CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 26 janvier 2018, n° 16-17061
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LM3S Europe (SAS)
Défendeur :
Sony Europe Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lis Schaal
Conseillers :
Mme Bel, M. Picque
Avocats :
Mes Rousseau, Grando, Vignes, Brasier Porterie
Le 1er février 2002, la société Sony France a confié à la SAS LM3S Europe (société LMS3) la maintenance des moniteurs informatiques qu'elle distribue. D'une durée initiale de 14 mois, le contrat de prestation de services a été renouvelé chaque année jusqu'au 31 mars 2007 (la maintenance des téléviseurs ayant été incluse à partir du 1er avril 2004). À compter du 1er avril 2007, Sony a mis en place des " centres de services agréés européens " (CSA), le contrat concernant la société LM3S ayant été renouvelé jusqu'au 31 mars 2011.
En février 2011, la société Sony a décidé de lancer un appel d'offres en 4 lots, la société LM3S ayant soumissionné pour deux d'entre eux, mais n'a pas été retenue. Le contrat en cours, qui devait s'achever le 31 mars 2011, a été prorogé jusqu'au 30 juin suivant. En septembre 2011, les parties ont souscrit un autre contrat pour la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2012, lui aussi prorogé d'une durée de 6 mois, mais seulement pour l'activité " centre de retours ".
Depuis le 2 mars 2011, la société Sony Europe Limited dont le siège social est au Royaume Uni (ci-après société Sony) vient aux droits de la société Sony France suite à la transmission universelle du patrimoine de cette dernière. La société britannique dispose d'un établissement stable en France, immatriculé au Registre du commerce et des sociétés de Nanterre.
Les 15 et 26 octobre 2012, invoquant les articles L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce et affirmant :
avoir été un partenaire exclusif " dans le pilotage de la hotline et dans la coordination des centres de services agréés ",
avoir été placé en dépendance économique du fait de Sony,
avoir subi une rupture brutale des relations commerciales établies,
la société LM3S a attrait " la société Sony France succursale de Sony Europe Limited " et la société Sony Europe Limited devant le Tribunal de commerce de Paris, en vue de les faire condamner à lui payer la somme de 436 000 euros (dans le dernier état des prétentions, la demande initiale s'étant élevée à hauteur de 750 000 euros) en réparation des préjudices subis, outre l'indemnisation de ses frais irrépétibles à hauteur de la somme de 15 000 euros.
S'y opposant en faisant valoir avoir accordé un préavis de 18 mois et en contestant l'état allégué de dépendance économique, en indiquant que l'intéressée réalisait aussi un chiffre d'affaires avec les sociétés Samsung (depuis 2007), Philips (depuis 2009) et LG (depuis 2010), la société Sony a reconventionnellement sollicité le paiement de la somme globale de 26 362,39 euros, majorée des intérêts au taux de trois fois le taux légal à compter du 10 septembre 2013, correspondant à des factures impayées de fournitures de pièces détachées, outre également l'indemnisation des frais irrépétibles à hauteur de la somme de 15 000 euros.
Par jugement contradictoire du 4 juillet 2016 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal n'a pas retenu l'existence d'une rupture brutale, a débouté la société LM3S de ses demandes et l'a condamnée à verser à la société Sony Europe Limited venue aux droits de la société Sony France les sommes de 26 362,39 euros majorés des intérêts requis, au titre de la demande reconventionnelle, 15 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Vu l'appel interjeté le 3 août 2016, par la société LM3S (intimant la société Sony Europe Limited et la société Sony France) et ses dernières écritures télé-transmises le 3 novembre suivant, réclamant la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuivant l'infirmation du jugement en sollicitant à nouveau l'allocation d'une indemnité (globale) d'un montant de 436 000 euros en invoquant son état de dépendance économique, l'abus qu'en a fait la société Sony et la brutalité de la rupture, en faisant essentiellement valoir la grande incertitude dans laquelle elle a été placée et en reprochant aux premiers juges de ne pas avoir suffisamment pris en compte :
les investissements qu'elle a réalisés (en locaux et en personnels) pour faire face à l'accroissement des tâches confiées par Sony, outre les frais de licenciement du personnel dédié (18 sur un effectif de 36),
la spécificité des tâches qui lui étaient confiées et son état de dépendance économique, le rapport de force entre une PME et un groupe international.
