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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 19 janvier 2018, n° 17-15116

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Traitement des Eaux du Moulin de Saint Caradec (Sasu), Le Clézio Industrie (SAS), Le Clézio Abattoir (SAS)

Défendeur :

TDI (SAS), SMV Distribution (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Kerner-Menay

Conseillers :

M. Vasseur, Mme Dias-Da Silva

Avocats :

Mes Camus, Kalifa

T. com. Rennes, du 18 juill. 2017

18 juillet 2017

Exposé du litige

Le présent litige concerne les cinq sociétés suivantes, dont il convient d'indiquer brièvement le lieu de leurs sièges respectifs et leurs activités :

· la société TDI : située à Trévé, dans le département des Côtes-d'Armor, elle exerce son activité dans le secteur de la transformation des dindes, une fois que celles-ci ont été abattues ;

· la société SMV Distribution : située à Carhaix-Plouguer, dans le département du Finistère, elle fédère les producteurs de dindes vivantes afin de leur proposer des solutions d'abattage et de commercialisation ;

· la société Le Clézio Industrie : située à Trévé, elle est propriétaire de l'abattoir loué à la société Le Clézio Abattoir ;

· la société Le Clézio Abattoir LCA (ci-après la société Le Clézio Abattoir) : située à Trévé, cette filiale de la société Le Clézio Industrie exerce l'activité d'abattage de dindes au sein d'un abattoir dont elle est locataire ;

· la société Traitement des Eaux du Moulin de Saint-Caradec (ci-après la société Traitement des Eaux) : située à Trévé, elle loue une installation de traitement des eaux à la société Le Clézio Industrie dont elle est la filiale.

L'usine de la société TDI est mitoyenne de celle de la société Le Clézio Abattoir. La société TDI a eu recours à un local technique situé dans les locaux loués par la société Le Clézio Abattoir? local dans lequel se trouve une installation électrique qui bénéficiait à la société TDI. En outre, la société TDI a utilisé les services de la société Traitement des Eaux. Par ailleurs, la société Le Clézio Abattoir assurait des prestations d'abattage pour la société SMV Distribution

Par actes du 25 novembre 2016, les sociétés TDI et SMV Distribution ont fait assigner les sociétés Le Clézio Abattoir? Le Clézio Industrie et Traitement des Eaux devant le Tribunal de commerce de Rennes en demandant de :

· dire que la société Le Clézio Abattoir a rompu brutalement et sans préavis les relations commerciales établies avec la société SMV Distribution pour l'abattage des dindes ;

· dire que la société Traitement des Eaux a rompu brutalement et sans préavis les relations commerciales établies pour l'accès à l'épuration des eaux usées et qu'elle a abusé de son droit de propriété ;

· dire que la société Le Clézio Industrie a abusé de son droit de propriété en coupant unilatéralement l'électricité ;

· dire et juger que les sociétés du groupe Le Clézio ont agi de manière concertée en vue de nuire aux sociétés TDI et SMV Distribution pour leur imposer de nouveaux tarifs d'abattage ;

· condamner solidairement les sociétés Le Clézio Industrie Le Clézio Abattoir et Traitement des Eaux à régler aux sociétés TDI et SMV Distribution la somme de 150 000 euros au titre du préjudice de réorganisation causé par la cessation des abattages ;

· condamner solidairement les sociétés Le Clézio Industrie Le Clézio Abattoir et Traitement des Eaux à payer à la société TDI trois sommes d'argent au titre de la reconstruction du local électrique, du coût de location de groupes électrogènes et de la mise en place d'un système de fonctionnement d'épuration de secours.

Par jugement du 18 juillet 2017, le président du Tribunal de commerce de Rennes a :

· déclaré recevable la demande d'exception d'incompétence territoriale soulevée par les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie ;

· donné acte à la société Le Clézio Abattoir qu'elle n'entend pas prendre part aux débats relatifs à l'incompétence et ne conteste par les relations commerciales avec les sociétés TDI et SMV Distribution ;

· rejeté la demande de disjonction d'instances formée par les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie ;

· rejeté l'exception d'incompétence du Tribunal de commerce de Rennes soulevée par les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie et s'est déclaré compétent ;

· fixé les délais pour conclure aux différentes parties à défaut de contredit ;

· réservé les dépens et dit n'y avoir lieu à ce stade à statuer au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par acte du 1er août 2017, les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie ont formé contredit contre cette décision.

