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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 23 janvier 2018, n° 15-02223

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

GAEC Corbet (Sté)

Défendeur :

Modema Agri (SAS), Generali Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Van Gampelaere

Conseillers :

Mmes Monge, Portmann

Avocats :

Mes Guillou, Benaceur Petit, Monier, Bellaiche, Chevallier

T. com. Angers, du 22 avr. 2015

22 avril 2015

FAITS ET PROCEDURE

Le 21 février 2006, le groupement agricole d'exploitation en commun Corbet (le GAEC), éleveur de bovins laitiers, a commandé à la société Modema agri (la société Modema) l'installation d'une salle de traite Delaval 2 x10 postes de traite moyennant le prix de 74 000 euros HT.

Courant janvier et mars 2009, le GAEC a commandé 4 postes de traite supplémentaires, des travaux de plomberie, dont l'installation de trois chauffe-eaux de 300 litres, et des travaux d'électricité. Le montant de l'ensemble des travaux s'est élevé à la somme de 199 887,22 euros.

La salle de traite a été livrée et installée le 13 mai 2009 et mise en service le 18 janvier 2010.

Le " Certitraite " réclamé auprès du laboratoire Bovicap par la société Modema a été obtenu à l'issue de quatre visites du technicien envoyé sur place, la première s'étant déroulée le 9 février 2010 et la dernière le 9 juillet suivant.

Entre temps, le GAEC a perdu trois vaches, décédées le 15 avril 2010, puis six autres, décédées le 9 juin 2010, les décès étant attribués à une mammite provoquée par une bactérie " pseudomonas " résistante aux traitements antibiotiques.

Le GAEC ayant laissé impayé un solde s'élevant à la somme de 30 651,70 euros TTC, la société Modema, après une mise en demeure adressée le 18 janvier 2011 et demeurée infructueuse, a obtenu, le 23 mars suivant une ordonnance d'injonction de payer à laquelle le GAEC a formé opposition en invoquant une créance indemnitaire. La société Générali Iard, assureur de la société Modema, est volontairement intervenue à l'instance.

Par jugement avant dire droit du 5 septembre 2012, le Tribunal de commerce d'Angers a ordonné une expertise qu'il a confiée à M. Bernard R., docteur vétérinaire. L'expert a déposé son rapport le 12 juin 2014.

Par jugement du 22 avril 2015, le tribunal a débouté le GAEC de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société Modema, et, substituant sa décision à l'ordonnance attaquée, a condamné le GAEC à payer à la société Modema la somme de 30 041,75 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2011, ordonné la capitalisation des intérêts et condamné le GAEC à payer à la société Modema la somme de 3 065,17 euros à titre de clause pénale et celle de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, outre une indemnité de procédure de 5 000 euros et les dépens, en ce compris les frais de la procédure d'injonction de payer, constaté que les préjudices allégués par le GAEC relevaient de l'exclusion de garantie prévue à l'article 26 des conditions générales de vente de la société Modema et débouté, en conséquence, le GAEC de ses demandes dirigées contre la société Modema en le condamnant à verser à la société Générali une indemnité de procédure de 2 500 euros, outre les dépens, le tout sous exécution provisoire.

Selon déclaration adressée le 17 juillet 2015, le GAEC a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 17 mars 2016, le conseiller chargé de la mise en état a rejeté les demandes de radiation présentées par la société Modema et la société Générali.

Les parties ont toutes conclu.

Une ordonnance rendue le 7 novembre 2017 a clôturé la procédure.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Les dernières conclusions, respectivement déposées les 18 septembre 2017 pour le GAEC, 26 septembre 2017 pour la société Modema et 27 octobre 2017 pour la société Générali, auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.

Le GAEC demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions lui portant grief et, au visa des articles 1134, 1603, 1641 du Code civil et 246 du Code de procédure civile, de condamner la société Modema à lui payer une somme de 145 519,90 euros, de dire que cette somme pourra se compenser avec les sommes dues à la société Modema, subsidiairement, d'ordonner une consultation et à défaut une expertise comptable pour apprécier son préjudice et de condamner la société Modema à lui payer une indemnité de procédure de 7 000 euros, outre les dépens en ce compris les frais d'expertise.

