CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 29 janvier 2018, n° 16-03279
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bertin Technologies (SAS)
Défendeur :
André Laurent (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Loos
Conseillers :
Mmes Castermans, Simon-Rossenthal
Avocats :
Mes Marchand, Dorel, Clergue
Faits et procédure
Vu le jugement prononcé le 11 décembre 2015 par le Tribunal de commerce de Paris qui a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, débouté la SAS Bertin technologies de l'ensemble de ses demandes de restitution de prix et de dommages-intérêts, condamné la SAS André Laurent à lui verser la somme de 23 184,85 euros au titre des pénalités de retard et condamné la société Bertin technologies à payer à la société André Laurent la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions du 4 août 2016 de la société Bertin technologies appelante, qui demande à la cour, au visa des articles 1641 et suivants, 1603 et suivants, 1134, 1135, 1382 et 1147 du Code civil d'infirmer le jugement à l'exception de la reconnaissance de son droit à percevoir des pénalités de retard, de condamner la société André Laurent à lui payer la somme de 236 506,24 euros correspondant au prix des vis affectées d'un vice, soit la somme de 120 272,95 euros TTC, et au surcoût des commandes de 2012, soit la somme de 116 233,28 euros ou, subsidiairement, au montant total des commandes de 2012, de fixer le montant des pénalités de retard à la somme de 33 347,38 euros, de condamner cette société à lui verser la somme de 100 000 euros au titre de son préjudice économique et d'image et celle de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter sa demande reconventionnelle,
Vu les dernières écritures du 3 octobre 2016 de la société André Laurent qui conclut, au visa des articles 1139, 1147, 1603, 1641, 1646 et suivants du Code civil et 515 du Code de procédure civile, à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, à la condamnation de la société Bertin technologies à lui payer de ce chef la somme de 10 000 euros ainsi que celle de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et conclut au rejet de la demande formée par l'appelante au titre de son préjudice moral.
SUR CE,
Considérant que la société Bertin technologies ci-après dénommée Bertin, expose avoir été chargée par la société Areva suivant contrat du 14 septembre 2005 modifié par six avenants, de procéder à l'étude des équipements de filtration de l'IRWST (In-containment Refueling Water System Tank) destiné à l'EPR que la société Areva devait fournir à la société finlandaise Teollisuuden Voima Oyj-TVO, et à la réalisation de ceux-ci; que pour ce faire, elle a fait appel aux sociétés Atelier de construction du petit-parc-ACPP et Chaudrinox pour la fabrication des filtres et à la société André Laurent pour les vis, écrous et rondelles; que la société Bertin a passé commande à cette société, le 14 janvier 2009, de vis et d'écrous pour un montant de 314 972,69 euros hors taxe ; que cette commande a été modifiée par avenant du 18 mai 2009 réduisant le nombre d'unités commandés et la facture à la somme de 310 589,63 euros hors taxe; que cette commande était complétée le même jour par une commande d'un montant de 40 572,88 euros hors taxe ; que la société Areva ayant informé la société Bertin par lettre du 29 juillet 2011 et confirmé le 21 septembre 2011, au vu des conclusions de l'expertise confiée à son laboratoire d'Erlangen, que la boulonnerie des filtres fournis par elle présentait des traces de corrosion et après plusieurs échanges entre les sociétés Areva et Bertin d'une part et cette dernière et la société André Laurent d'autre part, la société Bertin a passé commande de nouvelles vis auprès de son fournisseur le 1er février 2012 avant de l'assigner en responsabilité et en payement par acte du 18 février 2013 devant le Tribunal de commerce de Paris qui a statué dans les termes susvisés faute pour la société Bertin de rapporter la preuve que le produit livré ne correspondait pas à la commande et était entaché d'un vice caché avant sa livraison ;