A l'audience, se référant aux termes de leur acte de contredit, les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie demandent à la cour de :

· constater que les griefs formulés à l'encontre de la société Le Clézio Industrie procèdent d'une action réelle immobilière qui relève de la compétence exclusive du tribunal de grande instance ;

· constater par ailleurs qu'aucun des griefs formulés par la société TDI à l'égard des sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie ne procède d'une situation restrictive de concurrence susceptible de relever de la compétence territoriale spéciale du Tribunal de commerce de Rennes ;

· constater qu'aucune des sociétés défenderesses n'est située dans le ressort du Tribunal de commerce de Rennes ;

· constater encore l'absence de toute connexité entre les différents litiges opposant les différentes parties à la présente instance, qui peuvent être tranchés séparément sans risque de contrariété de décisions ;

En conséquence,

· disjoindre la présente instance et, A titre principal,

· se déclarer matériellement incompétent pour statuer à l'égard de la société Le Clézio Industrie au profit du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc ;

Subsidiairement,

· se déclarer territorialement incompétent pour statuer à l'égard de la société Le Clézio Industrie et en tout état de cause à l'égard de la société Traitement des Eaux au profit du Tribunal de commerce de Saint-Brieuc ;

· condamner les sociétés SMV Distribution et TDI à payer chacune aux sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie chacune la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie font valoir :

· sur l'incompétence matérielle du tribunal de commerce pour statuer à l'égard de la société Le Clézio Industrie que le litige relève d'un domaine de compétence exclusive du tribunal de grande instance, qui, conformément aux dispositions de l'article R. 211-4-5 du Code de l'organisation judiciaire, connaît seul des actions immobilières pétitoires et possessoires, notamment lorsque le litige porte, comme c'est le cas en l'espèce, sur l'exercice d'une servitude de passage ;

· sur l'incompétence territoriale du Tribunal de commerce de Rennes pour statuer à l'égard des sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie que les conditions susceptibles de justifier la compétence du Tribunal de commerce de Rennes pour statuer sur les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne sont pas applicables en l'espèce, puisque :

· sur le transformateur électrique bénéficiant à la société TDI et situé dans les murs appartenant à la société Le Clézio Industrie il n'existe aucune relation commerciale entre la société TDI et la société Le Clézio Industrie mais seulement un simple usage, sans le moindre flux financier ;

· sur le contrat liant la société TDI à la société Traitement des Eaux relatif au traitement des eaux usées, il n'existe aucune problématique de concurrence susceptible de justifier la compétence spéciale et dérogatoire du Tribunal de commerce de Rennes, la station de traitement des eaux usées ne relevant pas d'une activité commerciale concurrentielle mais simplement d'une servitude d'utilisation d'origine conventionnelle et la résiliation décidée par la société Traitement des Eaux étant contractuellement prévu à l'article 5.3.2 du protocole de cession du 9 janvier 2014, de sorte qu'il n'existe aucune connexité entre les demandes et que le Tribunal de commerce de Rennes est saisi de problématiques diverses et de demandes dont les objets, les causes et les fondements juridiques sont différents.

Se référant aux termes de leurs conclusions, les sociétés TDI et SMV Distribution demandent à la cour de :

· rejeter les exceptions d'incompétence des sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie ;

· rejeter, au vu de la connexité des demandes, la demande de disjonction d'instance formée par les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie ;

· confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et renvoyer l'examen du dossier au fond au Tribunal de commerce de Rennes ;

· condamner solidairement les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie à leur payer, chacune, la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

· condamner les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie aux dépens.

Elles exposent que la société Le Clézio Industrie a changé soudainement à l'égard de la société SMV Distribution sa grille tarifaire et posé une exigence nouvelle de tonnage minimum par un courrier du 14 avril 2016 ; que par un courrier du 19 avril 2016, la société Traitement des Eaux, qui appartient au groupe Le Clézio, a quant à elle annoncé à la société TDI qu'elle cesserait dès le 30 septembre 2016 le traitement de ses eaux ; que par un courrier du 22 avril 2016, la société Le Clézio Industrie a mis en demeure la société TDI de déplacer son tableau électrique en fixant également comme échéance le 30 septembre 2016. Les sociétés TDI et SMV Distribution exposent que l'ensemble de ces mesures sont coordonnées et visent à faire plier le groupe auquel elles appartiennent. Elles exposent que les sociétés Le Clézio Abattoir Le Clézio Industrie et Traitement des Eaux appartiennent à un même groupe et ont ainsi engagé une action concertée. Elles indiquent que la question de l'accès de la société TDI au local technique où se trouve son tableau électrique ne relève pas d'une question de droit réel immobilier mais d'un simple prêt à usage. Elles considèrent en outre que les sociétés Le Clézio Industrie et Traitement des Eaux sont complices de la faute délictuelle commise par la société Le Clézio Abattoir concernant la rupture des relations commerciales préétablies, de sorte que le Tribunal de commerce de Rennes doit connaître de l'entier litige.

La société Le Clézio Abattoir bien que touchée par la convocation du greffe, n'a pas comparu à l'audience.