Il expose que l'expert judiciaire était chargé de comprendre les causes de décès de ses vaches et de déterminer les causes de la montée cellulaire soit de cellules bactériennes dans le lait. Il conteste les conclusions de l'expert qui a écarté la responsabilité de la société Modema alors qu'il avait relevé une insuffisance de la température de l'eau destinée au lavage du circuit de la machine à traire à la sortie du chauffe-eau et qui, selon lui, s'est trompé dans la chronologie des faits en retenant que le problème de température avait été résolu en mars 2010 soit antérieurement aux premiers décès des animaux survenus fin avril 2010, alors que l'installation du troisième chauffe-eau n'a été effective que le 10 mai 2010. Il en déduit que l'expertise encourt la nullité. Il fait valoir que le guide de l'utilisateur indique que la température doit se situer autour de 70-90° et ne pas descendre en dessous de 40° en fin de cycle de lavage et qu'en l'occurrence elle n'était que de 28°. Il reproche encore à l'expert judiciaire de n'avoir pas suivi l'avis d'un sapiteur qu'il avait interrogé et qui avait estimé que " le développement du " pseudomonas " au moment de la mise en route de la nouvelle installation de traite est très probablement dû à un système de lavage insuffisamment performant du fait de la société Modema ".

Il soutient, à titre principal, que la société Modema a manqué à son obligation de délivrance conforme en lui installant un système de traite incapable d'atteindre la température prévue et en déduit sa responsabilité dans le développement de la bactérie " pseudomonas " responsable de la mort de ses vaches. Il affirme qu'antérieurement à l'installation de la nouvelle salle de traite, il n'avait jamais été confronté à ce développement, la bactérie étant contenue et maîtrisée. Il invoque une perte de chance de ne pas voir la maladie se développer, tuer ses animaux et rendre son lait de mauvaise qualité.

A titre subsidiaire, il se prévaut des dispositions de l'article 1641 du Code civil relatif aux vices cachés et invoque encore un manquement de la société Modema à son devoir de conseil.

Il détaille les postes de son préjudice tels que les a énumérés et évalués son expert-comptable et sollicite une somme totale de 145 519,90 euros, sauf pour la cour à solliciter une consultation, voire à ordonner une expertise comptable sur ce point.

La société Modema demande à la cour de déclarer le GAEC irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes, de l'en débouter, de confirmer le jugement déféré et de condamner le GAEC à lui payer une somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elle explique que l'installation commandée en 2006 n'a pu être livrée qu'en 2010 en raison de circonstances qui lui sont étrangères, telles que le dépôt tardif d'une demande de permis de construire par le GAEC en 2008, l'intervention préalable d'autres corps d'état pour les travaux de gros œuvre, de charpente et de couverture sous la maîtrise d'œuvre du GAEC lui-même et la commande de travaux et d'installations supplémentaires en 2009.

Elle fait valoir que jusqu'alors le GAEC avait fondé ses demandes sur l'article 1147 du Code civil en invoquant une inexécution contractuelle. Elle constate qu'il les fonde désormais sur les articles 1604 et suivants du Code civil. Elle accuse le GAEC de mauvaise foi et soutient qu'il dénature le bon de commande qui ne fait pas référence à une température de 50° C mais à un angle des stalles où se positionnent les animaux et invoque à tort un guide concernant le programmateur qui n'a fait l'objet d'aucune remarque ou encore un manuel d'utilisation dépourvu, selon elle, de toute valeur contractuelle pour l'installateur.