Considérant que la société Bertin qui recherche la responsabilité de la société André Laurent tant au titre de la garantie légale des vices cachés qu'au titre du manquement de cette société à son obligation de résultat, prétend d'une part que les vis fabriquées par la société André Laurent étaient affectées de vices, à savoir des traces de corrosion comme l'établit le rapport de la société Areva non décelables lors de leur livraison sur les sites des sociétés ACPP et Chaudrinox dès lors qu'ils n'étaient pas visibles à l'oeil nu, et que les certificats fournis par l'intimée ne mentionnaient aucune non-conformité, ces vices résultant d'un défaut de traitement de la surface et d'une absence de protection contre la corrosion; qu'elle prétend, d'autre part, que l'intimée à manqué à son obligation de résultat de procéder à un emballage protégeant les pièces de la corrosion ; que la société André Laurent objecte que l'acier martensitique imposé par la société Bertin offrant le moins de résistance à la corrosion parmi les différents aciers inoxydables, il ne peut être valablement soutenu que des traces de rouille constatées à l'ouverture des cartons par la société Areva en 2011 constituent la preuve de l'existence d'un vice caché ou d'une absence du résultat attendu ; qu'elle conteste le caractère probant du rapport du laboratoire interne de la société Areva sur lequel s'appuie l'appelante en raison de son caractère non contradictoire et du défaut de caractère certain de ses conclusions; qu'elle affirme avoir ignoré la destination réelle des produits, c'est-à-dire leur immersion dans une eau borée à 160° avec une pression de 6 bars durant 60 ans, de même que le transport maritime de ces produits les exposant à la salinité et leur stockage à l'air marin pendant près de deux ans par la société Areva alors qu'en l'absence de mention spéciale l'emballage qu'elle a conçu pour leur transport devait les protéger d'une corrosion éventuelle jusqu'aux lieux de livraison, à savoir Beaumont Hague (50) et Brignais (69) ;
Considérant, ceci exposé, qu'il est constant que le cahier des charges de la société Bertin prescrivait l'utilisation d'acier inoxydable martensitique de groupe C3 classe de qualité 80 pour la fabrication du lot de vis et d'écrous avec un taux de chrome acceptable de 15 à 17,5 % au lieu de 16 à 18 %, mais n'imposait aucun mode de fabrication ; qu'il appartient à la société Bertin de démontrer que le vice affectant les têtes des vis existait antérieurement à leur livraison; que pour rapporter cette preuve, cette société se fonde sur le rapport d'analyse du laboratoire de la société Areva établi le 1er septembre 2011 dont il ressort que la présence de corrosion sur la tête des vis s'expliquerait par une baisse importante de la teneur en chrome à cet endroit ; que la traduction de la conclusion de l'expert de la société Areva telle que produite par la société Bertin est la suivante : " on peut clairement conclure que la couche grise à la surface de la tête est une calamine résiduelle du processus de fabrication qui n'a pas totalement été éliminée comme elle aurait dû l'être. Étant donné que cet oxyde a une faible teneur en Cr, il est encore susceptible de corrosion généralisée dans des environnements aqueux oxygénés, par exemple des films d'eau superficielle condensée à partir de l'air humide au cours de nuits froides après des journées chaudes et humides. Par conséquent, la rouille observée est un produit d'oxydation du matériau de calamine " ; que l'expert préconisait un nettoyage mécanique par sablage ou un nettoyage chimique par décapage et passivation en soulignant les avantages et les inconvénients de ces deux méthodes; que la société Areva informait la société Bertin par lettre du 21 septembre 2011 de ce que compte tenu de l'urgence des problèmes évoqués, " afin de déterminer la responsabilité précise relative au problème, Areva NP propose qu'un laboratoire tiers indépendant soit désigné par accord mutuel de Bertin et Areva NP. Il sera demandé à cet expert indépendant d'examiner les boulons et de fournir une explication du problème d'oxydation. A cette fin, si vous le souhaitez, vous pouvez contacter votre sous-fournisseur afin qu'il puisse également participer " ; qu'elle proposait à la société Bertin de choisir entre trois laboratoires indépendants nommément désignés ou un laboratoire au choix de celle-ci ; que les termes de cette lettre démontrent qu'il n'existait aucune certitude sur l'origine de la corrosion constatée à l'ouverture des cartons en Finlande en 2011 et donc sur l'existence d'un vice caché; que la société Bertin a refusé la proposition de la société Areva de faire appel à un laboratoire indépendant dans le cadre d'une expertise contradictoire, s'abstenant même d'informer la société André Laurent de cette proposition; qu'elle a de nouveau refusé que soit ordonnée une mesure d'expertise contradictoire comme le tribunal de commerce l'avait envisagé ;