Vu les dernières écritures télé-transmises le 3 janvier 2017, par la société Sony intimée, réclamant la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuivant la confirmation du jugement en toutes ses dispositions ;
SUR CE,
Considérant, à titre liminaire, que la déclaration d'appel du 3 août 2016 vise tant la société Sony Europe Ltd, [dont le siège est au Royaume Uni (avec un établissement stable en France dans le ressort du Tribunal de commerce de Nanterre)], que la société Sony France " prise en la personne de son représentant légal, succursale de Sony Europe Limited " ;
Mais considérant qu'il n'est pas contesté que l'ancienne société Sony France a été absorbée le 2 mars 2011 par la société britannique Sony Europe Ltd, suite à une transmission universelle de patrimoine, de sorte que seule la société Sony Europe Ltd est aujourd'hui dans la cause pendante devant la cour ;
Que, par ailleurs, dans ses dernières écritures signifiées devant la cour, la société LM3S n'a pas critiqué sa condamnation à payer à la société Sony la somme de 26 362,39 euros en principal, majorée des intérêts au taux de trois fois le taux légal à compter du 10 septembre 2013, au titre de factures impayées de fournitures de pièces détachées, de sorte que le jugement doit être confirmé de ce chef ;
Considérant qu'il résulte des déclarations de la société LM3S pour la part non véritablement démentie par la société Sony que leurs relations se sont déroulées du 1er février 2002 au 30 septembre 2012, avec la maintenance des moniteurs informatiques, fabriqués et distribués par Sony, mais dont l'activité a sensiblement décliné à partir de la fin de 2003, suivie de la maintenance des téléviseurs du 1er avril 2004 au 31 mars 2007 et de la mise en place des CSA (centres de services agréés européens) du 1er avril 2007 au 31 mars 2011, la société Sony indiquant, quant à elle, sans davantage être démentie par la société LM3S que la fin des relations initialement prévue pour le 31 mars 2011, a successivement été prorogée au 26 septembre 2011, puis au 31 mars et au 30 septembre 2012 ;
Qu'il résulte de ces déclarations que, nonobstant la stipulation des contrats successifs pour une durée ferme d'un an seulement sans clause de reconduction tacite, les relations d'affaires se sont déroulées sur la durée maximale de 10 années et huit mois, cette durée étant de 9 années au jour de l'annonce de l'appel d'offres, le 1er février 2011 ;
Que la société LM3S prétend que, nonobstant les mentions contraires stipulées dans les contrats, elle aurait, de fait, assuré avec exclusivité la " hotline ", la réparation en direct ou par l'intermédiaire de réparateurs agréés et la gestion de la plateforme unique de retours produits, ayant nécessité en 2010, des locaux plus grands générant une charge locative annuelle de 127 000 euros contre 84 000 euros auparavant ;
Que, nonobstant l'information sur l'organisation d'une procédure d'appel d'offres en février 2011, la société LM3S qui indique avoir été oralement informée mi-avril 2011 du résultat négatif de celui-ci en ce qui la concerne, estime que la date de notification du préavis de la rupture des relations commerciales antérieurement établies doit être fixée à la date du courrier du 10 octobre 2011 l'informant de la nouvelle organisation confiée à la société Cordon à compter du 31 mars 2012, suite au résultat de l'appel d'offres précité ;
Que reconnaissant ainsi avoir bénéficié d'un préavis d'au moins 5 mois et 20 jours (du 10 octobre 2011 au 30 mars 2012), la société LM3S estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis d'un an [conclusions page 23] ;
Considérant que pour sa part, la société Sony indique que :
" tous les contrats [avec LM3S] ont été conclus pour une durée ferme d'un an sans versement d'une indemnité de fin de contrat et sans exclusivité ", chaque année jusqu'au 1er avril 2011, les sociétés LM3S et Sony signé un nouveau contrat de " centre de services agréé ",
la réparation des moniteurs informatiques a été sortie du contrat à partir du 1er avril 2006, la société LM3S ne conservant la réparation que des téléviseurs plasma et LCD,