S'agissant de la garantie des vices cachés, elle soulève l'irrecevabilité de cette action intentée plus de deux ans à compter de la découverte du vice prétendu, le GAEC ayant émis sa première réclamation le 11 mars 2011. Elle assure qu'au demeurant la preuve de l'existence d'un tel vice n'est pas apportée. Elle rappelle qu'après quelques corrections effectuées pour supprimer les défauts relevés par le technicien du laboratoire Bovicap, celui-ci a reconnu la conformité de l'installation au référentiel " Certitraite " et y voit la preuve d'une installation conforme et non défectueuse. Elle ajoute que l'eau chaude produite par les chauffe-eaux a pour but de réaliser le lavage de l'installation de traite non de le désinfecter. Elle impute le problème d'hygiène déploré par le GAEC au GAEC lui-même. Enfin, elle se prévaut du rapport de l'expert judiciaire qui permet, selon elle, d'écarter sa responsabilité.

Quant au préjudice financier allégué, elle conteste que le GAEC l'établisse et s'oppose à toute mesure qui viendrait suppléer sa carence dans l'administration de la preuve.

La société Générali demande à la cour, à titre liminaire, de constater que le GAEC communique de façon tardive des pièces numérotées de 20 à 26 et en conséquence d'écarter des débats ces pièces, à titre principal, de déclarer irrecevable la demande de nullité du rapport d'expertise formulée uniquement dans le corps des écritures et nouvelle en cause d'appel, de déclarer irrecevables les demandes du GAEC au titre de la garantie des vices cachés comme tardives, de dire que le GAEC ne démontre pas l'existence d'un défaut de délivrance conforme, ni celle d'un vice caché, de dire que les désordres ont pour origine les négligences du GAEC, de constater que les préjudices par lui allégués

relèvent de l'exclusion de garantie convenue à l'article 26 des conditions générales de vente de la société Modema, en conséquence, de débouter le GAEC de toutes ses demandes, à titre subsidiaire, de dire que les préjudices allégués ne sont pas démontrés, de rejeter la demande d'expertise ou de consultation, en conséquence, de débouter le GAEC de toutes ses demandes, à titre extrêmement subsidiaire, de limiter l'indemnisation du GAEC à la somme de 9 164,06 euros, en toute hypothèse, de dire que sa garantie est acquise sous déduction de sa franchise contractuelle de 10 % des dommages avec un minimum de 500 euros et un maximum de 3 500 euros et de condamner le GAEC au paiement d'une indemnité de procédure de 4 000 euros, outre les entiers dépens.

Elle approuve le tribunal d'avoir retenu que l'installation de traite réalisée par son assurée ne révélait dans sa mise en œuvre aucune faute de conception ou d'exécution.

Elle reproche au GAEC d'avoir produit des pièces complémentaires n° 20 à 26 la veille de la clôture soit à un moment où elles ne pouvaient plus être examinées par ses adversaires, alors que ces pièces lui étaient réclamées, en vain, depuis l'expertise judiciaire. Elle demande à la cour de les écarter des débats.

Elle observe que, dans le corps de ses conclusions, le GAEC invoque la nullité du rapport d'expertise mais ne formalise pas de demande de nullité dans le dispositif de ses écritures. Elle en déduit l'irrecevabilité de cette demande en vertu à la fois des dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile et de l'article 564 du même Code.

Elle soulève l'irrecevabilité de la demande en garantie des vices cachés formée pour la première fois en cause d'appel et intentée plus de deux ans après la découverte du vice.