Considérant que la société Bertin affirme que le forgeage des pièces auquel il a été procédé pour former la tête des vis est connu pour être susceptible d'entraîner une perte de chrome dans l'acier à défaut de précautions visant à prévenir la formation de calamine et que cette perte de chrome est à l'origine de la perte des qualités inoxydables attendues; que cette affirmation, non étayée par des éléments probants, étant observé que le cahier des charges n'imposait aucun mode de fabrication particulier à la société André Laurent ne peut emporter la conviction de la cour pas plus qu'elle n'a convaincu le tribunal qui a relevé de façon pertinente qu'il n'existait pas dans la cause d'éléments permettant d'exclure que si les vis avaient été entreposées dans des conditions non agressives comme elles l'ont été en Finlande et durant plus de 18 mois elles n'auraient pas été impropres à leur utilisation, et ce d'autant moins qu'il n'est pas contesté que l'acier martensitique est un matériau qui résiste moins bien à la corrosion que les autres aciers inoxydables et que le cahier des charges ne faisait pas état d'un emballage particulier nécessaire à la protection des pièces de boulonnerie contre la corrosion contrairement au document que lui avait remis la société Areva document non transmis à la société André Laurent et qui portait mention d'un emballage et d'une protection contre la corrosion ; qu'au surplus, la société Bertin était en mesure de constater, à réception des cartons contenant les vis commandées et ne serait-ce que par sondage, que les pièces de boulonnerie étaient logées dans des plateaux ondulés en carton eux-mêmes empilés les uns sur les autres dans des caisses en carton comme elle l'indique en page 11 de ses conclusions et partant, d'exiger alors de la société André Laurent un emballage spécifique protégeant les vis de la corrosion ; qu'il suit de ces développements que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a relevé que la société Bertin échouait à rapporter la preuve de l'existence d'un vice caché et d'une faute de la société André Laurent dans l'exécution de ses obligations contractuelles et a rejeté les demandes de restitution du prix de la première livraison; que le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande de dommages-intérêts formée devant la cour par la société Bertin d'un même montant que celle présentée devant le tribunal non plus en réparation de son préjudice moral mais en réparation de son préjudice économique et d'image ;
Considérant que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté la société Bertin de sa demande en payement du surcoût entraîné par la seconde commande faute de rapporter la preuve d'un abus de la part de la société intimée dans la fixation du prix de cette commande au regard du procédé de fabrication utilisé à cette occasion et du surplus de matière première utilisé ;
Considérant que le jugement sera en revanche infirmé en ce qu'il a réduit le montant des pénalités de retard dont est redevable la société André Laurent pour ne pas avoir livré le matériel à la date convenue, le 26 avril 2012, mais avec 47 jours de retard en tenant pour acquis qu'une partie des produits avait été livrée le 10 mai 2012 comme le soutenait la société André Laurent et non le 12 juin 2012, et ce en l'absence de production de pièce corroborant les dires de cette société ; que pourtant celle-ci ne contestait pas ce retard dans la lettre qu'elle avait adressée à la société Bertin le 26 juin 2012 pour protester contre la retenue de pénalités de retard en objectant que le retard était le fait de son sous-traitant sans alléguer une livraison partielle au 10 mai 2012 ; que la disproportion invoquée par la société André Laurent dans le dispositif de ses conclusions n'étant pas manifeste, elle sera condamnée à verser la somme de 33 347,38 euros au titre des pénalités de retard;
Considérant que la société appelante n'ayant pas commis de faute dans son droit d'agir en justice, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société André Laurent en payement de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Et considérant qu'il n'y a pas lieu d'allouer à la société André Laurent une indemnité supplémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, le jugement étant confirmé en ce qu'il a condamné la société Bertin à lui payer à ce titre la somme de 5 000 euros et la demande formée du même chef par celle-ci devant la cour étant rejetée ;
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement sauf en ce qu'il a réduit le montant des pénalités de retard dues par la société André Laurent à la somme de 23 184,85 euros, Statuant à nouveau du chef infirmé, condamne la société André Laurent à payer à la société Bertin technologies la somme de 33 347,38 euros au titre des pénalités de retard, rejette toute autre demande, condamne la société Bertin technologies aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.