiables seraient avérées s'il n'était pas sursis à exécution de la décision de divulgation dans l'attente d'une décision du Premier président de la Cour d'appel de Paris.
3 - une imminence de la divulgation des informations confidentielles
La requérante indique que les services d'instruction ont pour intention de communiquer une notification des griefs dans les jours à venir. Il n'est pas exclu que la décision intervienne postérieurement à la notification des griefs des rapporteurs de l'ADLC.
Il est demandé le sursis à exécution de la décision du rapporteur général susmentionnée ainsi que sa condamnation au paiement à Charles Faraud de la somme de 1000 euros du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.
Par observations en réponse enregistrées au greffe de la Cour d'appel le 10 janvier 2018, l'Autorité de la concurrence fait valoir que :
Le 1er septembre 2016, Charles Faraud a soutenu que certaines informations contenues dans ces pièces relevaient du secret des affaires et, à ce titre, a demandé le bénéfice de la protection prévue à l'article L. 463-4 du Code de commerce et par décision du rapporteur général n°16-DSA-394 du 28 novembre 2016, cette protection lui avait été accordée.
Par ailleurs, par décision n°17-DEC-572 du 21 décembre 2017, le rapporteur général a rendu accessible à l'ensemble des parties la version confidentielle de la pièce VC 7370 et a notifié cette décision à Charles Faraud le 29 décembre 2017.
A- Sur le principe de l'absence d'effet suspensif du recours prévu par l'article L. 464-8-1 du Code de commerce L'ADLC rappelle les dispositions des articles issus de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et du décret d'application n°2017-823 du 5 mai 2017 relatifs au refus de la protection du secret des affaires ou de la levée de la protection accordée.
Il est argué que ni le délai de recours, ni le recours, pas plus que le pourvoi en cassation ne suspendent l'exécution de la décision. Les rapporteurs exécutent en principe la décision sans attendre l'issue du recours.
B- Sur l'absence de " conséquence manifestement excessive " sur la situation de la société Charles Faraud
Il est indiqué que la décision attaquée est susceptible d'avoir deux conséquences : elle peut conduire les rapporteurs à faire référence à la pièce incriminée et à en révéler le contenu dans la notification des griefs et d'autre part, permettre aux parties de consulter librement cette pièce lorsque des griefs leur auront été notifiés.
Il est argué que l'exécution d'une décision de refuser la protection du secret des affaires ou de lever la protection accordée, dès l'instant où elle conduit les autres parties à prendre connaissance de la pièce, peut apparaître à cet égard irréversible mais pour autant la notion de conséquences manifestement excessives ne se confond pas avec l'irréversibilité de l'exécution de la mesure. Or Charles Faraud soulève cette seule irréversibilité qui ne justifie nullement le sursis.
En outre, il est soutenu que s'il est exact que la décision de déclassement apparaît comme un préalable à l'envoi de la notification des griefs envisagée par les rapporteurs, rien ne permet à la requérante d'affirmer que cet acte de procédure doit intervenir " dans les jours à venir " et en tout état de cause, avant l'expiration du délai d'un mois à compter du recours, prévu à l'article R-464-24-3 du Code de commerce, à l'expiration duquel le Premier président ou son délégué doit statuer, en l'espèce le 5 février 2017.
En l'espèce, aucun des moyens développés par la requérante n'est propre à caractériser le dommage excessif susmentionné.
- La requérante exprime sa crainte de voir " annexée à la notification des griefs une information confidentielle " dont " toutes les parties auraient immédiatement connaissance ".
Il est soutenu que cette situation n'est pas de nature à porter un préjudice illégitime à Charles Faraud.
S'agissant de cette pièce VC 7370, elle constitue un élément à charge non négligeable susceptible d'être opposé aux concurrents de Charles Faraud et à fortiori aux autres parties qui sont susceptibles d'être mises en cause dans l'affaire, pour étayer les pratiques d'entente qui pourraient leur être reprochées.
Ainsi, le rapporteur général doit accorder aux parties la communication ou la consultation de ladite pièce mettant en jeu le secret des affaires de Charles Faraud dès lors que l'accès à ces informations est nécessaire à l'exercice de leurs droits de défense.
Il est relevé que le courriel remonte à 2014 et ne contient, par conséquent aucune information stratégique actuelle ou future.
- Elle se prévaut de sa prétendue qualité de " franc-tireur " dans l'entente face aux " géants du secteur " et de sa taille plus modeste que celle d'autres entreprises en cause.
- La requérante indique que la décision attaquée de levée du secret aurait pour conséquence que ces informations ne seraient plus " réputées protégées par la moindre confidentialité " et pourraient " être disséminées plus largement qu'aux parties à la procédure ".
L'ADLC fait valoir que les craintes de la requérante sont infondées dès lors qu'aucune enseigne de la GMS n'a accès au dossier et que la loi, en outre, impose aux entreprises, parties à la procédure devant l'ADLC, une obligation de confidentialité sanctionnée de peines prévues en cas de violation du secret professionnel par l'article 226-13 du Code pénal notamment.
Dès lors, l'accès aux pièces du dossier, y compris aux informations relevant du secret des affaires, par les parties à la procédure pour leur permettre d'exercer leurs droits de la défense n'équivaut nullement à la publicité de ces informations.
- La partie requérante fait valoir que la décision attaquée permettra aux éventuelles victimes des pratiques sanctionnées de produire cette pièce confidentielle pour obtenir réparation de leur préjudice devant le juge civil.
Cet argument ne caractérise pas plus les conséquences manifestement excessives de l'exécution de la décision et méconnaît les règles de procédure applicables.
En conséquence, il est conclu au rejet de la demande de sursis à exécution de la décision n° 17-DEC-572, du 21 décembre 2017.
SUR CE
Il résulte des article L. 464-8-1 et R. 464-24-4 du Code de commerce que les recours formés contre les décisions du Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence refusant la protection du secret des affaires ou levant la protection accordée, n'ont pas d'effet suspensif, sauf si la juridiction en décide autrement. Dans ce cas, la juridiction saisie peut ordonner qu'il soit sursis à exécution de la décision contestée si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Il appartient à la requérante au sursis à exécution de rapporter la preuve de telles conséquences.
En l'espèce, il convient de rappeler que le recours au fond a été formé le 5 janvier 2018, l'audience fixée au 24 janvier 2018 et que la décision sera rendue dans le mois suivant le dépôt du recours soit le 5février 2018, soit à bref délai.
Il a lieu de relever que l'argumentation de la requérante repose essentiellement sur une hypothétique notification des griefs dans laquelle serait "insérée" la cote 7370 (ayant fait l'objet d'une levée du secret des affaires) qui interviendrait avant la décision au fond.
Cependant, les arguments développés supra par la requérante ne démontrent pas que la décision contestée est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Les conditions exigées pour l'octroi d'un sursis à exécution n'étant ainsi pas réunies, il convient de rejeter la demande de la société Charles Faraud.
Par ces motifs, Déclarons la requête aux fins de sursis à exécution de la société Charles Faraud recevable ; Rejetons la requête aux fins de sursis à exécution à l'encontre de la décision n°17-DEC-572 en date du 21 décembre 2017 du Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence prononçant la mainlevée de la protection du secret des affaires dont bénéficierait la cote 7370 ; Rejetons l'ensemble des autres demandes de la société requérante ; Disons que les dépens afférents à la présente instance suivront le sort de l'instance au fond.