Elle conteste le manquement par son assurée à l'obligation de délivrance et estime qu'en réalité le GAEC reproche un défaut de fonctionnement de l'installation, au demeurant non établi par l'expert judiciaire, soit un vice caché. Elle conclut au rejet de la demande fondée sur l'obligation de délivrance conforme. Elle soutient encore que la preuve d'un vice caché n'est pas rapportée. Elle explique que la société Modema a fourni trois chauffe-eaux, dont deux installés en série et destinés à laver la machine à traire et le dernier installé dans la salle de traite et destiné à permettre le lavage des lingettes servant à nettoyer les pis des vaches. Elle précise que les premiers permettaient de chauffer 600 litres d'eau à 65° soit la capacité et la température requises. Elle en déduit la parfaite conformité de l'installation aux besoins du GAEC. Elle ajoute que l'insuffisance de température de l'eau n'est pas démontrée par des vérifications techniques fiables et contradictoires. Elle affirme que le GAEC utilise l'installation pour des besoins autres que ceux prévus à la commande et en déduit sa responsabilité dans la chute de température de l'eau. Elle observe qu'en toute hypothèse l'expert judiciaire a exclu que la température de l'eau de lavage puisse avoir une incidence sur le développement des germes dans le lait durant la période incriminée. Elle estime que la question de la température de l'eau a définitivement été réglée par l'adjonction d'un troisième chauffe-eau en mars 2010, soit antérieurement à l'apparition du " pseudomonas ". Elle précise que la température du chauffe-eau pour les lavettes n'ayant pas fait l'objet d'un contrôle particulier, il n'est pas établi qu'elle soit insuffisante. Elle insiste encore sur la pluralité de facteurs à l'origine des infections à " pseudomonas ", dont les manipulations effectuées lors de la traite de la responsabilité du GAEC. Enfin, elle fait valoir les clauses limitatives de responsabilité figurant dans les conditions générales de vente de la société Modema.

Subsidiairement, elle souligne l'absence totale de justificatifs du préjudice allégué qui a conduit l'expert judiciaire à ne retenir qu'un poste de préjudice d'un montant de 9 164,06 euros et s'oppose à toute mesure d'instruction palliant la carence du GAEC dans l'administration de la preuve qui lui incombe.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité des pièces n° 20 à 26 du GAEC

Attendu que la société Générali soulève l'irrecevabilité des pièces numérotées de 20 à 26 déposées par le GAEC la veille de la clôture fixée au 2 octobre 2017 ;

Mais attendu que la clôture ayant été reportée au 16 octobre suivant à la demande des intimées, celles-ci, qui n'ont pas émis de réserves quant à la nouvelle date de fixation de la clôture, ont ainsi disposé d'un temps suffisant pour examiner ces pièces du GAEC ;

Que, le principe de la contradiction n'apparaissant pas avoir été méconnu, la demande de la société Générali tendant à faire écarter des débats les pièces n° 20 à 26 du GAEC sera rejetée ;

Sur le manquement prétendu de la société Modema à son obligation de délivrance conforme

Attendu que le GAEC soutient à titre principal que la société Modema a manqué à son obligation de délivrance conforme en raison de l'insuffisance de la température obtenue par le circuit de lavage du système de traite installé ;

Attendu que si le bon de commande lui-même et la description de l'installation de traite figurant au devis accepté (pièces n° 1 du GAEC) ne font, contrairement à ce que soutient le GAEC, aucune référence expresse à une température particulière, les " 50° " mentionnés renvoyant, selon les explications non démenties de la société Modema, à l'angle des stalles et non à la température de l'eau dans le circuit de lavage, il apparaît cependant que la température de la solution de lavage était un élément important puisque la notice de l'utilisateur du système de lavage des équipements de traite vendu par la société Modema (pièce n° 8 du GAEC) y insiste en spécifiant qu'elle ne peut descendre au-dessous de 40°C en fin de cycle de lavage pour éviter que les salissures ne se déposent à nouveau, que le technicien du bureau Bovicap chargé, à la demande de la société Modema, de contrôler si l'installation était conforme au référentiel Certitraite a constaté, lors de son premier passage, le 9 février 2010, une insuffisance de la température de l'eau pour le lavage relevée par lui à 28°C en fin de cycle, alors que, selon les normes applicables, elle doit être supérieure à 35°C, et la correction de ce défaut par le rajout d'un chauffe-eau (pièce n°3 du GAEC) et que M. T., docteur vétérinaire, sollicité par l'expert judiciaire en qualité de sapiteur, a également souligné, dans un compte rendu du 4 décembre 2013, annexé au rapport de l'expertise judiciaire en pièce 15, l'importance d'une quantité et d'une température de l'eau chaude suffisantes et la responsabilité, à ses yeux, de l'installateur en la matière ;

Que l'expert judiciaire a également évoqué la question de la température insuffisante en s'appuyant sur la mesure prise par le technicien du laboratoire Bovicap (page 10 du rapport) que les intimées ne remettent pas sérieusement en cause ;