contrairement à ce que l'intéressée prétend, la société LM3S n'a pas été le centre agréé exclusif de réparation des téléviseurs Sony, l'ensemble du réseau de 22 CSA (réduit à 20 à partir de 2010) en assurant la réparation depuis 2005, le CSA exploité par la société LM3S se limitant, à compter du 1er avril 2007, aux seules réparations TV et à la gestion de la " hotline " consistant à centraliser les appels et à renvoyer l'ordre de réparation sur le CSA local compétent,
la part de marché de Sony sur la vente en volume de téléviseurs a connu " un net repli à compter de 2011 " s'établissant " à 12,4 % ", tandis que celles des concurrents s'établissait à " 25,21 % (Samsung), 12,5 % (PHILIPS) et 14,1 % (LG) ", la part de Sony s'abaissant à 3,5 % sur le premier semestre 2013,
il s'est ajouté à la baisse symétrique du marché de la réparation, une décroissance résultant d'une meilleure fiabilité des produits et de la mise en place de technologies nouvelles comme la mise à jour à distance, de sorte que le réseau des CSA Sony a effectué 30 000 réparations en 2010 et seulement 8 000 entre octobre 2012 et septembre 2013, soit une baisse annuelle de plus de 70 %, cette situation étant à l'origine de la décision de recourir à un appel d'offres pour désigner un sous-traitant directement en charge des obligations de maintenance des appareils distribués par Sony ;
Considérant que la société LM3S ne conteste pas avoir reçu le courriel du 1er février 2011 (15H14) de la société Sony [pièce intimée n° 2] l'informant de la décision de confier à terme à un tiers la responsabilité et l'organisation de l'activité maintenance de ses produits, la société LM3S ayant accepté, par son courriel réponse du 2 février 2011 (9H05) [même pièce n° 2], de participer à l'appel d'offres ;
Que la notification écrite par courriel du 1er février 2011 (dont la réception n'est pas contestée) du recours à l'avenir à un appel d'offres pour désigner l'entreprise qui sera chargée de la maintenance des produits distribués par Sony, vaut notification de la rupture de la relation commerciale initialement établie entre Sony et LM3S et constitue le point de départ du préavis ;
Qu'il n'est pas davantage contesté que l'activité initiale de maintenance des produits Sony s'est prorogée jusqu'au 30 juin 2011 sensiblement dans les mêmes conditions, puis sous forme d'un nouveau contrat pour l'activité " centre de retours " qui a couru du 1er avril 2011 au 30 septembre 2012 ;
Que les prorogations successives des relations au cours des années 2011 et 2012 ayant été faites notamment dans l'intérêt de la société LM3S celle-ci est mal fondée à prétendre avoir été placée dans " une grande incertitude ", alors que les prorogations successives devaient notamment lui permettre d'ajuster l'effectif de son personnel et la taille de ses locaux, tout en ayant le temps de s'organiser pour rechercher de nouveaux marchés de réparation et de maintenance ;
Qu'il apparaît ainsi que la société LM3S a bénéficié d'un préavis global de prévenance d'une durée de 20 mois pour une relation établie antérieure d'une durée inférieure à 10 ans, et que le jugement doit aussi être confirmé en ce qu'il n'a pas retenu l'existence d'une brutalité de la rupture ;
Considérant que la société LM3S prétend aussi avoir été en situation de dépendance économique par rapport à la société Sony ;
Mais considérant, outre que la situation de dépendance économique n'a pas été véritablement prouvée, que la société LM3S n'a pas davantage rapporté la démonstration, qui lui incombe, de l'abus d'une telle situation par la société Sony ;
Considérant que, succombant dans son recours, la société LM3S ne saurait prospérer dans sa demande d'indemnisation de ses frais irrépétibles mais qu'il serait, en revanche, inéquitable de laisser à la charge de la société Sony la totalité de ceux supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel,
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Condamne la SAS LM3S Europe aux dépens d'appel et à verser à la société Sony Europe Limited une indemnité complémentaire d'un montant de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, Admet Maître Marie-Catherine Vignes avocat postulant, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.