Cass. crim., 4 septembre 2007, n° 06-85.294
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Chevrolet France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farge
Rapporteur :
M. Palisse
Avocat général :
M. Davenas
Avocats :
SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, SCP Parmentier, Didier
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par : la société Chevrolet France contre l'arrêt de la Cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 7 juin 2006, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à 150 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur la recevabilité du pourvoi formé le 12 juin 2006 : - Attendu que la demanderesse, ayant épuisé, par l'exercice qu'elle en avait fait le 9 juin 2006, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision ; que seul est recevable le pourvoi formé le 9 juin ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2 et 221-6 du Code pénal, ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société Chevrolet France coupable du délit d'homicide involontaire par personne morale ;
"aux motifs qu'il s'agit d'un aveu qui prouve directement que Daewoo, qui avait fait modifier la boucle dès 1997, connaissait les dysfonctionnements ; que, certes, le prévenu affirme qu'il n'a jamais eu connaissance d'une telle défaillance de la part de ses réseaux ; que cette affirmation est surprenante de la part d'un constructeur mondial alors que des défaillances bien réelles sont établies ; qu'une telle ignorance supposée ne peut, dès lors, s'expliquer que par l'extrême indigence du réseau de distribution et de service du constructeur dont le parc représente 1 % environ des véhicules mis en circulation sur le territoire national ; que le peu de réactivité pour faire procéder au rappel des véhicules en cause et du modèle Espero probablement équipé des mêmes ceintures est également révélateur de l'état d'esprit du prévenu qui n'a pas estimé prioritaire la sécurité des usagers de la marque alors qu'une telle pratique est de règle depuis une dizaine d'années dans le milieu automobile ; qu'en effet, l'obligation du constructeur ne s'arrête pas à la mise sur le marché d'un produit homologué ; qu'il lui appartient également d'en suivre l'évolution dans le temps et, pour ce faire, de mettre en place des circuits de distribution réactifs susceptibles d'assurer efficacement les remontées de l'information et plus particulièrement les anomalies de fonctionnement de nature à mettre la sécurité du consommateur en danger ;
"alors que, d'une part, en prétendant fonder l'élément moral de l'infraction et la connaissance par la société Chevrolet France de dysfonctionnements de la ceinture de sécurité sur la prétendue "indigence" du réseau de distribution et le peu de réactivité de celui-ci, sans constater, en réfutation des motifs du jugement, l'existence de plaintes significatives émanant de la clientèle, de la presse et des associations de consommateurs à ce sujet, sauf des cas isolés dans les départements du centre de la France, et donc d'aucune carence du réseau de distribution dans la remontée des informations, la cour d'appel, en renversant la charge de la preuve, a présumé l'élément moral de l'infraction, privant sa décision de toute base légale au regard des articles 121-2 et 221-6 du Code pénal ;
"alors que, d'autre part, la société Chevrolet France n'était pas constructeur mais simple importateur des véhicules en France si bien que l'arrêt attaqué est encore privé de toute base légale au regard des articles 121-2 et 221-6 du Code pénal ;
"et alors que, enfin, le rappel à titre de prévention et de précaution des véhicules postérieurement à l'accident n'était pas de nature à établir la connaissance par l'importateur des véhicules des dysfonctionnements des ceintures de sécurité avant l'accident, si bien que la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'élément moral de l'infraction d'homicide involontaire, violant les articles 121-2 et 221-6 du Code pénal" ;
Vu les articles 221-6 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu que, si le premier de ces textes n'exige pas, pour recevoir application, qu'un lien de causalité direct et immédiat existe entre la faute commise et le décès de la victime, encore faut-il que l'existence de ce lien de causalité soit certaine ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 24 septembre 2000, Chantal X. a, dans une courbe, perdu le contrôle de l'automobile de marque Daewoo qu'elle conduisait ; que le véhicule a fait plusieurs tonneaux, au cours desquels la conductrice a été éjectée par une fenêtre et mortellement blessée à la tête ; que les enquêteurs ont constaté que la boucle de sa ceinture de sécurité s'était ouverte et que la ceinture pendait à l'extérieur du véhicule ; qu'ils ont également relevé que le témoin lumineux, qui devait alerter le conducteur lorsque la ceinture n'était pas bouclée, ne fonctionnait pas correctement et s'éteignait même, si le pêne était mal enfoncé, la ceinture s'ouvrant alors à la moindre traction ; que, selon les experts, ce dysfonctionnement pouvait résulter soit de l'usure des pièces de la boucle, soit de l'introduction de corps étrangers dans son mécanisme ;
que des vérifications effectuées au cours de l'information sur des véhicules de même type ont montré que certains, fabriqués entre 1994 et 1996, souffraient de défauts identiques et qu'il a été signalé un accident survenu dans des conditions similaires en 2001 ; qu'enfin, en 2004, le constructeur a procédé au rappel des véhicules équipés de ce modèle de ceinture et au remplacement de ces équipements ;
Attendu que, pour déclarer la société Chevrolet France, anciennement Général Motors Daewoo France, coupable d'homicide involontaire, l'arrêt retient que, si le constructeur fait valoir que les ceintures de sécurité étaient régulièrement homologuées et soutient qu'il n'avait été informé d'aucune défaillance avant l'accident, il aurait dû mettre en place des circuits de distribution plus réactifs susceptibles d'assurer efficacement la remontée des d'informations et plus particulièrement de celles relatives aux anomalies de fonctionnement de nature à mettre la sécurité du consommateur en danger ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, faute de défaillances révélées avant l'accident dont a été victime Chantal X., cette négligence a concouru avec certitude au décès de la victime, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Riom, en date du 7 juin 2006, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bourges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.