Que la société Modema a d'ailleurs fourni gracieusement un nouveau chauffe-eau mettant fin à l'insuffisance de température relevée par le technicien du laboratoire Bovicap et permettant la délivrance du Certitraite ;

Que ce geste ne s'expliquerait pas si l'insuffisance d'eau chaude à bonne température trouvait son origine dans un simple problème de réglage ou une utilisation de l'eau de la part du GAEC à d'autres fins que le lavage de la machine à traire, ainsi que le soutient aujourd'hui la société Générali en se prévalant, notamment, de la présence d'un tuyau d'arrosage sur une photographie ;

Que le fait que l'installation de lavage ait été initialement inapte à assurer, jusqu'à la fin du cycle de lavage, la température minimale attendue caractérise ainsi un défaut de délivrance conforme ;

Sur la réparation du préjudice

Attendu que le GAEC ne demande pas la résolution de la vente, mais réparation de son préjudice caractérisé, selon ses explications mêmes, par la perte de chance de ne pas voir la bactérie " pseudomonas " se développer, tuer ses vaches et rendre son lait de mauvaise qualité ;

Mais attendu qu'il lui incombe de rapporter la preuve de la chance perdue et, en premier lieu, du lien de causalité entre l'insuffisance dénoncée de la température en fin de cycle de lavage et les préjudices invoqués ;

Or attendu qu'examinant les deux problèmes rencontrés par le GAEC tenant à l'existence d'un taux cellulaire élevé compromettant la qualité du lait et à la présence de la bactérie " pseudomonas " responsable de la mort de plusieurs vaches, l'expert judiciaire a écarté toute incidence de la température de lavage concernant le premier problème ;

Qu'en effet, il a d'abord observé que les taux cellulaires élevés dans le lait de l'élevage Corbet ne dataient pas de la nouvelle installation de traite, avant d'expliquer que la mise en route d'une nouvelle salle de traite provoquait toujours un certain stress chez les animaux et nécessitait des réglages inévitables de la machine (page 10 du rapport) pour lesquels la responsabilité de l'installateur ne se trouvait pas engagée dès lors que les corrections nécessaires étaient, comme en l'espèce, effectuées ;

Qu'enfin, il a relevé que l'insuffisance de température pour le lavage du circuit de la machine à traire n'était susceptible de provoquer qu'une moindre efficacité des désinfections entraînant une augmentation des germes dans le lait livré et que sur la période incriminée, le nombre de germes avait baissé pour en déduire une absence d'incidence sur ce point de la température de lavage ;

Attendu que le GAEC reproche à l'expert d'avoir considéré que le troisième chauffe-eau pour la machine à traire ayant résolu le problème de l'insuffisance de température de l'eau a été installé dès le 9 mars 2010 alors qu'en réalité, ainsi qu'il ressortait de la facture de la société Modema (pièce n° 7 du GAEC) la mise en service de ce nouveau chauffe-eau n'était intervenue que le 10 mai 2010 ;

Mais attendu qu'il ressort du tableau retraçant l'historique de la qualité du lait sur lequel s'est fondé l'expert judiciaire et qui était joint à son rapport, que les chiffres des mois d'avril et de mai 2010 ne traduisent pas une augmentation du nombre des germes durant cette période ;

Que la période incriminée serait-elle étendue à ces deux mois supplémentaires, le fait que l'insuffisance temporaire de température a été directement cause d'une élévation du taux cellulaire dans le lait et donc d'une prétendue détérioration de sa qualité n'est pas démontré ;

Attendu, s'agissant du développement de la bactérie " pseudomonas aeruginosa ", que l'expert judiciaire a attribué à la présence de cette bactérie, sans émettre de réserves suivant en cela l'avis du sapiteur la mort de trois vaches du GAEC en avril 2010 et de six vaches en juin suivant ;

Qu'il a cependant retenu (page 11 du rapport) que la responsabilité de la société Modema ne pouvait être " retenue sur les aspects suivants :