Sur ce, LA COUR

Sur l'exception d'incompétence d'attribution au profit du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc :

Selon les demanderesses au contredit, les demandes de la société TDI à l'égard de la société Le Clézio Industrie concernent " une servitude ou un droit de passage " (ainsi qu'elles l'indiquent au § 22 de l'acte de contredit), de sorte que cette action serait une action réelle immobilière relevant de la compétence exclusive du tribunal de grande instance, en l'occurrence de Saint-Brieuc.

Le tribunal de grande instance a certes une compétence exclusive en matière immobilière pétitoire et possessoire, ainsi qu'il résulte de R. 211-4, 5° du Code de l'organisation judiciaire et l'action réelle immobilière est portée devant le tribunal du lieu où est situé l'immeuble litigieux, comme le prévoit l'article 44 du Code de procédure civile. Si elle porte sur un droit de servitude, cette action, dite confessoire, relève de la catégorie des actions réelles.

Cependant, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Or, dans l'acte introductif d'instance, loin de revendiquer l'existence d'une servitude à son profit, la société TDI indique (en page 4 de l'acte d'assignation), qu'aucune servitude n'a été prévue s'agissant de cet accès au local technique. Elle fait état d'un accès au local litigieux en considération d'un prêt à usage et sa demande n'est au demeurant que de nature indemnitaire, la société TDI sollicitant la condamnation de ses adversaires à lui verser des sommes correspondant au coût de la reconstruction du local électrique et au coût de la location et du fonctionnement des groupes électrogènes.

Aussi les demanderesses au contredit n'établissent-elles pas que l'action engagée par la société TDI soit une action réelle immobilière, qui relèverait de la compétence exclusive du tribunal de grande instance. L'exception d'incompétence d'attribution au profit du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc sera en conséquence rejetée.

Sur l'exception d'incompétence territoriale :

Ainsi que l'indiquent les demanderesses au contredit elles-mêmes (au § 11 de l'acte de contredit), la société Le Clézio Abattoir et la société Traitement des Eaux sont des filiales de la société Le Clézio Industrie. Par ailleurs, les sociétés TDI et SMV Distribution appartiennent également à un même groupe, ainsi que celles-ci l'indiquent en préambule de leurs conclusions.

Or, il n'est pas contesté que les trois événements que sont l'avertissement de la modification de la grille tarifaire pratiquée par la société Le Clézio Abattoir à l'égard de la société SMV Distribution? l'annonce par la société Traitement des Eaux à la société TDI de la cessation à venir du traitement de ses eaux usées et la demande de la société Le Clézio Industrie faite à la société TDI de déplacer son tableau électrique sont tous trois du mois d'avril 2016, les trois courriers adressés pour chacun de ces événements étant datés respectivement du 14, du 19 et du 22 avril.

Le fait que les trois sociétés du groupe Le Clézio ne soient pas pour chacune d'entre elles en lien contractuel avec les deux sociétés TDI et SMV Distribution n'induit pas nécessairement l'impossibilité de caractériser pour chacune d'elles une rupture brutale des relations commerciales. En effet, ainsi que l'indique la jurisprudence de la Cour de cassation, un tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d'une relation commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice (Com. 6 septembre 2011, Bull. n° 126, pourvoi n° 10-11.975).

Il résulte de l'article D. 442-4 du Code de commerce, et du tableau qui figure à l'annexe 4-2-1 auquel cet article renvoie, que le Tribunal de commerce de Rennes est compétent pour connaître des actions engagées en application de l'article L. 442-6 du même code, cette compétence valant pour l'ensemble de la cour d'appel, ainsi que, mais cela est sans incidence pour le présent litige, pour le ressort des cours d'appel voisines.

Ainsi qu'il a été indiqué et sans qu'il ne soit préjugé du fond de l'affaire, il est loisible aux sociétés TDI et SMV Distribution de faire assigner les sociétés Le Clézio Abattoir Le Clézio Industrie et Traitement des Eaux pour que soit engagée leur responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales, nonobstant le fait que chacune des sociétés demanderesses n'ait pas nécessairement été en lien contractuel avec chacune des sociétés défenderesses.

En outre, il est de l'intérêt d'une bonne justice de statuer sur ces demandes ensemble. Contrairement à ce que soutiennent les demanderesses au contredit, le risque de contrariété de décisions qui serait encouru à juger les affaires séparément n'est pas une condition de la connexité mais seulement de l'indivisibilité. Ainsi, la connexité n'est pas incompatible avec une divisibilité des actions.

Aussi convient-il de rejeter l'exception d'incompétence territoriale soulevée par les demanderesses au contredit au profit du Tribunal de commerce de Saint-Brieuc.

Par ces motifs, Déclare recevable mais mal fondé le contredit ; Rejette en conséquence les exceptions d'incompétence soulevées par les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie ; Condamne, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie à verser à la société TDI la somme de 2 500 euros et à la société SMV Distribution également la somme de 2 500 euros ; Condamne les sociétés Traitement des Eaux et Le Clézio Industrie aux frais du contredit.