- introduction du germe : c'est un germe d'environnement introduit par l'eau, l'environnement, les animaux, la nourriture ... mais en aucun cas par l'installation de traite,

- la diffusion du germe dans les locaux de traite : l'eau fournie par les chauffe-eau ne sert pas à nettoyer les locaux,

- la présence du germe dans la machine à traire : il a été démontré ci-dessus que le nombre de germes avait plutôt diminué, en outre le Pseudomonas n'a jamais été mis en évidence dans le lait livré,

- la propreté des manipulations et les précautions à prendre lors de la mise en place de traitements intra mammaires sont de la responsabilité de l'éleveur " ;

Que concernant les lavettes servant à nettoyer le bout des pis des vaches à chaque traite, l'expert judiciaire a relevé que tous les observateurs s'accordaient à dire qu'elles étaient " une voie majeure de contamination des animaux ", que " les lavettes étaient au départ nettoyées avec l'eau d'un chauffe-eau annexe situé dans la salle de traite et dont la température de l'eau n'a jamais été contrôlée ", qu'on ne pouvait " donc incriminer la température ", que " les lavettes étaient lavées dans des bassines laissées à l'air libre, à une température aléatoire, avec des quantités de désinfectant et avec une durée de contact qui ne relèvent absolument pas de la qualité de l'eau fournie ", que " l'éleveur a fait lui-même remarquer l'aspect sale et l'odeur suspecte des lavettes ", qu'il " lui appartenait de ne pas utiliser des lavettes dans cet état ", que " le recours à une machine à laver a d'ailleurs été bénéfique dans la résolution du problème du Pseudomonas " (pages 11 et 12 du rapport) ;

Attendu que, concluant son rapport, l'expert judiciaire a rappelé que parmi les nombreux facteurs influant sur les pathologies constatées, " d'ordre humain, environnemental, technique, la société Modema ne (pouvait) être mise en cause que sur 1 point : la fourniture d'eau insuffisamment chaude dans le système de lavage de la machine à traire sur une courte durée (deux mois) à la mise en route de la salle de traite ", que " la fourniture d'eau chaude n' " (était) qu'un facteur parmi de nombreux autres ayant entraîné les troubles et aucun élément ne permet (tait) de le mettre en avant pour lui attribuer une incidence déterminante ", que " la température de l'eau dans le circuit de traite n'a (vait) aucune influence sur les germes présents dans le circuit et dans le tank, donc sur le nettoyage et la désinfection ", que la " conception initiale du système de chauffage à deux chauffe-eau pour le lavage du circuit de traite (était) conforme aux besoins théoriques calculés en fonction de la capacité de la salle de traite ", que sur le point particulier des lavettes " rien ne permet (tait) d'incriminer le fonctionnement du 3e chauffe-eau qui n'a pas fait l'objet d'un contrôle particulier " (page n°14 du rapport) ;

Qu'à la page 12 de son rapport, il avait auparavant énoncé " la fourniture d'eau à température trop basse durant 2 mois est une réalité qui ne peut expliquer prioritairement les phénomènes pathologiques survenus " ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que l'expert judiciaire a nettement exclu que la contamination des animaux par la bactérie " pseudomonas " pût être attribuée, comme le soutient désormais le GAEC, au seul problème d'insuffisance de température d'eau en fin de cycle de lavage relevé par le technicien du laboratoire Bovicap, le 9 février 2010, la circonstance que la période incriminée fût en réalité de quatre mois et non de deux ne modifiant pas cette analyse essentiellement fondée sur l'existence d'une pluralité de facteurs parfaitement étrangers à l'installation vendue, au premier rang desquels figure l'utilisation par le GAEC de lavettes dont la propreté lui était pourtant apparue suspecte ;

Qu'en utilisant les termes d' " incidence déterminante " et de " réalité qui ne peut expliquer prioritairement ", l'expert judiciaire n'écarte cependant pas catégoriquement l'hypothèse selon laquelle l'insuffisance temporaire de la température d'eau chaude a pu contribuer pour partie au développement de la bactérie " pseudomonas " et donc aux troubles pathologiques dénoncés chez les animaux qui en sont morts en avril 2010 ;

Que le problème d'insuffisance de température ayant, au plus tard, disparu lors de la mise en service du troisième chauffe-eau, soit le 10 mai 2010, les morts des vaches survenues en juin 2010 apparaissent, en revanche, sans lien avéré avec lui ;

Que la chance perdue par le GAEC de ne pas voir se développer pendant quatre mois la bactérie " pseudomonas " grâce à une température plus élevée en fin de cycle de lavage apparaissant des plus minimes, sera réparée par l'allocation d'une somme de 7 000 euros, sans que puissent être utilement opposées les clauses des conditions générales de vente sur la garantie contractuelle, au reste invoquées ici par la seule société Générali et non par la société Modema ;

Que le jugement qui a débouté le GAEC de sa demande indemnitaire sera infirmé de ce chef ;

Sur le montant de la somme restant due à la société Modema

Attendu que le solde de facture impayé réclamé par la société Modema au GAEC n'est pas contesté en lui-même par celui-ci, pas plus que la clause pénale appliquée ;

Que le jugement qui a condamné le GAEC à verser à la société Modema la somme de 30 041,75 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2011, outre celle de 3 065,17 euros au titre de la clause pénale sera confirmé sur ces points ;

Attendu que le bénéfice de l'anatocisme étant de droit lorsqu'il est sollicité en justice, le tribunal qui a accueilli cette demande de la société Modema sera approuvé, sauf à préciser que la capitalisation des intérêts court à compter de la date de la demande que la société Modema a formalisée devant lui ;

Attendu, en revanche, que la demande reconventionnelle du GAEC ayant été partiellement accueillie, le caractère abusif de sa résistance n'est pas établi ;

Que le jugement qui a condamné le GAEC au paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive sera infirmé de ce chef ;

Sur la garantie de la société Générali

Attendu que la société Générali, qui ne dénie pas sa garantie à son assurée au titre du contrat d'assurance responsabilité civile (pièce n° 1 de la société Générali) invoque, en revanche, les limites en termes de franchise de cette garantie et demande à la cour de le préciser ;

Qu'il sera ainsi jugé que la garantie de la société Générali n'est acquise à la société Modema qu'à hauteur de la somme principale de 7 000 euros, déduction faite d'une franchise de 10 %, soit de la somme principale de 6 300 euros ;

Sur les demandes accessoires

Attendu que la société Modema succombant partiellement en cause d'appel en supportera les dépens, sans qu'il y ait lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que la condamnation du GAEC aux dépens de première instance, en ce compris les frais de la procédure d'injonction de payer, sera confirmée ;

Qu'en revanche les frais d'expertise judiciaire seront partagés par moitié entre le GAEC et la société Modema ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Rejette la demande de la société Générali Iard tendant à faire écarter les pièces du GAEC Corbet numérotées 20 à 26, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il déboute le GAEC Corbet de sa demande indemnitaire et le condamne au paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive et à celui d'une indemnité de procédure, sauf en ce qu'il retient l'applicabilité des clauses limitatives de garantie contractuelle et sauf à préciser que la capitalisation des intérêts court à compter de la date de la demande qui en a été formée par la société Modema agri devant le tribunal de commerce, L'infirmant de ces chefs et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, Dit que la société Modema agri a manqué à son obligation de délivrance conforme au titre de la température minimale de l'eau de lavage de la machine à traire, En conséquence la Condamne à verser au GAEC Corbet la somme de sept mille euros (7 000 euros) en réparation de la perte de chance subie par celui-ci de ne pas voir se développer la bactérie " pseudomonas ", Dit que la garantie de la société Générali est acquise de ce chef à la société Modema agri à hauteur de la somme de six mille trois cents euros (6 300 euros), Condamne la société Modema agri aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne le GAEC Corbet et la société Modema agri à supporter chacun pour moitié les frais de l'expertise judiciaire, Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires.